2 février 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-18.388

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:C100112

Texte de la décision

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 février 2022




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 112 F-D

Pourvoi n° A 20-18.388



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 FÉVRIER 2022

La société JBS Conseil, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° A 20-18.388 contre l'arrêt rendu le 2 juin 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [L] [M], épouse [A],

2°/ à M. [K] [A],

domicilié [Adresse 1],

3°/ à Mme [N] [D], épouse [E], domiciliée [Adresse 6], représentée par Mme [I] [C], prise en qualité de tuteur suivant jugement du 13 octobre 2020 rendu par le Tribunal judiciaire de Draguignan, domiciliée [Adresse 5],

4°/ à M. [J] [B], domicilié [Adresse 4],

5°/ à la société Letoublon, Cagnoli, Viberti, Paul, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kerner-Menay, conseiller, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société JBS Conseil, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. et Mme [A], après débats en l'audience publique du 7 décembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Kerner-Menay, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société JBS Conseil du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [B] et contre la SCP Letoublon, Cagnoli, Viberti, Paul.

Faits et procédure

2. A la suite d'un « compromis » de vente conclu le 18 juillet 2008, par l'entremise de la société JBS Conseil (l'agent immobilier) mandatée par [H] [E] et son épouse Mme [D] (les vendeurs), et régularisé par acte authentique dressé le 30 septembre 2008 par M. [B], notaire, avec le concours de la SCP notariale Letoublon, Cagnoli, Viberti, Paul, M. et Mme [A] (les acquéreurs) ont acquis un bien immobilier en viager.

3. Les 8 et 9 juillet 2015, les acquéreurs, soutenant que ce bien ne correspondait pas aux permis de construire délivrés en 1973 et 1978 et qu'une partie de celui-ci avait été édifiée sans autorisation, ont assigné les vendeurs, le notaire et la SCP notariale, ainsi que l'agent immobilier, en responsabilité et indemnisation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'agent immobilier fait grief à l'arrêt de le condamner, in solidum avec Mme [D] à payer aux acquéreurs, la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues, alors « que l'agent immobilier, qui n'est pas un professionnel de la construction, n'a pas à vérifier la conformité des travaux accomplis par le vendeur sur le bien que ce dernier lui demande de vendre aux prescriptions du permis de construire obtenu par ce vendeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu la responsabilité de la société JBS Conseil en considérant qu'elle était responsable de la publication d'une annonce mentionnant une superficie habitable de 110 m², et qu'elle avait admis avoir eu communication des permis de construire obtenus par M. et Mme [E], de sorte qu'elle avait nécessairement constaté que le permis de construire délivré en 1978 portait sur une surface habitable moitié moindre que celle précisée dans l'annonce et qu'il manquait sur le plan du permis la véranda, le garage et une troisième pièce ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que l'agent immobilier, qui devait seulement vérifier l'existence des permis de construire mentionnés par les époux vendeurs, n'était pas tenu, en revanche, de vérifier la conformité des travaux accomplis par M. et Mme [E] aux prescriptions des permis de construire dont ils lui avaient indiqué l'existence, au contraire des notaires intervenus lors de la conclusion de l'acte authentique, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, devenu l'article 1240 du même code ».

Réponse de la Cour

5. Après avoir relevé que l'agent immobilier avait publié une annonce mentionnant que le bien avait une surface habitable de 110 m² et rédigé la promesse de vente au vu des permis de construire, qui comportaient une surface habitable moitié moindre et sur lesquels manquaient manifestement la véranda, le garage et une troisième pièce, et retenu qu'il avait une parfaite connaissance de la teneur de ces documents et des lieux, la cour d'appel a pu en déduire que celui-ci avait commis une négligence et engagé ainsi sa responsabilité.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches

7. L'agent immobilier fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 2°/ que seule une faute en lien de causalité avec le dommage est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le manquement reproché à la société JBS Conseil pour n'avoir pas vérifié la conformité du bien vendu aux prescriptions des permis de construire délivrés à M. et Mme [E] plus de trente ans avant la vente avait causé à M. et Mme [A] une perte de chance de renoncer à la vente ou de payer un moindre prix, dans la mesure où ils n'ont pas la possibilité de solliciter l'autorisation de nouveaux travaux ou de travaux de reconstruction sur le bien vendu, dès lors qu'en vertu de l'article L. 111-12 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable en la cause, une telle possibilité n'est pas ouverte s'agissant des constructions

réalisées sans permis de construire, même achevées depuis plus de dix ans; qu'en se prononçant ainsi, tout en ayant constaté que le bien vendu avait été érigé après l'obtention de deux permis de construire dont les prescriptions n'avaient pas été respectées, ce dont il résulte que la construction a été réalisée avec un permis de construire, et que M. et Mme [A] avaient donc la possibilité de demander, le cas échéant, une autorisation de procéder à des travaux sur le bien acquis, notamment en cas de sinistre, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code, et l'article L. 111-12 du code de l'urbanisme dans sa rédaction applicable en la cause ;

3°/ que seule une faute en lien de causalité avec le dommage est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le manquement reproché à la société JBS Conseil pour n'avoir pas vérifié la conformité du bien vendu aux prescriptions des permis de construire délivrés à M. et Mme [E] plus de trente ans avant la vente avait causé à M. et Mme [A] une perte de chance de renoncer à la vente ou de payer un moindre prix, dans la mesure où il ne leur était pas possible d'effectuer des travaux modificatifs, « une extension étant déjà exclue par la situation du bien en zone agricole » ; qu'elle a également considéré que les acquéreurs n'avaient pas eu connaissance de « l'inconstructibilité attachée à la personne même du bénéficiaire de la construction » ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si M. et Mme [A] avaient été informés, dès la conclusion du compromis de vente, de ce que le bien vendu était situé en zone agricole, de sorte qu'ils savaient nécessairement qu'il existait des restrictions quant à la construction d'un nouveau bâtiment ou à l'extension de l'ouvrage existant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code ;

4°/ que seul le préjudice certain présente un caractère réparable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le manquement imputé à la société JBS Conseil avait fait perdre une chance à M. et Mme [A] de négocier le prix d'achat du bien immobilier en connaissant la perte de superficie autorisée, soit 52,53% de la superficie du bien immobilier, après avoir relevé que les époux [A] ne pouvaient pas envisager de travaux modificatifs sur leur bien, ni une reconstruction à l'identique en cas de sinistre, ni une revente de ce bien au prix de marché ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que M. et Mme [A] n'établissaient ni un quelconque projet de réaliser des travaux d'extension au moment de la vente, ni la survenance d'un quelconque sinistre, ni une revente les exposant de façon certaine à une moins-value, la cour d'appel, qui a réparé un préjudice hypothétique, a violé l'article 1147, devenu 1231-1 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale. »




Réponse de la Cour

8. Après avoir retenu que, si les acquéreurs avaient eu connaissance du caractère illégal des constructions réalisées et de l'inconstructibilité attachée au bien, ils auraient pu renoncer à l'acquérir ou l'obtenir à un prix plus bas, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu en déduire que ceux-ci avaient perdu, par la faute de l'agent immobilier et le dol des vendeurs, la chance de le négocier à un tel prix et fixer, sans indemniser un préjudice hypothétique, le montant des dommages-intérêts à hauteur de la chance perdue.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société JBS Conseil aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société JBS Conseil et la condamne à payer à M. et Mme [A] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-deux.

Le conseiller rapporteur le president






Le greffier de chambre

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat aux Conseils, pour la société JBS Conseil.

La société JBS Conseil fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, de l'avoir condamnée, in solidum avec Mme [E], à payer à M. et Mme [A] la somme de 45.000 € à titre de dommages-intérêts toutes causes de préjudices confondues ;

1°) Alors que l'agent immobilier, qui n'est pas un professionnel de la construction, n'a pas à vérifier la conformité des travaux accomplis par le vendeur sur le bien que ce dernier lui demande de vendre aux prescriptions du permis de construire obtenu par ce vendeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu la responsabilité de la société JBS Conseil en considérant qu'elle était responsable de la publication d'une annonce mentionnant une superficie habitable de 110 m2, et qu'elle avait admis avoir eu communication des permis de construire obtenus par M. et Mme [E], de sorte qu'elle avait nécessairement constaté que le permis de construire délivré en 1978 portait sur une surface habitable moitié moindre que celle précisée dans l'annonce et qu'il manquait sur le plan du permis la véranda, le garage et une troisième pièce (arrêt, p. 6 § 4 à 7) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que l'agent immobilier, qui devait seulement vérifier l'existence des permis de construire mentionnés par les époux vendeurs, n'était pas tenu, en revanche, de vérifier la conformité des travaux accomplis par les époux [E] aux prescriptions des permis de construire dont ils lui avaient indiqué l'existence, au contraire des notaires intervenus lors de la conclusion de l'acte authentique, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, devenu l'article 1240 du même code ;

2°) Alors que seule une faute en lien de causalité avec le dommage est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le manquement reproché à la société JBS Conseil pour n'avoir pas vérifié la conformité du bien vendu aux prescriptions des permis de construire délivrés à M. et Mme [E] plus de trente ans avant la vente avait causé à M. et Mme [A] une perte de chance de renoncer à la vente ou de payer un moindre prix, dans la mesure où ils n'ont pas la possibilité de solliciter l'autorisation de nouveaux travaux ou de travaux de reconstruction sur le bien vendu, dès lors qu'en vertu de l'article L. 111-12 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable en la cause, une telle possibilité n'est pas ouverte s'agissant des constructions réalisées sans permis de construire, même achevées depuis plus de dix ans (arrêt, p. 7 avant-dernier §) ; qu'en se prononçant ainsi, tout en ayant constaté que le bien vendu avait été érigé après l'obtention de deux permis de construire dont les prescriptions n'avaient pas été respectées (arrêt, p. 8 § 2), ce dont il résulte que la construction a été réalisée avec un permis de construire, et que les époux [A] avaient donc la possibilité de demander, le cas échéant, une autorisation de procéder à des travaux sur le bien acquis, notamment en cas de sinistre, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code, et l'article L. 111-12 du code de l'urbanisme dans sa rédaction applicable en la cause ;

3°) Alors que seule une faute en lien de causalité avec le dommage est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le manquement reproché à la société JBS Conseil pour n'avoir pas vérifié la conformité du bien vendu aux prescriptions des permis de construire délivrés à M. et Mme [E] plus de trente ans avant la vente avait causé à M. et Mme [A] une perte de chance de renoncer à la vente ou de payer un moindre prix, dans la mesure où il ne leur était pas possible d'effectuer des travaux modificatifs, « une extension étant déjà exclue par la situation du bien en zone agricole » (arrêt, p. 8 § 6) ; qu'elle a également considéré que les acquéreurs n'avaient pas eu connaissance de « l'inconstructibilité attachée à la personne même du bénéficiaire de la construction » (arrêt, p. 8 § 8) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (concl., p. 8 § 9 et 10), si M. et Mme [A] avaient été informés, dès la conclusion du compromis de vente, de ce que le bien vendu était situé en zone agricole, de sorte qu'ils savaient nécessairement qu'il existait des restrictions quant à la construction d'un nouveau bâtiment ou à l'extension de l'ouvrage existant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code ;

4°) Alors que seul le préjudice certain présente un caractère réparable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le manquement imputé à la société JBS Conseil avait fait perdre une chance à M. et Mme [A] de négocier le prix d'achat du bien immobilier en connaissant la perte de superficie autorisée, soit 52,53% de la superficie du bien immobilier, après avoir relevé que les époux [A] ne pouvaient pas envisager de travaux modificatifs sur leur bien, ni une reconstruction à l'identique en cas de sinistre, ni une revente de ce bien au prix de marché (arrêt, p. 8 § 9) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que M. et Mme [A] n'établissaient ni un quelconque projet de réaliser des travaux d'extension au moment de la vente, ni la survenance d'un quelconque sinistre, ni une revente les exposant de façon certaine à une moins-value, la cour d'appel, qui a réparé un préjudice hypothétique, a violé l'article 1147, devenu 1231-1 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale.

Le greffier de chambre

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