8 décembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-14.700

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:SO01406

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 décembre 2021




Cassation partielle


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1406 F-D

Pourvoi n° S 20-14.700




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 DÉCEMBRE 2021

M. [Y] [F], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 20-14.700 contre l'arrêt rendu le 23 janvier 2020 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant à la société Lafargeholcim granulats France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement Lafarge Granulats France, défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [F], de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Lafargeholcim granulats France, après débats en l'audience publique du 20 octobre 2021 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 23 janvier 2020), M. [F] a été engagé le 7 janvier 2008, avec une reprise d'ancienneté au 1er novembre 2007, par la société Lafarge granulats France, devenue Lafargeholcim granulats France (la société), en qualité de conducteur d'engins, au sein de l'établissement de Flins (78), statut ouvrier, coefficient 170, classification OQ2, en application de la convention collective nationale relative aux conditions de travail des ouvriers des industries de carrières et de matériaux du 22 avril 1955. Suivant avenant au contrat de travail du 28 janvier 2011, le salarié a été affecté en qualité de conducteur d'engins, statut ouvrier, niveau III, échelon 2, au sein de l'établissement de [Localité 3] (27). Le 26 novembre 2013, il a été désigné délégué syndical et représentant syndical au comité d'entreprise.

2. Le 1er décembre 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire et de dommages-intérêts en invoquant une atteinte au principe d'égalité de traitement et une discrimination syndicale.

Examen des moyens

Sur le second moyen ci-après annexé


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts à titre de discrimination syndicale, alors :

« 1°/ que si le salarié doit apporter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, l'employeur doit prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination syndicale ; qu'en écartant toute discrimination aux motifs inopérants que l'évolution linéaire du salaire de l'intéressé depuis son embauche exclut tout lien avec son mandat de représentation quand elle a constaté que l'employeur ne justifie pas l'inégalité de traitement salariale par des motifs objectifs, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;

2°/ que si le salarié doit apporter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, l'employeur doit prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination syndicale ; que la cour d'appel a constaté qu'il est établi que l'exposant n'a pas bénéficié d'entretiens annuels d'évaluation ; qu'en écartant toute discrimination aux motifs inopérants qu'il ressort des comptes-rendus de réunion du comité d'établissement qu'aucun salarié ne bénéficie d'un entretien annuel, seulement un quart d'entre eux étant vu par année, sans rechercher si l'employeur justifiait par une raison objective étrangère à toute discrimination que l'exposant, qui avait une ancienneté de plus de huit années, n'a jamais bénéficié d'un entretien, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1132-1 et L. 2141-5, dans leur rédaction applicable en la cause, et L. 1134-1 du code du travail :

5. En application du dernier des textes susvisés, lorsque le salarié présente plusieurs éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

6. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts à titre de discrimination syndicale, après avoir retenu que l'inégalité de traitement subie par le salarié, en réparation de laquelle il s'est vu allouer un rappel de salaire pour la période de mars 2011 à février 2016, l'évolution de son salaire proportionnellement plus importante entre janvier 2008 et janvier 2013 qu'entre janvier 2013 et décembre 2015 et le défaut d'entretiens annuels d'évaluation, notamment, constituent des éléments laissant présumer l'existence d'une discrimination, l'arrêt énonce en premier lieu qu'une des augmentations importantes de salaire du salarié antérieurement à sa désignation en qualité de délégué syndical, soit 170 euros, s'explique par une modification de son lieu de travail en janvier 2011, qu'ainsi l'employeur justifie d'une raison objective expliquant cette croissance de salaire plus rapide antérieurement à 2013 et, qu'au surplus, s'il a été retenu précédemment que l'employeur n'a pas rapporté la preuve que l'inégalité de traitement était justifiée par des éléments objectifs, l'évolution linéaire du salaire de l'intéressé depuis son embauche permet néanmoins d'exclure tout lien avec son mandat de représentation. L'arrêt retient en second lieu qu'aucun salarié ne bénéficie d'un entretien annuel au sein de la société, seulement un quart d'entre eux étant vus par année en entretien, et qu'aucune différence de traitement ne peut être retenue en raison du mandat de représentation du salarié dès lors qu'il n'a jamais bénéficié d'entretien durant toute sa carrière dans la société.

7. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'existence d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination syndicale justifiant, d'une part l'inégalité salariale qu'elle avait retenue au titre de l'atteinte au principe d'égalité de traitement, d'autre part le fait que le salarié n'avait bénéficié d'aucun entretien individuel d'évaluation depuis son embauche, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du premier moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [F] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la discrimination syndicale, l'arrêt rendu le 23 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;

Condamne la société Lafargeholcim granulats France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lafargeholcim granulats France et la condamne à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [F]


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement qui a dit qu'aucune discrimination syndicale n'est établie à l'égard du salarié et débouté celui-ci de sa demande de dommages et intérêts.

AUX MOTIFS propres QUE M. [F], désigné délégué syndical le 26 novembre 2013, soutient être victime de discrimination syndicale en invoquant l'inégalité de traitement, le non-paiement des heures de pause, l'absence d'entretien annuel obligatoire et d'évolution salariale, la tardiveté du remboursement de ses frais et enfin les pressions subies afin qu'il accepte une modification de son contrat de travail défavorable au regard des avantages octroyés à d'autres salariés ; que comme vu précédemment, aucun manquement quant au non-paiement de ses heures de pause n'a été retenu et il n'apporte aucune pièce quant à la tardiveté du remboursement de ses frais ou la nécessité de les réclamer systématiquement ; qu'au contraire, il est établi qu'il a subi une inégalité de traitement et il n'est pas contesté qu'il n'a pas bénéficié d'entretiens annuels d'évaluation, sachant qu'il justifie que l'évolution de son salaire a été proportionnellement plus importante entre janvier 2008 et janvier 2013, à savoir 240 euros, qu'entre janvier 2013 et décembre 2015, à savoir 60 euros ; qu'enfin, s'il ne ressort d'aucune pièce que M. [F] aurait subi des pressions pour la signature de la modification de son contrat de travail, celui-ci se contentant de produire un mail qu'il a lui-même rédigé à l'attention de son syndicat et le courrier que ce dernier a en conséquence envoyé à la société Lafarge en reprenant ses propos sans avoir assisté à aucun des entretiens, il est cependant établi, par la production de l'avenant non signé, qu'il lui a été proposé la modification de son contrat de travail en juillet 2015 afin de devenir polyvalent multi-sites sans qu'il ne soit prévu l'attribution d'un véhicule de service alors qu'il ressortait d'un compte-rendu de réunion du comité d'établissement du 26 mars 2015 qu'un tel véhicule pouvait être attribué pour ces salariés ; que face aux éléments établis par M. [F], qui, pris dans leur ensemble, peuvent laisser supposer l'existence d'une discrimination syndicale, il appartient à la société Lafarge de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'en ce qui concerne l'évolution de salaire, outre que M. [F] ne produit pas ses bulletins de salaire entre janvier 2016 et septembre 2017, ce qui ne permet pas de déterminer les augmentations ayant eu lieu sur cette période, il apparaît en tout état de cause qu'une des augmentations importante de salaire de M. [F] antérieurement à sa désignation en qualité de délégué syndical, soit 170 euros, s'explique par une modification de son lieu de travail en janvier 2011 ; qu'ainsi l'employeur justifie d'une raison objective expliquant cette croissance de salaire plus rapide antérieurement à 2013, étant au surplus relevé que l'évolution de salaire de M. [F] depuis décembre 2015 est sensible puisque son salaire a évolué de 1 847,09 euros à 2 029 euros en septembre 2019 ; que dès lors, et si, comme indiqué précédemment, la société Lafarge ne rapporte pas la preuve que l'inégalité de traitement serait justifiée par des éléments objectifs, l'évolution linéaire du salaire de M. [F] depuis son embauche permet néanmoins d'exclure tout lien avec son mandat de représentation ; qu'à cet égard, il ressort des comptes-rendus de réunion du comité d'établissement qu'aucun salarié ne bénéficie d'un entretien annuel au sein de la société Lafarge, seulement un quart d'entre eux étant vus par année et il résulte des conclusions même de M. [F] qu'aucune différence de traitement ne peut être retenue en raison de son mandat de représentation dès lors qu'il n'a jamais eu d'entretien durant toute sa carrière dans la société Lafarge ; qu'en ce qui concerne la modification de son contrat de travail, force est de constater que le compte-rendu de réunion du comité d'établissement aux termes duquel il est indiqué qu'un véhicule de service peut être attribué lorsque le salarié est multi-site date du 26 mars 2015 alors qu'il résulte de l'avenant proposé à M. [F] qu'au moment de cette proposition, un accord-cadre relatif à la gestion en faveur de la promotion de l'emploi et de la mobilité avait été signé en juin 2015 et qu'il était en conséquence prévu l'application de cet accord pour le dédommagement lié à la mobilité ; qu'aussi, il s'agit de l'application d'un accord collectif et il ne peut donc être soutenu par M. [F] que la modification proposée serait discriminatoire ; qu'au vu de ces éléments objectifs apportés par l'employeur, il convient de dire que M. [F] n'a pas été victime de discrimination syndicale et de le débouter de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

AUX MOTIFS adoptés QUE Monsieur [F] est titulaire d'un mandat de délégué syndical ainsi que de représentant syndical depuis le mois de novembre 2013 ; qu'il indique qu'il soupçonne d'être victime d'une discrimination syndicale s'agissant de l'évolution de son salaire ; que s'il ressort des moyens précédents qu'est établie une inégalité de traitement s'agissant de la rémunération entre Monsieur [F] et des salariés ayant une qualification, une compétence et une ancienneté équivalentes, pour autant Monsieur [F] ne fait état d'aucun élément de fait probant permettant d'établir l'existence d'une discrimination mise en oeuvre par la société Lafarge Granulats France du fait des mandats syndicaux qu'il exerce ; qu'en effet, il n'existe pas de concordance entre l'évolution de la rémunération de Monsieur [F], qui a progressé annuellement depuis 2011 par le biais des négociations annuelles obligatoires et l'exercice de mandats syndicaux à compter de 2013 ; que de plus, la société Lafarge Granulats France justifie que l'absence d'entretien annuel d'évaluation ne concerne pas uniquement Monsieur [F], seul un quart de l'effectif Etam-Ouvrier de la société en ayant bénéficié entre 2014 et 2015.

1° ALORS QUE si le salarié doit apporter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, l'employeur doit prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination syndicale ; qu'en écartant toute discrimination aux motifs inopérants que l'évolution linéaire du salaire de l'intéressé depuis son embauche exclut tout lien avec son mandat de représentation quand elle a constaté que l'employeur ne justifie pas l'inégalité de traitement salariale par des motifs objectifs, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail.

2° ALORS QUE si le salarié doit apporter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, l'employeur doit prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination syndicale ; que la cour d'appel a constaté qu'il est établi que l'exposant n'a pas bénéficié d'entretiens annuels d'évaluation ; qu'en écartant toute discrimination aux motifs inopérant qu'il ressort des comptes-rendus de réunion du comité d'établissement qu'aucun salarié ne bénéficie d'un entretien annuel, seulement un quart d'entre eux étant vu par année, sans rechercher si l'employeur justifiait par une raison objective étrangère à toute discrimination que l'exposant, qui avait une ancienneté de plus de huit années, n'a jamais bénéficié d'un entretien, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail.

3° ALORS QUE l'employeur doit prouver que sa décision repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'en écartant toute discrimination aux motifs inopérants qu'il s'agit de l'application d'un accord collectif et qu'il ne peut donc être soutenu par le salarié que la modification de son contrat de travail serait discriminatoire sans rechercher si le refus d'attribuer au salarié un véhicule de service pour le poste de conducteur multi-sites qui lui était proposé était justifié par une raison étrangère à toute discrimination quand les autres salariés conducteurs multi-sites bénéficiaient d'un tel avantage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du Code du travail.


SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement sur l'octroi de rappel de salaire pour heures de pauses et d'AVOIR débouté le salarié de sa demande à ce titre.

AUX MOTIFS QUE si, sans contester la réalité de cette pause, M. [F] en sollicite le paiement en faisant valoir qu'elle est rémunérée pour d'autres salariés, force est de constater qu'il n'apporte aucun élément à l'appui de cette assertion, laquelle n'est nullement corroborée par le tableau produit par la société Lafarge qui ne fait que reprendre les horaires de travail du site en précisant les heures de pause .

ALORS QUE le temps de pause pendant lequel le salarié doit rester à la disposition de l'employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles est un temps de travail effectif qui doit être rémunéré comme tel ; qu'en statuant par des motifs inopérants selon lesquels le salarié n'apportait aucun élément à l'appui de son assertion selon laquelle la pause non contestée était rémunérée pour d'autres salariés, sans rechercher si, durant la pause dont bénéficiait l'intéressé, il devait rester à la disposition de l'employeur et ne pouvait vaquer librement à des occupations personnelles de sorte que la pause devait être rémunérée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3121-2 du code du travail.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.