12 janvier 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-25.428

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00048

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 janvier 2022




Cassation partielle


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 48 F-D

Pourvoi n° H 19-25.428




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 JANVIER 2022

M. [H] [R], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 19-25.428 contre l'arrêt rendu le 10 octobre 2019 par la cour d'appel de Poitiers (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société [S] et Nivelt, société civile de moyens, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [R], de Me Haas, avocat de la société [S] et Nivelt, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, M. Flores, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 10 octobre 2019), M. [R] a été engagé le 1er octobre 1984 par la société d'architecture navale [S] et Nivelt, en qualité de dessinateur.

2. Le 30 décembre 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture du contrat de travail, notamment d'une demande en paiement d'heures supplémentaires.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et congés payés afférents, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ; que pour rejeter la demande du salarié en paiement d'heures supplémentaires, l'arrêt retient que le salarié produit un tableau informatique intitulé ''calcul heures supplémentaires'' faisant état pour les années 2014, 2015 et 2016 du même taux horaire, du même nombre d'heures supplémentaires par semaine (15) et du nombre de semaines travaillées (48, 48 et 40) pour en déduire le montant des sommes réclamées au titre des heures supplémentaires, que ce tableau qui ne donne aucun détail sur les horaires réalisés jour après jour par le salarié et se contente de poser le principe de la réalisation chaque semaine de 15 heures supplémentaires sans apporter aucune explication ne peut étayer suffisamment la demande formulée ; qu'en statuant ainsi, alors que le salarié avait produit un décompte des heures qu'il prétendait avoir réalisées auquel l'employeur pouvait répondre, la cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

4. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition des membres compétents de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

5. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

6. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

7. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et congés payés afférents, l'arrêt retient qu'il produit un tableau informatique intitulé « calcul heures supplémentaires » faisant état, pour les années 2014, 2015 et 2016 du même taux horaire, du même nombre « d'heures supplémentaire par semaine » (15) et du nombre de semaines travaillées (48, 48 et 40), pour en déduire le montant des sommes réclamées.

8. L'arrêt ajoute que ce tableau, qui ne donne aucun détail sur les horaires réalisés jour après jour et se contente de poser le principe de la réalisation chaque semaine de 15 heures supplémentaires, sans apporter aucune explication, ne peut étayer suffisamment la demande formulée.

9. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [R] de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et congés payés afférents, le condamne aux dépens et le déboute de sa demande d'indemnité formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile tant au titre de la procédure de première instance que de la procédure d'appel, l'arrêt rendu le 10 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne la société [S] et Nivelt aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [S] et Nivelt et la condamne à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour M. [R]


Il est fait grief à l'arrêt attaqué

D'AVOIR débouté M. [R] de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et congés payés afférents,

AUX MOTIFS QU' « en application de l'article L. 3171-4 du code du travail, "en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable" ; ainsi, dans l'hypothèse d'un tel litige, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ; en l'espèce, M. [R] produit un tableau informatique intitulé « calcul heures supplémentaires » faisant état pour les années 2014, 2015 et 2016 du même taux horaire, du même nombre d' « heures supplémentaires par semaine » (15) et du nombre de semaines travaillées (48, 48 et 40) pour en déduire le montant des sommes réclamées au titre des heures supplémentaires. Ce tableau qui ne donne aucun détail sur les horaires réalisés jour après jour par le salarié et se contente de poser le principe de la réalisation chaque semaine de 15 heures supplémentaires sans apporter aucune explication ne peut étayer suffisamment la demande formulée. Il en est de même du courriel adressé par Mme [S] à M. [R] le 17 octobre 2016, comportant le message « voilà mes dernières élucubrations, mais c'est secret défense Bonne soirée » accompagné d'une pièce jointe intitulée « reflexions joubertnivelt 4 » dans lequel elle indique que « de manière générale » M. [R] effectuait environ 50 heures de travail par semaine et 200 heures ou plus par mois, que « [B] a eu connaissance de cela et a compensé en quelque sorte, autant que faire se peut, selon le chiffre d'affaires annuel, par des primes exceptionnelles » et que « lors de sa disparition en mars 2016, la situation était quasiment OK entre [H] [[R]] et [B] [[S]] n. Ce document imprécis émanant d'une personne qui certes apparaît proche du salarié mais ne travaillait pas pour autant avec lui n'étaye pas mieux la demande de ce dernier. Il convient en conséquence de le débouter de ce chef ; »
ALORS QU' en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ; que pour rejeter la demande du salarié en paiement d'heures supplémentaires, l'arrêt retient que le salarié produit un tableau informatique intitulé « calcul heures supplémentaires » faisant état pour les années 2014, 2015 et 2016 du même taux horaire, du même nombre d'heures supplémentaires par semaine (15) et du nombre de semaines travaillées (48,48 et 40) pour en déduire le montant des sommes réclamées au titre des heures supplémentaires, que ce tableau qui ne donne aucun détail sur les horaires réalisés jour après jour par le salarié et se contente de poser le principe de la réalisation chaque semaine de 15 heures supplémentaires sans apporter aucune explication ne peut étayer suffisamment la demande formulée ; qu'en statuant ainsi, alors que le salarié avait produit un décompte des heures qu'il prétendait avoir réalisées auquel l'employeur pouvait répondre, la cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;

2°) ALORS QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ; que la cour d'appel a relevé que le salarié produisait un courriel adressé par Mme [S] à M. [R] du 17 octobre 2016, comportant une pièce jointe indiquant que « de manière générale, M. [R] effectuait environ 50 heures de travail par semaine et 200 heures ou plus par mois » ; qu'en considérant que ce document était insuffisamment précis pour étayer la demande d'heures supplémentaires sans examiner si le décompte établi par le salarié et ce document, pris dans leur ensemble, n'étayaient pas la demande d'heures supplémentaires de M. [R], la cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 du code du travail.

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