23 novembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-80.681

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:CR01405

Texte de la décision

N° F 21-80.681 F-D

N° 01405


ECF
23 NOVEMBRE 2021


REJET


M. SOULARD président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 NOVEMBRE 2021



M. [S] [D] dit [D]-[K] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 20 janvier 2021, qui, dans la procédure suivie contre MM. [A] [F] et [B] [R], du chef d'injures publiques envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de M. [S] [D] dit [D]-[K], les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. [B] [R] et de la société [1] et les conclusions de M. Lesclous, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 octobre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [R] et M. [F] ont été cités devant le tribunal correctionnel en raison des propos suivants, tenus par le second, diffusés le 24 juin 2017 sur la chaîne C8, qui a le premier pour directeur de publication : « [D]-[K] ou [D] est niais. [D] est niais, nul et nocif [...], [D]-[K], petite bite, carpette, poltron, raclure, mange-merde, mortecouille, foutre-cul, crevure, tête de noeud, balai à chiottes (...) la fin de race ».

3. Par jugement du 22 mars 2019, le tribunal correctionnel les a relaxés et a débouté M. [D]-[K] de ses demandes.

4. Ce dernier a, seul, relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche


5. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le moyen, pris en ses autres branches

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que les personnes poursuivies n'avaient pas commis de faute civile fondée sur l'injure publique envers un particulier, alors :

« 1°/ que la litanie d'insultes extrêmement offensantes et vulgaires consistant à qualifier la partie civile de « niais, (...) nul et nocif (...) petite bite, carpette, poltron, raclure, mange-merde, mortecouille, foutre-cul, crevure, tête de noeud, balai à chiottes », accompagnée, d'une part, de l'expression du regret de ne pas avoir été préalablement poursuivi pour d'autres propos, d'autre part, de l'affirmation que les humoristes disposent d'une impunité en matière d'injures compte tenu de l'absence de condamnation d'un précédent comique à cet égard et enfin, de l'invitation faite à la partie civile de saisir les tribunaux, constitue en réalité un propos visant à démontrer et consacrer, sous couvert d'humour, que des injures proférées par des comiques, quel qu'en soit le prétexte, ne peuvent être sanctionnées ; qu'en jugeant toutefois que M. [F] aurait entendu critiquer « le choix d'une alliance politique de la partie civile » dans un contexte parodique, pour considérer qu'il n'avait pas dépassé les limites admissibles de la liberté d'expression et exclure toute condamnation civile, la cour d'appel, qui s'est méprise sur le sens et la portée des propos en cause, a violé les articles 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que la circonstance qu'une litanie d'insultes extrêmement offensantes et vulgaires ait été prononcée par un comique à l'humour corrosif dans le cadre d'une mise en scène visant à imiter un autre humoriste ayant échappé à toute condamnation après avoir insulté une autre personnalité ne crée pas de distance vis-à-vis du contenu des propos, mais seulement de leur auteur ; qu'en se fondant sur la circonstance que les propos litigieux, consistant à qualifier la partie civile de « niais, (...) nul et nocif (...) petite bite, carpette, poltron, raclure, mange-merde, mortecouille, foutre-cul, crevure, tête de noeud, balai à chiottes » avaient été prononcés par M. [F] dans le cadre d'une imitation parodique de [I] [T], après avoir rappelé que ce dernier avait échappé à toute condamnation après avoir qualifié Mme [O] de « conne », pour en déduire que l'intéressé n'avait pas excédé les limites de la liberté d'expression et exclure toute condamnation civile, la cour d'appel a violé les articles 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4°/ que la circonstance qu'une litanie d'insultes extrêmement offensantes et vulgaires ait été prononcée par un comique avec l'intention de critiquer le choix d'une alliance politique, et non de nuire, est indifférente à la caractérisation de l'injure et à l'examen des propos au regard de la liberté d'expression, qui ne peut dépendre de la seule intention de l'auteur du message, mais seulement de sa portée pour ceux qui le reçoivent ; qu'en jugeant qu'on ne pouvait se méprendre sur l'objet des critiques qui visaient le choix d'une alliance politique de l'exposant et ne procédaient pas d'une intention de nuire, pour en déduire que les propos consistant à qualifier la partie civile de « niais, (...) nul et nocif (...) petite bite, carpette, poltron, raclure, mange-merde, mortecouille, foutre-cul, crevure, tête de noeud, balai a chiottes » n'avaient pas excédé les limites de la liberté d'expression et exclure toute condamnation civile, la cour d'appel a violé les articles 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

5°/ que la liberté d'expression ne saurait justifier une atteinte illimitée à l'honneur et à la réputation d'autrui, y compris s'il s'agit d'une personnalité politique ; que la profération d'une litanie d'insultes extrêmement offensantes et vulgaires, sous couvert, précisément, de liberté d'expression, doit pouvoir faire l'objet d'une sanction proportionnée ; qu'en considérant au contraire que toute condamnation, même seulement civile, des propos de M. [F] ayant qualifié la partie civile de « niais, nul et nocif (.. . ) petite bite, carpette, poltron, raclure, mange-merde, morte-couille, foutre-cul, crevure, tête de noeud, balai à chiottes (...) fin de race » serait manifestement disproportionnée, la cour d'appel a violé les articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

7. Pour écarter l'existence d'une faute civile, l'arrêt attaqué énonce notamment, après avoir relevé le caractère manifestement méprisant des propos poursuivis, qu'ils ont été tenus par M. [F], dont l'humour grinçant et corrosif est reconnu, dans une émission de divertissement, au cours d'un sketch dans lequel il empruntait la voix, les mimiques et le style de [I] [T], dans un jeu de lumière et une ambiance qui donnent à ces propos une autre coloration que le mépris, notamment celle de la caricature et de la parodie.

8. Ils retiennent que ce choix de caricaturer [I] [T], précédemment poursuivi par Mme [V] [O] pour injure mais définitivement relaxé (Crim., 7 juin 2017, pourvoi n° 16-85.574), a permis à M. [F] de se prévaloir de ce qu'il appelle « la jurisprudence [I] [T] » et faire le parallèle avec la plainte annoncée par M. [D]-[K] pour des propos tenus à son encontre, par le passé.

9. Les juges relèvent que le caractère provocateur et insolent du sketch, tout comme la distance avec les propos, sont rappelés par l'expression : « du coup, on peut en profiter », la phrase : « j'espère qu'avec tout ça on se retrouvera au tribunal, [M], [F] et moi » et la reprise des mots de [I] [T] : « la vie est une comédie italienne ».

10. Ils ajoutent que les expressions poursuivies ont été prononcées dans un contexte parodique et satirique évident, lié au choix d'une alliance politique de la partie civile, dans le contexte d'une élection présidentielle.

11. Les juges concluent qu'il est admis un certain droit à l'irrespect et à l'insolence en matière politique, du fait précisément de la place de l'homme politique dans la société et de son engagement public, et que ce dernier sait qu'il s'expose à la critique et à la satire, particulièrement, comme c'est le cas en l'espèce, à l'occasion d'élections présidentielles même après le suffrage.

12. Ils en déduisent que la condamnation, même seulement civile, de M. [F], dont la profession est précisément de faire de l'humour noir et décalé, serait manifestement disproportionnée au regard des exigences de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

13. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision.

14. En effet, les expressions poursuivies, pour outrageantes et grossières qu'elles soient pour la partie civile, critiquaient, sur un mode satirique et provocateur, les décisions d'un homme politique prises dans le contexte d'une élection politique, et ne dépassaient ainsi pas les limites admissibles de la liberté d'expression.

15. Dès lors, le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2.500 euros la somme globale que M. [S] [D] dit [D]-[K] devra payer à M. [R] et à la société [1] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois novembre deux mille vingt et un.

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