26 janvier 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-10.610

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00113

Titres et sommaires

PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES - Médecin salarié - Responsabilité - Préposé ayant agi dans le cadre de la mission impartie par le commettant - Effet

Le médecin du travail, salarié de l'employeur, qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie, n'engage pas sa responsabilité civile personnelle

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Commettant-préposé - Lien de subordination - Mission - Préposé ayant agi dans le cadre de la mission impartie par le commettant - Effet

TRAVAIL REGLEMENTATION, SANTE ET SECURITE - Services de santé au travail - Personnels concourant aux services de santé au travail - Médecin du travail - Médecin salarié - Responsabilité - Mission impartie par le commettant - Préposé ayant agi dans le cadre de sa mission - Effets

Texte de la décision

SOC.

OR



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 26 janvier 2022




Rejet


M. CATHALA, président



Arrêt n° 113 FS-B
sur la 1re branche du 1er moyen

Pourvoi n° W 20-10.610




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 JANVIER 2022

M. [E] [F], domicilié [Adresse 4] (Allemagne), a formé le pourvoi n° W 20-10.610 contre l'arrêt rendu le 16 novembre 2017 par la cour d'appel de Metz (1re chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [H] [D], domiciliée [Adresse 2],

2°/ à la société Charbonnages de France, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 3], représentée par M. [Y] [Z], en sa qualité de liquidateur, domiciliée [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Pecqueur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [F], et l'avis de M. Desplan, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 novembre 2021 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Pecqueur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, MM. Pion, Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Gilibert, Lacquemant, conseillers, M. Silhol, Mmes Valéry, Laplume, conseillers référendaires, M. Desplan, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [F] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [Z], en sa qualité de liquidateur de l'établissement public Charbonnages de France.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 16 novembre 2017), M. [F] a été engagé en 1976 par les Houillères du bassin de Lorraine aux droits desquelles est venu l'établissement public Charbonnages de France.

3. Placé en arrêt maladie à compter du 22 janvier 2002, il a été reconnu invalide le 11 janvier 2005 à compter du 1er janvier et mis à la retraite à l'âge de soixante ans le 28 février 2010.

4. Il a saisi le tribunal de grande instance d'une demande d'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de Mme [D], médecin du travail salarié et de M. [Z], ès qualités.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les demandes d'indemnisation formées contre le médecin du travail pour des faits autres que ceux de harcèlement moral et d'atteinte au secret professionnel, alors :

« 1°/ que le médecin du travail, qui, même salarié au sein de l'entreprise, assure les missions qui lui sont dévolues aux termes de l'article L. 4623-8 du code du travail dans les conditions d'indépendance professionnelle définies et garanties par la loi, doit répondre personnellement de ses fautes, sans pouvoir invoquer l'immunité qui bénéficie au préposé pour faire échec à l'action en responsabilité délictuelle exercée à son encontre par le salarié de la même entreprise ; qu'en retenant, pour dire irrecevables les demandes, autres que celles fondées sur des faits relevant d'une qualification pénale, formées par M. [F], salarié des Charbonnages de France, à l'encontre de Mme [D], médecin du travail également salarié de l'entreprise, que les médecins du travail sont astreints à une subordination juridique et bénéficient à ce titre de l'immunité de l'article 1242, alinéa 5 (anciennement, article 1384, alinéa 5) du code civil, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble les articles L. 1142-1 du code de la santé publique et L. 4623-8 du code du travail ;

2°/ qu'en toute hypothèse, le préposé ne peut invoquer d'immunité à l'égard de la victime lorsqu'il a commis une faute intentionnelle à l'origine du dommage, peu important qu'elle ne soit pas pénalement sanctionnée ; qu'en limitant la recevabilité des demandes formées par M. [F] à l'encontre de Mme [D] à celles d'entre elles fondées sur des faits susceptibles de revêtir une qualification pénale, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée par les conclusions d'appel de M. [F], si les fautes qu'il invoquait à l'encontre de Mme [D], résidant, outre dans la complicité de harcèlement moral et la violation du secret médical revêtant une qualification pénale, dans le refus délibéré d'appliquer la procédure prévue par le code du travail relative au constat de l'inaptitude, dans le compérage et l'aliénation de son indépendance professionnelle ainsi que dans le défaut de soins, ne revêtaient pas la qualification de fautes intentionnelles justifiant la mise à l'écart de l'immunité du préposé qu'invoquait Mme [D], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 5, devenu 1242, alinéa 5, du code civil. »

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, il résulte d'un arrêt du 25 février 2000 (Ass. plén., 25 février 2000, pourvoi n° 97-17.378, 97-20.152), publié au Rapport annuel, que n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers, le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par son commettant.

8. Par un arrêt du 9 novembre 2004 (1re Civ., 9 novembre 2004, pourvoi n° 01-17.908, Bull., 2004, I, n° 262 ), la Cour de cassation a appliqué cette règle aux médecins salariés, en affirmant que le médecin salarié qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par l'établissement de santé privé, n'engage pas sa responsabilité à l'égard du patient.

9. La Cour de cassation juge également que le comportement du médecin du travail dans l'exercice de ses fonctions n'est pas susceptible de constituer un harcèlement moral de la part de l'employeur. (Soc., 30 juin 2015, pourvoi n° 13-28.201, Bull. 2015, V, n° 134).

10. Si l'indépendance du médecin du travail exclut que les actes qu'il accomplit dans l'exercice de ses fonctions puissent constituer un harcèlement moral imputable à l'employeur, elle ne fait pas obstacle à l'application de la règle selon laquelle le commettant est civilement responsable du dommage causé par un de ses préposés en application de l'article 1384, alinéa 5, devenu 1242, alinéa 5, du code civil.

11. En conséquence, la cour d'appel a exactement retenu que le médecin du travail, salarié de l'employeur, qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie, n'engage pas sa responsabilité civile personnelle.

12. En second lieu, la cour d'appel a, après avoir rappelé que l'immunité du préposé ne peut s'étendre aux fautes susceptibles de revêtir une qualification pénale ou procéder de l'intention de nuire, estimé que le médecin du travail devait bénéficier d'une immunité sauf en ce qui concerne le grief de harcèlement moral et celui de violation du secret professionnel, écartant ainsi, sans être tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, l'existence de toute faute intentionnelle pour les autres faits allégués par le salarié.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [F] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt six janvier deux mille vingt deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [F]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevables les demandes d'indemnisation formées par M. [F] à l'encontre de Mme [D] pour des faits autres que ceux de harcèlement moral et d'atteinte au secret professionnel ;

AUX MOTIFS QUE « sur l'immunité invoquée au titre de l'article 1242 alinéa 5 du ode civil, n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ; que Mme [D] dont la responsabilité délictuelle est recherchée par M. [F] à l'occasion d'acte relevant de sa mission de médecin du travail salarié des Houillères du bassin de Lorraine et des Charbonnages de France venus aux droits de ceux-ci, invoque le bénéfice de cette immunité résultant de l'article 1242 alinéa 5 du code civil, anciennement 1384 alinéa 5 de ce code ; que les médecins du travail sont astreints à une subordination juridique et ils bénéficient à ce titre de l'immunité de l'article 1242 alinéa 5 du code civil laquelle ne peut cependant s'étendre aux fautes susceptibles de revêtir une qualification pénale ou procéder de l'intention de nuire ;

qu'en l'espèce, Mme [D] doit bénéficier d'une immunité sauf en ce qui concerne le grief de harcèlement moral et celui de violation de secret professionnel relevant d'une qualification pénale » ;

1°) ALORS QUE le médecin du travail, qui, même salarié au sein de l'entreprise, assure les missions qui lui sont dévolues aux termes de l'article L. 4623-8 du code du travail dans les conditions d'indépendance professionnelle définies et garanties par la loi, doit répondre personnellement de ses fautes, sans pouvoir invoquer l'immunité qui bénéficie au préposé pour faire échec à l'action en responsabilité délictuelle exercée à son encontre par le salarié de la même entreprise ; qu'en retenant, pour dire irrecevables les demandes, autres que celles fondées sur des faits relevant d'une qualification pénale, formées par M. [F], salarié des Charbonnages de France, à l'encontre de Mme [D], médecin du travail également salarié de l'entreprise, que les médecins du travail sont astreints à une subordination juridique et bénéficient à ce titre de l'immunité de l'article 1242, alinéa 5 (anciennement, article 1384, alinéa 5) du code civil, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble les articles L. 1142-1 du code de la santé publique et L. 4623-8 du code du travail ;

2°) ALORS QU'en toute hypothèse, le préposé ne peut invoquer d'immunité à l'égard de la victime lorsqu'il a commis une faute intentionnelle à l'origine du dommage, peu important qu'elle ne soit pas pénalement sanctionnée ; qu'en limitant la recevabilité des demandes formées par M. [F] à l'encontre de Mme [D] à celles d'entre elles fondées sur des faits susceptibles de revêtir une qualification pénale, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée par les conclusions d'appel de M. [F] (p. 13, dernier §, p. 41, § 5 et p. 42, § 3), si les fautes qu'il invoquait à l'encontre de Mme [D], résidant, outre dans la complicité de harcèlement moral et la violation du secret médical revêtant une qualification pénale, dans le refus délibéré d'appliquer la procédure prévue par le code du travail relative au constat de l'inaptitude, dans le compérage et l'aliénation de son indépendance professionnelle ainsi que dans le défaut de soins, ne revêtaient pas la qualification de fautes intentionnelles justifiant la mise à l'écart de l'immunité du préposé qu'invoquait Mme [D], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 5, devenu 1242, alinéa 5, du code civil.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, en condamnant Mme [D] à payer à M. [F] la seule somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, après avoir dit que Mme [D] avait engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1240 du code civil en établissant le 26 septembre 2003 une attestation faisant état de renseignements couverts par le secret médical, rejeté la demande de M. [F] tendant à la condamnation de Mme [D] à lui payer la somme de 100 000 euros en écartant le grief de violation du secret professionnel pris de la communication par elle à l'employeur du formulaire renseigné par son médecin traitant ;

AUX MOTIFS QU'« il n'est par contre pas établi que Mme [D] a communiqué à son employeur le formulaire D2 renseigné par le médecin traitant de M. [F] ; que les conclusions du 1er mars 2005 de l'employeur devant le conseil de prudhommes établit que le formulaire litigieux a été annexé à une lettre rédigée par la Société des secours miniers » ;

ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que M. [F] faisait valoir en cause d'appel, offre de preuve à l'appui, que le formulaire D2 n'avait été établi que le 3 septembre 2004, de sorte qu'il était impossible qu'il ait existé à la date du 29 juin 2004, à laquelle, selon les conclusions de Charbonnages de France du 1er mars 2005, avait été adressé le courrier, auquel aurait été prétendument joint le formulaire litigieux, de la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (conclusions, p. 15, § 4 et suivants) ; qu'en retenant, pour écarter le grief pris d'une violation du secret professionnel par Mme [D] à l'occasion de la communication à l'employeur du formulaire renseigné par le médecin traitant de M. [F], que les conclusions du 1er mars 2005 de l'employeur devant le conseil de prud'hommes établissaient que le formulaire litigieux avait été annexé à une lettre rédigée par la Société des secours miniers, sans répondre au moyen péremptoire pris de ce que le formulaire n'avait pas encore été établi à la date à laquelle les Charbonnages de France prétendaient qu'il lui avait été communiqué par l'organisme social, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de M. [F] tendant à ce que Mme [D] soit condamnée au titre d'un harcèlement moral à son encontre ;

AUX MOTIFS QUE « sur les faits de harcèlement moral imputés au médecin du travail, M. [F] invoque une jurisprudence qui retient que l'existence d'un harcèlement moral par l'employeur qui a divulgué des données relevant du secret médical ; qu'il soutient qu'en l'espèce Mme [D] s'est rendue complice d'un harcèlement moral commis par l'employeur en établissant une attestation contenant des informations contenues dans son dossier médical ; que ne saurait cependant caractériser un harcèlement moral le fait unique ainsi imputé à Mme [D] qui ne peut, non plus, se voir appliquer les règles de la responsabilité pénale en matière de complicité » ;

ALORS QUE celui qui aide sciemment autrui à enfreindre ses obligations contractuelles commet une faute délictuelle à l'égard de la victime ; qu'en écartant toute responsabilité de Mme [D] motif pris qu'un fait unique n'était pas constitutif d'un harcèlement moral et qu'elle ne pouvait se voir appliquer les règles de la responsabilité pénale en matière de complicité, sans rechercher si, en établissant une attestation contenant des informations figurant dans son dossier médical, elle n'avait pas engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de M. [F] en se rendant complice d'un harcèlement moral, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.

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