15 décembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-17.628

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C100790

Titres et sommaires

ETRANGER - Mesures d'éloignement - Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire - Prolongation de la rétention - Audition de l'étranger par le juge des libertés et de la détention - Procédure contradictoire de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) - Garantie suffisante

Le droit d'être entendu avant l'adoption de toute mesure individuelle faisant grief relève des droits de la défense figurant au nombre des droits fondamentaux qui font partie intégrante de l'ordre juridique de l'Union européenne. Toutefois, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, ces droits ne sont pas des prérogatives absolues. Au regard des conditions posées par cette jurisprudence, le droit d'être entendu de l'étranger placé en rétention administrative est garanti, en droit interne, par la procédure contradictoire prévue à l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018, qui contraint l'administration à saisir le juge des libertés et de la détention dans les quarante-huit heures de la notification de ce placement et qui permet à l'intéressé de faire valoir, à bref délai, devant le juge judiciaire, tous les éléments pertinents relatifs à ses garanties de représentation et à sa vie personnelle, sans nuire à l'efficacité de la mesure, destinée, dans le respect de l'obligation des États membres de lutter contre l'immigration illégale, à prévenir un risque de soustraction à la mesure d'éloignement

UNION EUROPEENNE - Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - Article 41 - Droit à une bonne administration - Respect des droits de la défense - Audition de l'étranger par le juge des libertés et de la détention - Procédure contradictoire de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) - Garantie suffisante

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 décembre 2021




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 790 FS-B

Pourvoi n° Z 20-17.628

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [K].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 15 mai 2020.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 DÉCEMBRE 2021

M. [X] [K], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 20-17.628 contre l'ordonnance rendue le 18 novembre 2019 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 11), dans le litige l'opposant :

1°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié [Adresse 3],

2°/ au préfet de Paris, domicilié [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de M. [K], et l'avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, MM. Hascher, Vigneau, Mmes Poinseaux, Guihal, M. Fulchiron, Mme Beauvois, conseillers, Mme Gargoullaud, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, Mme Marilly, avocat général référendaire, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 18 novembre 2019), et les pièces de la procédure, M. [K], de nationalité algérienne, en situation irrégulière sur le territoire français, a été placé en rétention administrative le 13 novembre 2019, à 19 heures, à la levée d'une garde à vue prise à son encontre le 12 novembre, à 20 heures 25.

2. Le 15 novembre 2019, le juge des libertés et de la détention a été saisi par le préfet d'une demande de prolongation de la mesure, sur le fondement de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et, par M. [K], d'une contestation de la régularité de son placement en rétention, sur le fondement de l'article L. 512-1, III, du même code.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. M. [K] fait grief à l'ordonnance de rejeter sa requête en contestation du placement en rétention, de rejeter ses moyens de nullité et d'ordonner la prolongation de sa rétention pour une durée de vingt-huit jours, alors « que toute personne a le droit d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; qu'un étranger ne peut être placé en rétention administrative sans avoir au préalable été entendu, et ainsi mis en mesure de présenter ses observations, dès lors que cette mesure restreint sa liberté d'aller et venir ; qu'en retenant le contraire, le premier président de la cour d'appel a violé les articles L. 121-1, L. 211-2 et L. 121-2, 3°, du code des relations entre le public et l'administration, ensemble le principe des droits de la défense et l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

5. En premier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse à ses institutions, organes et organismes et non aux Etats membres (CJUE, arrêt du 5 novembre 2014, S. Mukarubega/préfet de police et préfet de la Seine-Saint-Denis, C-166/13, point 44).

6. En deuxième lieu, si le droit d'être entendu avant l'adoption de toute mesure individuelle faisant grief relève des droits de la défense figurant au nombre des droits fondamentaux qui font partie intégrante de l'ordre juridique de l'Union européenne, il ressort également de la jurisprudence de ladite Cour que ces droits fondamentaux n'apparaissent pas comme des prérogatives absolues mais peuvent comporter des restrictions, à la condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général poursuivis par la mesure en cause et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (CJUE, arrêt du 10 septembre 2013, M. G et N. R/ Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, C-383/13, point 33 ; CJUE, arrêt du 5 novembre 2014, précité, point 53).

7. En troisième lieu, il résulte de l'arrêt précité du 10 septembre 2013 (points 31 et 35) que, dès lors que la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ne comporte pas de disposition précisant dans quelles conditions doit être assuré le respect du droit de l'étranger d'être entendu sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, celles-ci relèvent du droit national pour autant que les mesures arrêtées en ce sens sont du même ordre que celles dont bénéficient les particuliers dans des situations de droit national comparables (principe de l'équivalence) et qu'elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité).

8. En quatrième lieu, selon l'article L. 121-2, 3°, du code des relations entre le public et l'administration, l'article L. 121-1 du même code, qui soumet au respect d'une procédure contradictoire préalable les décisions individuelles restreignant l'exercice des libertés publiques ou constituant une mesure de police, n'est pas applicable à celles de ces décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière.

9. Or, il ressort du CESEDA que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure auxquelles sont soumises les décisions de placement en rétention notifiées par l'administration à l'étranger, en prévoyant, en particulier, à l'article L. 552-1, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018, une procédure contradictoire qui contraint l'administration à saisir le juge des libertés et de la détention dans les quarante-huit heures de la notification de ce placement, de sorte que l'article L. 121-1 susvisé ne peut être utilement invoqué à l'encontre d'une telle décision.

10. En droit interne, le droit d'être entendu est donc garanti par cette procédure contradictoire permettant à l'intéressé de faire valoir, à bref délai, devant le juge judiciaire, tous les éléments pertinents relatifs à ses garanties de représentation et à sa vie personnelle, sans nuire à l'efficacité de la mesure, destinée, dans le respect de l'obligation des États membres de lutter contre l'immigration illégale (CJUE, arrêt du 5 novembre 2014, précité, point 71), à prévenir un risque de soustraction à la mesure d'éloignement.

11. Ayant énoncé à bon droit que ni les garanties procédurales du chapitre III de la directive 2008/115/CE ni les articles L. 121-1, L. 211-2 et L. 121-2, 3°, du code des relations entre le public et l'administration ne s'appliquent à la décision de placement en rétention, le premier président a exactement retenu que le moyen tiré du défaut d'audition préalable à la décision de placement en rétention devait être rejeté.

12. Le moyen n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Ohl et Vexliard, avocat aux Conseils, pour M. [K]

M. [K] fait grief à l'ordonnance infirmative attaquée d'avoir rejeté sa requête en contestation du placement en rétention, rejeté ses moyens de nullité et ordonné la prolongation de sa rétention pour une durée de 28 jours,

1°/ Alors, d'une part, que la garde à vue s'effectue sous le contrôle du procureur de la République, qui apprécie si le maintien de la personne en garde à vue est nécessaire à l'enquête ; que l'avis de classement sans suite, par le ministère public, de la procédure ayant donné lieu au placement de l'intéressé en garde à vue rend sans objet tout acte d'enquête complémentaire et prive dès lors de fondement légal la mesure de garde à vue ; qu'en retenant l'absence d'irrégularité de la durée de la garde à vue de M. [K], maintenue jusqu'au 13 novembre à 19h en dépit de l'avis de classement sans suite du 13 novembre à 17h03, au motif inopérant que la garde à vue n'avait pas excédé la durée légale de 24 h et que le procureur de la République n'avait pas immédiatement ordonné la mainlevée de la mesure, sans rechercher comme il y était invité si à défaut de nécessité pour l'enquête pénale, le maintien en garde à vue de M. [K] n'avait pas eu lieu à des fins purement administratives dès lors que la levée de sa garde avait eu lieu à l'heure précise de la notification de son placement en rétention administrative, le premier président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 62-2 et 62-3 du code de procédure pénale ;

2°/ Alors, d'autre part, que toute personne a le droit d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; qu'un étranger ne peut être placé en rétention administrative sans avoir au préalable été entendu, et ainsi mis en mesure de présenter ses observations, dès lors que cette mesure restreint sa liberté d'aller et venir ; qu'en retenant le contraire, le premier président de la cour d'appel a violé les articles L. 121-1, L. 211-2 et L 121-2, 3° du code des relations entre le public et l'administration, ensemble le principe des droits de la défense et l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

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