24 novembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-15.814

Troisième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:C300832

Texte de la décision

CIV. 3

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 24 novembre 2021




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 832 F-D

Pourvoi n° C 20-15.814




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 NOVEMBRE 2021

1°/ la société Transaction et investissement, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ la société Art & indivisions contemporaines, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° C 20-15.814 contre l'arrêt rendu le 5 février 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 3), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Alvernaise, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ au syndicat des copropriétaires [Adresse 2], représenté par son syndic en exercice dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SCP Boullez, avocat de la société Transaction et investissement et de la société Art & indivisions contemporaines, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Alvernaise, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Axa France IARD, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat du syndicat des copropriétaires [Adresse 2], après débats en l'audience publique du 19 octobre 2021 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 février 2020), la société Transaction et investissement, locataire principale de locaux situés en rez-de-chaussée et sous-sol d'un immeuble parisien appartenant à la société civile immobilière Alvernaise, a, depuis le 12 février 2011, sous- loué partiellement ces locaux, à la société Art Invest conseil devenue Art et indivisions contemporaines.

2. Des traces de salpêtre et des cloques d'humidité étant apparues sur les murs intérieurs, par lettre du 17 octobre 2012, la locataire a mis la bailleresse en demeure de remédier à l'insalubrité des locaux puis, le 5 juin 2014, elle lui a demandé de réaliser des travaux de remise en état des murs, et de réduire le montant du loyer depuis le mois d'octobre 2012, date à laquelle elle avait été avisée de la nécessité d'une intervention, et l'a assignée en réparation de son trouble de jouissance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, et sur le second moyen, pris en sa première branche, réunis

Enoncé des moyens

3. Par son premier moyen, la société Transaction et investissement fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en dommages et intérêts, en réalisation de travaux et en minoration de loyers, alors :

« 1°/ qu'en raison de l'obligation de délivrance à laquelle il est tenu, le bailleur ne peut s'exonérer par une clause du contrat de l'obligation de procéder à des travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble et de réparer les dommages en résultant pour le preneur ; qu'il résulte des constatations auxquelles le juge du second degré a procédé que l'immeuble s'est affaissé sous l'effet d'une résurgence accidentelle de la nappe phréatique, de sorte que la responsabilité du bailleur se trouvait engagée du fait des désordres affectant la structure de l'immeuble sans qu'il puisse se prévaloir d'une clause de non responsabilité ; qu'en affirmant le contraire « compte tenu de l'origine des désordres », la cour d'appel a violé les articles 1134, 1719 et 1720 du code civil, le premier dans sa rédaction applicable en l'espèce ;

3°/ que le manquement du bailleur à son obligation de délivrance engage sa responsabilité de plein droit, indépendamment de la preuve d'une faute ; qu'en relevant qu'aucune négligence ne peut être imputée au bailleur, la cour d'appel a violé les articles 1719 et 1720 du code civil. »

4. Par son second moyen, pris en sa première branche, cette société fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'article 1720 du code civil impose au bailleur de faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations autres que locatives qui peuvent devenir nécessaires, quelle que soit la cause de cette nécessité ; qu'en affirmant qu'aucun élément du dossier ne permet de déterminer l'origine de l'humidité, et par conséquent son imputabilité à un manquement du bailleur à son obligation d'assurer le clos et le couvert à la société locataire, la cour d'appel a déduit un motif inopérant, en violation de l'article 1720 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1719 et 1720 du code civil :

5. Selon ces textes, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, de délivrer au preneur la chose louée, en bon état de réparations de toute espèce, d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, d' y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives, et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.

6. Il en résulte que, si le bailleur peut mettre à la charge du preneur, par une clause expresse du bail, certains travaux d'entretien ou de réparation, il ne peut, en raison de l'obligation de délivrance à laquelle il est tenu de plein droit, s'exonérer, à l'occasion de conventions aménageant la répartition de la charge des réparations, de l'obligation de procéder aux travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble, et de réparer le trouble apporté à la jouissance paisible du locataire.

7. Pour rejeter les demandes de la locataire, l'arrêt, après avoir constaté que des écoulements d'eau provenant d'une résurgence accidentelle de nappe phréatique, apparus dans le deuxième sous-sol de l'immeuble en septembre 2012, ont entraîné un affouillement sous la fondation de celui-ci et un affaissement avec un risque d'effondrement, provoquant des fissures dans les parties communes et les parties privatives, et notamment dans le local commercial loué, retient, d'une part, que, compte tenu de l'origine des désordres qui n'étaient pas de nature à faire obstacle à l'exploitation du local, la bailleresse, à laquelle aucun défaut de diligence ne peut être reproché, est fondée à opposer à la locataire la clause de non responsabilité stipulée au bail, d'autre part, qu'aucun élément du dossier ne permet de déterminer l'origine, et en conséquence l'imputabilité, à un manquement du bailleur à son obligation d'assurer le clos et le couvert, de l'humidité, se manifestant par des cloquages avec traces de salpêtre et écaillement de peinture - sur deux des murs du WC, un mur du cagibi - et en plusieurs endroits de la salle de conférence, laquelle a été constatée uniquement dans le sous-sol intégralement donné en sous-location par la locataire, qui ne peut invoquer un trouble de jouissance personnel.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation :

9. Aucun des moyens soulevés contre l'arrêt attaqué ne formulant une critique contre ses motifs fondant la décision de déclarer irrecevable, d'une part, l'intervention volontaire de la société Art et indivisions contemporaines, d'autre part, l'intervention forcée du syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] et de la société Axa France IARD, la cassation ne peut s'étendre aux dispositions de l'arrêt qui ne sont pas dans un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable l'intervention volontaire de la société Art et indivisions contemporaines et irrecevable l'intervention forcée du syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 2] et de la société Axa France IARD, l'arrêt rendu le 5 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet sur le surplus l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société civile immobilière Alvernaise aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société civile immobilière Alvernaise à payer à la société Transaction et investissement la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre novembre deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour la société Transaction et investissement, la société Art & indivisions contemporaines.

Le pourvoi fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR débouté la société TRANSACTION ET INVESTISSEMENT de sa demande de dommages et intérêts, de sa demande de travaux et de sa demande de minoration de loyers ;

AUX MOTIFS QU'il résulte du rapport d'expertise judiciaire déposé le 15 février 2017 par M. [B] désigné par ordonnance de référé du 10 mai 2013 que des écoulements d'eau provenant d'une résurgence accidentelle de nappe phréatique, apparus dans le deuxième sous-sol de l'immeuble en septembre 2012 et ayant cessé définitivement au cours de l'été 2014, ont entraîné un affouillement sous la fondation de l'immeuble et un affaissement dudit immeuble avec un risque d'effondrement, cet affaissement provoquant des fissures dans les parties communes et les parties privatives et notamment le local commercial loué à la SOCIETE TRANSACTION ET INVESTISSEMENT tant en ce qui concerne le rez-de-chaussée et la mezzanine que le sous-sol ; que ces désordres ont donné lieu, dans les locaux loués, à des travaux de confortation de l'immeuble au cours de l'été 2016, de remise en état du carrelage en janvier 2017 et de reprise des fissures du 17 mai au 18 juin 2017 ; que, compte tenu de l'origine de ces désordres, la SCI ALVERNAISE est fondée à opposer à la SOCIETE TRANSACTION ET INVESTISSEMENT la clause de non responsabilité stipulée au bail, étant observé que lesdits désordres n'étaient pas de nature à faire obstacle à l'exploitation de son local par la société locataire qui ne peut dès lors arguer d'un quelconque manquement du bailleur à son obligation de délivrance ; qu'il sera par ailleurs relevé que la SCI ALVERNAISE a tenu la SOCIETE TRANSACTION ET INVESTISSEMENT informée des opérations d'expertise qui ont d'ailleurs conduit l'expert à se déplacer dans lesdits locaux ; qu'aucun défaut de diligence ne peut lui être reproché ; qu'au regard de ce qui précède, la SOCIETE TRANSACTION ET INVESTISSEMENT ne peut prétendre à l'indemnisation d'un trouble de jouissance causé par ces désordres ;

1. ALORS QU'en raison de l'obligation de délivrance à laquelle il est tenu, le bailleur ne peut s'exonérer par une clause du contrat de l'obligation de procéder à des travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble et de réparer les dommages en résultant pour le preneur ; qu'il résulte des constatations auxquelles le juge du second degré a procédé que l'immeuble s'est affaissé sous l'effet d'une résurgence accidentelle de la nappe phréatique, de sorte que la responsabilité du bailleur se trouvait engagée du fait des désordres affectant la structure de l'immeuble sans qu'il puisse se prévaloir d'une clause de non responsabilité ; qu'en affirmant le contraire « compte tenu de l'origine des désordres », la cour d'appel a violé les articles 1134, 1719 et 1720 du code civil, le premier dans sa rédaction applicable en l'espèce ;

2. ALORS QUE la société TRANSACTION ET INVESTISSEMENT a sollicité la réparation de son préjudice personnel constitué par le fait qu'elle occupe les locaux dont elle sous-loue 80 %, qu'elle a dû faire exécuter les travaux récurrents de remise en état des murs avec pose d'une cloison de doublage et également faire l'avance des loyers puisque son sous-locataire n'a payé depuis 2016 que la moitié de sa quote-part de loyer, ainsi qu'il en est justifié par la production d'extrait de bilans de la société ART & INDIVISIONS CONTEMPORAINES (conclusions, p. 15, 6e alinéa) ; qu'en se bornant à énoncer que la société TRANSACTION ET INVESTISSEMENT ne justifiait pas de son impossibilité d'exploiter les lieux, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

3. ALORS QUE le manquement du bailleur à son obligation de délivrance engage sa responsabilité de plein droit, indépendamment de la preuve d'une faute ; qu'en relevant qu'aucune négligence ne peut être imputée au bailleur, la cour d'appel de Paris a violé les articles 1719 et 1720 du code civil.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION

Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté la société TRANSACTION ET INVESTISSEMENT de sa demande de dommages et intérêts, de sa demande de travaux et de sa demande de minoration de loyers ;

AUX MOTIFS QUE l'expert a constaté la présence de traces d'humidité lors ses opérations expertales en précisant qu'elles ne rentraient pas dans le cadre de sa mission et qu'il ressort du constat d'huissier dressé le 4 mai 2016 qu'elle affecte exclusivement le sous-sol des lieux loués et se manifeste par des cloquages avec traces de salpêtre et écaillement de peinture sur deux des murs du WC, un mur du cagibi et en plusieurs endroits de la salle de conférence ; qu'aucun élément du dossier ne permet de déterminer l'origine de cette humidité et qu'il n'est pas davantage établi que cette humidité persiste alors que les lieux loués, et notamment le sous-sol, ont fait l'objet de travaux en 2017 en suite des travaux de confortation de l'immeuble, étant retenu, d'une part, que les travaux dont la société locataire sollicitait l'exécution en première instance ont été réalisés et, d'autre part, qu'elle-même justifie de la réalisation de travaux de reprise des murs et doublage, suivant facture du 26 septembre 2017 ; qu'au regard de ces constatations, la SOCIETE TRANSACTION ET INVESTISSEMENT sera déboutée de sa demande tendant à l'exécution de travaux sous astreinte et de minoration du montant du loyer jusqu'à exécution de ces travaux ; que comme relevé ci-dessus, aucun élément ne permet de déterminer l'origine de cette humidité et par conséquent son imputabilité à un manquement du bailleur à son obligation d'assurer le clos et le couvert à la société locataire qui sera en conséquence déboutée de sa demande d'indemnisation du préjudice allégué, étant, à titre surabondant, relevé que dans la mesure où la présence d'humidité n'a été constatée que dans le sous-sol intégralement donné en sous-location à la société ART & INDIVISIONS CONTEMPORAINES, la SOCIETE TRANSACTION ET INVESTISSEMENT ne pouvait invoquer un trouble de jouissance personnel en découlant ; qu'elle sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages-intérêts et le jugement infirmé de ce chef ;

1. ALORS QUE l'article 1720 du code civil impose au bailleur de faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations autres que locatives qui peuvent devenir nécessaires, quelle que soit la cause de cette nécessité ; qu'en affirmant qu'aucun élément du dossier ne permet de déterminer l'origine de l'humidité, et par conséquent son imputabilité à un manquement du bailleur à son obligation d'assurer le clos et le couvert à la société locataire, la cour d'appel a déduit un motif inopérant, en violation de l'article 1720 du code civil ;

2. ALORS QUE la société TRANSACTION ET INVESTISSEMENT a soutenu, dans ses conclusions, qu'elle a sollicité la réparation de son préjudice personnel, « car d'une part, elle occupe les locaux dont elle sous-loue 80 %, d'autre part, c'est elle qui a dû faire exécuter les travaux récurrents de remise en état des murs avec pose d'une cloison de doublage et également faire l'avance des loyers puisque son sous-locataire n'a payé depuis 2016 que la moitié de sa quote-part de loyer, ainsi qu'il en est justifié par la production d'extrait de bilans de la société ART & INDIVISIONS CONTEMPORAINES » (conclusions, p. 15, 6e alinéa) ; qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions de la société TRANSACTION ET INVESTISSEMENT par lesquelles elle rapportait la preuve de son préjudice personnel (conclusions, p. 15, 6e alinéa), la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

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