5 janvier 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-17.599

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00009

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 janvier 2022




Rejet


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 9 F-D

Pourvoi n° T 20-17.599






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JANVIER 2022

La société Elres, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 20-17.599 contre l'arrêt rendu le 29 mai 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme [S] [V], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de la société Elres, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [V], après débats en l'audience publique du 9 novembre 2021 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 29 mai 2020), Mme [V] a été engagée à compter du 1er mai 2000 par l'Organisme de gestion des écoles catholiques de Gravelines Ecole et Famille (OGEC) en qualité de cuisinière au sein de la cantine du collège [4].

2. Le 7 juillet 2014, un avenant comportant une clause de mobilité a été signé entre la salariée et la société Elres, cessionnaire de l'activité restauration du collège avec laquelle son contrat de travail a été poursuivi à compter du 1er septembre 2014.

3. Licenciée par lettre du 9 novembre 2015, elle a saisi la juridiction prud'homale pour contester ce licenciement et obtenir paiement de diverses sommes à ce titre.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société Elres fait grief à l'arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de la condamner à payer des sommes à titre de rappel de salaire, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de rappel de treizième mois, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de lui ordonner de remettre à la salariée des documents rectifiés, de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées dans la limite de six mois d'indemnités et de la condamner à payer une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ que si, en vertu de l'article L. 1224-1 du code du travail, le contrat de travail en cours au jour de la modification de la situation juridique de l'employeur subsiste avec le nouvel employeur, ce texte ne fait pas obstacle à ce que, sous réserve de fraude, ce dernier convienne avec le salarié de nover le contrat en cours ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la proposition faite à Mme [V] dès le 7 juillet 2014, avant le commencement d'exécution de son contrat de travail chez le nouvel employeur, de signer un avenant comportant une clause de mobilité, favorable à la société Elres, était déloyale et caractérisait un détournement de procédure destiné à faire échec au transfert de plein droit du contrat de travail et à éluder les dispositions d'ordre public du texte ; qu'en statuant sans avoir caractérisé aucune déloyauté de l'employeur ou fraude à l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail ni détournement de procédure et notamment sans avoir ni constaté ni caractérisé en quoi la signature par la salariée de l'avenant insérant la clause de mobilité avait été imposée à celle-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1224-1, L. 1222-1 du code du travail et du principe selon lequel la fraude corrompt tout ;

2°/ que l'application de l'article L. 1224-1 n'a pas pour effet de rendre immuables les conditions du contrat de travail qui subsiste avec le nouvel employeur ; que si l'introduction d'une clause de mobilité constitue une modification du contrat de travail qui requiert l'accord du salarié, cette clause s'applique une fois l'accord du salarié donné ; qu'en n'ayant pas tiré les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles la salariée avait signé l'avenant du 7 juillet 2014 à son contrat de travail qui contenait la clause de mobilité, de sorte que cette clause s'imposait aux parties, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1134 devenu 1103 du code civil et de l'article L. 1221-1 du code du travail ;

3°/ que la lettre de licenciement fixe les termes du litige ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a énoncé que « la société n'allègue pas que l'absence de Mme [V] était, indépendamment même de la clause de mobilité, injustifiée sur le site de [Localité 3] » ; qu'en statuant ainsi, cependant que la lettre de licenciement, sans se référer à la clause de mobilité, reprochait à la salariée le fait que son « absence injustifiée met[tait] en cause le bon fonctionnement du site sur lequel [elle était] affectée », de sorte que les termes du litige ne pouvaient être restreints à la question de savoir si la clause de mobilité était ou non opposable à la salariée, la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail ;

4°/ qu'est fautif le refus du salarié de poursuivre l'exécution du contrat en raison d'un changement des conditions de travail décidé par l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction ; que l'employeur peut, dans l'exercice de son pouvoir de direction, affecter le salarié sur un autre site placé dans le même secteur géographique que celui où il travaillait ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu'« il ne peut être retenu que le collège [4] et l'ESCAP de [Localité 3] se situaient dans le même secteur géographique. En effet, sur la base de l'itinéraire du site Mappy produit par la société Elres, les deux lieux étaient distants de 31,7 kilomètres représentant un temps de route de 42 minutes, tandis que les horaires de train produits par l'appelante font état de temps de transport variant entre 54 minutes et 2h09 avec une correspondance systématique » et qu'en l'absence de clause de mobilité opposable à la salariée, l'employeur ne pouvait imposer un changement de lieu de travail ne se situant pas dans le même secteur géographique ; qu'en statuant par des motifs insuffisants et sans avoir recherché si les deux lieux étaient ou non situés dans le même bassin d'emploi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 devenu 1103 du code civil et L. 1221-1 du code travail. »

Réponse de la Cour

6. Ayant relevé que la société cessionnaire, avant même le transfert d'activité, avait fait signer à la salariée un avenant à son contrat de travail comportant une clause de mobilité l'ayant ainsi privée des droits qu'elle tenait de l'article L. 1224-1 du code du travail, la cour d'appel a pu en déduire que cette manœuvre déloyale destinée à éviter la poursuite du contrat de travail aux conditions en vigueur chez le cédant, interdisait à la société de se prévaloir de la clause de mobilité pour imputer à l'intéressée une absence injustifiée sur le site de Saint-Omer.

7. Ayant ensuite constaté que la nouvelle affectation imposée à la salariée était située en dehors du secteur géographique où elle travaillait précédemment, la cour d'appel, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, en a justement déduit que le licenciement motivé par le refus d'un tel changement était injustifié.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Elres aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Elres et la condamne à payer à Mme [V] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq janvier deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société Elres


La société Elres fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que le licenciement de Mme [V] était sans cause réelle et sérieuse, de l'avoir condamnée à payer à Mme [V] les sommes de 2 613,49 euros brut à titre de rappel des salaires, de 3 864 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés y afférents, 7 509,03 euros net à titre d'indemnité de licenciement, de 571,66 euros brut à titre de rappel de 13ème mois, de 11 592 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de lui avoir ordonné de remettre à Mme [V] des documents rectifiés, de lui avoir ordonné de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées dans la limite de six mois d'indemnités et de l'avoir condamnée à payer à Mme [V] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Alors 1°) que si, en vertu de l'article L. 1224-1 du code du travail, le contrat de travail en cours au jour de la modification de la situation juridique de l'employeur subsiste avec le nouvel employeur, ce texte ne fait pas obstacle à ce que, sous réserve de fraude, ce dernier convienne avec le salarié de nover le contrat en cours ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la proposition faite à Mme [V] dès le 7 juillet 2014, avant le commencement d'exécution de son contrat de travail chez le nouvel employeur, de signer un avenant comportant une clause de mobilité, favorable à la société Elres, était déloyale et caractérisait un détournement de procédure destiné à faire échec au transfert de plein droit du contrat de travail et à éluder les dispositions d'ordre public du texte (arrêt p. 5, 6ème §) ; qu'en statuant sans avoir caractérisé aucune déloyauté de l'employeur ou fraude à l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail ni détournement de procédure et notamment sans avoir ni constaté ni caractérisé en quoi la signature par la salariée de l'avenant insérant la clause de mobilité avait été imposée à celle-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1224-1, L. 1222-1 du code du travail et du principe selon lequel la fraude corrompt tout ;

Alors 2°) que l'application de l'article L. 1224-1 n'a pas pour effet de rendre immuables les conditions du contrat de travail qui subsiste avec le nouvel employeur ; que si l'introduction d'une clause de mobilité constitue une modification du contrat de travail qui requiert l'accord du salarié, cette clause s'applique une fois l'accord du salarié donné ; qu'en n'ayant pas tiré les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles la salariée avait signé l'avenant du 7 juillet 2014 à son contrat de travail qui contenait la clause de mobilité (p. 5), de sorte que cette clause s'imposait aux parties, la cour d'appel a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil et de l'article L. 1221-1 du code du travail ;

Alors 3°) que la lettre de licenciement fixe les termes du litige ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a énoncé que « la société n'allègue pas que l'absence de Mme [V] était, indépendamment même de la clause de mobilité, injustifiée sur le site de [Localité 3] » (p. 5, dernier §) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la lettre de licenciement, sans se référer à la clause de mobilité, reprochait à la salariée le fait que son « absence injustifiée met[tait] en cause le bon fonctionnement du site sur lequel [elle était] affectée », de sorte que les termes du litige ne pouvaient être restreints à la question de savoir si la clause de mobilité était ou non opposable à la salariée, la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail ;

Alors 4°) qu'est fautif le refus du salarié de poursuivre l'exécution du contrat en raison d'un changement des conditions de travail décidé par l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction ; que l'employeur peut, dans l'exercice de son pouvoir de direction, affecter le salarié sur un autre site placé dans le même secteur géographique que celui où il travaillait ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu'« il ne peut être retenu que le collège [4] et l'ESCAP de [Localité 3] se situaient dans le même secteur géographique. En effet, sur la base de l'itinéraire du site Mappy produit par la société Elres, les deux lieux étaient distants de 31,7 kilomètres représentant un temps de route de 42 minutes, tandis que les horaires de train produits par l'appelante font état de temps de transport variant entre 54 minutes et 2h09 avec une correspondance systématique » et qu'en l'absence de clause de mobilité opposable à la salariée, l'employeur ne pouvait imposer un changement de lieu de travail ne se situant pas dans le même secteur géographique (arrêt p. 6) ; qu'en statuant par des motifs insuffisants et sans avoir recherché si les deux lieux étaient ou non situés dans le même bassin d'emploi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 devenu 1103 du code civil et L. 1221-1 du code travail.

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