26 janvier 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-16.425

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00059

Texte de la décision

COMM.

DB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 26 janvier 2022




Rejet


Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 59 F-D

Pourvoi n° S 20-16.425




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 JANVIER 2022

1°/ La société San-Ei Gen FFI Inc., société de droit japonais, dont le siège est [Adresse 1]),

2°/ la société Glyn O.Phillips-San Ei Gen Hydrocolloids Research Limited, société de droit anglais, dont le siège est [Adresse 3] (Royaume-uni),

ont formé le pourvoi n° S 20-16.425 contre l'arrêt rendu le 12 mars 2020 par la cour d'appel de Rouen (chambre civile et commerciale), dans le litige les opposant à la société Nexira, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société San-Ei Gen FFI Inc, et de la société Glyn O.Phillips-San Ei Gen Hydrocolloids Research Limited, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Nexira, après débats en l'audience publique du 30 novembre 2021 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 12 mars 2020) et les productions, la société de droit japonais San-Ei Gen FFI Inc. et la société de droit anglais Phillips San-Ei Gen Hydrocolloids Research Limited (les sociétés San-Ei) ont déposé, le 7 avril 2004, une demande internationale de brevet PCT, publiée sous le n° WO 2004/089991, sous priorité d'une demande japonaise du 7 avril 2003, et sont co-titulaires du brevet européen n° EP 1 611159 intitulé « gomme arabique modifiée issue d'Acacia Sénégal » (le brevet EP 159), issu de cette demande PCT, désignant notamment la France et délivré le 14 juillet 2010.

2. Par acte du 29 mai 2012, la société Nexira, mise en demeure de cesser de commercialiser ses produits, que les sociétés San-Ei prétendaient constituer la contrefaçon de leur brevet EP 159, a assigné ces sociétés en annulation de la partie française de ce brevet.

3. Postérieurement à cette assignation, les sociétés San-Ei ont fait procéder à des saisies-contrefaçons au siège de la société Nexira et dans les locaux de son site industriel puis l'ont assignée en contrefaçon le 12 mars 2013 mais, par une ordonnance non frappée de recours du 19 décembre 2013, le juge de la mise en état a annulé l'acte introductif d'instance.

4. A la suite de l'annulation de la partie française du brevet des sociétés San-Ei par un jugement du 28 mai 2015 non frappé d'appel, la société Nexira a assigné ces dernières en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Et sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et cinquième branches

Enoncé du moyen

6. Les sociétés San-Ei font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum, à payer à la société Nexira la somme de 104 499,45 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 20 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ que l'action en justice constitue un droit dont l'exercice ne dégénère en faute qu'en présence d'un abus ; qu'une action en justice engagée pour la défense d'un titre valable ne peut être fautive ; qu'un brevet européen est présumé valable aussi longtemps qu'il n'a pas été annulé ; qu'en imputant à faute aux sociétés San-Ei la procédure de saisie-contrefaçon et l'action en contrefaçon engagées sur le fondement d'un brevet européen, présumé valide au moment où elles ont été intentées, la cour d'appel a violé les articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1240 du code civil, ensemble les articles 64 de la Convention sur le brevet européen et L. 613-1 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ que l'action en justice constitue un droit dont l'exercice ne dégénère en faute qu'en présence d'un abus ; qu'en se bornant à énoncer, pour affirmer que les sociétés San-Ei avaient commis une faute en engageant une procédure de saisie-contrefaçon et une action en contrefaçon, que l'ajout ayant justifié l'annulation de leur brevet n'avait pu échapper à des sociétés agissant dans le secteur concerné et caractérisait leur volonté de déstabiliser un concurrent, d'autant que le tribunal de grande instance de Paris était déjà saisi par la société Nexira d'une action en annulation du brevet, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la faute qu'auraient commise les sociétés San-Ei dans l'exercice de leur droit d'agir, ni la connaissance du secteur concerné, ni le fait que la société Nexira ait introduit une action en annulation, n'impliquant, de la part des sociétés San-Ei, la conscience de la nullité de leur brevet, a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1240 du code civil ;

3°/ que le seul fait d'agir en conscience de l'irrecevabilité ou du mal-fondé de ses prétentions ne suffit pas à caractériser un abus du droit d'agir ; qu'à supposer même que les sociétés San-Ei aient engagé une procédure de saisie-contrefaçon et une action en contrefaçon en conscience de ce que leur brevet était entaché de nullité, cette circonstance ne suffisait pas à caractériser une faute faisant dégénérer l'exercice de leur droit en abus ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1240 du code civil ;

5°/ que l'action en justice constitue un droit dont l'exercice ne dégénère en faute qu'en présence d'un abus ; qu'en se bornant à énoncer, pour affirmer que les sociétés San-Ei avaient commis une faute en engageant une procédure de saisie-contrefaçon et une action en contrefaçon, que, lors des pourparlers engagés en janvier 2012, la société Nexira avait exposé son argumentation tendant à démontrer à ces sociétés la nullité de leur brevet et prévenu qu'en cas d'engagement d'une procédure à son encontre elle demanderait et obtiendrait la nullité du brevet, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la faute qu'auraient commise les sociétés San-Ei dans l'exercice de leur droit d'agir, a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. L'arrêt relève, d'abord, que la validité du brevet des sociétés San-Ei a été remise en cause, par le jugement du 28 mai 2015, de manière rétroactive, du fait de l'extension de l'objet de la revendication n° 1 du brevet EP 159 au-delà de la demande initiale, ce qui n'avait pu échapper à des sociétés professionnelles de la production d'acides organiques, de colorants et arômes alimentaires et caractérisait leur volonté de déstabiliser un concurrent sur le marché français.

8. Il retient, ensuite, que des pourparlers avaient été engagés en janvier 2012 au cours desquels la société Nexira avait exposé son argumentation tendant à démontrer à ces sociétés la nullité de leur brevet et prévenu qu'en cas d'engagement d'une procédure à son encontre, elle demanderait et obtiendrait l'annulation du brevet.

9. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que l'action en contrefaçon litigieuse, formée par les sociétés San Ei, professionnelles du secteur concerné, après l'action en nullité intentée par la société Nexira, cependant qu'elles avaient procédé à une extension de revendication dans un but contestable et dont elles connaissaient la fragilité, connaissance qui ne pouvait qu'être confortée par les pourparlers menés avec la société Nexira et par l'action formée par cette dernière, ne s'expliquaient que par la volonté de persister à perturber déloyalement un concurrent, la cour d'appel a pu, par ces seuls motifs, estimer que ces sociétés avaient fait dégénérer en abus leur droit d'agir en justice et a légalement justifié sa décision.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés San-Ei Gen FFI Inc. et Glyn O. Phillips-San-Ei Gen Hydrocolloids Research Limited aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les société San-Ei Gen FFI Inc. et Glyn O. Phillips-San-Ei Gen Hydrocolloids Research Limited et les condamne in solidum à payer à la société Nexira la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société San-Ei Gen FFI Inc. et la société Glyn O.Phillips-San Ei Gen Hydrocolloids Research Limited.

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné les sociétés San-Ei, in solidum, à payer à la société Nexira la somme de 104 499,45 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 20 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

AUX MOTIFS QUE la validité du brevet ayant été remise en cause de manière rétroactive par le jugement du 28 mai 2015 du tribunal de grande instance de Paris, il convient de revenir sur les motifs qui ont permis à la juridiction de se prononcer à savoir l'extension de l'intervalle de rayon de giration RMS figurant dans la revendication 1 du brevet EP 159 alors qu'il ne figurait pas dans la revendication 1 de la demande internationale, cet ajout qui a justifié la nullité n'ayant pu échapper à des sociétés agissant dans le secteur concerné, et caractérisant leur volonté de déstabiliser un concurrent sur le marché français par des démarches prétendument amiables qui ont pris dans un premier temps la forme d'une mise en demeure délivrée le 28 juin 2011, puis dans un second temps celle d'une action en contrefaçon, ayant donné lieu à l'assignation délivrée le 12 mars 2013 à l'encontre de la société Nexira alors même que le tribunal de grande instance de Paris était déjà saisi de l'action intentée par cette dernière le 29 mai 2012 en vue de faire annuler le brevet ; que, sur ce point, la société japonaise San-Ei et la société anglaise Phillips San-Ei Gen Hydrocolloids Research Limited ne peuvent légitimement prétendre avoir agi de bonne foi alors qu'elles reconnaissent dans leurs propres écritures que « le fait que la société Nexira ait engagé une action en nullité [...] a conforté ces dernières dans leurs doutes quant au fait que la société Nexira contrefaisait son brevet [...], raison pour laquelle elle a sollicité l'autorisation du président du tribunal de grande instance de Paris de faire pratiquer une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Nexira afin de se pré-constituer des preuves qu'elles pensaient contrefaire son brevet » ; que, par ailleurs, il doit être relevé que, lorsque la société Nexira a reçu le 28 juin 2011 une lettre du conseil des sociétés San-Ei de cesser son activité considérée comme illicite, des pourparlers avaient été engagés en janvier 2012 au cours desquels la société Nexira avait exposé son argumentation tendant à démontrer à ces sociétés la nullité de leur brevet et prévenu qu'en cas d'engagement d'une procédure à son encontre elle demanderait et obtiendrait la nullité du brevet ; que, dès lors, la faute de la société japonaise San-Ei et la société anglaise Phillips San-Ei Gen Hydrocolloids Research Limited est suffisamment établie, à raison de la procédure de saisie-contrefaçon, et de l'action en contrefaçon même si celle-ci n'a pu prospérer à raison de la nullité de l'assignation prononcée par ordonnance du juge de la mise en état en date du 19 décembre 2013, non frappée d'appel ;

1°/ ALORS QUE l'action en justice constitue un droit dont l'exercice ne dégénère en faute qu'en présence d'un abus ; qu'une action en justice engagée pour la défense d'un titre valable ne peut être fautive ; qu'un brevet européen est présumé valable aussi longtemps qu'il n'a pas été annulé ; qu'en imputant à faute aux sociétés San-Ei la procédure de saisie-contrefaçon et l'action en contrefaçon engagées sur le fondement d'un brevet européen, présumé valide au moment où elles ont été intentées, la cour d'appel a violé les articles 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1240 du code civil, ensemble les articles 64 de la Convention sur le brevet européen et L. 613-1 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ ALORS QUE l'action en justice constitue un droit dont l'exercice ne dégénère en faute qu'en présence d'un abus ; qu'en se bornant à énoncer, pour affirmer que les sociétés San-Ei avaient commis une faute en engageant une procédure de saisie-contrefaçon et une action en contrefaçon, que l'ajout ayant justifié l'annulation de leur brevet n'avait pu échapper à des sociétés agissant dans le secteur concerné et caractérisait leur volonté de déstabiliser un concurrent, d'autant que le tribunal de grande instance de Paris était déjà saisi par la société Nexira d'une action en annulation du brevet, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la faute qu'auraient commise les sociétés San-Ei dans l'exercice de leur droit d'agir, ni la connaissance du secteur concerné, ni le fait que la société Nexira ait introduit une action en annulation, n'impliquant, de la part des sociétés San-Ei, la conscience de la nullité de leur brevet, a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1240 du code civil ;

3°/ ALORS QU' en toute hypothèse, le seul fait d'agir en conscience de l'irrecevabilité ou du mal-fondé de ses prétentions ne suffit pas à caractériser un abus du droit d'agir ; qu'à supposer même que les sociétés San-Ei aient engagé une procédure de saisie-contrefaçon et une action en contrefaçon en conscience de ce que leur brevet était entaché de nullité, cette circonstance ne suffisait pas à caractériser une faute faisant dégénérer l'exercice de leur droit en abus ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1240 du code civil ;

4°/ ALORS QUE les sociétés San-Ei faisaient valoir, en cause d'appel, que le fait que l'action en annulation du brevet engagée par la société Nexira les avait « surprises » et « confortées dans leurs doutes quant au fait que la société Nexira contrefaisait leur brevet, estimant qu'en agissant de la sorte, la société Nexira cherchait certainement à anticiper une action en contrefaçon à son encontre » (conclusions récapitulatives d'appel des sociétés San-Ei, p. 4) ; qu'en affirmant que, ce faisant, les sociétés San-Ei avaient reconnu que la société Nexira ne contrefaisait pas leur brevet, quand elles soutenaient précisément le contraire, en termes clairs et précis, la cour d'appel a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;

5°/ ALORS QUE l'action en justice constitue un droit dont l'exercice ne dégénère en faute qu'en présence d'un abus ; qu'en se bornant à énoncer, pour affirmer que les sociétés San-Ei avaient commis une faute en engageant une procédure de saisie-contrefaçon et une action en contrefaçon, que, lors des pourparlers engagés en janvier 2012, la société Nexira avait exposé son argumentation tendant à démontrer à ces sociétés la nullité de leur brevet et prévenu qu'en cas d'engagement d'une procédure à son encontre elle demanderait et obtiendrait la nullité du brevet, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la faute qu'auraient commise les sociétés San-Ei dans l'exercice de leur droit d'agir, a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1240 du code civil.

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