2 février 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-22.559

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00129

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 février 2022




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 129 F-D


Pourvois n°
P 19-22.559
à R 19-22.561 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 FÉVRIER 2022

1°/ Mme [S] [D], épouse [M], domiciliée [Adresse 3],

2°/ M. [C] [J], domicilié [Adresse 2],

3°/ M. [R] [Z], domicilié [Adresse 5],

ont formé respectivement les pourvois n° P 19-22.559, Q 19-22.560 et R 19-22.561 contre trois arrêts rendus le 11 juillet 2019 par la cour d'appel d'Orléans (chambre sociale), dans les litiges les opposant :

1°/ à la société [A] et associés, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], prise en la personne de M. [G] [U], en sa qualité de liquidateur de la SAS Cargo Van,

2°/ à l'AGS-CGEA d'[Localité 6], dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation commun annexé au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [D] et de MM. [J] et [Z], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [U]-Ponroy et associés, ès qualités, après débats en l'audience publique du 7 décembre 2021 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° P 19-22.559, Q 19-22.560 et R 19-22.561 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Orléans, 11 juillet 2019), par jugement du 5 décembre 2012, un tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Cargo Van. Le juge commissaire ayant autorisé la suppression de 52,5 postes dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, Mme [D] et MM. [J] et [Z] (les salariés) ont conclu en mai 2013 une convention de départ volontaire pour motif économique.

3. Par jugement du 5 février 2014, la procédure de redressement judiciaire a été convertie en liquidation judiciaire, la société [U]-Ponroy et associés étant désignée liquidateur judiciaire (le liquidateur).

4. Les salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour contester la rupture de leur contrat de travail et obtenir paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Les salariés font grief aux arrêts de déclarer irrecevables leurs demandes indemnitaires pour rupture sans cause réelle et sérieuse, alors « que lorsque les départs volontaires prévus dans un plan de sauvegarde de l'emploi s'adressent à des salariés dont le licenciement est envisagé en raison de la réduction des effectifs, sans engagement de ne pas licencier si l'objectif n'est pas atteint au moyen de ruptures amiables des contrats de travail des intéressés, l'employeur est tenu, à l'égard de ces salariés, d'exécuter au préalable l'obligation de reclassement prévue dans le plan ; que pour dire irrecevable la demande des salariés tendant à voir inscrire au passif de la liquidation judiciaire de la société des sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison du non respect, par le liquidateur, de l'obligation de reclassement, l'arrêt retient que seules certaines règles du licenciement économique, au nombre desquelles ne figure pas l'obligation de reclassement incombant à l'employeur, doivent être respectées par celui-ci lorsqu'il conclut avec son salarié une convention de départ volontaire, et que les salariés ne soulevant ni que l'employeur a fraudé leurs droits, ni que leur consentement a été vicié, la contestation de la cause de la rupture ne leur est pas ouverte ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si le licenciement des salariés était envisagé en raison de la réduction des effectifs, sans engagement de ne pas les licencier si l'objectif n'était pas atteint au moyen de ruptures amiables des contrats de travail, en sorte que le mandataire liquidateur était tenu à leur égard d'une obligation de reclassement dont il étaient recevables à invoquer la méconnaissance, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1233-3 et L. 1233-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. Le liquidateur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il ne résulte ni des pièces de la procédure, ni des arrêts attaqués que le moyen fondé sur le caractère « mixte » ou « hybride » du plan de départ volontaire, qui aurait imposé à l'employeur d'exécuter au préalable son obligation de reclassement, a été soulevé par les salariés.

7. Cependant, il résulte des motifs des jugements que le départ des salariés de la société avait pour origine la suppression d'emplois au sein de l'entreprise pour motifs économiques et que la rupture d'un contrat de travail d'un salarié ayant exprimé son intention de quitter l'entreprise en bénéficiant des avantages prévus par le plan de sauvegarde de l'emploi établi dans le cadre d'une procédure de licenciement économique collectif, s'analyse comme une modalité de ce licenciement économique.

8. Les salariés, qui ont sollicité la confirmation des jugements, étant réputés s'être appropriés ces motifs en application de l'article 954, dernier alinéa, du code de procédure civile, il en résulte que le moyen n'est pas nouveau.

9. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 1233-3, L. 1233-4 et L. 1233-61 du code du travail, les premier et troisième textes dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et le deuxième dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 :

10. Lorsque les départs volontaires prévus dans un plan de sauvegarde de l'emploi s'adressent aux salariés dont le licenciement est envisagé en raison de la réduction des effectifs, sans engagement de ne pas licencier si l'objectif n'est pas atteint au moyen de ruptures amiables des contrats de travail des intéressés, l'employeur est tenu, à l'égard de ces salariés, d'exécuter au préalable l'obligation de reclassement prévue dans le plan.

11. Pour déclarer irrecevables les demandes indemnitaires des salariés au titre d'une rupture sans cause réelle et sérieuse, les arrêts retiennent que la rupture du contrat de travail des salariés ne résulte pas d'un licenciement mais d'une convention de départ volontaire, et que, si l'article L. 1233-3, alinéa 2, du code du travail prévoit que les dispositions relatives au licenciement économique sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l'exclusion de la rupture conventionnelle, seules certaines règles du licenciement économique, au nombre desquelles ne figure pas l'obligation de reclassement incombant à l'employeur, doivent être respectées par celui-ci lorsqu'il conclut avec son salarié une convention de départ volontaire. Constatant que les salariés ne soulevant ni que l'employeur a fraudé leurs droits, ni que leur consentement a été vicié, ils en déduisent que la contestation de la cause de la rupture de leur contrat de travail ne leur est pas ouverte.

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher si le licenciement des salariés ayant conclu une convention de rupture amiable était envisagé dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils déclarent irrecevables la demande indemnitaire de Mme [D] et de MM. [J] et [Z] pour rupture sans cause réelle et sérieuse, les arrêts rendus le 11 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans, autrement composée ;

Condamne la société [U]-Ponroy et associés, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Cargo Van, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [U]-Ponroy et associés, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Cargo Van et la condamne en cette qualité à payer à Mme [D] et MM. [J] et [Z] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen commun produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme [D] et MM. [J] et [Z], demandeurs aux pourvois n° P 19-22.559, Q 19-22.560 et R 19-22.561


Il est fait grief aux arrêts attaqués d'AVOIR déclaré irrecevables les demandes indemnitaires formées par les salariés pour rupture sans cause réelle et sérieuse.

AUX MOTIFS QUE le contrat de travail peut prendre fin par un licenciement, une démission ou par l'accord commun des parties ; que par ailleurs, la rupture d'un contrat de travail pour motif économique peut résulter d'un départ volontaire dans le cadre d'un accord collectif mis en oeuvre après consultation du comité d'entreprise ; qu'en l'espèce, [le salarié] invoque que son "licenciement est sans cause réelle et sérieuse" et ce alors que la rupture de son contrat de travail ne résulte pas d'un licenciement mais d'une convention de départ volontaire signée [en] mai 2013, en mettant en avant d'une part, que l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de reclassement, telle que prévue notamment par des dispositions conventionnelles, et d'autre part, que la réalité du motif économique n'est pas démontrée ; qu'or, si l'article 1233-3 alinéa 2 du code du travail prévoit que les dispositions relatives au licenciement économique sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l'exclusion de la rupture conventionnelle, seules certaines règles du licenciement économique, au nombre desquelles ne figure pas l'obligation de reclassement incombant à l'employeur, doivent être respectées par celuici lorsqu'il conclut avec son salarié une convention de départ volontaire ; qu'il n'est pas discuté, en l'espèce, que la convention de départ volontaire signée par [le salarié] était conforme aux prévisions du plan de sauvegarde de l'emploi et que celui-ci a été soumis aux représentants du personnel, et il est de droit que sauf fraude ou vice du consentement, la cause économique de la rupture du contrat de travail ne peut être contestée ; que l'intimé ne soulevant ni que l'employeur a fraudé ses droits, ni que son consentement a été vicié, la contestation de la cause de la rupture de son contrat de travail ne lui est pas ouverte ; qu'il s'ensuit que comme le soutient à juste titre l'appelante, son action en contestation n'est pas recevable ; que le jugement entrepris doit dès lors être infirmé sur ce point.

ALORS QUE lorsque les départs volontaires prévus dans un plan de sauvegarde de l'emploi s'adressent à des salariés dont le licenciement est envisagé en raison de la réduction des effectifs, sans engagement de ne pas licencier si l'objectif n'est pas atteint au moyen de ruptures amiables des contrats de travail des intéressés, l'employeur est tenu, à l'égard de ces salariés, d'exécuter au préalable l'obligation de reclassement prévue dans le plan ; que pour dire irrecevable la demande des salariés tendant à voir inscrire au passif de la liquidation judiciaire de la société des sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison du non-respect, par le liquidateur, de l'obligation de reclassement, l'arrêt retient que seules certaines règles du licenciement économique, au nombre desquelles ne figure pas l'obligation de reclassement incombant à l'employeur, doivent être respectées par celui-ci lorsqu'il conclut avec son salarié une convention de départ volontaire, et que les salariés ne soulevant ni que l'employeur a fraudé leurs droits, ni que leur consentement a été vicié, la contestation de la cause de la rupture ne leur est pas ouverte ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si le licenciement des salariés était envisagé en raison de la réduction des effectifs, sans engagement de ne pas les licencier si l'objectif n'était pas atteint au moyen de ruptures amiables des contrats de travail, en sorte que le mandataire liquidateur était tenu à leur égard d'une obligation de reclassement dont il étaient recevables à invoquer la méconnaissance, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1233-3 et L. 1233-4 du code du travail.

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