19 janvier 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-81.458

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:CR00066

Texte de la décision

N° A 21-81.458 F-D

N° 00066


ECF
19 JANVIER 2022


CASSATION


M. DE LAROSIÈRE DE CHAMPFEU conseiller le plus ancien faisant fonction de président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 JANVIER 2022



M. [E] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers, chambre correctionnelle, en date du 17 février 2021, qui, pour infractions à la législation sur les stupéfiants, tromperie, provocation à l'usage de stupéfiants, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, 500 euros d'amende et a ordonné une mesure de confiscation.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Issenjou, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [E] [M], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 décembre 2021 où étaient présents M. de Larosière de Champfeu, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Issenjou, conseiller rapporteur, Mme Slove, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 25 septembre 2018, une enquête a été ouverte à la suite d'un article de presse annonçant l'ouverture, à [Localité 1], d'un commerce offrant à la vente des produits contenant du cannabidiol dit « CBD ».

3. Les policiers ont saisi des échantillons de divers produits ainsi que des graines de cannabis et des fleurs de chanvre dont l'analyse a montré qu'ils contenaient du tétrahydrocannabinol - THC.

4. M. [E] [M], responsable du commerce en cause, a été poursuivi notamment du chef de détention illicite de stupéfiants.

5. Par jugement du 21 mars 2019 le tribunal correctionnel a rejeté les exceptions de nullité, l'a relaxé du chef de détention non autorisée de stupéfiants s'agissant des graines de cannabis, l'a reconnu coupable, notamment, de détention illicite de stupéfiants, s'agissant des fleurs de chanvre, et l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et 3 000 euros d'amende.

6. M. [M] et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions d'inconventionnalité de l'arrêté du 22 août 1990 et de nullité du rapport d'expertise de M. [Y] qu'il avait soulevées et l'a déclaré coupable des faits de détention non autorisée de stupéfiants concernant les fleurs de chanvre, alors :

« 1°/ que l'article 1er de l'arrêté du 22 août 1990, en ce qu'il n'autorise la commercialisation que des fibres et graines des plantes des variétés de chanvre Sativa L dont la teneur en THC n'excède pas 0,2 %, est contraire à l'annexe I, partie VIII, et à l'article 189 du règlement UE n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, ainsi qu'à l'article 32, § 6, du règlement UE n° 1307/2013 du même jour, qui autorisent la commercialisation de l'intégralité de ces plantes, notamment de leurs fleurs, sans distinction entre les différentes parties desdites plantes ; qu'en outre, l'interdiction de la commercialisation des fleurs issues de plantes de chanvre dont la teneur en THC n'excède pas 0,2 % constitue une entrave à la liberté de circulation de ces produits entre les Etats membres qui est prohibée par les articles 28, 34, 35 et 38 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et qui n'est ni justifiée par un risque réel et démontré pour la santé publique, ni proportionnée à l'objectif de protection de la santé publique ; qu'en déclarant M. [M] coupable des faits de détention non autorisée de stupéfiants pour avoir détenu des fleurs de chanvre, sans se prononcer sur l'exception d'inconventionnalité de l'article 1er de l'arrêté du 22 août 1990 dont elle était régulièrement saisie et qui était bien-fondée, la cour d'appel a violé les textes européens précités, par refus d'application, et les articles 1er, § 1, de la Convention unique des Nations unies de 1961 sur les stupéfiants, 222-37 du code pénal et 1 de l'arrêté du 22 février 1990, par fausse application ;

2°/ qu'il incombait au ministère public de prouver que les fleurs de chanvre commercialisées par M. [M] n'étaient pas issues d'une plante entrant dans la liste des variétés de cannabis Sativa L et/ou que la teneur en THC de cette plante était supérieure à 0,2 % ; qu'en faisant peser la charge de la preuve contraire sur M. [M], la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en méconnaissance du principe de la présomption d'innocence protégé par les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire du code de procédure pénale ;

3°/ que dans ses conclusions au fond, M. [M] faisait valoir que « l'ensemble des produits commercialisés par [lui] présentaient une teneur en THC inférieure à 0,2 %, tels qu'en témoignent les différents certificats d'analyse saisis par les enquêteurs dans le cadre de la perquisition et cotés en procédure, concernant les produits commercialisés par [lui] et notamment les fleurs » et que les données du rapport d'expertise de M. [Y] étaient « contredites par les certificats d'analyse saisis dans [sa] boutique qui font état d'un taux < 0,2 % » ; qu'en affirmant que M. [M] ne justifiait pas que les fleurs de chanvre qu'il détenait étaient issues d'une plante dont la teneur en THC était inférieure au seuil de 0,2 %, sans répondre fût-ce succinctement à cette argumentation pourtant péremptoire et sans examiner les certificats d'analyse qu'il invoquait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des règlements UE n° 1307/2013 et 1308/2013 du 17 décembre 2013, des l'articles 1er, § 1, de la Convention unique des Nations unies de 1961 sur les stupéfiants, 222-37 du code pénal, 1er de l'arrêté du 22 août 1990, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que dans ses conclusions in limine litis et au fond, M. [M] soutenait que les conclusions du rapport d'expertise de M. [Y] étaient impropres à établir que les fleurs de chanvre qu'il commercialisait étaient issues d'une plante dont la teneur en THC serait supérieure à 0,2 % dès lors que le docteur [Y] avait exprimé les résultats de ses analyses en mg/g, et non pas en pourcentage ; qu'en outre, il contestait la fiabilité des résultats de ce rapport en faisant valoir que celui-ci avait été réalisé au mépris de la méthodologie prescrite par la règlementation communautaire et l'article 1er de l'arrêté du 22 août 1990 sur plusieurs points précis qu'il détaillait ; qu'en se fondant sur les conclusions de ce rapport, sans répondre à aucune des contestations soulevées par M. [M], la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

5°/ qu'en relevant d'office le moyen pris de ce que M. [M] ne justifiait pas que les fleurs de chanvre séchées qu'il détenait entraient dans les variétés de cannabis Sativa L, sans avoir soumis ce moyen à la discussion des parties, la cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire et ainsi violé les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale ;

6°/ que la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'élément intentionnel du délit de détention de stupéfiants dont elle a déclaré coupable M. [M], bien que ce dernier ait contesté fermement cet élément dans ses conclusions au fond, a privé sa décision de base légale au regard des articles 121-3 et 222-37 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

7°/ qu'en s'abstenant de rechercher, comme l'y invitait M. [M], s'il ne justifiait pas avoir commis une erreur sur le droit qui excluait qu'il puisse être déclaré coupable des faits de détention de stupéfiants concernant les fleurs de chanvre, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 122-3 et 222-37 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Vu les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, 34 et 36 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et 593 du code de procédure pénale :

8. Selon le premier de ces textes, toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

9. Il résulte des articles 34 et 36 susvisés, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 19 novembre 2020, aff. C-663/18, B.S, C.A), qu'ils s'opposent à une réglementation nationale interdisant la commercialisation du cannabidiol (CBD) légalement produit dans un autre État membre, lorsqu'il est extrait de la plante de cannabis sativa dans son intégralité et non de ses seules fibres et graines, à moins que cette réglementation soit propre à garantir la réalisation de l'objectif de protection de la santé publique et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint.

10. Selon le texte précité du code de procédure pénale, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

11. Pour dire établi le délit de détention non autorisée de stupéfiants s'agissant des fleurs de chanvre, l'arrêt attaqué énonce que l'expertise toxicologique a conclu à la présence de THC dans les variétés Black Banana, Gorilla et Little Charlotte détenues par le prévenu en soulignant les effets sur l'organisme et notamment sur le cerveau en cas de détournement de l'usage des fleurs de chanvre pour pot-pourri.

12. Les juges ajoutent que le prévenu, qui se prévaut de dispositions spécifiques aux activités de commerce réglementées, ne justifie pas que les fleurs de chanvre séchées qu'il détient entrent dans les variétés de cannabis Sativa L, ni qu'il s'agisse d'une plante dont la teneur en THC serait inférieure au seuil de 0,2 %.

13. Ils concluent que les fleurs de la plante de cannabis qui contiennent du tétrahydrocannabinol, entrent parmi les plantes et substances classées comme stupéfiants.

14. En prononçant ainsi, sans rechercher, alors qu'elle y était invitée, si les substances saisies n'avaient pas été légalement produites dans un autre État membre de l'Union européenne, et en se déterminant par des motifs qui procèdent d'un renversement de la charge de la preuve, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a méconnu les principes susénoncés.

15. La cassation est en conséquence encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Poitiers, en date du 17 février 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Poitiers, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Poitiers, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf janvier deux mille vingt-deux.

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