2 décembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-23.674

Deuxième chambre civile - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2021:C201131

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 décembre 2021




- Renvoi devant la Cour de justice
de l'Union européenne
- Sursis à statuer


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1131 FS-D

Pourvoi n° A 19-23.674





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 DÉCEMBRE 2021

La société Instrubel NV, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 3]), a formé le pourvoi n° A 19-23.674 contre l'arrêt rendu le 24 octobre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Montana Management Inc., société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 2]),

2°/ à la société BNP Paribas Securities Services, société en commandite par actions, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Instrubel NV, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Montana Management Inc., de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société BNP Paribas Securities Services, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 13 octobre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mmes Kermina, Durin-Karsenty, M. Delbano, conseillers, Mme Bohnert, M. Cardini, Mmes Dumas, Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Gaillardot, premier avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Fait et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 octobre 2019), deux sentences arbitrales des 6 février 1996 et 22 mars 2003, mettant à la charge de l'État irakien une somme à payer à la société Instrubel NV, ont fait, chacune, l'objet d'une ordonnance d'exequatur rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris le 20 mars 2013. Ces décisions sont devenues irrévocables, après le rejet des recours en annulation des sentences arbitrales par un arrêt de la cour d'appel de Paris le 20 novembre 2018.

2. Poursuivant l'exécution de ces titres exécutoires, la société Instrubel NV a fait procéder entre les mains de la société BNP Paribas Securities Services (la banque) à des saisies conservatoires de droits d'associés et valeurs mobilières et à des saisies conservatoires de créances, à l'encontre de « la République d'Irak et ses entités dont les fonds appartiennent à l'Irak en vertu de résolutions de l'ONU, à savoir la société Montana ».

3. Ces saisies conservatoires ont été dénoncées le 28 juillet 2014 à l'État irakien, qui ne les a pas contestées.

4. Le 26 décembre 2017, la société Montana Management Inc. (la société Montana) a demandé à un juge de l'exécution d'un tribunal de grande instance de prononcer la caducité et d'ordonner la mainlevée des saisies, au motif que ces saisies ne lui avaient pas été dénoncées.

5. La banque est intervenue volontairement à l'instance.

6. Par un jugement du 24 juillet 2018, un juge de l'exécution a notamment constaté la caducité des saisies et ordonné leur mainlevée.

7. Par un arrêt du 24 octobre 2019, la cour d'appel a confirmé le jugement.

8. Pour statuer ainsi, le tribunal et la cour d'appel ont retenu qu'en application de l'article R. 523-3 du code des procédures civiles d'exécution, dans sa version issue du décret n° 2012-783 du 30 mai 2012, en vigueur du 1er juin 2012 au 1er janvier 2021, les procès-verbaux de saisie devaient être signifiés à la société Montana, et qu'à défaut d'une telle signification, la saisie était caduque et sa mainlevée devait être ordonnée.

9. Le 24 octobre 2019, la société Instrubel NV a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

10. Au soutien de ce pourvoi, elle fait grief à l'arrêt de constater la caducité des saisies conservatoires et d'en ordonner la mainlevée, au motif qu'une saisie ne doit être dénoncée qu'au débiteur saisi mentionné dans le titre exécutoire sur lequel est fondée la saisie conservatoire, ce qui a été le cas en l'espèce, le titre exécutoire ayant été signifié à l'État irakien.

Le moyen

11. Préalablement à l'examen de ce moyen, la Cour se saisit d'un moyen mettant en cause la validité des saisies conservatoires diligentées sur des fonds gelés, au regard du droit de propriété de l'État irakien sur les fonds gelés de la société Montana.

Les textes applicables

Le droit international

12. Par la résolution 1483 (2003) du 22 mai 2003, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé, après la chute du gouvernement irakien de [O] [N], de geler les fonds, les avoirs financiers ou les ressources économiques appartenant à des anciens dirigeants, à leurs proches ou à des entités appartenant à ces personnes ou à d'autres agissant en leur nom ou selon leurs instructions ou se trouvant sous leur contrôle direct ou indirect, et de transférer ces fonds au Fonds de développement pour l'Irak, à moins que ces fonds ou autres avoirs financiers ou ressources économiques n'aient fait l'objet d'une mesure ou d'une décision judiciaire, administrative ou arbitrale antérieure au 22 mai 2003. Par une résolution 1956 (2010), il a été décidé que tous les produits du Fonds de développement pour l'Irak devaient être transférés aux comptes des mécanismes successeurs du gouvernement irakien.

13. Par la résolution 1518 (2003) du 24 novembre 2003, le Conseil de sécurité de l'ONU a créé un comité des sanctions chargé de recenser les personnes et entités visées par ces mesures. Le 26 avril 2004, ce comité a inscrit la société Montana Management Inc. sur sa liste.

Le droit de l'Union européenne

14. Afin de mettre à exécution la résolution 1483 (2003), le Conseil de l'Union européenne a adopté la position commune 2003/495/PESC concernant l'Irak et abrogeant les positions communes 1996/741/PESC et 2002/599/PESC (JO L 169 du 8.7.2003, p. 72). Cette position commune énonce notamment que certains fonds et ressources économiques, en particulier ceux appartenant à l'ancien président irakien, [O] [N], et à des hauts responsables de son régime, qui seront recensés par le Comité du Conseil de sécurité, doivent être gelés et être transférés au Fonds de développement pour l'Irak.

15. Sur le fondement de cette position commune, le Conseil de l'Union européenne a adopté le règlement (CE) n° 1210/2003 du Conseil du 7 juillet 2003 concernant certaines restrictions spécifiques applicables aux relations économiques et financières avec l'Irak et abrogeant le règlement (CE) n° 2465/1996 du Conseil, entré en vigueur le 9 juillet 2003.

16. Ce règlement a été modifié notamment par le règlement (CE) n° 785/2006 du 23 mai 2006, le règlement (CE) n° 195/2008 du 3 mars 2008 et le règlement (CE) n° 131/2011 du 14 février 2011 qui a mis fin à l'article 10 interdisant toute saisie et voie d'exécution sur les avoirs gelés. Le règlement n° 1210/2003 est applicable au litige dans sa version au 1er juillet 2013.

17. L'article 4, paragraphe 1, de ce dernier règlement, dans sa version au 1er juillet 2013, dispose que « tous les fonds et ressources économiques qui se trouvaient hors d'Iraq le 22 mai 2003 ou après et qui appartiennent au précédent gouvernement iraquien ou à tout organe, entreprise (y compris les sociétés de droit privé dans lesquelles les pouvoirs publics détiennent une participation majoritaire) ou institution publique désignés par le Comité des sanctions et énumérés dans l'annexe III sont gelés. »

18. L'article 4, paragraphe 2, énonce que « tous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de ou détenus par les personnes suivantes, désignées par le Comité des sanctions et énumérées dans l'annexe IV, sont gelés :
a) l'ancien président [O] [N] ;
b) des hauts responsables de son régime ;
c) des membres de leur famille proche, ou
d) des personnes morales, des organes ou des entités détenus ou contrôlés directement ou indirectement par les personnes visées aux points a), b) et c) ou par des personnes morales ou physiques agissant en leur nom ou selon leurs instructions. »

19. Les paragraphes 3 et 4 de l'article 4 disposent :
« 3. Les fonds ne doivent pas être mis, directement ou indirectement, à la disposition ni utilisés au bénéfice des personnes, physiques ou morales, organes ou entités énumérés aux annexes III et IV.
4. Les ressources économiques ne doivent pas être mises, directement ou indirectement, à la disposition ni utilisées au bénéfice des personnes, physiques ou morales, organes ou entités énumérés aux annexes III et IV, de sorte que ces personnes, groupes ou entités puissent obtenir des fonds, des biens ou des services. »

20. Le règlement (CE) n° 979/2004 de la Commission du 14 mai 2004, entré en vigueur le 15 mai 2004, a inscrit la société Montana à l'annexe III du règlement n° 1210/2003 visant les noms de personnes morales, organes ou entités associés au régime de l'ancien président [O] [N], visés par le gel des fonds et des ressources économiques prévu par le règlement. Afin de s'aligner sur la liste établie par le Comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies, le règlement (CE) n° 785/2006 du 23 mai 2006 a décidé que les noms figurant à l'annexe III du règlement n° 1210/2003 figureraient désormais à l'annexe IV. Depuis le 25 mai 2006, date de l'entrée en vigueur du règlement n° 785/2006, la société Montana est ainsi mentionnée à l'annexe IV du règlement n° 1210/2003 modifié.

21. L'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1210/2003, modifié par le règlement (CE) n° 195/2008 du 3 mars 2008, dispose que :
« 1. Par dérogation à l'article 4, les autorités compétentes identifiées sur les sites internet dont l'adresse figure à l'annexe V, peuvent autoriser l'utilisation de certains fonds et ressources économiques gelés, pour autant que l'ensemble des conditions suivantes soient réunies :
a) les fonds ou ressources économiques font l'objet d'une mesure ou d'une décision judiciaire, administrative ou arbitrale prise avant le 22 mai 2003 ;
b) les fonds ou ressources économiques sont utilisés exclusivement pour faire droit à des demandes garanties par une telle mesure ou dont la validité a été établie par une telle décision, dans les limites fixées par les lois et règlements en vigueur régissant les droits des personnes admises à présenter de telles demandes ;
c) le fait de faire droit à la demande n'enfreint pas le règlement (CEE) n° 3541/92 ; et d) la reconnaissance de la mesure ou de la décision n'est pas contraire à l'ordre public de l'État membre concerné. »

22. L'article 6, paragraphe 2, du même règlement énonce que « dans tous les autres cas, les fonds, ressources économiques et produits des ressources économiques gelés en application de l'article 4 ne font l'objet d'une levée du gel qu'aux fins de leur transfert aux mécanismes successeurs du Fonds de développement pour l'Iraq mis en place par le gouvernement iraquien, selon les conditions énoncées dans les résolutions 1483 (2003) et 1956 (2010) du Conseil de sécurité des Nations unies ».

Le droit national

23. Il résulte des articles L. 511-1 et L. 511-2 du code des procédures civiles d'exécution, issus de l'ordonnance n° 2011-1895 du 19 décembre 2011, en vigueur depuis le 1er juin 2012, que le créancier, qui se prévaut d'un titre exécutoire, peut pratiquer, sans autorisation du juge et sans commandement préalable, une mesure conservatoire, qui prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire, sur les biens de son débiteur, s'il justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.

24. Cette mesure conservatoire peut porter sur des biens mobiliers corporels ou incorporels, comme une créance de sommes d'argent ou des droits d'associé ou valeurs mobilières, appartenant au débiteur (article L. 521-1 du code des procédures civiles d'exécution, issu de l'ordonnance n° 2011-1895 du 19 décembre 2011 en vigueur depuis le 1er juin 2012).

25. Ces saisies conservatoires entraînent l'indisponibilité des biens qui en sont l'objet (article R. 523-1 du code des procédures civiles d'exécution issu du décret n° 2012-783 du 30 mai 2012, en vigueur depuis le 1er juin 2012, pour les créances de sommes d'argent et R. 232-8 du même code, issu du décret n° 2012-783 du 30 mai 2012, en vigueur depuis le 1er juin 2012, pour les droits d'associés et valeurs mobilières).

26. Elles sont dépourvues d'effet attributif (2e Civ., 4 juillet 2007, pourvoi n° 06-14.825, publié, ECLI:FR:CCASS:2007:C201279) : elles n'en attribuent donc pas la propriété au saisissant (2e Civ., 12 avril 2018, pourvoi n° 17-15.527 publié, ECLI:FR:CCASS:2018:C200532).

27. Pour que ces saisies soient régulières et produisent leurs effets, les biens saisis doivent appartenir au débiteur visé dans le titre exécutoire, c'est-à-dire à l'État irakien. Le pourvoi pose la question de la propriété des biens, objet des saisies conservatoires.

Motifs justifiant le renvoi préjudiciel

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

28. Selon l'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1210/2003 modifié, tous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de ou détenus par les personnes désignées par le Comité des sanctions et énumérées dans l'annexe IV, sont gelés.

29. Le gel des fonds est défini à l'article 1er du règlement n° 1210/2003 modifié comme « toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, notamment la gestion de portefeuilles ».

30. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne rendue pour d'autres règlements relatifs à des mesures restrictives, la mesure de gel est une mesure conservatoire qui n'est pas censée priver de leur propriété les personnes visées par la mesure (cf. notamment CJCE, GC, arrêt du 3 septembre 2008, [M] et[V]t International Foundation c. Conseil et Commission, aff. jtes. C-402/05 P et C-415/05 P, pt. 358).

31. Par ailleurs, saisie d'une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 1er, sous h), j), et 7, § 1, du règlement (CE) n° 423/2007 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, dans un arrêt du 11 novembre 2021 (affaire n° C-340/20, point 51), que « les définitions mêmes des notions de « gel des fonds » et de « gel des ressources économiques » visent notamment des mesures n'ayant pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur. »

32. Enfin, le considérant 5 du règlement n° 1210/2003 modifié indique que pour permettre aux États membres de faire procéder au transfert des fonds, ressources économiques et produits des ressources économiques gelés au Fonds de développement pour l'Irak, il convient de prévoir des dispositions permettant de lever le gel de ces fonds et ressources économiques.

33. Il en résulte que l'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1210/2003 modifié, pourrait être interprété, à la lumière de l'article 1er et du considérant 5, en ce sens que les fonds de la société Montana sont gelés, depuis l'entrée en vigueur, le 15 mai 2004, du règlement l'ayant inscrite sur la liste des sociétés visées par la mesure de gel, mais qu'ils demeurent sa propriété jusqu'à la décision de transfert aux mécanismes successeurs du Fonds de développement pour l'Irak.

34. Cependant, l'article 6 du règlement n° 1210/2003 modifié prévoit que par dérogation à l'article 4, sur autorisation de l'autorité nationale compétente, certains fonds et ressources économiques gelés peuvent être utilisés, si l'ensemble des conditions prévues au paragraphe 1 sont réunies. Dans tous les autres cas autres que ceux visés au paragraphe 1, les fonds et ressources économiques gelés seront transmis aux mécanismes successeurs du Fonds de développement pour l'Irak.

35. Par ailleurs, aux termes de la résolution 1483 (2003) (point 23), « tous les États Membres où se trouvent des fonds ou d'autres avoirs financiers ou ressources économiques sortis d'Iraq ou acquis par [O] [N] ou d'autres hauts responsables de l'ancien régime iraquien ou des membres de leur famille proche, y compris les entités appartenant à ces personnes ou à d'autres personnes agissant en leur nom ou selon leurs instructions, ou se trouvant sous leur contrôle direct ou indirect, sont tenus de geler sans retard ces fonds ou autres avoirs financiers ou ressources économiques et, à moins que ces fonds ou autres avoirs financiers ou ressources économiques n'aient fait l'objet d'une mesure ou d'une décision judiciaire, administrative ou arbitrale, de les faire immédiatement transférer au Fonds de développement pour l'Iraq. »

36. Cet objectif de transfert des fonds aux mécanismes successeurs du Fonds de développement pour l'Irak, qui ont succédé à ce dernier, est rappelé par le considérant 4 du règlement n° 1210/2003 modifié. Il précise que les fonds doivent être gelés et être ensuite transférés au Fonds de développement pour l'Irak.

37. Il en résulte que le gel des fonds a pour unique objectif de les transférer aux mécanismes successeurs du Fonds de développement pour l'Irak. Ces fonds n'ont pas vocation à revenir dans le patrimoine de la personne visée par la mesure de gel.

38. La question se pose ainsi de déterminer si les avoirs gelés appartenant aux personnes morales, organes ou entités associés au régime de l'ancien président [O] [N], visés par le gel des fonds et des ressources économiques, restent leur propriété jusqu'à la décision de transfert de l'autorité nationale compétente aux mécanismes successeurs du Fonds de développement pour l'Irak ou si ces fonds appartiennent aux mécanismes successeurs du Fonds de développement pour l'Irak dès l'entrée en vigueur du règlement ayant désigné, aux annexes III puis IV, la société Montana et sont gelés dans l'attente d'une décision de transfert de l'autorité nationale compétente.

39. Le litige pose une question sérieuse relative à l'interprétation des articles 4, paragraphes 2, 3 et 4, et 6 du règlement n° 1210/2003 modifié.

40. La réponse n'apparaît pas dans la jurisprudence des juridictions de l'Union européenne ni dans celle de la Cour de cassation. En outre, il n'apparaît pas qu'une autre Cour suprême d'un État membre de l'Union européenne ait statué sur cette question.

41. Il y a lieu, en conséquence, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur ce point.

42. Dans l'hypothèse où les articles 4 et 6 seraient interprétés en ce sens que les fonds et ressources économiques gelés appartiennent aux mécanismes successeurs du Fonds de développement pour l'Irak dès l'entrée en vigueur du règlement, l'examen du pourvoi rend nécessaire, de s'interroger sur la validité des saisies compte tenu de l'absence d'autorisation préalable de l'autorité nationale.

43. Les procédures civiles d'exécution doivent en effet satisfaire aux prescriptions de l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1210/2003 modifié, qui imposent que, par dérogation à la mesure de gel, les autorités nationales compétentes autorisent l'utilisation des fonds gelés lorsque le créancier se prévaut d'une décision judiciaire ou arbitrale antérieure au 22 mai 2003.

44. Malgré l'absence d'effet attributif, ces mesures conservatoires ont pour effet de conférer au créancier saisissant le droit, notamment, d'être payé par priorité sur le prix de cession des droits d'associé ou des valeurs mobilières ou l'affectation spéciale des créances et le droit de préférence sur celles-ci.

45. La question se pose de déterminer si l'autorisation de l'autorité nationale compétente était requise pour les saisies conservatoires.

46. Cette question a fait l'objet d'un renvoi préjudiciel par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 10 juillet 2020 (pourvois n° 18-18.542, 18-21.814) au sujet de l'interprétation des articles 1er, sous h), j), et 7, § 1, du règlement (CE) n° 423/2007 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran.

47. Par un arrêt du 11 novembre 2021 (aff. n° C-340/20), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les articles précités s'interprètent « en ce sens qu'ils s'opposent à ce que soient diligentées, sur des fonds ou des ressources économiques gelés dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, sans autorisation préalable de l'autorité nationale compétente, des mesures conservatoires qui instaurent, au profit du créancier concerné, un droit d'être payé par priorité par rapport aux autres créanciers, même si de telles mesures n'ont pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur. »

48. Si la définition de la mesure de gel est identique à celle contenue dans le règlement n° 1210/2003 modifié, la finalité de ce dernier, telle qu'elle est exprimée aux termes de la résolution 1483 (2003), est manifestement différente de celle du règlement n° 423/2007.

49. S'agissant du règlement n° 1210/2003 modifié, la réponse à la question formulée au paragraphe 45 n'apparaît pas dans la jurisprudence des juridictions de l'Union européenne ni dans celle de la Cour de cassation. En outre, il n'apparaît pas qu'une autre Cour suprême d'un État membre de l'Union européenne ait statué sur cette question.

50. Il y a lieu, en conséquence, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur ce point si, à la première question, il est répondu que les fonds gelés sont la propriété de l'État irakien.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre aux questions suivantes :

1°/ Les articles 4, paragraphes 2, 3 et 4, et 6 du règlement (CE) n° 1210/2003 modifié s'interprètent-ils en ce sens que :
- les fonds et ressources économiques gelés demeurent, jusqu'à la décision de transfert aux mécanismes successeurs du Fonds de développement pour l'Irak, la propriété des personnes physiques et morales, organes et entités associés au régime de l'ancien président [O] [N], visés par le gel des fonds et des ressources économiques ?
- ou ces fonds gelés sont la propriété des mécanismes successeurs pour le Fonds de développement pour l'Irak dès l'entrée en vigueur du règlement désignant aux annexes III et IV les personnes physiques et morales, organes et entités associés au régime de l'ancien président [O] [N], visés par le gel des fonds et des ressources économiques ?

2°/ Dans l'hypothèse où il serait répondu à la question n° 1 que les fonds et ressources économiques gelés sont la propriété des mécanismes successeurs du Fonds de développement pour l'Irak, les articles 4, paragraphes 2, 3 et 4, et 6 du règlement (CE) n° 1210/2003 modifié s'interprètent-ils en ce sens qu'ils s'opposent à ce que soit diligentée sur des avoirs gelés, sans autorisation préalable de l'autorité nationale compétente, une mesure dépourvue d'effet attributif, telle une sûreté judiciaire ou une saisie conservatoire, prévues par le code des procédures civiles d'exécution français ? Ou bien ces dispositions s'interprètent-elles comme n'exigeant l'autorisation de cette autorité nationale qu'au moment du déblocage des fonds gelés ?

SURSOIT à statuer le pourvoi, jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

Réserve les dépens ;

Dit qu'une expédition du présent arrêt ainsi qu'un dossier, comprenant notamment la décision attaquée, seront transmis par le directeur de greffe de la Cour de cassation au greffier de la Cour de justice de l'Union européenne ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux décembre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société Instrubel NV

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir constaté la caducité des saisies conservatoires pratiquées par la société Instrubel NV le 20 janvier 2014 au préjudice de la société Montana Management INC entre les mains de la société Bnp Paribas Securities Services et d'en avoir ordonné la mainlevée ;

aux motifs propres que « Sur la caducité : Il n'est pas discuté que les saisies ont été régulièrement dénoncées à l'État irakien et qu'elles n'ont pas été dénoncées à la société Montana. L'appelant se borne à soutenir qu'il n'y a pas caducité des mesures puisque, la société Montana, n'étant pas la débitrice, il n'y avait pas lieu de lui dénoncer les saisies conservatoires. Cependant, dès lors, ainsi qu'il a été dit plus haut et que le soutient l'intimée, que la société Montana était désignée comme débitrice saisie, il appartenait au créancier saisissant de lui dénoncer, en application de l'article R.523-3 du code des procédures civiles d'exécution, les saisies conservatoires. En l'absence de cette dénonciation, les saisies sont caduques » ;

et aux motifs adoptés que « Sur la caducité des saisies conservatoires de créances et de droit d'associés et valeurs mobilières : Suivant l'article R. 523-3 du code des procédures civiles d'exécution, toute saisie conservatoire doit, à peine de caducité, être dénoncée au débiteur saisi par acte d'huissier de justice dans un délai de huit jours. En l'espèce, les saisies conservatoires contestées résultent de sentences arbitrales rendues les 06 février 1996 et 22 mars 2003 ayant fait l'objet d'une ordonnance d'exequatur du président du tribunal de grande instance de Paris du 20 mars 2013 par lesquelles l'État irakien a été condamné à payer à la société Instrubel NV diverses créances. Les procès-verbaux de saisies conservatoires du 20 janvier 2014 désignent en tant que débiteur saisi de la société Instrubel NV « la République d'Irak [..] et ses entités dont les fonds appartiennent à l'Irak en vertu de résolutions de l'ONU, à savoir Montana Management Inc » au préjudice de laquelle ont été effectuées les saisies. Il en résulte que la société Montana Management INC a la qualité de société débitrice au sens de l'article R. 532-2 du code des procédures civiles d'exécution et que les saisies conservatoires sont caduques. Leur mainlevée sera par conséquent ordonnée » ;

alors 1°/ qu'une saisie conservatoire doit être dénoncée au débiteur saisi, déterminé par le titre sur lequel est fondée la saisie conservatoire ; qu'en considérant que la société Montana aurait été désignée comme débitrice saisie, après avoir constaté que les saisies conservatoires litigieuses résultaient de sentences arbitrales des 6 février 1996 et 22 mars 2003, revêtues de l'exequatur et condamnant l'État d'Irak au profit de la société Instrubel, ce dont il résultait que le débiteur saisi était l'État d'Irak et non la société Montana, la cour d'appel a violé les articles L. 521-1, R. 523-1 et R. 524-2 du code des procédures civiles d'exécution ;

alors subsidiairement 2°/ qu' une saisie conservatoire doit être dénoncée au débiteur saisi ; qu'en considérant que les saisies conservatoires litigieuses auraient été caduques en l'absence de dénonciation à la société Montana, après avoir constaté que les procès-verbaux de saisies conservatoires du 20 janvier 2014 désignaient en tant que débiteur saisi de la société Instrubel NV la République d'Irak et ses entités dont les fonds appartiennent à l'Irak en vertu de résolutions de l'ONU, à savoir Montana Management Inc, ce dont il résulte que ces procès-verbaux désignaient l'État d'Irak comme débiteur saisi, et que ces saisies avaient été dénoncées régulièrement à l'État d'Irak, la cour d'appel a violé les articles R. 523-3 et R. 524-4 du code des procédures civiles d'exécution.

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