17 novembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-14.420

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:CO00775

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Liquidation judiciaire - Patrimoine - Revendication - Action en revendication - Revendication à l'encontre du sous-acquéreur - Conditions - Mauvaise foi du sous-acquéreur

La cour d'appel qui, en raison de la revente, par une société soumise à une procédure collective, de marchandises qui lui ont été vendues avec réserve de propriété, est saisie d'une demande de revendication formée par le vendeur contre le sous-acquéreur lui aussi soumis à une procédure collective, statue sur le fondement des dispositions de droit commun de l'article 2276 du code civil, et non sur celles de l'article L. 624-16 du code de commerce. Par conséquent, la cour d'appel doit rechercher non si ces marchandises se retrouvaient en nature dans le patrimoine du sous-acquéreur lors de l'ouverture de sa procédure collective, mais si celui-ci était entré en leur possession de mauvaise foi

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 novembre 2021




Rejet


M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 775 F+B


Pourvois n°
N 20-14.420
P 20-14.582 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 NOVEMBRE 2021

I - La société Tati mag, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 14], a formé le pourvoi n° N 20-14.420 contre un arrêt n° RG 18/27059 rendu le 16 janvier 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Luance, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],

2°/ à la société MJS Partners, société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 10], et ayant un établissement [Adresse 7], en la personne de M. [D] [H], prise en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Lilnat,

3°/ à la société Mandataires judiciaires associés (MJA), société d'exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1] et ayant un établissement [Adresse 2], en la personne de M. [P] [V], prise en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Lilnat,

4°/ à la société Tati, société anonyme, dont le siège est [Adresse 9],

5°/ à la société KR Store, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8], anciennement dénommée Tati diffusion,

6°/ à la société Prosphères, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité de représentant légal de la société Lilnat,

7°/ au Centre de gestion et d'études et de gestion AGS de l'Ile-de-France Est (CGEA), dont le siège est [Adresse 5],

défenderesses à la cassation.

II - 1°/ La société Mandataires judiciaires associés (MJA), en la personne de M. [P] [V], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Lilnat,

2°/ la société MJS Partners, en la personne de M. [D] [H], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Lilnat,

ont formé le pourvoi n° P 20-14.582 contre le même arrêt n° RG 18/27059 rendu, dans le litige les opposant :

1°/ à la société Luance,

2°/ à la société Tati,

3°/ à la société Tati mag,

4°/ à la société Tati diffusion,

5°/ à la société Prosphères, prise en qualité de représentante légale de la société Lilnat,

6°/ au Centre de gestion et d'études et de gestion AGS de l'Ile-de-France Est (CGEA),

7°/ à la société KR STORE, anciennement dénommée Tati diffusion, dont le siège est [Adresse 4],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse au pourvoi n° N 20-14.420 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Les demanderesses au pourvoi n° P 20-14.582 invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Tati mag, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat des sociétés MJA et MJS Partners, liquidateurs de la société Lilnat, de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de la société Luance, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 septembre 2021 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° N 20-14.420 et P 20-14.582 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 2020, RG n° 18/27059), par trois jugements du 4 mai 2017, un tribunal de commerce a mis en redressement judiciaire les sociétés Agora distribution, Lilnat, et Vetura, sociétés appartenant au groupe Tati, la première assurant la fonction de centrale d'achat au profit des autres.

3. Par un jugement du 26 juin 2017, le plan de cession de la société Agora distribution à la société groupe Philippe Ginestet, qui s'est ensuite substitué les sociétés Tati diffusion et Tati mag, a été arrêté.

4. Par des jugements du 20 juillet 2017, le redressement judiciaire des sociétés Agora distribution, Lilnat et Vetura a été converti en liquidation judiciaire, M. [H], exerçant au sein de la société MJS Partners, et la société MJA étant désignés en qualité de liquidateurs.

5. N'ayant obtenu qu'une satisfaction partielle à la revendication qu'elle avait exercée auprès des administrateurs de la société Agora distribution, la société Luance, après avoir déclaré une créance de 156 430,28 euros au passif de la société Lilnat et vainement présenté, le 5 juillet 2017, une demande de revendication aux administrateurs judiciaires de cette société a, par une requête du 28 août 2017, saisi le juge-commissaire pour revendiquer en nature les biens visés dans ses factures et vendus avec réserve de propriété.

6. Une ordonnance du 19 mars 2018 ayant rejeté sa requête, la société Luance a formé un recours.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° N 20-14.420 et sur le moyen du pourvoi n° P 20-14.582, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexés


7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le moyen du pourvoi n° P 20-14.582, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

8. Les liquidateurs de la société Lilnat font grief à l'arrêt d'ordonner la restitution en nature des biens revendiqués, alors « que l'une des conditions de la revendication, par un créancier, auprès du sous-acquéreur de mauvaise foi en liquidation judiciaire, est la possession desdits biens, autrement dit, leur existence en nature dans le patrimoine de la société au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective ; que la cour d'appel, pour statuer comme elle l'a fait, n'a pas constaté l'existence des biens revendiqués au jour du jugement d'ouverture ; que ce faisant, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 624-16 du code de commerce ensemble l'article 2276 du code civil. »

Réponse de la Cour

9. Saisie, en raison de la revente des marchandises par la société Agora distribution à la société Lilnat, d'une demande de revendication en nature fondée sur les dispositions de droit commun de l'article 2276 du code civil et non sur celles de l'article L. 624-16 du code de commerce, la cour d'appel devait rechercher, non pas si les marchandises se retrouvaient en nature dans le patrimoine de la société Lilnat, sous-acquéreur, lors de l'ouverture de sa procédure collective, mais si cette société était entrée en leur possession de mauvaise foi.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne les sociétés MJA et MJS Partners, en leur qualité de liquidateur de la société Lilnat, et la société Tati mag aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi n° N 20-14.420 par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société Tati mag.

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, D'AVOIR ordonné la restitution en nature par la Selafa Mja et la Selarl Mjs Partners, agissant en qualité de mandataires liquidateurs de la société Lilnat, de chacun des biens revendiqués désignés individuellement dans les factures versées aux débats et annexées à la déclaration de créance, ainsi qu'à la demande d'acquiescement en revendication ;

AUX MOTIFS QUE l'article L. 624-16, alinéa 2, du code de commerce dispose : « peuvent également être revendiqués, s'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété [ ; que] cette clause doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit au plus tard au moment de la livraison [ ;qu'] elle peut l'être dans un écrit régissant un ensemble d'opérations commerciales convenues entre les parties » ; que l'article 2276 du code civil dispose qu'« en fait de meubles, la possession vaut titre. / Néanmoins, celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient » ; que les factures adressées à la société Agora Distribution correspondant aux marchandises revendiquées ont été émises entre le 2 mars et le 21 avril 2017 ; que ces factures n'ont pas été payées et il n'est pas contesté que les marchandises ont été revendues aux sociétés Vetura et Lilnat ; que comme l'a relevé le tribunal de commerce, la clause de réserve de propriété dans les relations contractuelles entre la société Luance et la société Agora Distribution n'est pas opposable aux sociétés Vetura et Lilnat ; mais que le vendeur, qui se prévaut d'une clause de réserve de propriété à l'encontre de son acheteur qui a cédé les biens à un sous-acquéreur, peut revendiquer les biens en nature entre les mains du sous-acquéreur de mauvaise foi ; que la société Luance, qui reconnaît que les marchandises ne sont plus entre les mains de la société Agora Distribution, fonde son action à l'encontre de la société Lilnat sur les dispositions de l'article 2276 du code civil et doit démontrer que celle-ci savait, en contractant avec la société Agora Distribution, que les marchandises appartenaient à la société Luance, par l'effet de la clause de réserve de propriété et qu'elle est un sous-acquéreur de mauvaise foi ; que les trois sociétés Agora Distribution, Vetura et Lilnat sont détenues par le même actionnaire, la société Eram ; qu'elles ont le même siège social et constituent le pôle Agora qui exploite les activités du groupe Tati, la société Agora Distribution étant une centrale d'achat chargée d'approvisionner notamment les sociétés Vetura et Lilnat ; que M. [I] [F] était le président des trois sociétés ; qu'à compter de mars 2017 la société Prospheres, spécialisée dans la gestion de sociétés en retournement, a été désignée par la société Eram comme président des trois sociétés soeurs afin de, selon le jugement arrêtant le plan de cession de la société Agora Distribution du 26 juin 2017, « en collaboration avec l'ensemble des équipes des sociétés composant le pôle Agora » procéder à la construction d'un nouveau plan d'affaires visant à élaborer des solutions de nature à assurer le redressement de l'entreprise ; que l'offre de reprise globale du 14 juin 2017 présentée par le groupe Gpg comprend les trois sociétés dans son périmètre ; que la société Luance fait valoir, sans être utilement contestée, que les trois sociétés avaient regroupé et mutualisé les fonctions de direction dans le cadre d'une convention de prestation de management de la société Agora Distribution aux autres sociétés du groupe, visée dans l'offre de reprise, et que le groupe Eram exploite par ailleurs les marques qu'il détient, dont la marque Tati, à travers une direction générale et une mutualisation des fonctions, notamment financières et juridiques, ainsi qu'il ressort du schéma présenté dans un document de communication de 2015 sur la responsabilité sociétale des entreprises ; qu'il est donc établi que les trois sociétés du groupe Agora constituent, au sein du groupe Eram, une unité économique qui a des intérêts communs, qui fonctionne avec les mêmes organes et selon des directives communes, qui adopte des stratégies communes et qui, dans ce cadre, n'ignore pas les conditions générales de vente imposées par les fournisseurs du groupe ; qu'il ressort des pièces produites qu'il existait un courant d'affaires continu entre les sociétés du groupe Agora et la société Luance ; que les bons de livraison versés à la procédure attestent que les marchandises commandées par la société Agora Distribution ont été livrées dans les magasins ou dépôts exploités par les sociétés Vetura et Lilnat et c'est le personnel de ces magasins, sous la responsabilité des dirigeants, qui a signé les bons de livraison mentionnant, dans les conditions générales de vente, la clause de réserve de propriété ; que celle-ci est d'ailleurs d'usage général et habituel dans les contrats de distribution ; qu'enfin il y a lieu de relever que les marchandises litigieuses ont été commandées et livrées alors que les trois sociétés du pôle Agora étaient depuis le 29 novembre 2016 sous l'effet d'une procédure de règlement amiable des difficultés des entreprises ; que le 13 avril 2017 les trois sociétés ont sollicité l'ouverture d'une procédure de conciliation pour organiser un « pré-pack cession » ; qu'après avoir reçu plusieurs offres de reprise elles ont déposé le 28 avril 2017 des déclarations de cessation des paiements qui ont mené à leur redressement judiciaire le 4 mai 2017 puis à leur liquidation judiciaire le 20 juillet 2017 ; que dans le cadre de ces procédures, des informations ont nécessairement circulé et été échangées sur les contrats des fournisseurs et les engagements en cours ; qu'eu égard aux mentions sur les documents commerciaux de la société Luance, au fonctionnement interdépendant des trois sociétés constituant le pôle Agora, à leur sort commun dans le cadre de leurs procédures collectives, il est manifeste que la société Lilnat, comme la société Lilnat, n'ignorait ni l'existence systématique des clauses de réserve de propriété ni le fait que leur société soeur, qui commandait les marchandises, ne les avait pas payées ; que sa mauvaise foi est donc établie et, après infirmation du jugement, il sera fait droit à la demande de la société Luance au titre de la restitution des biens revendiqués entre les mains du mandataire liquidateur de la société Lilnat (arrêt, pp. 7 à 9) ;

1) ALORS QUE la mauvaise foi du sous-acquéreur d'un bien vendu avec réserve de propriété, condition nécessaire de la revendication du bien en nature par le vendeur initial, suppose que le sous-acquéreur ait eu connaissance de l'existence de la clause au moment de la revente ; que la bonne foi étant présumée sauf preuve contraire, cette mauvaise foi doit être établie par des éléments matériels précis et concordants ; que la cour d'appel a constaté que les sociétés Lilnat et Agora Distribution faisaient partie du même groupe de sociétés, qu'elles avaient réuni et mutualisé les fonctions de direction et financières, qu'elles constituaient une unité économique dotée d'intérêts communs, fonctionnant avec les mêmes organes et selon des directives communes, et adoptant des stratégies communes et que, par ailleurs, les marchandises commandées par la société Agora Distribution avaient été livrées dans les magasins ou dépôts exploités par la société Lilnat et que c'était le personnel de ces magasins, sous la responsabilité des dirigeants, qui avait signé les bons de livraison mentionnant la clause de réserve de propriété ; qu'en affirmant que ces sociétés, « dans ce cadre, n'ignor[aient] pas » les conditions générales de vente imposées par les fournisseurs de la société Agora Distribution et comportant la clause de réserve de propriété, sans caractériser pour autant, par des éléments précis et concordants, la connaissance certaine et effective, par la société Lilnat, au moment où elle avait acquis les biens, de la clause de réserve de propriété imposée par le fournisseur à son acquéreur, la société Agora Distribution – l'appartenance de ces sociétés au même groupe, comme les caractéristiques de l'organisation et du fonctionnement dudit groupe, n'impliquant pas nécessairement que le sous-acquéreur avait une connaissance effective, lorsqu'il avait acquis les biens, de l'existence d'une clause de réserve de propriété dont elle a constaté par ailleurs qu'elle avait été stipulée dans les conditions générales de vente imposées par le vendeur initial – la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2276, anciennement 2279, du code civil ;

2) ALORS, DE MEME, QU'en se fondant, pour retenir la prétendue mauvaise foi de la société Lilnat, sur la circonstance que les sociétés du groupe Agora avaient fait l'objet de procédures collectives lors desquelles des informations auraient « nécessairement » circulé et été échangées sur les contrats des fournisseurs et les engagements en cours, la cour d'appel s'est déterminée par un motif hypothétique et a méconnu l'article 455 du code de procédure civile ;

3) ALORS QU'en affirmant purement et simplement l'existence d'un usage selon lequel les contrats de distribution comporteraient toujours une clause de réserve de propriété, sans vérifier qu'au cas présent, les parties avaient entendu se soumettre à ce prétendu usage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1194, anciennement 1135, du code civil ;

4) ALORS QUE la mauvaise foi du sous-acquéreur d'un bien vendu avec réserve de propriété, condition nécessaire de la revendication du bien en nature par le vendeur initial, suppose que le sous-acquéreur ait eu connaissance, au moment de la revente, de l'absence de droit de son auteur à la propriété du bien qu'il lui a transmis ; que cette connaissance implique, non seulement, celle de l'existence de la clause de réserve de propriété, mais également celle du non-paiement du prix du bien par le premier acquéreur, qui est un fait distinct et indépendant, d'où il suit que le juge ne peut valablement déduire la seconde de la première ; qu'en déduisant pourtant la supposée connaissance par la société Lilnat, sous-acquéreur, de l'absence de paiement du prix de la première vente, des considérations dont elle avait déduit sa prétendue connaissance de l'existence de la clause de réserve de propriété – considérations relatives à l'organisation et au fonctionnement du groupe auquel appartenait cette société –, la cour d'appel a violé l'article 2276, anciennement 2279, du code civil ;

5) ALORS QUE la mauvaise foi du sous-acquéreur à qui le vendeur initial oppose une clause de réserve de propriété doit s'apprécier au jour de l'acquisition, par ce sous-acquéreur, du bien concerné, sa bonne foi étant présumée ; que la cour d'appel, qui a constaté que les factures adressées à la société Agora Distribution, premier acquéreur, correspondant aux marchandises revendiquées, avaient été émises entre le 2 mars et le 21 avril 2017, mais qui n'a pas constaté la date précise de l'acquisition des marchandises par la société Lilnat, sous-acquéreur, et s'est bornée à des considérations d'ordre général sur la situation du groupe de sociétés auquel appartenait ce sous-acquéreur pendant la période ayant couru jusqu'au 20 juillet 2017 et s'étant conclue par la liquidation judiciaire de ces sociétés, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2276, anciennement 2279, du code civil. Moyen produit au pourvoi n° P 20-14.582 par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour les sociétés MJA et MJS Partners, liquidateurs de la société Lilnat.

Il est fait grief à la décision attaquée d'avoir ordonné la restitution en nature par la SELAFA MJA et la SELARL MJS Partners, agissant en qualité de mandataires liquidateurs de la société Lilnat, de chacun des biens revendiqués désignés individuellement dans les factures versées aux débats et annexées à la déclaration de créance, ainsi qu'à la demande d'acquiescement en revendication ;

aux motifs propres que « La société LUANCE soutient que le principe d'interdiction de la revendication du bien lui-même en cas de revente par le débiteur, fondé sur les dispositions de l'article 2276 du code civil, ne s'applique que dans le cas où le sous-acquéreur est de bonne foi, que le vendeur initial peut valablement revendiquer les biens en nature entre les mains du sous-acquéreur de mauvaise foi, que la société sous-acquéreur, qui a constitué avec la société-acheteur une unité économique, disposant en outre des mêmes dirigeants, est détentrice de mauvaise foi car elle ne peut ignorer la clause de réserve de propriété et le caractère frauduleux de la revente malgré cette clause, que les trois sociétés qui exploitaient les activités du groupe TATI constituaient une unité économique, qu'elle a revendiqué ses marchandises entre les mains des deux sociétés sous-acquéreurs et non entre les mains de la société AGORA DISTRIBUTION, acquéreur initial, car les marchandises sont détenues par les deux sociétés pour elles-mêmes et non pour le compte de la société AGORA DISTRIBUTION, que les deux sociétés connaissaient la clause de réserve de propriété, qu'il y a eu fraude car le déroulement de la procédure collective montre que les sociétés du pôle AGORA ont, en toute connaissance de cause, continué à sur-commander des produits transférés par la société AGORA DISTRIBUTION à ses sociétés soeurs VETURA et LILNAT alors qu'elles savaient qu'elles ne paieraient jamais les biens livrés et préparaient leur dépôt de bilan.

La SELAFA MJA et la SELAS MJS PARTNERS répondent qu'il n'est pas contesté que la plupart des marchandises vendues sous le bénéfice d'une clause de réserve de propriété à la société AGORA DISTRIBUTION ont été revendues par celle-ci aux sociétés VETURA et LILNAT, que ces marchandises n'existaient plus en nature dans le patrimoine de la société AGORA DISTRIBUTION lors de l'ouverture de la procédure collective à son encontre qu'à hauteur de 22 118 pièces, dont la restitution a été ordonnée, que les autres marchandises ne peuvent être revendiquées entre les mains du sous-acquéreur parce qu'il ne les détenait pas à titre précaire pour le compte de la société AGORA DISTRIBUTION et que le fait pour le sous-acquéreur d'appartenir au même groupe de sociétés que la société débitrice/acheteur initial et l'existence d'un dirigeant commun ne permet pas d'établir que le sous-acquéreur est de mauvaise foi.

Les sociétés TATI DIFFUSION et TATI MAG font valoir qu'aucune demande n'est formée à leur encontre et, à titre d'observations, développent les mêmes moyens que les mandataires liquidateurs.

L'article L. 624-16 alinéa 2 du code de commerce dispose : « Peuvent également être revendiqués, s'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété. Cette clause doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit au plus tard au moment de la livraison. Elle peut l'être dans un écrit régissant un ensemble d'opérations commerciales convenues entre les parties ».

L'article 2276 du code civil dispose : « En fait de meubles, la possession vaut titre. Néanmoins, celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient. »

Les factures adressées à la société AGORA DISTRIBUTION correspondant aux marchandises revendiquées ont été émises entre le 2 mars et le 21 avril 2017. Ces factures n'ont pas été payées et il n'est pas contesté que les marchandises ont été revendues aux sociétés VETURA et LILNAT.

Comme l'a relevé le tribunal de commerce la clause de réserve de propriété dans les relations contractuelles entre la société LUANCE et la société AGORA DISTRIBUTION n'est pas opposable aux sociétés VETURA et LILNAT.

Mais le vendeur, qui se prévaut d'une clause de réserve de propriété à l'encontre de son acheteur qui a cédé les biens à un sous-acquéreur, peut revendiquer les biens en nature entre les mains du sous-acquéreur de mauvaise foi.

La société LUANCE, qui reconnaît que les marchandises ne sont plus entre les mains de la société AGORA DISTRIBUTION, fonde son action à l'encontre de la société LILNAT sur les dispositions de l'article 2276 du code civil et doit démontrer que celle-ci savait, en contractant avec la société AGORA DISTRIBUTION, que les marchandises appartenaient à la société LUANCE, par l'effet de la clause de réserve de propriété et qu'elle est un sous-acquéreur de mauvaise foi.

Les trois sociétés AGORA DISTRIBUTION, VETURA et LILNAT sont détenues par le même actionnaire, la société BRAM. Elles ont le même siège social et constituent le pôle AGORA qui exploite les activités du groupe TATI, la société AGORA DISTRIBUTION étant une centrale d'achat chargée d'approvisionner notamment les sociétés VETURA et LILNAT.

M. [I] [F] était le président des trois sociétés. A compter de mars 2017 la société PROSPHERES, spécialisée dans la gestion de sociétés en retournement, a été désignée par la société BRAM comme président des trois sociétés soeurs afin de, selon le jugement arrêtant le plan de cession de la société AGORA DISTRIBUTION du 26 juin 2017, « en collaboration avec l'ensemble des équipes des sociétés composant le pôle AGORA» procéder à la construction d'un nouveau plan d'affaires visant à élaborer des solutions de nature à assurer le redressement de l'entreprise.

L'offre de reprise globale du 14 juin 2017 présentée par le groupe GPG comprend les trois sociétés dans son périmètre.

La société LUANCE fait valoir, sans être utilement contestée, que les trois sociétés avaient regroupé et mutualisé les fonctions de direction dans le cadre d'une convention de prestation de management de la société AGORA DISTRIBUTION aux autres sociétés du groupe, visée dans l'offre de reprise, et que le groupe BRAM exploite par ailleurs les marques qu'il détient, dont la marque TATI, à travers une direction générale et une mutualisation des fonctions, notamment financières et juridiques, ainsi qu'il ressort du schéma présenté dans un document de communication de 2015 sur la responsabilité sociétale des entreprises.

Il est donc établi que les trois sociétés du groupe AGORA constituent, au sein du groupe BRAM, une unité économique qui a des intérêts communs, qui fonctionne avec les mêmes organes et selon des directives communes, qui adopte des stratégies communes et qui, dans ce cadre, n'ignore pas les conditions générales de vente imposées par les fournisseurs du groupe.

Il ressort des pièces produites qu'il existait un courant d'affaires continu entre les sociétés du groupe AGORA et la société LUANCE. Les bons de livraison versés à la procédure attestent que les marchandises commandées par la société AGORA DISTRIBUTION ont été livrées dans les magasins ou dépôts exploités par les sociétés VETURA et LILNAT et c'est le personnel de ces magasins, sous la responsabilité des dirigeants, qui a signé les bons de livraison mentionnant, dans les conditions générales de vente, la clause de réserve de propriété. Celle-ci est d'ailleurs d'usage général et habituel dans les contrats de distribution.

Enfin il y a lieu de relever que les marchandises litigieuses ont été commandées et livrées alors que les trois sociétés du pôle AGORA étaient depuis le 29 novembre 2016 sous l'effet d'une procédure de règlement amiable des difficultés des entreprises. Le 13 avril 2017 les trois sociétés ont sollicité l'ouverture d'une procédure de conciliation pour organiser un « pré-pack cession». Après avoir reçu plusieurs offres de reprise elles ont déposé le 28 avril 2017 des déclarations de cessation des paiements qui ont mené à leur redressement judiciaire le 4 mai 2017 puis à leur liquidation judiciaire le 20 juillet 2017. Dans le cadre de ces procédures, des informations ont nécessairement circulé et été échangées sur les contrats des fournisseurs et les engagements en cours.

Eu égard aux mentions sur les documents commerciaux de la société LUANCE, au fonctionnement interdépendant des trois sociétés constituant le pôle AGORA, à leur sort commun dans le cadre de leurs procédures collectives, il est manifeste que la société LILNAT n'ignorait ni l'existence systématique des clauses de réserve de propriété ni le fait que sa société soeur, qui commandait les marchandises, ne les avait pas payées.

Sa mauvaise foi est donc établie et, après infirmation du jugement, il sera fait droit à la demande de la société LUANCE au titre de la restitution des biens revendiqués entre les mains du mandataire liquidateur de la société LILNAT » ;

alors 1°/ que la bonne foi du sous-acquéreur est présumée ; que la circonstance que la société Lilnat, dont il était prétendu qu'elle était en possession des matériels revendiqués, appartienne au même groupe que la société Agora, soit dirigée par les mêmes personnes et ait fait l'objet de procédures collectives, n'est pas de nature à établir la mauvaise foi de la société Lilnat en tant que sous-acquéreur des biens revendiqués ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 624-16 du code de commerce ensemble les articles 2274 et 2276 du code civil ;

alors 2°/ que pour considérer que la société Lilnat avait connaissance de l'existence des clauses de réserve de propriété, la cour d'appel se fonde sur les bons de livraison dont elle énonce qu'ils mentionnent, « dans les conditions générales de vente, la clause de réserve de propriété » ; que le bon de livraison en lui-même, seul porté à la connaissance de la société Lilnat, ne mentionne pas la clause de réserve de propriété ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a dénaturé les bons de livraison versés au débat en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

alors 3°/ que pour considérer que la société Lilnat avait connaissance de l'existence des clauses de réserve de propriété, la cour d'appel se fonde sur les bons de livraison dont elle énonce qu'ils mentionnent, « dans les conditions générales de vente, la clause de réserve de propriété » ; que le bon de livraison en lui-même, seul porté à la connaissance de la société Lilnat, ne mentionne pas la clause de réserve de propriété ; qu'en statuant ainsi sans avoir établi que les conditions générales de vente avaient été portées à la connaissance de la société Lilnat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 624-16 du code de commerce ensemble les articles 2274 et 2276 du code civil ;

alors 4° que la bonne foi du sous-acquéreur est présumée ; qu'en se bornant à relever l'existence d'un fonctionnement interdépendant des trois sociétés constituant le groupe Agora et la mention, sur des documents commerciaux circulant entre ces sociétés, des clauses de réserve de propriété acceptées par la société Agora, ce qui n'établissait, en toute hypothèse, que la connaissance de la réserve de propriété, pour prétendre établie la mauvaise foi de la société Lilnat, la cour d'appel, qui n'a pas établi la connaissance de l'absence de paiement du prix par la société Agora, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 624-16 du code de commerce ensemble les articles 2274 et 2276 du code civil ;

alors 5°/ que l'une des conditions de la revendication, par un créancier, auprès du sous-acquéreur de mauvaise foi en liquidation judiciaire, est la possession desdits biens, autrement dit, leur existence en nature dans le patrimoine de la société au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective ; que la cour d'appel, pour statuer comme elle l'a fait, n'a pas constaté l'existence des biens revendiqués au jour du jugement d'ouverture ; que, ce faisant, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 624-16 du code de commerce ensemble l'article 2276 du code civil.

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