10 novembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-15.361

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C201040

Titres et sommaires

AVOCAT - Représentation ou assistance en justice - Mandat de représentation - Fin - Effets - Indemnisation de la rupture brutale - Condition - Abus de droit - Caractérisation

Le mandant est libre de révoquer à tout moment son mandat, sous réserve de l'abus de droit. Ayant relevé que l'état de dépendance de l'avocat envers le mandant n'était pas caractérisé, qu'il ne pouvait ignorer que le contentieux sériel, dont la gestion lui avait été confiée en 2009, n'était pas destiné à perdurer de sorte que la rupture, intervenue en 2015, ne pouvait être qualifiée de brutale, qu'il ne démontrait pas qu'elle aurait entraîné une désorganisation du cabinet et qu'enfin, la perte du chiffre d'affaires prétendument consécutive à la révocation du mandat n'était pas significative, la cour d'appel a pu en déduire, qu'en l'absence d'abus de droit de la part du mandant, l'avocat ne pouvait prétendre à une indemnité

MANDAT - Révocation - Abus de droit - Exclusion - Applications diverses

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Faute - Abus de droit - Exclusion - Applications diverses

Texte de la décision

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 10 novembre 2021




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1040 F-B

Pourvoi n° K 20-15.361




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 NOVEMBRE 2021

La société Cabinet Boukris, société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 20-15.361 contre l'arrêt rendu le 27 février 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société Crédit immobilier de France développement, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Cabinet Boukris, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Crédit immobilier de France développement, après débats en l'audience publique du 29 septembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 février 2020), la société Banque patrimoine et Immobilier (BPI), aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement (Cifd), a mandaté, en 2009, la société Boukris (l'avocat), avec pour mission de représenter ses intérêts dans les actions en responsabilité et en paiement relatives aux affaires dites « Apollonia ».

2. Arguant de la réorganisation interne du groupe de sociétés auquel elle appartient, la société Cifd a mis fin, le 2 octobre 2015, au mandat conféré à l'avocat, s'agissant de la gestion des dossiers relatifs à ce contentieux, avant de le décharger, le 6 janvier 2016, des autres dossiers qu'il gérait dans son intérêt.

3. S'estimant victime d'une révocation abusive de son mandat, l'avocat a assigné la société Cifd devant un tribunal de grande instance aux fins d'indemnisation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.


Sur le moyen, pris en sa première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

5. L'avocat fait grief à l'arrêt de le débouter de l'ensemble de ses demandes tendant à « dire et juger » que la société BPI avait rompu brutalement leur relation, de le débouter de ses demandes tendant à réparer ses préjudices financier et moral et de le condamner verser à la société Cifd la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile alors :

« 1°/ que le mandant est libre de révoquer à tout moment son mandat, sauf à ne pas commettre un abus de droit, que l'avocat et son client sont liés par un contrat de mandat qui empêche, sauf manquement grave aux obligations convenues par les parties, une rupture brutale des relations contractuelles entre les parties, qu'en l'espèce pour débouter la société Boukris de sa demande en réparation du préjudice économique et moral subi en raison de la rupture brutale des relations établies, la cour d'appel se serait bornée à considérer que le cabinet n'était pas économiquement dépendant de la société Cifd, et qu'en statuant ainsi, par des motifs prétendument impropres et inopérants à justifier sa décision, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1984 et 2004 du code civil ;

2°/ que la révocation du mandat liant l'avocat à son client institutionnel devrait s'exercer en application d'un délai de préavis raisonnable ; qu'à défaut d'application des dispositions particulières de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture devrait être indemnisé sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle, en affirmant, en l'espèce, qu'« au vu de la nature sérielle du contentieux qui diminuait, de l'activité même d'avocat liée à la durée des affaires en cours, du caractère intuitu personae de la relation avec son client, la rupture signifiée par courrier du 2 octobre 2015 à la société Cifd et liée à une réorganisation et à un regroupement du contentieux, ne présente pas un caractère abusif », sans vérifier, comme elle y était expressément invitée, si l'exécution d'un préavis contractuel avait été convenu par les parties et si, faute de l'avoir exécuté, la société Cifd n'avait pas brutalement rompu la relation la liant à la société Boukris, la cour d'appel a violé les articles 1103 et 1121 du code civil, ensemble le principe de la force obligatoire des conventions ;

3°/ qu'en tout état de cause, tout jugement doit être motivé ; que le juge ne peut statuer par voie d'affirmation ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans réserver le moindre motif à l'application d'un préavis contractuel, liant pourtant les parties, la cour d'appel a procédé par voie d'affirmation, en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Pour rejeter la demande d'indemnisation formée par l'avocat, l'arrêt relève que si, en 2010 et 2011, le chiffre d'affaires de l'avocat, lié aux dossiers Apollonia, a atteint 43 % du contentieux du cabinet, il avait diminué à 26 % en 2013 et 2014 et 28 % sur 9 mois en 2015, ce qui ne peut caractériser un état de dépendance.

7. La décision précise que ce contentieux sériel résultant d'un sinistre, important en nombre de dossiers à son apparition, n'était pas destiné à perdurer dans le temps ce que ne pouvait ignorer l'avocat, de sorte que la rupture, qui est intervenue en 2015, ne peut être qualifiée de brutale.

8. L'arrêt retient également que l'avocat ne démontre pas, contrairement à ce qu'il prétend, qu'il a dû procéder à une réduction de capital, en lien avec la présente affaire, qu'il ne justifie pas davantage avoir été dans l'obligation de se séparer de deux collaboratrices chargées de ce contentieux, que la rupture aurait entraîné une désorganisation du cabinet et qu'enfin, la perte du chiffres d'affaires prétendument consécutive à la révocation n'était pas significative.

9. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui ne s'est pas bornée à relever l'absence d'une situation de dépendance économique et qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a, aux termes d'une motivation détaillée, pu en déduire que l'avocat ne pouvait prétendre à une indemnité, en l'absence d'abus de droit de la part du mandant.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Boukris aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par société Boukris et la condamne à payer à la société Crédit immobilier de France développement, la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix novembre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Cabinet Boukris

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la SELAS Cabinet Boukris de l'ensemble de ses demandes tendant à dire et juger que la Banque Patrimoine et Immobilier avait rompu brutalement leur relation ; de l'AVOIR débouté de ses demandes tendant à réparer ses préjudices financier et moral ; et d'AVOIR condamné la SELAS cabinet Boukris à verser à la société CIFD la somme de 4000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE :

« Sur la rupture abusive du contrat de mandat

Le cabinet Boukris fait valoir que son mandant devait respecter un préavis suffisamment long pour lui permettre de prendre toutes ses dispositions au regard des graves difficultés financières et morales nécessairement encourues et engendrées par la perte d'un très important chiffre d'affaires, ce que la société CIFD n'a pas fait,

La société CIFD réplique que :
- aucune intention de nuire, ni aucune légèreté blâmable de sa part n'est envisagée, condition pourtant imposée par la jurisprudence pour permettre de caractériser un abus de révocation du mandat ;
- la résiliation des mandats Apollonia n'a manifestement entraîné aucune réorganisation de la structure du demandeur ;
- les dossiers Apollonia étaient, par nature, éphémères.

L'article 2004 du code civil dispose que : "Le mandant peut révoquer sa procuration quand bon lui semble et contraindre, s'il y a lieu, le mandataire à leur remettre soit l'écrit sous seing privé qui la contient, soit l'original de la procuration, si elle a été délivrée en brevet, soit l'expédition, s'il en a été gardé minute".

Si sur le fondement de l'article 1134 ancien du code civil, les contrats doivent être exécutés de manière loyale, la déloyauté ne peut résulter du fait même de la rupture du mandat même soudaine, le mandant étant libre de révoquer à tout moment et de manière discrétionnaire son mandat sauf à ne pas commettre un abus de droit

Les dossiers Appolonia ont été en partie confiés à compter de 2009 au cabinet Boukris ce qui a généré pour celui-ci le chiffre d'affaires suivant :

AnnéeHonoraires HT en euros
2009159.044
2010434.567
2011506.118
2012339.174
2013249.274
2014256.717
Par courrier du 2 octobre 2015, la société CIFD a mis fin au mandat du cabinet Boukris dans les termes suivants : "La société CIFD a décidé pour des raisons d'organisation et de cohérence dans le traitement des dossiers, de regrouper la gestion de la totalité des dossiers et des procédures se rapportant à l'affaire "Apollonia" sous la responsabilité d'un seul cabinet d'avocats. Cette décision s'inscrit dans le cadre de la simplification juridique et de la gouvernance centralisée imposée au groupe CIF par le plan de résolution ordonnée, approuvé par la Commission européenne en fin novembre 2013. Cette simplification conduit ainsi à regrouper au sein de CIFD, par des opérations de fusion absorption, l'ensemble des encours des filiales financières affiliées au réseau bancaire."

Le 27 octobre suivant, le cabinet Boukris répondait à BPI : "Comme vous le savez, la banque Patrimoine et Immobilier a décidé de confier désormais les dossiers relatifs au contentieux "Appolonia" à un autre cabinet d'avocats.

Cette décision pour le moins brutale et inattendue, tant par sa méthode que par sa forme et sans aucun, préavis, aura à l'évidence des conséquences préjudiciables pour mon cabinet. Je vous remercie de bien vouloir me recevoir dans les meilleurs délais afin de m'entretenir avec vous et essayer de trouver ensemble une solution amiable".

Si en 2010 et 2011, le chiffre d'affaires du cabinet Boukris lié aux dossiers Apollonia, a atteint 43% du contentieux du cabinet, il a ensuite diminué à 26% en 2013 et 2014 et 28% sur 9 mois en 2015 ce qui ne peut caractériser un état de dépendance, en supposant que ce critère doive être pris en considération.

Il y a lieu de préciser qu'il s'agit d'un contentieux sériel puisque le cabinet Boukris ne conteste pas que la mission qui lui a été confiée était de :
-représenter les intérêts de l'intimée dans le cadre des actions en responsabilité engagées à son encontre par les emprunteurs ;
-assigner en paiement les emprunteurs défaillants dans le délai biennal de l'article 137-2 du code de la consommation ;

Le contentieux confié résultant d'un sinistre n'était ni stable ni destiné à perdurer dans le temps ce que ne pouvait ignorer le cabinet Boukris.


Le cabinet Boukris ne démontre pas, contrairement à ce qu'il prétend qu'il a dû procéder à une réduction de son capital et au surplus qui serait en lien avec la présente affaire.

Il ne justifie pas davantage avoir été dans l'obligation de se séparer de deux collaboratrices chargées de ce contentieux et que la rupture aurait entraîné une désorganisation du cabinet.

Il résulte de l'attestation comptable que le chiffre d'affaires du cabinet Boukris en 2015 a été inférieur de 140.000 euros à celui de l'année 2014, passant de 991.308 euros à 851.090 euros.

Le litige lié au paiement des honoraires réclamés à la société CIFD n'a pas à être pris en considération.

En conséquence, au vu de la nature sérielle du contentieux qui diminuait, de l'activité même d'avocat liée à la durée des affaires en cours, du caractère intuitu personae de la relation de l'avocat avec son client, la rupture signifiée par courrier du 2 octobre 2015 à la société CIFD et liée à une réorganisation et à un regroupement du contentieux, ne présente pas un caractère abusif.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le cabinet Boukris de sa demande d'indemnisation au titre de la rupture du mandat en date du 2 octobre 2015.

Sur la demande fondée sur l'article L.442-6 1 5° du code de commerce

Le cabinet Boukris sollicite une indemnisation sur ce fondement. La société CIFD répond que ces dispositions ne s'appliquent pas à la profession d'avocat.

L'article L. 442-6,1,5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au Mge dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, "a référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée-minimale de préavis est double de celle qui- serait- applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. À défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas.

Selon l'article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, la profession d'avocat est incompatible avec toutes les activités de caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée.

L'article L.442-6,1, 5° du code de commerce visant la réparation de la rupture brutale de relations commerciales établies n'est donc pas applicable à la relation nouée entre le cabinet Boukris et la société CIFD.

Le jugement sera confirmé en ce que le tribunal a débouté le cabinet Boukris de sa demande de ce chef.

Sur les demandes accessoires

Il y a lieu de condamner le cabinet Boukris à verser à la société CIFD la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ; l'appelante sera déboutée de sa demande de ce chef ".


ET AUX MOTIFS REBUTÉS ADOPTÉS QUE :

" Sur la rupture abusive des relations contractuelles

Le cabinet BOUKRIS estime que dès lors qu'aucune faute ne lui a été reprochée et qu'aucune urgence ne nécessitait une révocation immédiate du mandat, qui lui avait été confié, la brutalité de cette révocation "pour des raisons d'organisation "est constitutive d'un abus et d'une faute qui lui est préjudiciable. Il soutient qu'il appartenait au mandant de respecter un préavis suffisamment long pour lui permettre de prendre toutes ses dispositions au regard des graves difficultés engendrées par la perte de cet important client. Il affirme que, même en l'absence de relation commerciale entre l'avocat et son client, l'article L446-1-5° du Code de commerce doit s'appliquer, dès lors qu'il existe : une relation économique professionnelle. II fait valoir que BPI devait lui accorder un juste préavis par écrit et que cette absence de préavis constitue une faute. Il rappelle que la lettre de rupture ne fait état d'aucun reproche, ni de la moindre observation négative sur sa tenue des dossiers.

La CIFD réplique que les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce relèvent de la seule responsabilité délictuelle et n'ont pas vocation à s'appliquer à la relation avocat-client. Elle soutient qu'il y a lieu de se situer sur le terrain des articles 2003 et suivants du Code civil et qu'il appartient au demandeur de rapporter la preuve de l'abus dans la révocation de son mandat Elle estime qu'en l'espèce l'abus de révocation du mandat n'est pas caractérisé dès lors qu'aucune intention de nuire, ni aucune légèreté blâmable n'est démontrée. Elle fait observer que le cabinet BOUKRIS ne saurait tirer argument de ce qu'aucun reproche n'a été formulé à son encontre, dans la lettre du 2 octobre 2015, pour caractériser l'abus, dans la mesure où la notion de révocabilité ad nutum permet une révocation sans motif. Elle estime en conséquence n'avoir eu aucun comportement anormal avec le demandeur et que la révocation des mandats confiés au cabinet BOUKRIS n'est pas abusive.

L'article L442-6 I 5° du Code de commerce prévoit que "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toutproducteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers : …......5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels." Or, les textes organisant la profession d'avocat excluent expressément que l'avocat puisse exercer une activité s'apparentant à une activité commerciale, il s'ensuit qu'en l'espèce l'article L.442-61 5° n'est pas applicable à la relation nouée entre le cabinet BOUKRIS et sa cliente, la BPI.

Les relations de l'avocat et de son client, y compris leur rupture, sont donc régies par l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016 applicable à la présente instance, et par les dispositions de l'article 2004 du Code civil relatives au mandat.

II résulte de ce texte que le mandant est libre de révoquer à tout moment son mandat sans avoir à donner un motif, sauf à ne pas commettre un abus de droit. L'absence de faute du mandataire ne suffit toutefois pas à caractériser l'abus.

Le Cabinet BOUKRIS estime que le caractère abusif de la rupture résulterait de la brutalité de celle-ci en l'absence d'un délai de préavis.

En l'espèce, il est constant que la BPI a confié au Cabinet BOUKRIS des dossiers depuis 2009, soit depuis presque sept ans au moment de la rupture de leurs relations. Le demandeur indique que le chiffre d'affaires réalisé avec BPI a pu représenter jusqu'à 40 % de son chiffre d'affaires total et que la rupture de leurs relations a provoqué une désorganisation du cabinet. La défenderesse relève à juste titre que ce chiffre d'affaires n'a pu être atteint que dans les premières années du contentieux "Appolonia", en 2010-2011, l'essentiel des diligences étant réalisées à ce moment-là. De nombreuses procédures faisant ensuite l'objet de sursis à statuer ou de transactions, ce chiffre d'affaires réalisé avec BPI n'a pu que décroître dans les années qui ont suivi, comme l'attestent d'ailleurs les pièces comptables produites. En effet, ce contentieux sériel, important en nombre de dossiers à son apparition, est amené à disparaître au bout de quelques années, de sorte que la rupture, qui est intervenue en 2015, ne peut être qualifiée de brutale, La proportion du chiffre d'affaires réalisé avec son client BPI de 2009 à 2015 ne permet pas d'établir l'existence d'un état de dépendance du cabinet d'avocats vis-à-vis de ce dernier. Le Cabinet BOUKRIS ne justifie pas non plus d'une désorganisation du cabinet, qui aurait entraîné le départ de deux collaboratrices et une réduction du capital, suite à la révocation du mandat II ne démontre pas, contrairement à ce qu'il affirme, la nécessité d'une réorganisation du cabinet, qui aurait été portée à la connaissance de la BPI, et partant d'un préavis qui l'aurait facilitée. Dans ces conditions, il ne peut être reproché à la défenderesse d'avoir agi avec une légèreté blâmable et d'avoir abusivement révoqué le mandat confié à son avocat, étant rappelé que les relations de l'avocat et de son client s'établissent sur un rapport de confiance et que ce dernier reste libre du choix de son conseil et n'engage sa responsabilité qu'en cas de la rupture fautive. Tel n'est pas le cas en l'espèce.

Le Cabinet BOUKRIS sera en conséquence débouté de l'ensemble de ses demandes " ;

1°) ALORS, de première part, QUE le mandant est libre de révoquer à tout moment son mandat, sauf à ne pas commettre un abus de droit ; que l'avocat et son client sont liés par un contrat de mandat qui empêche, sauf manquement grave aux obligations convenues par les parties, une rupture brutale des relations contractuelles entre les parties ; qu'en l'espèce pour débouter le Cabinet Boukris de sa demande de réparation du préjudice économique et moral subi en raison de la rupture brutale des relations établies, la cour d'appel s'est bornée à considérer que le cabinet n'était pas économiquement dépendant de la société CIFD ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres et inopérants à justifier sa décision, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1984 et 2004 du code civil ;

2°) ALORS, de deuxième part, QUE la révocation du mandat liant l'avocat à son client institutionnel doit s'exercer en application d'un délai de préavis raisonnable ; qu'à défaut d'application des dispositions particulières de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture doit être indemnisé sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle ; qu'en affirmant, en l'espèce, qu' " au vu de la nature sérielle du contentieux qui diminuait, de l'activité même d'avocat liée à la durée des affaires en cours, du caractère intuitu personae de la relation de l'avocat avec son client, la rupture signifiée par courrier du 2 octobre 2015 à la société CIFD et liée à une réorganisation et à un regroupement du contentieux, ne présente pas un caractère abusif " (arrêt, p. 6 § 6), sans vérifier, comme elle y était expressément invitée, si l'exécution d'un préavis contractuel avait été convenu par les parties et si, faute de l'avoir exécuté, la société CIFD n'avait pas brutalement rompu la relation la liant au Cabinet Boukris, la cour d'appel a violé les articles 1103 et l'article 1211 du code civil, ensemble le principe de la force obligatoire des conventions ;

3°) ALORS, de troisième part et en tout état de cause, QUE tout jugement doit être motivé ; que le juge ne peut statuer par voie d'affirmation ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans réserver le moindre motif à l'application d'un préavis contractuel, liant pourtant les parties, la cour d'appel a procédé par voie d'affirmation, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

4°) ALORS, de quatrième part et en toute hypothèse, QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans répondre au moyen pertinent dont elle était saisie et sans vérifier si la brutalité de la rupture contractuelle ne procédait pas de l'absence d'exécution d'un préavis raisonnable pour permettre au Cabinet Boukris de se réorganiser eu égard à la perte économique substantielle s'induisant de la révocation immédiate d'un client institutionnel, la cour d'appel a, derechef, violé l'article 455 du code de procédure civile.

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