5 janvier 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-16.172

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00001

Texte de la décision

SOC.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 janvier 2022




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1 F-D

Pourvoi n° S 20-16.172




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JANVIER 2022

M. [F] [T], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 20-16.172 contre l'arrêt rendu le 12 février 2020 par la cour d'appel de Rennes (7e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à la société Jifmar Offshore services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Mariette, conseiller doyen, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [T], de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Jifmar Offshore services, après débats en l'audience publique du 9 novembre 2021 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président et rapporteur, Mme Le Lay, M. Seguy, conseillers, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 12 février 2020), M. [T] a été embauché par la société Jifmar Offshore services à compter du 16 mars 2012, en qualité de directeur commercial soumis à un forfait de durée de travail de deux cent dix-huit jours par an moyennant une rémunération mensuelle brute de 6 250 euros.

2. Licencié par lettre du 26 décembre 2014, il a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes à titre de rappels de salaire, d'indemnité de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Examen des moyens

Sur les premier, troisième et quatrième moyens, ci-après annexés


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande au titre des heures supplémentaires, des repos compensateurs non pris et du travail dissimulé, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient seulement au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la décision attaquée qu'il présentait des éléments suffisamment précis à l'appui de sa demande d'heures supplémentaires, à savoir des feuilles d'enregistrement de ses heures de travail, un tableau récapitulant les heures de transmission de certains mails en début de journée en fin de journée de travail, et deux témoignages ; qu'en lui reprochant cependant de ne pas fournir des éléments suffisamment précis quant aux horaires réalisés pour permettre à l'employeur d'y répondre, faute pour ces derniers d'être suffisamment circonstanciés ou suffisamment fiables pour établir la durée de travail effectif et continu, la cour d'appel, qui a fait porter son analyse sur les seules pièces produites par lui, et qui a donc fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

5. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

6. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

7. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

8. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt retient qu'il communique des feuilles d'enregistrement de ses heures de travail faisant apparaître une amplitude de 9 heures par jour et sur une base de 45 heures, sans toutefois faire mention du début et de la fin de la journée de travail ni préciser l'amplitude des pauses déjeuner, un tableau récapitulant les heures de transmission de certains mails en début de journée et en fin de journée de travail, ainsi que deux témoignages.

9. L'arrêt retient ensuite que ces témoignages ne sont pas suffisamment circonstanciés et ne permettent pas d'étayer suffisamment les décomptes fournis par le salarié et que le tableau relatif aux heures de transmission des mails n'est pas suffisamment fiable pour établir la durée de travail effectif et continu du salarié durant les périodes considérées.

10. Il ajoute que le caractère systématique d'une amplitude horaire de 9 heures de travail par jour, soit 45 heures par semaine, n'est pas justifiée par le salarié qui ne fournit aucun élément précis sur l'activité réalisée et enfin que l'employeur relève à juste titre des discordances sur les tableaux d'enregistrement de son temps de travail et la feuille de temps de nature à établir l'existence des jours de RTT auxquels le salarié a eu droit dans le cadre du forfait annulé et qu'il a omis de déduire sur le document.

11. Il conclut que le salarié ne fournit pas les éléments suffisamment précis quant aux horaires réalisés pour permettre à l'employeur d'y répondre.

12. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [T] de ses demandes de rappel d'heures supplémentaires et congés payés afférents, d'indemnité pour travail dissimulé, de dommages-intérêts au titre de la contrepartie obligatoire en repos, l'arrêt rendu le 12 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

Condamne la société Jifmar Offshore services aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Jifmar Offshore services et la condamne à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros.

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq janvier deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour M. [T].

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à la décision attaquée infirmative sur ces points d'AVOIR dit que le licenciement pour faute grave de M. [T] notifié le 26 décembre 2014 est bien fondé et ainsi justifié et d'AVOIR rejeté les demandes consécutives de M. [T], AUX MOTIFS QUE « La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'en rapporter la preuve. Aux termes de la longue lettre de licenciement du 26 décembre 2014 qui fixe les limites du litige, l'employeur reproche à M. [T] les manquements suivants :
- la création d'une société concurrente en bénéficiant des informations et études dans le cadre de son contrat de travail,
- le défaut d'information et l'absence de demande d'autorisation de son employeur en vue de la création de cette société,
- la prise de contacts avec des fournisseurs de l'employeur,
- le refus de remettre le rapport réalisé par l'ESC de [Localité 6],
- l'exercice d'une autre activité professionnelle pendant les congés et les temps de récupération.
Même si le contrat de travail ne comporte pas de clause d'exclusivité, le salarié ne peut pas exercer, durant l'exécution de son contrat de travail, une activité concurrente à celle de son employeur, s'analysant comme la violation de l'obligation générale de loyauté. Un tel manquement de la part du salarié constitue une faute de nature à entraîner son licenciement sans qu'il soit nécessaire de caractériser un préjudice particulier subi par l'employeur. Les parties sont en désaccord sur la notion d'activité concurrente, M. [T] soutenant qu'il était en droit d'exercer pour son propre compte une activité non concurrente à celle de la société Jifmar. Il conteste avoir utilisé les moyens de l'entreprise Jifmar dans le cadre de sa propre société Vinoceo et rappelle que la société Jifmar n'a réalisé aucune avancée ni développé le moindre savoir-faire technique ou commercial dans le domaine de l'immersion du vin. Il invoque les dispositions du jugement du tribunal de commerce de Brest du 18 septembre 2015, confirmé en appel par un arrêt du 15 mai 2018, aux termes desquelles l'action engagée par la société Jifmar à son encontre pour des actes de concurrence déloyale et de parasitisme a été rejetée.
Il résulte des débats que la société Jifmar offshore services, armateur maritime spécialisé dans les prestations de services maritimes, s'est engagée aussi, et ce depuis 2011, dans un processus de développement d'une activité connexe de stockage de vin sous l'eau. La preuve en est rapportée au travers d'un projet "Vin Mile lieu sous la Mer" dans le cadre du partenariat avec M. [H] viticulteur bordelais et directeur d'une coopérative européenne se livrant déjà à l'immersion et au stockage de bouteilles de vin dans le bassin d'[Localité 3], ayant donné lieu à des propositions techniques depuis le mois d'août 2010 avec mise à jour établie le 10 mai 2012 (pièce 4). La proposition technique réactualisée en mai 2012 révèle l'état d'avancement du projet commun correspondant à un projet d'immersion de bouteilles de vin par grands fonds, "la société Jifmar disposant de 6 navires et 5 robots sous-marins proposant une solution technique adaptée au projet et le viticulteur mettant à disposition son vin et son expérience pour assurer le suivi analytique au cours de l'expérimentation." Il en est de même pour les demandes d'autorisation présentées par la société Jifmar les 1er septembre 2011 et 23 novembre 2011 auprès du préfet maritime de l'Atlantique dans le cadre de ce projet consistant à immerger des bouteilles de vin par 1000 mètres de profondeur et sur une durée de 10 ans au large du bassin d'[Localité 3]. (pièces 5, 6) ayant donné lieu à une réponse favorable de la préfecture en date du 16 mai 2012 (pièce 7). M. [H] a confirmé dans son attestation "qu'il était à l'origine du partenariat avec la société Jifmar afin de mener à bien son projet d'immersion de bouteilles de vin et qu'il avait fait part en toute confiance à M. [T] et à M. [J], salariés de la société Jifmar, de ses idées de ses expériences et de ses connaissances et se considère victime de concurrence déloyale". M. [T] occupait le poste de directeur commercial au sein de la société Jifmar lorsqu'il a constitué le 24 octobre 2014 la société Vinoceo immatriculée le 3 novembre 2014 au registre du commerce et des sociétés de Brest. La nouvelle société dont le siège social est fixé à [Localité 9] (29) avec un capital de 60 000 euros, est dirigée par M. [T] président et par M. [J], cadre salarié de la société Jifmar, directeur général, et a pour objet social l'immersion en eaux profondes de tous objets et meubles, durables et/ou consomptibles.
La version de M. [T] selon laquelle les projets de son employeur d'immersion et de stockage de vin étaient embryonnaires sans implication véritable de la société Jifmar est contredite à la fois par les pièces techniques fournies par l'employeur (propositions techniques élaborées en mai 2012) et par les moyens développés pour mener des travaux au travers de partenariats avec des viticulteurs M. [H] en 2012 et M. [O] au titre du projet Egiategia à [Localité 5] (64), dont l'accord de partenariat a été signé dès le 1er septembre2014 (pièce 30 appelant et pièce 38 in fine intimé). Sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur l'état d'avancement des compétences techniques de la société Jifmar et de les comparer à celles développées par M. [T] en Recherche et Développement (pièce 10 sur les deux axes R et D de la société Amphoris) force est de constater que l'employeur s'était positionné depuis plusieurs années dans ce domaine innovant du stockage du vin en mer avant la création de la société Vinoceo. Le fait que l'employeur ait M. [T] à participer au suivi de l'étude sur le vieillissement du vin sous l'eau confiée au cours de l'année 2012 à des étudiants de 3ème cycle du master spécialisé en commerce international des Vins et spiritueux de l'ESC de [Localité 6], confirme l'intérêt de l'employeur à s'engager dans ce secteur commercial, même connexe à son domaine d'activité principale.
Les pièces produites au travers des extraits de la presse quotidienne (le Télégramme pièce 18) et de la presse spécialisée (Les Échos) confirment que la nouvelle société Vinoceo développée sous le nom commercial d'Amphoris proposait depuis le mois de novembre 2014 aux professionnels l'immersion des bouteilles de vin dans des caves sous-marines (extraits "La présentation du 14 novembre 2014", le Télégramme du 21 novembre 2014, constat d'huissier 24 mars 2015 pièce 18), que "Amphoris fait vieillir les grands vins au fond de la mer à [Localité 8], la start up va immerger ses premières bouteilles en février 2015, il existe très peu de sites propices sur le littoral français, Amphoris a obtenu des Affaires maritimes une autorisation d'occupation du domaine public, les bouteilles surtout des grands crus seront envoyés au fond de la mer à partir d'un bateau et d'un système de dépose sans plongeur" (pièce 11). M [T] assurait devant la presse en novembre 2014 (pièce 18) qu'ils ont déjà une dizaine de cleins après 15 jours de prospection qu'ils procéderont à une étude analytique du vin immergé grâce à un expert et trois laboratoires, que des tests d'étanchéité seront réalisés avec des fabricants de bouchons, que la société vise un chiffre d 'affaires d'un million d'euros au bout de 3 ans." Ces éléments précis et concordants permettent d'établir que M. [T] a créé, durant l'exécution de son contrat de travail le liant à la société Jifmar, une société ayant une activité concurrentielle de celle de son employeur sans qu'il soit nécessaire de caractériser le préjudice subi par l'employeur. Compte tenu de l'importance des fonctions exercées au sein de l'entreprise et des informations détenues par M. [T] dans le cadre de son activité, ce manquement à l'obligation générale de loyauté du salarié est suffisamment grave pour rendre impossible son maintien dans la société Jifmar. Le licenciement pour faute grave de M. [T] est ainsi pleinement justifié par voie d'infirmation du jugement. Il sera en conséquence débouté de ses demandes en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'au titre des indemnités légales rupture ; le jugement entrepris étant en conséquence infirmé de ces mêmes chefs »,

1) ALORS QUE les juges du fond sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, pour établir que la création de la société Vinoceo, constituée le 24 octobre 2014, ne pouvait être regardée comme un manquement gravement fautif à son obligation de loyauté, le salarié faisait valoir que son employeur était au courant de ses projets de création d'une entreprise ayant pour objet la commercialisation d'une solution d'immersion de bouteilles de vin en cave sous-marine depuis décembre 2013, et qu'il ne s'y était pas opposé avant le 7 novembre 2014 ; qu'en omettant de répondre à ces conclusions pourtant assorties d'une offre de preuve (cf. conclusions d'appel page 19 et pièces d'appel n° 4 : attestation de M. [X], et 12 : compte-rendu d'entretien préalable), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2) ALORS QUE la création par un salarié d'une société dont l'activité n'est pas concurrente de celle de l'employeur ne peut caractériser un acte de déloyauté constitutif d'une faute justifiant le licenciement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que M. [T] avait, alors qu'il était salarié de la société Jifmar, créé une société qui « proposait depuis le mois de novembre 2014 aux professionnels l'immersion des bouteilles de vin dans des caves sous-marines » ; qu'en revanche, elle n'a pas constaté que la société Jifmar offrait le même service et prospectait des clients souhaitant immerger des bouteilles de vin dans les caves sous-marines, mais seulement qu'elle s'était positionnée dans le domaine du stockage du vin en mer à travers deux projets ponctuels d'immersion avec deux viticulteurs successifs, M. [H] et M. [O] ; qu'or, ce sont deux choses différentes de développer une activité commerciale de conservation de bouteilles de vin dans des caves sous-marines, d'une part, de participer à des projets ponctuels sans commercialisation à destination des professionnels du vin d'une offre d'immersion en caves sous-marines, d'autre part, de sorte que la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser que M. [T] avait créé une entreprise dont l'activité était effectivement concurrente de celle de l'employeur, n'a pas caractérisé un acte de déloyauté constitutif d'une faute justifiant son licenciement, et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1 et L. 1235-1 du code du travail dans leur version applicable au litige ;

2) ALORS à tout le moins QUE la création par un salarié d'une société dont l'activité n'est pas directement concurrente de celle de l'employeur ne peut caractériser un acte de déloyauté constitutif d'une faute grave justifiant le licenciement immédiat ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que M. [T] avait, alors qu'il était salarié de la société Jifmar, créé une société qui « proposait depuis le mois de novembre 2014 aux professionnels l'immersion des bouteilles de vin dans des caves sous-marines » ; qu'en revanche, elle n'a pas constaté que la société Jifmar offrait directement le même service et prospectait des clients souhaitant immerger des bouteilles de vin dans les caves sous-marines, mais seulement qu'elle s'était positionnée dans le domaine du stockage du vin en mer à travers deux projets ponctuels d'immersion avec deux viticulteurs successifs, M. [H] et M. [O] ; que dès lors, la cour d'appel, qui n'a pas relevé que M. [T] avait créé une entreprise dont l'activité était directement concurrente de celle de l'employeur, n'a pas caractérisé un acte de déloyauté constitutif d'une faute grave justifiant son licenciement immédiat, et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-1 du code du travail dans leur version applicable au litige.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à la décision attaquée d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait rejeté la demande de M. [T] au titre des heures supplémentaires, au titre des repos compensateurs non pris et au titre du travail dissimulé,

AUX MOTIFS PROPRES QUE « M. [T] est ainsi soumis au régime général des 35 heures hebdomadaires, la convention de forfait annuel étant privée d'effet. Il a réclamé le paiement de la somme globale de 49 142,33 euros au titre du rappel de salaires pour les heures supplémentaires accomplies : - 224,98 heures en 2012, - 344,30 heures en 2013, - 254,31 euros en 2014. Si aux termes de l'article L 3171-4 du code du travail, la preuve des heures effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient toutefois au salarié, en cas de litige, d'étayer sa demande en paiement d'heures supplémentaires par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur d'y répondre en fournissant ses propres éléments. En l'espèce, M. [T] produit des feuilles d'enregistrement de ses heures de travail (pièce 30), établies par ses soins, faisant apparaître une amplitude horaire de 9 heures par jour au siège de [Localité 4] et sur base de 45 heures hebdomadaires. Il n'est nullement fait mention du début et de la fin de la journée de travail, M. [T] précisant dans ses conclusions qu'il "a bien évidemment soustrait sa pause déjeuner" sans plus de précision sur l'amplitude de ces pauses. Le salarié verse aussi aux débats : - un tableau récapitulant des heures de transmission de certains mails en début de journée en fin de journée de travail. - le témoignage de M. [X], chef de projet basé à [Localité 4] entre novembre 2012 et avril 2014, selon lequel "M [T] travaillait au-delà de 35 heures par semaine "sans plus de précision, - le témoignage de M. [C], ancien directeur financier (juin 2012-avril 2014) basé au siège social de l'entreprise à [Localité 7] "Autant que je puisse en juger, il me semble que son temps de travail dépassait largement et systématiquement les 35 heures par semaine." Les deux témoignages de ses anciens collègues, dont l'un ne travaillait pas sur le même site géographique que M. [T], ne sont pas suffisamment circonstanciés et ne permettent pas d'étayer suffisamment les décomptes fournis par les soins de M. [T]. L'employeur conteste la pertinence des horaires des premiers et derniers mails transmis par M. [T] lequel disposait d'un accès à distance au serveur automatique de la société Jifmar et à sa boîte mail professionnelle. Ces éléments ne sont pas suffisamment fiables pour établir la durée de travail effectif et continu du salarié durant les périodes considérées. Le caractère systématique d'une amplitude horaire de 9 heures de travail par jour, soit 45 heures par semaine, n'est pas justifié par M. [T] qui ne fournit aucun élément précis sur l'activité réalisée. Enfin, la société Jifmar relève à juste titre des discordances sur les tableaux d'enregistrement de son temps de travail (pièce 30 intimé) et la feuille de temps (pièce appelante) de nature à établir l'existence de jours RTT (8 jours par an) auxquels le salarié a eu droit dans le cadre du forfait annulé et qu'il a omis de déduire sur le document. M. [T] ne fournissant pas les éléments suffisamment précis quant aux horaires réalisés pour permettre à l'employeur d'y répondre, il convient de rejeter sa demande au titre du rappel de salaire pour des heures supplémentaires, par voie de confirmation du jugement. Sur la contrepartie obligatoire en repos La demande de M. [T] au titre des heures supplémentaires ayant été rejetée, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande subséquente de la contrepartie obligatoire en repos, par voie de confirmation du jugement…
Sur le travail dissimulé
Il n'est pas établi que l'employeur ait dissimulé de manière intentionnelle une partie du temps de travail de M. [T] qui sera ainsi débouté de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé, par voie de confirmation du jugement »,

ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTES QUE M. [T], en sa qualité de directeur commercial, participait aux décisions de l'entreprise puisqu'il participait au CODIR de la SAS Jifmar offshore services ; qu'à ce titre il percevait une prime ; que le bureau de M. [T] se situait à [Localité 4] alors que le siège de l'entreprise était à [Localité 7] ; qu'il bénéficiait d'une large autonomie d'initiative dans l'accomplissement de ses missions, ainsi que d'une grande latitude dans l'organisation du travail et la gestion de son temps de travail ; qu'aucun échange, mail, courrier n'est intervenu durant la relation de travail concernant une charge de travail trop conséquente, ou des difficultés d'organisation de travail, ou des demandes particulières de la direction de la société vis-à-vis de l'organisation du temps de travail de M. [T] ; que M. [T] bénéficiait d'une grande autonomie dans l'organisation de son travail, qu'il n'était pas soumis à un horaire de travail préalablement instauré, que son employeur ne lui a jamais demandé d'effectuer du travail complémentaire ; que le conseil considère que le demandeur, du fait de sa grande autonomie, pouvait organiser son travail et ses repos sans contrôle de son employeur ; qu'en conséquence il sera débouté de l'ensemble de ses demandes de règlement au titre d'heures supplémentaires ou de compensation financière des temps de déplacement,

1) ALORS QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient seulement au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la décision attaquée que M. [T] présentait des éléments suffisamment précis à l'appui de sa demande d'heures supplémentaires, à savoir des feuilles d'enregistrement de ses heures de travail, un tableau récapitulant les heures de transmission de certains mails en début de journée en fin de journée de travail, et deux témoignages ; qu'en reprochant cependant au salarié de ne pas fournir des éléments suffisamment précis quant aux horaires réalisés pour permettre à l'employeur d'y répondre, faute pour ces derniers d'être suffisamment circonstanciés ou suffisamment fiables pour établir la durée de travail effectif et continu, la cour d'appel, qui a fait porter son analyse sur les seules pièces produites par M. [T], et qui a donc fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L.3171-4 du code du travail ;

2) ALORS QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient seulement au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; qu'en rejetant les demandes du salarié au prétexte de sa grande autonomie lui permettant d'organiser son travail et ses repos sans contrôle de son employeur, la cour d'appel qui a statué par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.3171-4 du code du travail.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à la décision attaquée, infirmative sur ce point, d'AVOIR débouté M. [T] de sa demande de dommages et intérêts du fait de l'absence de visite médicale,

AUX MOTIFS QUE « Sur la demande de dommages et intérêts pour absence de visites médicales : L'article R 4624-10 du code du travail exige un examen médical lors du recrutement d'un salarié. Il est également prévu des examens médicaux périodiques en application de l'article R 4624-16 du code du travail. Si la société Jifmar n'a pas justifié avoir satisfait à ces formalités, M. [T] ne rapporte pas l'existence du préjudice subi en lien direct avec les manquements de son employeur. Sa demande de dommages-intérêts sera en conséquence rejetée par voie d'infirmation du jugement »,

ALORS QUE l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que la société Jifmar n'a pas justifié avoir satisfait à ses obligations en matière de visites médicales d'embauches et d'examens périodiques par la médecine du travail ; qu'il s'en évinçait l'existence d'un préjudice subi par le salarié dont la cour d'appel devait estimer l'importance, de sorte qu'en rejetant cependant la demande du salarié au prétexte qu'il ne rapportait pas l'existence du préjudice subi en lien direct avec les manquements de son employeur, la cour d'appel a violé les articles R. 4624-10 et R. 4624-16 du code du travail dans leur version applicable au litige, ensemble le principe de la réparation intégrale.

QUATRIÈME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à la décision attaquée infirmative sur ce point d'AVOIR débouté M. [T] de sa demande de dommages et intérêts du fait des conditions vexatoires de la rupture,

AUX MOTIFS QUE « M. [T] sollicite le paiement d'une somme de 37 157,10 euros de dommages-intérêts en raison du caractère vexatoire de son licenciement au motif que l'employeur aurait mis en place un stratagème purement artificiel pour déstabiliser et évincer un collaborateur, notamment en faisant intervenir un huissier de justice à plusieurs reprises pour lui délivrer des convocations et lui remettre les documents de fin de contrat. Toutefois, les pièces produites révèlent le contexte particulièrement conflictuel existant entre les parties après que l'employeur ait découvert au cours du mois de novembre 2014 la création par M. [T] et par un autre cadre M. [J] d'une société concurrente ; que l'intervention d'un huissier de justice ne constitue pas en soi une procédure brutale et vexatoire alors que le salarié avait refusé préalablement de recevoir en main propre le 4 décembre 2014 sa convocation à un entretien préalable et de restituer le véhicule de fonction. M. [T] ne rapportant pas la preuve de circonstances de fait particulièrement abusives ou vexatoires dans lesquelles la relation de travail s'est exécutée ou a pris fin, il doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement brusque et vexatoire, par voie d'infirmation du jugement »,

1) ALORS QUE pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, la cour d'appel lui a reproché de ne pas faire « la preuve de circonstances de fait particulièrement abusives ou vexatoires dans lesquelles la relation de travail s'est exécutée ou a pris fin » ; qu'en statuant ainsi quand il suffisait que le salarié apporte la preuve des circonstances vexatoires de la rupture, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2) ALORS QUE les juges du fond sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, le salarié ne soutenait pas seulement que la rupture de son contrat de travail était intervenue dans des conditions vexatoires du fait de la mise en place d'un stratagème purement artificiel pour le déstabiliser et l'évincer, notamment en faisant intervenir un huissier de justice à plusieurs reprises pour lui délivrer des convocations et lui remettre les documents de fin de contrat ; qu'il faisait encore valoir, et offrait de prouver, que la rupture avait été précipitée, que l'employeur avait multiplié les mises en demeure et changé les serrures avant de lui remettre des documents de fin de contrat erronés mentionnant un emploi de mécanicien (conclusions d'appel page 55 et s.) ; qu'en omettant d'examiner si ces circonstances n'étaient pas de nature à établir le caractère vexatoire de la rupture, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3) ALORS QU'en déboutant de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement brusque et vexatoire bien qu'elle a constaté « le contexte particulièrement conflictuel existant entre les parties », la cour d'appel, qui n'a pas recherché si ce contexte n'était pas imputable à l'employeur, qui avait notamment multiplié les mises en demeure et changé les serrures, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle de l'ordonnance du 10 février 2016.

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