15 décembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-83.161

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:CR01543

Texte de la décision

N° B 21-83.161 F-D
C 21-83.162

N° 01543


ECF
15 DÉCEMBRE 2021


CASSATION


M. SOULARD président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 DÉCEMBRE 2021



M. [E] [D] [Y] et M. [C] [F] ont formé des pourvois contre les arrêts n° 6 et n° 7 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 6 mai 2021, qui, dans l'information suivie contre eux du chef de corruption active, a confirmé les ordonnances de rejet de leurs demandes aux fins de constatation d'incompétence et de prescription de l'action publique.

Par ordonnances n°10 553 et 10 554 en date du 2 août 2021, le président de la chambre criminelle a, dans chacun des deux dossiers, joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.

Des mémoires ont été produits.

Sur le rapport de M. Wyon, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de M. [C] [F] et de M. [E] [D] [Y], et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Wyon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte des arrêts attaqués et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. MM. [E] [D] [Y] et [C] [F] ont été mis en cause dans le cadre d'une information judiciaire concernant M. [V] [X], président de l'association internationale des fédérations d'athlétisme (IAAF) et membre du comité international olympique (CIO), ainsi que son fils M. [T] [R] [X]. Ces derniers sont soupçonnés d'être à l'origine d'un système de corruption destiné à permettre aux villes candidates à d'importantes compétitions sportives (Jeux Olympiques, championnats du monde d'athlétisme) d'obtenir contre rémunération le soutien et le vote de M. [V] [X], président de l'IAAF et membre du CIO, ainsi que de membres appartenant à ces instances, sous couvert de prestations fictives de consultance.

3. M. [D] [Y], président de [6] ([4]), fonds souverain du Qatar, est soupçonné d'avoir fait verser près de 3 500 000 dollars par la société [4] ([4]), dont il avait le contrôle et la direction de fait, sur le compte d'une société contrôlée par M. [T] [L], la société [5], située à [Localité 1] (Sénégal), en échange du soutien de M. [V] [X] pour l'attribution au Qatar de compétitions sportives internationales, notamment les championnats du monde d'athlétisme de 2017 et les Jeux Olympiques (JO) de 2020.

4. M. [F] est soupçonné d'avoir été, en sa qualité de directeur commercial d'Al Jazeera, l'un des négociateurs de ce contrat entre la société [4] et la société [5].

5. Les juges d'instruction estimant que la contrepartie de ce contrat ne pouvait être que la délivrance par M. [V] [X] d'un accord pour le report de dates s'agissant de l'organisation des championnats du monde d'athlétisme de 2017 et des JO de 2020, et afin d'obtenir des votes favorables de membres de l'IAAF, dont celui de son président M. [V] [X], MM. [D] [Y] et [F] ont été tous deux mis en examen du chef de corruption active.

6. Ces derniers ont saisi les magistrats instructeurs d'une requête tendant, d'une part, à contester la compétence des juridictions françaises, faute de faits commis sur le territoire français ou par un ressortissant français, d'autre part, à voir constater la prescription de l'action publique, les faits reprochés datant de 2011 et le premier acte de poursuite n'étant intervenu qu'en 2018.

7. Par ordonnance du 13 février 2020, les juges d'instruction ont rejeté les demandes des mis en examen, qui ont relevé appel de ces décisions.

Jonction des pourvois

8. Pour une bonne administration de la justice, il convient de joindre les pourvois n° B 21-83.161 et C 21-83.162.

Examen des moyens

Sur le premier moyen proposé pour M. [D] [Y], et le premier moyen proposé pour M. [F]

Énoncé des moyens

9. Le premier moyen proposé pour M. [D] [Y] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence territoriale de la juridiction française pour connaître des faits qui lui sont reprochés, alors « que lorsque l'infraction est commise à l'étranger par un étranger au préjudice de victimes étrangères, la loi pénale française est applicable dans le seul cas où il existe un lien d'indivisibilité entre cette infraction et une autre commise sur le territoire de la République, les faits n'étant indivisibles que lorsqu'ils sont rattachés entre eux par un lien tel que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des autres ; que le lien de connexité existant entre plusieurs infractions ne peut avoir pour effet de rendre la loi pénale française applicable à celles commises à l'étranger par une personne de nationalité étrangère sur une victime étrangère ; qu'en déduisant la compétence des juridictions françaises pour connaître des faits reprochés à M. [D] [Y] à l'occasion de l'organisation des championnats du monde d'athlétisme de 2017 et des JO de 2020 du seul lien de connexité avec d'autres infractions commises par d'autres personnes à l'occasion d'autres compétitions sportives antérieures, sans constater que les infractions reprochées présentaient entre elles un lien d'indivisibilité tel que les unes ne pouvaient se comprendre sans l'existence des autres, la chambre de l'instruction a violé les articles 113-2 et 689 du code de procédure pénale. »

10. Le premier moyen proposé pour M. [F] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à voir constater l'incompétence territoriale des juridictions françaises pour connaître des faits pour lesquels il a été mis en examen, alors :

« 1°/ que lorsqu'une infraction est commise à l'étranger par un étranger, le juge pénal français est compétent dans le seul cas où il existe un lien d'indivisibilité entre cette infraction et une autre commise sur le territoire national ; qu'en retenant que « la loi pénale française est applicable aux infractions connexes commises en tout ou partie à l'étranger dès lors que ces infractions se trouvent dans un lien de connexité tel qu'il existe entre les diverses infractions des rapports étroits analogues à ceux que la loi a spécialement prévus », la chambre de l'instruction a violé l'article 113-2 du code pénal ;

2°/ que l'indivisibilité entre différents faits, qui permet de proroger la compétence du juge pénal français, suppose que ces faits soient rattachés entre eux par un lien tel que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des autres ; qu'en relevant, pour retenir la compétence du juge pénal français, que les faits instruits « impliqua(ient) tous [T] [R] [X] et [V] [X] en vue de favoriser l'attribution de l'organisation d'événements sportifs de portée mondiale », cependant que cette seule implication commune de la famille [X] ne suffisait pas à caractériser un lien entre les faits poursuivis tel qu'ils ne se comprendraient pas les uns sans les autres, la chambre de l'instruction a violé l'article 113-2 du code pénal ;

3°/ que l'indivisibilité entre différents faits, qui permet de proroger la compétence du juge pénal français, suppose que ces faits soient rattachés entre eux par un lien tel que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des autres ; qu'en relevant, pour retenir la compétence du juge pénal français, que les faits imputés à l'exposant résultaient de « l'échec de la candidature de Doha au JO 2016 » et se trouvaient « dans le prolongement de ceux menés pour obtenir l'organisation des JO 2016 », cependant que cette seule chronologie ne suffisait pas à caractériser un lien entre les faits poursuivis tel qu'ils ne se comprendraient pas les uns sans les autres, la chambre de l'instruction a violé l'article 113-2 du code pénal. »

Réponse de la Cour

11. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 113-2 du code pénal :

12. Il résulte de ce texte que la loi pénale française est applicable à une infraction commise par une personne de nationalité étrangère à l'encontre d'une victime de nationalité étrangère lorsque cette infraction ou l'un de ses faits constitutifs est commis sur le territoire de la République. Il en est de même lorsque l'infraction est commise à l'étranger, dans le seul cas où il existe un lien d'indivisibilité entre cette infraction et une autre commise sur le territoire de la République, les faits étant indivisibles lorsqu'ils sont rattachés entre eux par un lien tel que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des autres.

13. Il ressort des arrêts attaqués que M. [D] [Y] et M. [F] ne sont pas de nationalité française, de même que MM. [V] [X] et [T] [R] [X], les faits reprochés auraient été commis au Qatar, au Sénégal ou à Monaco, les sociétés qui auraient été utilisées pour verser ou recevoir des fonds ont leur siège au Qatar ou au Sénégal, de même que la banque qui a reçu les fonds. Quant aux victimes présumées, elles ont leur siège à Monaco (IAAF) et à Lausanne (CIO).

14. Pour rejeter l'exception d'incompétence de la juridiction d'instruction française, les arrêts attaqués énoncent que la loi pénale française est applicable aux infractions connexes commises en tout ou partie à l'étranger dès lors que ces infractions se trouvent dans un lien de connexité tel qu'il existe entre les diverses infractions des rapports étroits analogues à ceux que la loi a spécialement prévus.

15. Les juges retiennent que les faits de corruption active reprochés à MM. [D] [Y] et [F] présentent un lien de connexité avec ceux de corruption active, visés par le réquisitoire supplétif du 2 février 2016 et dont l'un des éléments constitutifs, à savoir la conclusion du pacte de corruption ou les négociations en vue de sa conclusion, a été commis sur le territoire français, en l'occurrence à l'hôtel [2] à [Localité 3] à l'occasion d'une rencontre entre un haut dignitaire du Qatar et M. [V] [X], car c'est en effet l'échec, en juin 2008, de la candidature de Doha aux JO de 2016 qui a conduit des dignitaires qataris à accepter de verser des sommes d'argent à M. [T] [R] [X] aux fins d'obtenir des dérogations pour organiser les championnats du monde d'athlétisme de 2019 et les JO de 2020.

16. La chambre de l'instruction ajoute que les faits reprochés à MM. [D] [Y] et [F] présentent ainsi également un lien de connexité avec ces autres faits de corruption active et passive impliquant tous MM. [T] [R] [X] et [V] [X] en vue de favoriser l'attribution de l'organisation d'événements sportifs de portée mondiale (championnats du monde d'athlétisme et JO), et que par arrêt du 21 mars 2019, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a relevé que l'un des éléments constitutifs du délit de corruption passive impliquant MM. [T] [R] [X] et [I] [O] avait été commis en France, en l'occurrence un virement de 2 000 000 dollars sur un compte ouvert par M. [T] [R] [X] en France.

17. En se déterminant ainsi, alors que le seul lien de connexité existant entre plusieurs infractions ne peut avoir pour effet de rendre la loi pénale française applicable à celles commises à l'étranger par une personne de nationalité étrangère sur une victime étrangère, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

18. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les seconds moyens de cassation proposés pour M. [D] [Y] et pour M. [F], la Cour :

ORDONNE LA JONCTION des pourvois n° B 21-83.161 et n° C 21-83.162 ;

CASSE et ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts susvisés n° 6 et 7 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 6 mai 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite des arrêts annulés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze décembre deux mille vingt et un.

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