9 février 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-10.753

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00109

Texte de la décision

COMM.

DB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 février 2022




Rejet


M. GUÉRIN, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 109 F-D

Pourvoi n° B 20-10.753




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 FÉVRIER 2022

1°/ M. [Y] [T], domicilié [Adresse 4],

2°/ Mme [F] [T], domiciliée [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° B 20-10.753 contre l'arrêt rendu le 19 novembre 2019 par la cour d'appel de Pau (1re chambre), dans le litige les opposant au directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Tostain, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et de Mme [T], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, après débats en l'audience publique du 14 décembre 2021 où étaient présents M. Guérin, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Tostain, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 19 novembre 2019), [I] [B], exploitant agricole, est décédé le [Date décès 3] 2012, laissant pour légataires universels ses neveu et nièce, M. et Mme [T], lesquels ont demandé à bénéficier d'une exonération des droits de succession à concurrence des trois quarts de la valeur transmise, en application des dispositions de l'article 787 C du code général des impôts.

2. Considérant que des valeurs mobilières de placement d'un montant de 90 121,52 euros et des sommes provenant de la succession de [S] [P], épouse de [I] [B], s'élevant à 115 192,79 euros, avaient été intégrées à tort dans la valeur de l'exploitation agricole léguée, ce qui avait indûment augmenté l'assiette de l'exonération partielle de la valeur de biens qui ne pouvaient pas en bénéficier comme n'étant pas nécessaires à l'exercice de la profession, l'administration fiscale a adressé à M. et Mme [T] une proposition de rectification rehaussant les droits de succession dus.

3. Après le rejet de leurs réclamations contentieuses, M. et Mme [T] ont assigné l'administration fiscale en annulation des décisions de rejet et en décharge des droits supplémentaires mis en recouvrement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [T] font grief à l'arrêt de confirmer les deux jugements du 13 septembre 2016 et de rejeter leurs demandes tendant à la décharge de la quote-part de droits supplémentaires et de pénalités mis à leur charge en matière de droits d'enregistrement, alors :

« 1°/ que la limitation du périmètre d'éligibilité posée à l'article 787 C du code général des impôts porte sur les biens affectés à l'exploitation et non sur les biens strictement nécessaires à celle-ci ; qu'en faisant porter son examen sur une condition de nécessité et non d'affectation, la cour d'appel a violé l'article 787 C du code général des impôts ;

2°/ que la remise en cause d'une affectation de liquidités à l'exploitation de l'entreprise ne peut avoir lieu qu'en cas d'acte anormal de gestion ; que la preuve de l'anormalité de l'acte pèse sur l'administration ; qu'en les déboutant au motif qu'ils ne faisaient pas la preuve du caractère nécessaire de l'affectation, ni du caractère nécessaire de l'achat de deux tracteurs, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé les articles 787 C du code général des impôts et 1353 du code civil ;

3°/ qu'en se prononçant par des motifs tirés du fait que les liquidités étaient supérieures aux charges courantes d'exploitation, que le défunt âgé de 86 ans n'avait pas prévu d'investissements et que preuve n'était pas rapportée de ce que des tracteurs étaient nécessaires à une exploitation agricole, motifs tous impropres à démontrer le caractère anormal de l'affectation, sans s'expliquer sur le fait que précisément âgé de 86 ans, le défunt n'avait aucune possibilité d'emprunt alors que l'exploitation allait nécessiter de lourds investissements de remise à niveau, commencés par ses héritiers, que s'agissant d'une exploitation agricole, les besoins et les revenus sont cycliques, et que le défunt avait arbitré entre besoins de son exploitation et besoins personnels, en souscrivant des assurances-vie échappant aux dispositions de l'article 787 C du code général des impôts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte. »

Réponse de la Cour

5. En premier lieu, ayant soutenu, dans leurs conclusions d'appel, que la totalité de l'actif circulant de l'entreprise agricole de [I] [B] existant au moment du décès de ce dernier était nécessaire à l'exploitation, de sorte qu'ils pouvaient bénéficier des dispositions de l'article 787 C du code général des impôts, M. et Mme [T] sont irrecevables à proposer devant la Cour de cassation un moyen incompatible avec la thèse qu'ils ont développée devant les juges du fond.

6. En second lieu, si, en ce qui concerne les entreprises individuelles, l'inscription des biens meubles et immeubles, corporels ou incorporels au bilan, ou leur mention sur le document en tenant lieu, en font présumer le caractère affecté à l'exploitation de l'entreprise, l'administration a la faculté de rapporter la preuve qu'ils ne sont pas nécessairement et effectivement affectés à celle-ci, l'arrêt relève que les sommes litigieuses, provenant de la succession de son épouse, ont été déposées par [I] [B] sur un compte personnel et qu'aucun élément ne démontre que ce dernier, âgé de quatre-vingt six ans, avait prévu, à ce moment-là, des modifications dans la gestion de l'entreprise. Il relève ensuite que les sommes litigieuses n'ont été mentionnées à l'actif du bilan de l'entreprise que postérieurement au décès de [I] [B], de même que les valeurs mobilières de placement, qui n'apparaissent pas au bilan de l'exercice clos le 31 décembre 2010. Il relève encore, après avoir évalué la moyenne des besoins de trésorerie de l'entreprise sur les trois derniers exercices complets, que celle-ci disposait de liquidités très supérieures à ses charges courantes d'exploitation. Il relève enfin que, si M. et Mme [T] justifient avoir, postérieurement au décès de [I] [B], investi dans du matériel et des travaux, les liquidités de l'entreprise, hors les sommes litigieuses, suffisaient à financer ces investissements.

7. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui, après avoir retenu comme probants les éléments produits par l'administration fiscale contestant l'affectation des sommes litigieuses et des valeurs mobilières de placement à l'exploitation de l'entreprise, a relevé que M. et Mme [T] ne produisaient aucun élément contraire de nature à leur permettre de bénéficier de l'exonération prévue par l'article 787 C du code général des impôts, et qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter, a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision.

8. En conséquence, le moyen, irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [Y] [T] et Mme [F] [T] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [Y] [T] et Mme [F] [T] et les condamne à payer au directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé en l'audience publique du neuf février deux mille vingt-deux, et signé par M. Ponsot, conseiller qui en a délibéré, en remplacement de M. Guérin, empêché.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [Y] [T] et Mme [F] [T].

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé les deux jugements du 13 septembre 2016 rendus par le tribunal de grande instance de Tarbes, et rejeté les demandes des consorts [T] tendant à la décharge de la quote-part de droits supplémentaires et de pénalités mis à leur charge en matière de droit d'enregistrement.

AUX MOTIFS QUE « Les conditions pour pouvoir bénéficier des dispositions de l'article 787C du code général des impôts (CGI) s'agissant de la durée de détention de l'entreprise individuelle, de l'engagement de conserver l'ensemble des biens affectés à l'exploitation de l'entreprise agricole, et de la poursuite effective de l'exploitation agricole pendant 3 années suivant la date de la transmission de l'exploitation ne sont pas contestées.

Sont objet du litige, les sommes correspondantes à des valeurs mobilières et à un compte courant d'un montant total de 286.565,59 euros.

Sur le caractère nécessaire à l'exploitation des liquidités inscrites au montant de l'actif circulant du bilan de cessation d'activité
Il a été contesté par l'administration, pour la somme de 115.192,79 euros provenant de la succession de Mme [S] [P], qui était l'épouse de M. [B] et pour celle de 90.121,59 euros, au motif que la somme globale est trop importante par rapport aux besoins de l'entreprise.

Selon M. [Y] [T] et Mme [F] [T],
- ces sommes sont nécessaires pour assurer le renouvellement du matériel et des autres immobilisations et pour effectuer des jonctions de trésorerie étant rappelé que M. [B], compte tenu de son âge, ne pouvait pas bénéficier d'emprunt pour ses besoins d'investissement.
-l'administration ne peut pas se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion qui ont été opérés du vivant de M. [B].

Au soutien de ce moyen, ils produisent une décision du conseil d'État du 13 juillet 2016.

Toutefois, cette décision concerne l'impôt sur les sociétés et les actes relevant d'une gestion commerciale normale et aucunement les modalités d'exonération de droits de mutation à titre gratuit dispositions de l'article 787 C du CGI.

Aux termes d'une jurisprudence ancienne de la Cour de Cassation rappelée par l'intimée, si, s'agissant d'une entreprise individuelle, l'inscription des biens au bilan fait présumer le caractère professionnel, l'administration peut combattre cette présomption en démontrant que ce bien n'est pas réellement nécessaire à l'exploitation.

Ainsi, les liquidités et les placements financiers assimilés sont pris en compte au titre des biens professionnels, lorsqu'ils sont inscrits au bilan de l'entreprise, dans la mesure où leur montant ne dépasse pas les besoins normaux de trésorerie de celle-ci et où ils sont nécessaires à l'activité de l'entreprise.

S'il est établi, que le 17 octobre 2011, 3 versements de 617,03 €, 613, 91 € et 8278,98 euros sont intervenus par suite de la clôture de différents comptes, et que le virement Predica de 105.682,87 euros a été réalisé le 31 janvier 2012, soit antérieurement au décès de [I] [B] survenu le [Date décès 3] 2012, il y a lieu de constater :
-que le compte chèque, ouvert au crédit agricole n° 103 193 00 090 est un compte personnel de M. [I] [B] qui ne disposait pas de compte spécifique pour son entreprise agricole
-que ces valeurs ont été mentionnées à l'actif du bilan des exercices clos aux 31/12/2011 et 5/03/2012, soit postérieurement au décès de [I] [B]
-que l'exercice clos le 31 décembre 2010 ne mentionne aucune valeur mobilière de placement mais, au titre de caisse, banque, CCP et autres disponibilités, figure la somme de 82.940 € et qu'au titre de l'exercice clos le 31/12/2011, cet actif immobilisé représentait 100.091 €.

Il n'est pas contesté, que les besoins de trésorerie de l'entreprise s'élevaient au 31/12/ 2009 à 66.570 € (charges hors dotation aux amortissements), au 31/12/2010 à 59.531 € et au 31/12/2011 à 50.386 € et enfin, au 5/03/2012, à 16.890 €, soit une moyenne de 58.829 € durant les 3 derniers exercices complets.

Il résulte de ces éléments,
- que l'entreprise individuelle disposait de liquidités bien supérieures à ses charges courantes d'exploitation.
- que rien ne démontre, qu'aux dates auxquelles [I] [B] a transféré les sommes litigieuses sur son compte chèque, il était prévu des modifications très importantes dans la gestion du domaine, rappel fait, qu'il était alors âgé de 86 ans.

Les appelants produisent 6 factures au soutien de leur argumentation aux termes de laquelle, ces sommes étaient nécessaires pour assurer le renouvellement du matériel et d'autres immobilisations et faire les joints de trésorerie indispensables au regard de l'absence de régularité de la vente des animaux.

S'il est justifié d'investissements dans du matériel par les factures Queralt SAS du 21 décembre 2012 pour un montant de 17.940 €, SARL Saura Saint-Martin du 21 octobre 2013, pour un montant de 31.674 €, SARL Pontalier (215,21 euros) et Pontarlier construction – 28.835,56 euros- en date du 4 novembre 2013, afférente à des travaux, force est de constater, qu'il pouvait y être satisfait, au regard des liquidités dont disposait l'entreprise.

Par ailleurs, en l'absence d'informations données par les consorts [T], rien n'établit que l'acquisition quasi concomitante de 2 tracteurs le 12 juin 2013 et le 30 juillet 2013, soit environ 18 mois après les virements effectués par [I] [B], pour les montants respectifs de 95.680 € et 91.314,60 euros était nécessaire à l'exploitation.

En conséquence, les jugements déférés seront confirmés en ce qu'ils ont jugé que la preuve du caractère nécessaire des biens à l'exploitation n'était pas rapportée et débouté M. [Y] [T] et Mme [F] [T] de l'ensemble leurs demandes » ;

1°) ALORS QUE la limitation du périmètre d'éligibilité posée à l'article 787 C du CGI porte sur les biens affectés à l'exploitation et non sur les biens strictement nécessaires à celle-ci ; qu'en faisant porter son examen sur une condition de nécessité et non d'affectation, la cour d'appel a violé l'article 787 C du CGI.

2°) ALORS QUE la remise en cause d'une affectation de liquidités à l'exploitation de l'entreprise ne peut avoir lieu qu'en cas d'acte anormal de gestion ; que la preuve de l'anormalité de l'acte pèse sur l'administration ; qu'en déboutant les consorts [T] au motif qu'ils ne faisaient pas la preuve du caractère nécessaire de l'affectation, ni du caractère nécessaire de l'achat de deux tracteurs, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé les articles 787 C CGI et 1353 du code civil ;

3°) ALORS ENFIN QU'en se prononçant par des motifs tirés du fait que les liquidités étaient supérieures aux charges courantes d'exploitation, que le défunt âgé de 86 ans n'avait pas prévu d'investissements et que preuve n'était pas rapportée de ce que des tracteurs étaient nécessaires à une exploitation agricole, motifs tous impropres à démontrer le caractère anormal de l'affectation, sans s'expliquer sur le fait que précisément âgé de 86 ans, le défunt n'avait aucune possibilité d'emprunt alors que l'exploitation allait nécessiter de lourds investissements de remise à niveau, commencés par ses héritiers, que s'agissant d'une exploitation agricole, les besoins et les revenus sont cycliques, et que le défunt avait arbitré entre besoins de son exploitation et besoins personnels, en souscrivant des assurances-vie échappant aux dispositions de l'article 787 C CGI, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte.

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