1 février 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-83.384

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR00061

Titres et sommaires

TRANSPORTS - transports routiers publics et privés

Texte de la décision

N° H 18-83.384 FS-B

N° 00061


MAS2
1ER FÉVRIER 2022


CASSATION SANS RENVOI


M. SOULARD président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER FÉVRIER 2022



M. [F] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 18e chambre, en date du 2 mai 2018, qui, pour infractions à la réglementation des transports routiers, l'a condamné à 10 125 euros d'amende.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [F] [L], et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 7 décembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, Mme de Lamarzelle, MM. Violeau, Michon, conseillers référendaires, M. Desportes, premier avocat général, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Un autocar immatriculé en Allemagne, exploité par une société de droit allemand dont M. [L], ressortissant allemand, était le représentant légal, a fait l'objet d'un contrôle le 2 avril 2013. Il est apparu à la lecture des données enregistrées dans l'appareil de contrôle que le véhicule avait circulé sans carte insérée dans le chronotachygraphe durant neuf jours au cours de la période de vingt-huit jours précédant celui du contrôle.

3. Un procès-verbal a été établi constatant neuf délits de transport routier sans carte de conducteur insérée dans le chronotachygraphe électronique du véhicule.

4. M. [L] a été cité devant le tribunal correctionnel de Versailles, qui a déclaré les faits établis. L'intéressé et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen est pris de la violation des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, 19 du règlement (CE) n° 561/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006, 111-4 et 113-6 du code pénal.

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement du tribunal correctionnel de Versailles du 20 septembre 2016 ayant rejeté les exceptions formulées par M. [L], alors :

« 1°/ que la dérogation au principe de territorialité des poursuites prévue par le règlement (CE) n° 561/2006 du 15 mars 2006 ne concerne que les seules infractions aux dispositions énoncées par celui-ci, et non aussi à celles prévues au règlement (CE) n° 3821/85 du 20 décembre 1985, auquel le règlement du 15 mars 2006 ne renvoie pas ; que la cour d'appel, qui a retenu que cette dérogation bénéficiait non seulement aux dispositions inhérentes au règlement du 15 mars 2006, mais aussi à celles qu'il désigne, soit le règlement du 20 décembre 1985, a méconnu le sens et la portée des dispositions susvisées ;


2°/ que l'article 113-6 du code pénal dispose que la loi pénale française est applicable aux infractions aux dispositions du règlement (CE) n° 561/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 commises dans un autre État membre de l'Union européenne et constatées en France, mais ne prévoit pas que cette extension s'applique également aux infractions au règlement (CE) n° 3821/85 du 20 décembre 1985, qui n'est pas visé à cet article ; que la cour d'appel, qui était dès lors incompétente pour connaître d'une infraction, commise en dehors du territoire de la République, aux dispositions relatives aux chronotachygraphes prévues par le règlement du 20 décembre 1985, a violé les textes susvisés ».

Réponse de la Cour

Vu les dispositions des articles 689-12 du code de procédure pénale, L. 3315-5 du code des transports, le règlement (CEE) n° 3821/85 du Conseil du 20 décembre 1985 concernant l'appareil de contrôle dans le domaine des transports par route et le règlement (CE) n° 561/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route :

7. Il résulte du premier de ces textes que peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne coupable d'infractions à la réglementation du temps de conduite et de repos au sens du chapitre II du troisième, commises dans un Etat de l'Union européenne.

8. Il résulte du deuxième de ces textes, pris pour l'application du quatrième, qu'est réprimé le fait de se livrer à un transport routier avec une carte de conducteur non conforme ou n'appartenant pas au conducteur l'utilisant, ou sans carte insérée dans le chronotachygraphe du véhicule.

9. M. [L] a excipé de l'incompétence territoriale des juridictions pénales françaises aux motifs, d'une part, que les délits qui lui sont reprochés, bien que constatés en France, ont été commis en Allemagne, le véhicule s'y étant trouvé les jours où il lui est reproché de ne pas avoir veillé à l'insertion de la carte du conducteur dans l'appareil de contrôle, d'autre part, que ni la loi française, en raison du principe de territorialité de la loi pénale, ni le droit de l'Union, et précisément le paragraphe 2 de l'article 19 du règlement n° 561/2006, faute pour cette disposition de renvoyer au règlement n° 3821/85, support de l'incrimination, ne permettent aux autorités françaises, ayant constaté les délits, de poursuivre leur auteur dès lors que ces infractions sont commises sur le territoire d'un autre Etat membre de l'Union.


10. L'arrêt, pour écarter cette exception, énonce que le règlement n° 561/2006 comporte au paragraphe 2 de l'article 19 une dérogation expresse au principe de territorialité des poursuites, permettant à un pays membre de sanctionner les infractions commises à l'encontre de ce règlement quand bien même elles auraient été perpétrées sur le territoire d'un autre Etat membre et, relevant que cette exception porte expressément sur le « présent règlement », en déduit que ce renvoi englobe le paragraphe 1 de ce même article 19, qui vise lui même le règlement n° 3821/85.

11. Les juges concluent que le règlement n° 561/2006, qui prévaut sur les dispositions nationales, déroge au principe de territorialité des poursuites, cette dérogation bénéficiant non seulement aux dispositions inhérentes à ce règlement mais aussi à celles qu'il désigne, soit celles du règlement n° 3821/85.

12. Répondant à la question préjudicielle posée par la Cour de cassation dans la présente affaire, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 9 septembre 2021, C-906/19) énonce que l'article 19, § 2, du règlement n° 561/2006 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce que les autorités compétentes d'un État membre puissent imposer une sanction au conducteur d'un véhicule ou à une entreprise de transport, pour une infraction au règlement n° 3821/85, tel que modifié par le règlement n° 561/2006, commise sur le territoire d'un autre État membre ou d'un pays tiers, mais constatée sur son territoire et n'ayant pas déjà donné lieu à sanction.

13. Il en résulte que les infractions poursuivies, qui ont pour fondement l'article 15, § 2, du règlement n° 3821/85, pour l'application duquel l'article L. 3315-5, alinéa 1er, du code des transports a été promulgué, ne relèvent pas du champ d'application de l'article 689-12 du code de procédure pénale et ne peuvent être poursuivies lorsque les faits ont été commis à l'étranger par une personne de nationalité étrangère.

14. Tel est le cas en l'espèce des faits incriminés.

15. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

16. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

17. En raison de la cassation prononcée, il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens proposés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 2 mai 2018 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

RAPPELLE que du fait de la présente décision, le jugement de première instance perd toute force exécutoire ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier février deux mille vingt-deux.

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