8 décembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-16.152

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C300871

Titres et sommaires

CESSION DE CREANCE - Cession de créance professionnelle - Cessionnaire - Débiteur cédé - Notification - Nécessité - Défaut - Cas

Il résulte de la combinaison des articles L. 313-28 et R. 313-17 du code monétaire et financier que le second de ces textes, qui désigne l'autorité à laquelle la notification doit être faite lorsque la créance est cédée ou nantie au titre d'un marché public, n'est applicable qu'aux cessions de créance détenues sur des personnes morales de droit public. Une cour d'appel, qui relève que le débiteur cédé, contre lequel est dirigée l'action en paiement, est l'entreprise principale, peu important que celle-ci ait été titulaire d'un marché de travaux publics, en déduit exactement que la cessionnaire n'avait pas à notifier la cession de créance entre les mains du comptable assignataire, le maître de l'ouvrage public n'étant ni débiteur cédé ni défendeur à l'action en paiement

Texte de la décision

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 décembre 2021




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 871 FS-B

Pourvoi n° V 20-16.152




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2021

La société Eiffage énergie, systèmes, transport & distribution, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° V 20-16.152 contre l'arrêt rendu le 10 décembre 2019 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Eiffage énergie, systèmes, transport & distribution, de Me Balat, avocat de la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2021 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mme Farrenq-Nési, M. Jacques, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 10 décembre 2019), la société Eiffage énergie systèmes transport et distribution (la société Eiffage), titulaire d'un marché de travaux publics, a confié la réalisation de certains travaux à un sous-traitant.

2. Le 26 avri 2016, le sous-traitant a établi une facture au nom de la société Eiffage d'un montant de 61 556 euros, laquelle a été réglée le 30 juin 2016 par paiement direct du maître de l'ouvrage sur un compte à créditer ouvert dans les livres de la société Oséo, devenue Bpifrance financement, conformément à la mention apposée sur cette facture par son émetteur.

3. Selon acte de cession du 6 mai 2016, le sous-traitant a cédé cette créance à la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin (la Caisse d'épargne), laquelle a notifié cette cession à la société Eiffage le 10 mai 2016.

4. Ne parvenant pas à obtenir le règlement de sa créance, la Caisse d'épargne a assigné en paiement la société Eiffage.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société Eiffage fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la Caisse d'épargne le montant de la créance, alors :

« 1°/ que la notification de la cession de la créance d'un sous-traitant contre l'entrepreneur titulaire du marché doit être faite entre les mains du comptable public assignataire dès lors que le sous-traitant bénéficie d'un droit au paiement direct contre le maître de l'ouvrage, transmis de plein droit avec la créance ; qu'en retenant, pour juger que la société Eiffage ne pouvait opposer à la Caisse d'Epargne le paiement réalisé par le maître de l'ouvrage entre les mains d'Oséo, que la créance de la société TBCO, sous-traitante, contre la société Eiffage, entrepreneur titulaire du marché, était née entre deux sociétés de droit privé, de sorte que la cession de créance dont se prévalait la Caisse d'Epargne n'était pas soumise aux dispositions applicables aux cessions de créance « au titre d'un marché public », quand la société TBCO, cédante, était titulaire d'un droit au paiement direct contre le maître de l'ouvrage, la cour d'appel a violé l'article R. 313-17 du code monétaire et financier, ensemble l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ;

2°/ que le paiement direct du sous-traitant du titulaire d'un marché public, ou de ses ayants-droits, par le maître de l'ouvrage, est libératoire même s'il est réalisé postérieurement à la cession par le sous-traitant de sa créance contre l'entrepreneur et à la notification de cette cession à ce dernier ; qu'en retenant que la société Eiffage ne pouvait opposer à la Caisse d'Épargne le paiement réalisé par la maître de l'ouvrage entre les mains d'Oséo, quand ce paiement était intervenu dans le cadre d'une procédure de paiement direct, et ne constituait donc pas un paiement interdit après la notification à l'entrepreneur en application de l'article L. 313-28 du code monétaire et financier, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 313-28 du code monétaire et financier, dans sa rédaction alors applicable, l'établissement de crédit ou la société de financement cessionnaire d'une créance par remise de bordereau, peut, à tout moment, interdire au débiteur de la créance cédée de payer entre les mains du signataire du bordereau. A compter de cette notification, le débiteur ne se libère valablement qu'auprès du cessionnaire.

7. Aux termes de l'article R. 313-17 du même code, lorsque la créance est cédée ou nantie au titre d'un marché public, la notification doit être faite entre les mains du comptable assignataire désigné dans les documents contractuels.

8. Il résulte de la combinaison de ces textes que le second, qui désigne l'autorité à laquelle la notification doit être faite lorsque la créance est cédée ou nantie au titre d'un marché public, n'est applicable qu'aux cessions de créance détenues sur des personnes morales de droit public.

9. La cour d'appel, qui a relevé que la créance cédée à la Caisse d'épargne correspondait à une facture du sous-traitant établie au nom de la société Eiffage, ayant ainsi fait ressortir que le débiteur cédé, contre lequel était dirigée l'action en paiement, était l'entreprise principale, peu important que celle-ci ait été titulaire d'un marché de travaux publics, en a exactement déduit que la cessionnaire n'avait pas à notifier la cession de créance entre les mains du comptable assignataire, le maître de l'ouvrage public n'étant ni débiteur cédé ni défendeur à l'action en paiement.

10. Ayant souverainement retenu que la société Eiffage, qui soutenait seulement que la cession de créance au bénéfice de la société Oséo était antérieure à celle dont bénéficiait la Caisse d'épargne, ne le démontrait pas, la cour d'appel, qui a fait application de la règle d'antériorité entre cessions de créances en concours, a pu en déduire que le paiement de la créance du sous-traitant à la société Oséo n'était pas libératoire, peu important que ce dernier ait été le fait du maître de l'ouvrage au titre du paiement direct des sous-traitants.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Eiffage énergie systèmes transport et distribution aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Eiffage énergie, systèmes, transport & distribution

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la société Eiffage Energie Systèmes Transport et Distribution à payer à la Caisse d'épargne la somme de 61 556 euros avec intérêt au taux légal à compter de l'assignation du 22 mai 2017 ;

AUX MOTIFS QU'il ressort des pièces versées aux débats que : - la société TBCO était le sous-traitant de la société Eiffage aux termes d'un contrat signé le 23 février 2016 pour des travaux effectués sur le chantier dénommé Poste Chesnoy (situé à [Adresse 3]) et bénéficiait d'un paiement direct du maître d'ouvrage, la SA RTE EDF transport, en application de l'article 6 du contrat et de la loi 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, celui-ci l'ayant agréée selon acte spécial du 17 février 2017 ; - le 26 avril 2016, la société TBCO a établi au nom de la société Eiffage une facture référencée 16AVR32 d'un montant de 61 556 euros ; - la société TBCO a cédé cette créance le 6 mai 2016 à la Caisse d'épargne selon acte de cession signé par la société et la banque et mentionnant expressément cette facture, sa référence et sa date d'échéance ; cet acte a été établi sur un imprimé de la Caisse d'épargne dénommé "acte de cession de créances professionnelles résultant d'un marché public articles L.313-23 à L.313-34 du code monétaire et financier" ; - par lettre recommandée datée du 6 mai 2016 et dont l'avis de réception a été signé le 8 ou le 10 mai 2016, la date n'étant pas davantage lisible, la Caisse d'épargne a informé la société Eiffage, débitrice de la facture, de la cession de créance et lui a demandé de s'engager à la payer directement en lui retournant, au plus tard sous huitaine, l'acte d'acception de cession de créance dûment complété et signé ; par le même courrier elle lui a demandé de l'aviser le cas échéant, dans les plus brefs délais, de son refus de souscrire cet engagement et de lui expliquer les motifs en lui rappelant que la présente lettre valait notification de cession créance et qu'il lui était demandé, conformément aux dispositions de l'article L.313-28 du code monétaire et financier, de cesser à compter de cette notification tout paiement à la société TBCO ; la société Eiffage n'a apporté aucune réponse à ce courrier ; - la société TBCO a également apposé, sur la même facture établie au nom d'Eiffage que celle invoquée par la Caisse d'épargne, la mention dactylographiée suivante "Merci d'effectuer votre règlement à Oséo", les références de la banque et du compte à créditer étant également mentionnées ; - la société RTE a réglé cette facture à Oséo devenue Bpifrance financement, par chèque du 30 juin 2016 ; que s'il n'est pas discuté par la Caisse d'épargne que la société Eiffage était titulaire d'un marché public à l'égard de la société RTE, l'appelante observe cependant justement que la créance qui lui a été cédée est née entre deux sociétés privées, la société TBCO et la société Eiffage conformément au contrat de sous-traitance conclu entre elles ; le paiement direct de la société sous-traitante par la société RTE qui l'a agréée et qui est titulaire du marché public n'est qu'une modalité de paiement de cette créance qui reste une créance de droit privé, aucune conséquence juridique ne pouvant être tirée du fait que l'acte de cession a été régularisé, par erreur, sur un imprimé relatif à une créance résultant d'un marché public ; que par conséquent, la Caisse d'épargne n'avait ni à notifier la cession de créance entre les mains du comptable assignataire conformément aux dispositions de l'article R.313-17 du code monétaire et financier, ni à accompagner cette notification de l'exemplaire unique du marché ; que la cession de créance ne peut donc, pour ce motif, être jugée inopposable à la société Eiffage ; que conformément aux dispositions de l'article L313-27 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable lors de la cession de créance litigieuse, "la cession ou le nantissement prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau lors de sa remise, quelle que soit la date de naissance, d'échéance ou d'exigibilité des créances, sans qu'il soit besoin d'autre formalité, et ce quelle que soit la loi applicable aux créances et la loi du pays de résidence des débiteurs. À compter de cette date, le client de l'établissement de crédit ou de la société de financement bénéficiaire du bordereau ne peut, sans l'accord de cet établissement ou de cette société, modifier l'étendue des droits attachés aux créances représentées par ce bordereau" ; que la société Eiffage qui indique avoir reçu le 26 avril 2016 la facture de la société TBCO à régler entre les mains d'Oséo et qui soutient que cette cession de créance était antérieure à celle opérée au bénéfice de la Caisse d'épargne, ne communique cependant aucun autre élément que cette facture pour justifier des conditions dans lesquelles la créance que la société TBCO détenait à son égard a effectivement fait l'objet de cette cession à Oséo, la seule date portée sur la facture ne démontrant pas que cette créance ait été cédée le même jour ; que dans ces conditions, la société Eiffage ne peut valablement opposer à la Caisse d'épargne que la cession de créance effectuée au bénéfice d'Oséo devenue Bpifrance financement serait antérieure à celle dont a bénéficié l'appelante ; que contrairement à ce que l'intimée prétend, il est suffisamment démontré par l'avis de réception signé le 8 ou le 10 mai 2016 et portant le tampon du "service courrier campus [Localité 6]" que la société Eiffage a reçu la demande d'acceptation de la cession de créance que la Caisse d'épargne lui a adressée au 10 avenue de l'entreprise à [Localité 2] [Localité 4] qui est l'adresse figurant sur le contrat de sous-traitance signé par l'intimée et celle de son siège social d'après ses conclusions ; qu'il n'est pas démontré que "le service courrier" n'aurait pas été habilité à recevoir le courrier destiné à la société intimée. Dès lors que la société Eiffage a eu connaissance de la cession de créance à laquelle elle ne s'est au demeurant pas opposée, le paiement de la facture entre les mains de Bpifrance n'est pas libératoire ; qu'il convient par conséquent, infirmant le jugement, d'accueillir la demande de la Caisse d'épargne et de condamner la société Eiffage à lui régler la somme de 61 euros qui portera intérêt au taux légal à compter de l'assignation du 22 mai 2017 ;

1° ALORS QUE la notification de la cession de la créance d'un sous-traitant contre l'entrepreneur titulaire du marché doit être faite entre les mains du comptable public assignataire dès lors que le sous-traitant bénéficie d'un droit au paiement direct contre le maître de l'ouvrage, transmis de plein droit avec la créance ; qu'en retenant, pour juger que la société Eiffage ne pouvait opposer à la Caisse d'Epargne le paiement réalisé par le maître de l'ouvrage entre les mains d'Oséo, que la créance de la société TBCO, sous-traitante, contre la société Eiffage, entrepreneur titulaire du marché, était née entre deux sociétés de droit privé, de sorte que la cession de créance dont se prévalait la Caisse d'Epargne n'était pas soumise aux dispositions applicables aux cessions de créance « au titre d'un marché public », quand la société TBCO, cédante, était titulaire d'un droit au paiement direct contre le maître de l'ouvrage, la cour d'appel a violé l'article R. 313-17 du code monétaire et financier, ensemble l'article 6 de la loi du 31 écembre 1975 relative à la sous-traitance ;

2° ALORS QUE le paiement direct du sous-traitant du titulaire d'un marché public, ou de ses ayants-droits, par le maître de l'ouvrage, est libératoire même s'il est réalisé postérieurement à la cession par le sous-traitant de sa créance contre l'entrepreneur et à la notification de cette cession à ce dernier ; qu'en retenant que la société Eiffage ne pouvait opposer à la Caisse d'Épargne le paiement réalisé par la maître de l'ouvrage entre les mains d'Oséo, quand ce paiement était intervenu dans le cadre d'une procédure de paiement direct, et ne constituait donc pas un paiement interdit après la notification à l'entrepreneur en application de l'article L. 313-28 du code monétaire et financier, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.

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