15 décembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-20.216

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:CO00889

Titres et sommaires

IMPOTS ET TAXES - Enregistrement - Droit de mutation - Société - Dispositions générales - Apport - Apport à une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés - Fonds de commerce - Condition - Fonds situé sur le territoire national

Par dérogation aux dispositions de l'article 10 de la directive n° 69/335/CEE du Conseil du 17 juillet 1969 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, qui prohibent la perception, en dehors du droit d'apport, de toute imposition pour l'augmentation du capital social d'une société de capitaux au moyen de l'apport de biens de toute nature, l'article 12, § 1, sous b), de cette directive autorise chaque Etat membre à percevoir des droits de mutation sur l'apport à une société de biens immeubles ou de fonds de commerce à la condition qu'ils soient situés sur son territoire. Il en résulte que l'article 809, I, 3°, du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, qui dispose que les apports en nature portant sur un immeuble ou des droits immobiliers, un fonds de commerce, une clientèle, un droit à un bail ou à une promesse de bail sont assimilés à des mutations à titre onéreux lorsqu'ils sont faits à une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés par une personne morale non soumise à cet impôt, de sorte qu'ils sont soumis aux droits d'enregistrement prévus à l'article 719 du code général des impôts, ne s'applique qu'à la condition que les biens apportés soient situés sur le territoire national. Viole ces dispositions la cour d'appel qui dit l'administration fiscale fondée à appliquer le droit spécial de mutation prévu à l'article 809, I, 3°, du code général des impôts à un apport de fonds de commerce qui n'était ni situé ni exploité sur le territoire national au jour de l'enregistrement du traité d'apport

UNION EUROPEENNE - Fiscalité - Contributions indirectes - Rassemblement de capitaux - Droits de mutation - Apport de fonds de commerce transfrontalier

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 décembre 2021




Cassation partielle sans renvoi


M. GUÉRIN, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 889 F-B

Pourvoi n° W 18-20.216




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 DÉCEMBRE 2021

1°/ La société Agrofibre, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], représentée par M. [C] [Z], mandataire ad hoc,

2°/ la société Euralis holding, dont le siège est [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° W 18-20.216 contre l'arrêt rendu le 28 mai 2018 par la cour d'appel de Toulouse (1re chambre, section 1), dans le litige les opposant :

1°/ au directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 1],

2°/ au directeur général des finances publiques chargé de la direction du contrôle fiscal, domicilié Dircofi Sud-Pyrénées, [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lion, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat des sociétés Agrofibre et Euralis Holding, de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques et du directeur général des finances publiques chargé de la direction du contrôle fiscal, et l'avis de Mme Beaudonnet, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2021 où étaient présents M. Guérin, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lion, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Intervention

1. Il est donné acte à la société Euralis holding de son intervention volontaire.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 28 mai 2018), la société par actions simplifiées Agrofibre a, le 4 mai 2007, présenté à la formalité de l'enregistrement un procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire approuvant un traité portant promesse d'apport d'éléments incorporels par la société de droit espagnol Agrofibra SL et décidant d'une augmentation de capital. Cet acte a été soumis au droit fixe prévu par l'article 810, I, du code général des impôts.

3. L'administration fiscale, considérant que l'opération s'analysait en un apport de fonds de commerce assujetti, conformément aux dispositions de l'article 809, I, 3° du code général des impôts, aux droits d'enregistrement prévus à l'article 719 de ce code, a notifié une proposition de rectification à la société Agrofibre le 7 juin 2011.

4. Après rejet de sa réclamation, la société Agrofibre a assigné l'administration fiscale aux fins d'annulation de cette décision et de décharge des impositions et pénalités mises à sa charge.

5. Par décision du 13 janvier 2020, la société Agrofibre a été dissoute par son associé unique, la société Euralis holding. Cette dissolution a entraîné la transmission universelle de son patrimoine.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

7. La société Agrofibre fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de la décision de rejet du 10 décembre 2014, alors « que les apports faits à une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés par une personne non soumise à cet impôt sont assimilés à des mutations à titre onéreux dans
la mesure où ils ont pour objet un immeuble ou des droits immobiliers, un fonds de commerce, une clientèle, un droit à un bail ou à une promesse de bail ; que, pour rejeter la demande de la société Agrofibre, la cour d'appel a relevé que la cession à son profit du fonds de commerce de la société Agrofibra SL retenue par l'administration fiscale pour asseoir les bases de l'imposition, était caractérisée ; qu'en statuant ainsi, sans constater qu'avaient été transmises à titre onéreux à la société Agrofibre l'activité et la clientèle propres au cédant, elle n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 719 et 809.I, 3°, du code général des impôts. »

Réponse de la Cour

8. Après avoir relevé que, dès le début de son activité en 2007, la société Agrofibre, ayant pour objet social toutes opérations industrielles et commerciales se rapportant à l'achat, la vente de paille, de chanvre, de fibre, de chènevotte et de tout produit résultant des procédés de transformation de ces produits, avait eu pour clients ceux de la société Agrofibra, qui avaient représenté, au titre de l'exercice clos en 2009, près de 47 % du chiffre d'affaires de la société bénéficiaire de l'apport, et que l'un des principaux fournisseurs de matières premières de la société Agrofibra était également devenu le fournisseur de la société Agrofibre, puis constaté qu'il résultait de la demande de renseignements effectuée par l'administration fiscale auprès des autorités espagnoles que la société Agrofibra, dont l'objet social était le traitement, la transformation et la commercialisation de toutes espèces d'articles agricoles, animaux et forestiers, avait vu son chiffre d'affaires diminuer en 2006 pour devenir nul en 2008, tandis que celui de la société Agrofibre avait progressé, la cour d'appel a retenu que la cessation progressive d'activité de la société Agrofibra, révélée par la courbe de son chiffre d'affaires, correspondant à l'évolution très rapide de celui de la société Agrofibre, était révélatrice d'un transfert effectif de la clientèle et des moyens matériels et humains de la société espagnole au profit de la société française.

9. De ces constatations et appréciations, caractérisant la transmission de l'activité et de la clientèle propres à la société ayant réalisé l'apport, la cour d'appel, qui en a déduit que l'acte d'apport en nature ainsi que la cession indirecte de matériel de la société Agrofibra à la société Agrofibre par l'intermédiaire de la société Van Domele constituaient une opération d'apport de fonds de commerce, corroborée par le transfert des contrats de travail de deux salariés et la transmission du nom commercial par simple francisation, a légalement justifié sa décision.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen relevé d'office

11. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 809, I, 3°, du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, tel qu'interprété à la lumière des articles 10 et 12, paragraphe 1, sous b), de la directive n° 69/335/CEE du Conseil du 17 juillet 1969 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux :

12. Par dérogation aux dispositions de l'article 10 de la directive n° 69/335/CEE susvisée, qui prohibent la perception, en dehors du droit d'apport, de toute imposition pour l'augmentation du capital social d'une société de capitaux au moyen de l'apport de biens de toute nature, l'article 12, paragraphe 1, sous b), de cette directive autorise chaque État membre à percevoir des droits de mutation sur l'apport à une société de biens immeubles ou de fonds de commerce à la condition qu'ils soient situés sur son territoire. Il en résulte que l'article 809, I, 3°, du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, qui dispose que les apports en nature portant sur un immeuble ou des droits immobiliers, un fonds de commerce, une clientèle, un droit à un bail ou à une promesse de bail sont assimilés à des mutations à titre onéreux lorsqu'ils sont faits à une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés par une personne morale non soumise à cet impôt, de sorte qu'ils sont soumis aux droits d'enregistrement prévus à l'article 719 du code général des impôts, ne s'applique qu'à la condition que les biens apportés soient situés sur le territoire national.

13. Pour dire l'administration fiscale fondée à appliquer le droit spécial de mutation prévu à l'article 809, I, 3° du code général des impôts aux apports effectués par la société espagnole Agrofibra à la société française Agrofibre, l'arrêt relève qu'au cours de l'exercice clos en 2007, la société Agrofibra a vendu une partie de son matériel de production à la société belge Van Domele, qui l'a ensuite revendue à la société Agrofibre au mois de mai 2008, et constate que la société Agrofibra exploitait le fonds de commerce litigieux en Espagne jusqu'à la cession, en 2008, de l'ensemble de ses moyens d'exploitation (fonds de commerce et matériel de production) à la société Agrofibre, dont le siège social est situé à [Localité 4]e et qui l'exploite en France depuis cette date. Il relève encore que l'acte constatant l'apport a bien été enregistré en France. Il en déduit que l'assise matérielle et juridique du fonds de commerce, objet de l'apport, est en France.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, dont il résultait que le 4 mai 2007, date de présentation à la formalité de l'enregistrement du traité d'apport litigieux, le fonds de commerce objet de l'apport n'était pas situé ni exploité sur le territoire national, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement en ses dispositions relatives à la prescription du droit de reprise de l'administration fiscale, l'arrêt rendu le 28 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Annule la décision du 10 décembre 2014 rejetant la réclamation de la société Agrofibre ;

Prononce la décharge des rappels de droits d'enregistrement mis en recouvrement ;

Condamne le directeur général des finances publiques et le directeur général des finances publiques chargé de la direction du contrôle fiscal aux dépens, y compris ceux exposés devant les juges du fond ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le directeur général des finances publiques et le directeur général des finances publiques chargé de la direction du contrôle fiscal et les condamne à payer à la société Euralis holding la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour les sociétés Agrofibre et Euralis holding.

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté la demande d'annulation par la société Agrofibre de la décision de rejet de sa réclamation contentieuse en date du 10 décembre 2014 ;

AUX MOTIFS QU' aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, « l'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande » ; que si la société Agrofibre soutient, par une pétition de principe se référant à un texte obsolète, que l'administration ne prouve pas ses affirmations, elle ne justifie pas avoir sollicité, par application de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, la communication des pièces détenues par des tiers dont la teneur et l'origine ont donné lieu à l'information prévue par ce texte, malgré la proposition faite à cette fin par l'administration fiscale dans sa réponse aux observations du contribuable du 26 septembre 2011 ; que la société Agrofibre n'est en outre pas fondée à opposer une méconnaissance par l'administration fiscale de ses obligations s'agissant de celles des pièces se trouvant nécessairement en sa possession ; que l'article 719 du code général des impôts assujettit les mutations de propriété à titre onéreux de fonds de commerce ou de clientèles, qu'elles soient ou non constatées par un acte, à un droit proportionnel d'enregistrement perçu sur le prix de vente de l'achalandage, de la cession du droit au bail et des objets mobiliers ou autres servant à l'exploitation du fonds ; que le fonds de commerce se définit comme un ensemble d'éléments meubles corporels tels que le matériel, les marchandises et les équipements, et d'éléments incorporels tels que la clientèle, le droit au bail et le nom commercial permettant l'exercice de négoce ou d'une industrie ; qu'il y a mutation de fonds de commerce lorsque les éléments caractérisant un tel fonds sont transmis, et notamment la clientèle, quand bien même l'entreprise nouvelle s'attacherait à prospecter de nouveaux clients et développerait ultérieurement son chiffre d'affaires et ses investissements ou élargirait ultérieurement son objet à des opérations entièrement nouvelles ; que la société Agrofibre soutient que la cession de fonds de commerce retenue par l'administration fiscale pour asseoir les bases de l'imposition n'est pas caractérisée dans la mesure où il n'y a pas eu en l'espèce de continuité d'exploitation, où les activités déployées par les sociétés Agrofibra et Agrofibre sont différentes et où il n'y a pas eu transfert de clientèle, en sorte que l'opération s'analysait en un simple apport en nature ; que la société Agrofibre, immatriculée le 27 décembre 2006, dont le siège social est situé à [Localité 4], a pour objet social « toutes opérations industrielles et commerciales se rapportant à l'achat, la vente de paille, de chanvre, de fibre, de chènevotte, de tout produit résultant des procédés de transformation de la paille, de chanvre, de lin et du kénaf, d'énergie qui pourrait résulter des systèmes de cogénération et génération d'électricité » ; que la société Agrofibre était détenue à l'origine par la société espagnole Agrofibra SL à hauteur de 66% et par la société française Coopeval à hauteur de 34%, son capital étant d'un montant de 37.000 € divisé en 1.000 actions d'une valeur nominale de 37 € ; qu'à la suite de l'augmentation de capital du 26 avril 2007, le capital a été porté à 4.582.455 €, par l'apport en nature par la société espagnole Agrofibra SL d'éléments incorporels évalués à 1.000.000 € et en numéraire pour le surplus, réparti en 1.000 actions de 4.582,45 € chacune, détenu à hauteur de 660 actions par Agrofibra SL et de 340 actions pour Coopeval ; qu'il n'est pas contesté qu'au début de son activité, la société Agrofibre n'a effectué que des opérations d'achat revente dans les locaux de la société Coopeval et que ce n'est qu'après avoir fait construire sur un terrain situé à [Localité 4] acquis par acte du 28 juin 2007 un bâtiment industriel afin de transformer le chanvre acheté auprès d'agriculteurs qu'elle a débuté au mois de juin 2008 sa propre production et qu'elle l'a commercialisée ; qu'il résulte du rapport du commissaire aux apports, désigné par ordonnance du président du tribunal de commerce de Saint-Gaudens le 6 mars 2007, qui a validé le 16 avril 2007 l'apport en nature d'éléments incorporels par la société Agrofibra SL, dont le siège social est situé à Puig-Reig en Espagne, à la société Agrofibre au capital de 37.000 €, que la valeur des éléments incorporels apportés s'élevant à 1.000.000 € comprend : - la conception de la ligne de production : 210.000 €, - la conception de l'organisation de la production : 500.000 €, - les marques Cannabox et Cannatech ayant fait l'objet d'une reconnaissance communautaire : 50.000 €, - les contrats commerciaux pour la vente de fibres sur le marché de l'isolation, concrétisées par un contrat de fourniture de 4.050 tonnes de fibres avec la société Napro GMBH et, pour une période allant d'octobre 2007 à décembre 2008, et avec les sociétés Mostrador de materiales naturales SL et Cesa : 240.000 € ; que, dans ces conditions, la société Agrofibre soutient en vain que c'est de façon inappropriée que l'administration fiscale indique que l'apport en nature contenait la conception de la ligne de production et de l'organisation de la production dès lors que ces deux éléments incorporels ont été valorisés par le commissaire aux apports lui-même ; que le commissaire aux apports précise par ailleurs que les contrats de travail de M. [O] et de M. [U] ainsi qu'un pacte d'associés comportant des clauses de non-concurrence qui lui ont été présentés sont de nature à sécuriser la situation de la société bénéficiaire de l'apport et à conforter les évaluations retenues ; qu'il convient au demeurant d'observer que par application de l'article L. 1224-1 du code du travail, le transfert du contrat de travail est obligatoire en cas de cession du fonds de commerce ce qui corrobore la notion d'apport de son fonds par la société Agrofibra SL ; que la demande de renseignements effectuée en cours de contrôle le 1er avril 2011 par l'administration fiscale dans le cadre des échanges directs prévus par l'accord transfrontalier franco-espagnol du 10 décembre 2010 a révélé que la société Agrofibra, constituée le 27 octobre 1995, avait pour objet social le traitement, la transformation et la commercialisation de toutes espèces d'articles agricoles, animaux et forestiers et, depuis le 30 juillet 1997 jusqu'au 30 juin 2008, une activité de fabrication de pâte à papier ; que son chiffre d'affaires a diminué de 817.999 € en 2006 à 420.550 € en 2007 et a été nul en 2008 ; que les comptes de résultat de la société Agrofibre révèlent que son chiffre d'affaires progressait de 190.442 € pour l'exercice clos en 2007, sur une période de six mois, à plus de 1.400.000 € pour l'exercice clos le 31 août 2008 ; que la cessation progressive d'activité de la société Agrofibra SL révélée par la courbe de son chiffre d'affaires correspond à l'évolution très rapide de celui de la société Agrofibre, ainsi révélatrice d'un effectif transfert de clientèle, de moyens matériels et humains ainsi que de ses principaux clients à son profit par la société espagnole ; qu'il est admis par les parties que lors de l'arrêt, mi 2005, de la production de pâte à papier par la société Agrofibra SL qui s'est par la suite consacrée au seul négoce de chènevotte et de papier à cigarettes, le matériel a été pour partie vendu à la société Klimatextil (350.000 €) et l'autre partie au cours de l'exercice clos en 2007 à la société belge Vandomelle (1.690.000 €) qui l'a revendue à la société Agrofibre au prix de 1.800.000 € au mois de mai 2008, ce par un bon de commande indiquant qu'il annulait la précédente commande en date du 28 décembre 2007 révélant ainsi que, dès 2007, la société Agrofibre s'était engagée envers la société Vandomelle à acquérir ces machines ; que la commande de la ligne de défibrage de chanvre prévoit des frais de démontage, d'installation, de mise en route et de livraison du matériel ; que la société Agrofibre n'a pas contesté l'affirmation de l'administration fiscale selon laquelle elle a supporté le coût du démontage des tuyaux et de réassemblage en France et qu'une entreprise a effectué le transport de certaines machines dès le mois d'avril 2007 du lieu de l'exploitation de la société espagnole à Puig-Reg jusqu'en France suivant factures des 31 mars 2007 et 31 7 mai 2007, la visite sur place des locaux de production ayant permis à l'administration fiscale de confirmer que la première partie de la chaîne de fabrication était strictement identique à celle existante en Espagne et qu'elle a été complétée par la suite par de nouvelles machines pour parvenir à un produit fini plus travaillé ; qu'il s'ensuit que le matériel cédé par Agrofibra SL à la société belge Vandomelle n'a jamais transité par les locaux de celle-ci avant sa revente à la société Agrofibre ; qu'au bilan de l'exercice clos le 31 août 2008 les installations techniques, matériel et outillage industriels de la société Agrofibre sont valorisés à 4.075.000 € ; que le commissaire aux apports indique que, s'agissant de la conception de la ligne de production, la société Agrofibra SL apporte son savoir-faire pour la conception et la fabrication d'une ligne de défibrage des pailles de chanvre, que la mise en exploitation de cette ligne pendant deux ans a permis d'en améliorer les rendements quantitatifs et qualitatifs afin de répondre aux exigences des clients et que la valorisation de ce savoir-faire, qui peut être rapproché du coût d'un bureau d'engineering pour la réalisation d'un projet de cette nature, représente 5 à 7% des valeurs des machines et installations ; que, s'agissant de la conception de l'organisation de la production, le commissaire aux apports indique que la société Agrofibra SL apporte son savoir-faire pour organiser la production, en particulier au niveau du réglage des machines afin d'obtenir une productivité optimale et correspondant aux normes de la qualité imposée par la clientèle, dont la mise en oeuvre immédiate doit permettre à la société Agrofibre de réaliser une économie de six à douze mois de temps de production qu'il a valorisée en fonction des charges fixes annuelles de la société Agrofibre ; que, par ailleurs, dès le début de son activité en 2007, la société Agrofibre a eu pour clients ceux de la société Agrofibra SL, notamment ceux visés dans le rapport du commissaire aux apports – Cesa, Napro – et [Localité 6] Industrie, Moli de Sera et Celesa dont les opérations de contrôle ont permis à l'administration fiscale de vérifier que ces clients ont représenté au titre de l'exercice clos en 2009 près de 47% du chiffre d'affaires de la société bénéficiaire de l'apport ; que l'un des principaux fournisseurs de matières premières de la société Agrofibra SL, la société Eurochanvre, est également devenue le fournisseur de la société Agrofibre et que la société Agrofibra SL et la société Agrofibre commercialisaient les mêmes produits référencés sous des marques identiques, Cannabox et Cannatech, figurant dans le traité d'apport ; qu'au surplus, la transmission du nom commercial s'est concrétisée par la simple francisation du nom Agrofibra en Agrofibre ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'acte d'apport en nature ainsi que la cession indirecte de matériel de la société Agrofibra SL à la société Agrofibre par l'intermédiaire de la société Vandomelle, la transmission du nom commercial par simple francisation, le transfert des principaux clients de la société espagnole à la société française, la cessation simultanée de l'activité de la société Agrofibra SL dont l'un des principaux fournisseurs est également le fournisseur de la société Agrofibre et la cession des contrats de travail et pacte d'associés, caractérisent un apport de fonds de commerce au sens de l'article 809.I, 3°, du code général des impôts selon lequel les apports faits à une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés par une personne non soumise à cet impôt sont assimilés à des mutations à titre onéreux dans la mesure où ils ont pour objet un immeuble ou des droits immobiliers, un fonds de commerce, une clientèle, un droit à un bail ou à une promesse de bail ; que, compte tenu de la règle de territorialité posée par l'article 209-1 du code général des impôts, une société de capitaux étrangère qui n'exerce aucune activité imposable en France, comme tel est le cas en l'espèce de la société Agrofibra SL, ne peut être regardée comme passible de l'impôt sur les sociétés en France en sorte que les dispositions de l'article 809.I, 3°, précitées s'appliquent aux apports de biens faits par une telle société à une société de capitaux française ; que, dès lors, bien qu'assujettie de droit en Espagne à l'« impuesto sobre sociedades », la société Agrofibra SL ne saurait être regardée comme soumise à l'impôt sur les sociétés en France ; que l'article 6-1 b de la directive n° 2008/7/CE du 12 février 2008 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux prévoit que les Etats conservent la faculté de percevoir des droits de mutation sur les apports de biens immeubles ou de fonds de commerce situés sur leur territoire ; que l'application de ces droits de mutation ne constitue pas une restriction de mouvements de capitaux dès lors que le même dispositif est applicable en France pour des sociétés de droit français non redevables de l'impôt sur les sociétés ; qu'il s'ensuit que le moyen tiré de la contrariété d'une telle taxation au principe de la libre circulation des capitaux doit être écarté ; qu'il en va de même du moyen tiré de la discrimination fondée sur la nationalité de la personne morale dès lors que, si elle avait disposé d'un établissement stable en France, la société de droit espagnol Agrofibra SL aurait été soumise à l'impôt sur les sociétés en France et aurait ainsi échappé à l'imposition au droit proportionnel ; que la société Agrofibra SL exploitait le fonds litigieux en Espagne jusqu'à la cession, en 2008, de l'ensemble de ses moyens d'exploitation – fonds de commerce et matériel de production – à la société Agrofibre dont le siège social est situé à [Localité 4] (Haute-Garonne) qui l'exploite en France depuis cette date ; qu'en outre, l'acte d'augmentation du capital constatant l'apport a bien été enregistré en France, en sorte que l'assise matérielle et juridique du fonds de commerce objet de l'apport est en France ; que la base d'imposition soumise aux droits d'enregistrement d'un montant de 2.800.000 € n'est pas contestée ; que les apports visés à l'article 809.I, 3°, du code général des impôts sont exonérés lorsque l'apporteur s'engage à conserver pendant un délai de trois ans les titres reçus en contrepartie de son apport en application des dispositions des articles 810 bis, alinéa 1, et 810-III du même code ; que l'engagement doit être pris dans l'acte qui est soumis à la formalité ou dans la déclaration prévue à l'article 638 A du code général des impôts ; que, cependant, la société Agrofibre, qui ne conteste pas que les titres remis en contrepartie de l'apport n'ont pas été conservés pendant trois ans ainsi que cela ressort des termes mêmes de sa réclamation contentieuse, ne remplit pas les conditions d'une telle exonération ; qu'en conséquence, l'administration fiscale était fondée à appliquer le droit spécial de mutation prévu à l'article 809.I, 3°, du code général des impôts aux apports effectués par la société espagnole Agrofibra SL à la société française SAS Agrofibre ; que, dès lors, le jugement déféré sera réformé en ce qu'il a invalidé la décision de rejet de la réclamation de la société Agrofibre du 10 décembre 2014 ; que, dans ces conditions, la décision de rejet de la réclamation de la société Agrofibre par la décision du 10 décembre 2014 est fondée en ce que le droit spécial de mutation prévu à l'article 809.I, 3°, du code général des impôts a été appliqué à bon droit et que le jugement déféré sera réformé en ce qu'il l'a invalidée ;

ALORS, EN PREMIER LIEU, QUE les apports faits à une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés par une personne non soumise à cet impôt sont assimilés à des mutations à titre onéreux dans la mesure où ils ont pour objet un immeuble ou des droits immobiliers, un fonds de commerce, une clientèle, un droit à un bail ou à une promesse de bail ; que, pour rejeter la demande de la société Agrofibre, la cour d'appel a relevé que la cession à son profit du fonds de commerce de la société Agrofibra SL retenue par l'administration fiscale pour asseoir les bases de l'imposition était caractérisée ; qu'en statuant ainsi, sans constater qu'avaient été transmises à titre onéreux à la société Agrofibre l'activité et la clientèle propres au cédant, elle n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 719 et 809.I, 3°, du code général des impôts ;

ALORS, EN DEUXIEME LIEU, QU' en tout état de cause, les apports faits à une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés par une personne non soumise à cet impôt sont assimilés à des mutations à titre onéreux dans la mesure où ils ont pour objet un immeuble ou des droits immobiliers, un fonds de commerce, une clientèle, un droit à un bail ou à une promesse de bail ; que, pour rejeter la demande de la société Agrofibre, la cour d'appel a relevé que l'application du droit spécial de mutation aux apports de fonds de commerce situés sur le territoire national faits par les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés dans un autre Etat membre que la République Française ne constituait pas une restriction au principe de libre circulation des capitaux garanti par l'article 65, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dès lors que le même dispositif était applicable en France pour des sociétés de droit français non redevables de cet impôt ; qu'en statuant ainsi, cependant que la situation des personnes morales non passibles de l'impôt sur les sociétés en France et celle des personnes morales passibles de cet impôt dans un autre Etat membre que la République Française n'étaient pas comparables au plan de la charge d'imposition, et alors que l'application du droit spécial de mutation aux apports de fonds de commerce situés sur le territoire national faits par ces dernières avait comme conséquence de diminuer la valeur de leurs apports par rapport à celle des apports faits par des personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés en France, et de dissuader les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés dans un autre Etat membre que la République Française d'effectuer des apports de fonds de commerce situés sur le territoire national au profit des personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés en France, en sorte qu'était caractérisée une restriction au principe de la libre circulation des capitaux et des paiements, elle a violé les articles 63 et 65 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'article 40 de l'Accord sur l'Espace économique européen, ainsi que les articles 719 et 809.I, 3°, du code général des impôts ;

ALORS, EN TROISIEME LIEU, QUE sont interdites les discriminations directes et indirectes du fait de la nationalité, et donc du lieu d'établissement d'une personne morale ; que, pour rejeter la demande de la société Agrofibre, la cour d'appel a retenu que l'application, par l'administration fiscale, du droit spécial de mutation prévu à l'article 809.I, 3°, du code général des impôts aux apports effectués à son profit par la société de droit espagnol Agrofibra SL n'était pas discriminatoire, dès lors que cette société aurait été soumise à l'impôt sur les sociétés en France, et aurait ainsi échappé à l'imposition au droit proportionnel, si elle avait disposé d'un établissement stable en France ; qu'en statuant ainsi, tout en constatant que l'application d'un droit fixe ou proportionnel était conditionné par le lieu d'implantation de la personne morale qui faisait l'apport et qu'un même apport d'un fonds de commerce situé sur le territoire national était taxé plus lourdement lorsque la personne morale qui en était l'auteur était établie dans un autre Etat membre que la République Française, en sorte qu'était caractérisée une discrimination du fait de la nationalité, elle a violé les articles 63 et 65 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'article 40 de l'Accord sur l'Espace économique européen, ainsi que les articles 719 et 809.I, 3°, du code général des impôts ;

ET ALORS, EN DERNIER LIEU, QUE la valeur vénale réelle d'après laquelle le fonds de commerce est estimé pour la liquidation des droits de mutation à titre onéreux est en toute hypothèse constituée par le prix qui pourrait être obtenu par le jeu de l'offre et de la demande dans un marché réel au jour de la mutation ; que, pour rejeter la demande de la société Agrofibre, la cour d'appel a retenu que la base d'imposition soumise aux droits d'enregistrement d'un montant de 2.800.000 € n'était pas contestée ; qu'en se déterminant ainsi, sans procéder, au besoin même d'office, à aucune comparaison tirée de la cession à l'époque de la mutation de fonds de commerce intrinsèquement similaires, elle n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 719 et 809.I, 3°, du code général des impôts.

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