10 novembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-24.386

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C100679

Titres et sommaires

PRET - Prêt d'argent - Terme - Déchéance - Application - Modalités

Lorsqu'une mise en demeure, adressée par la banque à l'emprunteur et précisant qu'en l'absence de reprise du paiement des échéances dans un certain délai la déchéance du terme serait prononcée, est demeurée sans effet, la déchéance du terme est acquise à l'expiration de ce délai sans obligation pour la banque de procéder à sa notification

PRET - Prêt d'argent - Terme - Déchéance - Notification - Exclusion - Cas

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 10 novembre 2021




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 679 FS-B

Pourvoi n° Z 19-24.386


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 10 NOVEMBRE 2021

Le fonds commun de titrisation Hugo créances 2, ayant pour société de gestion, la société Equitis Gestion, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], représenté par l'entité désignée à l'effet du recouvrement, la société MCS et associés, société par actions simplifiée à associé unique, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la société Le Crédit lyonnais a formé le pourvoi n° Z 19-24.386 contre l'arrêt rendu le 5 septembre 2019 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [L] [L], domicilié [Adresse 1],

2°/ à M. [B] [B], domicilié [Adresse 4],

3°/ à M. [T] [T], domicilié [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Avel, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat du fonds commun de titrisation Hugo créances 2, et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 septembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Avel, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Girardet, Mornet, Chevalier, Mme Kerner-Menay, conseillers, M. Vitse, Mmes Dazzan, Le Gall, Kloda, M. Serrier, Mmes Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 5 septembre 2019), suivant acte notarié du 13 octobre 2006, la société Le Crédit lyonnais (la banque) a consenti un prêt immobilier à la société civile immobilière JT (la SCI). Par acte sous seing privé du 6 juillet 2006, MM. [L], [T] et [B] (les cautions), associés de la SCI, se sont portés cautions solidaires personnelles de celle-ci.

2. Le 12 mars 2009, la banque a mis en demeure la SCI et les cautions de régler les échéances impayées dans un délai de quinze jours, en précisant que, passé ce délai, la clause de déchéance du terme prévue au contrat prendrait effet.

3. Après avoir, le 22 avril 2014, délivré de nouvelles mises en demeure à celles-ci de payer le solde du prêt, en invoquant une cession de créance à son profit, la société Le Fonds commun de titrisation dénommé Hugo créances II (le Fonds), représenté par la société de gestion GTI Asset management, a assigné les cautions en paiement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. Le Fonds fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors « que, lorsque la déchéance du terme est subordonnée à la délivrance d'une mise en demeure préalable, elle intervient dès lors que l'emprunteur n'a pas fait obstacle à l'exigibilité anticipée dans le délai imparti en régularisant les échéances impayées ; que le prêteur n'est nullement tenu, au surplus, de notifier au prêteur, à l'expiration du délai imparti, la déchéance du terme ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que par lettres recommandées avec accusé de réception en date du 12 mars 2009, la banque avait clairement indiqué à la SCI JT et à ses cautions que la déchéance du terme interviendrait à l'expiration d'un délai de quinze jours, en l'absence de régularisation des échéances impayées ; qu'il en résultait que la déchéance du terme était intervenue le 27 mars 2009 ; qu'en retenant pourtant que le prêteur ne pouvait être dispensé « de notifier aux emprunteurs la déchéance du terme qui relève d'une décision laissée à sa propre discrétion et qui doit intervenir à une date précise et certaine », la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, en violation des articles 1134, 1147 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. Il résulte de ces textes que, lorsqu'une mise demeure, adressée par la banque à l'emprunteur et précisant qu'en l'absence de reprise du paiement des échéances dans un certain délai la déchéance du terme serait prononcée, est demeurée sans effet, la déchéance du terme est acquise à l'expiration de ce délai sans obligation pour la banque de procéder à sa notification.

6. Pour rejeter la demande en paiement formée contre les cautions, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que, nonobstant les termes du contrat excluant, en cas de non-paiement d'une échéance, la nécessité d'une mise en demeure préalable à l'exigibilité de toutes les sommes dues au titre du prêt, la banque a procédé à une mise en demeure, et qu'à défaut de régularisation dans le délai imparti, elle n'a pu se trouver dispensée de notifier aux emprunteurs la déchéance du terme.

7. En statuant ainsi, alors que, faute de règlement par la SCI et les cautions dans le délai de quinze jours imparti par la banque, la déchéance du terme était acquise le 27 mars 2009, sans que la banque soit tenue d'en notifier le prononcé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société Le Fonds commun de titrisation, dénommé Hugo créances 2, l'arrêt rendu le 5 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Reims ;

Condamne MM. [L], [T] et [B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix novembre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour le fonds commun de titrisation Hugo Créances 2

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté le fonds commun de titrisation dénommé Hugo Créances II représenté par sa société de gestion, la société anonyme GTI Asset Management, de sa demande en paiement ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE : « la Cour saisie du litige dans les mêmes termes et arguments qu'en premier ressort, confirme la décision du premier Juge qui a fait une exacte application du droit aux faits de l'espèce et qui, par des motifs complets et pertinents adoptés, a parfaitement répondu aux arguments des parties, repris en cause d'appel » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE : « sur le bienfondé de la créance : qu'en ce que les défendeurs contestent l'exigibilité même de la créance invoquée, et que de la solution à l'examen de ces moyens dépend celle de l'éventuelle prescription de l'action du demandeur, dès lors que la déchéance du terme invoquée doit fixer le point de départ de la prescription excipée, il y a lieu de trancher préalablement ce point ; que selon les termes de l'alinéa 1 de l'article 1134 ancien du code civil, applicable au litige, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » ; qu'aussi est-il de principe que si le contrat de prêt d'une somme d'argent peut prévoir que la défaillance de l'emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut, sauf disposition expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d'une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle ; qu'en l'occurrence, l'article 5 du contrat de prêt notarié en date du 13 octobre 2006 prévoit qu'en cas d'inexécution d'une obligation contractuelle, notamment en cas de non paiement d'une échéance, toutes les sommes dues au titre du prêt, tant en principal qu'en intérêts et accessoires, deviendraient exigibles par anticipation de plein droit, sans que l'établissement prêteur n'ait à faire prononcer en justice la déchéance du terme, ni à procéder à une mise en demeure ; qu'il y a donc lieu de constater que les termes du contrat ont expressément et univoquement exclu la nécessité d'une telle mise en demeure ; que pour autant, l'établissement prêteur LCL a, par lettres recommandées avec accusé de réception en date du 12 mars 2009, procédé à cette mise en demeure de la SCI JT et de ses cautions de régler les échéances impayées, soit la somme de 11.789,10 euros, avec, pour les défendeurs, une majoration du taux d'intérêt contractuel ; que les correspondances ont précisé que « faute par vous de ce faire, dans le délai de QUINZAINE, la clause de déchéance du terme prévue au contrat prendra effet et nous vous mettons en demeure de nous payer dans ce cas - les échéances impayées du 06.10.2008 au 06.03.2009 11.789,10 euros, -les intérêts de retard échus 488, 47 euros, - le capital restant dû : 228.948, 41 euros, - les intérêts sur le capital : mémoire, - indemnité légale de 7 % 16.851,63 euros, -fonds reçus 0,00 euros, décompte au 12 mars 2009, SOIT AU TOTAL :258.077, 61 euros Sauf intérêts à courir jusqu'à paiement au taux de 6, 95 % l'an (mémoire) » ; que dès lors, et quand bien même il n'en était pas tenu par la lettre du contrat, le prêteur, en procédant à l'envoi d'une lettre de mise en demeure, n'a pu se trouver dispensé, dans un second temps et à défaut de régularisation dans le délai imparti, de notifier aux emprunteurs la déchéance du terme qui relève d'une décision laissée à sa propre discrétion et qui doit intervenir à une date précise et certaine ; que les lettres de mise en demeure en date du 12 mars 2009 ne peuvent donc valoir également notification de la déchéance du terme ; que suivant le même formalisme, le 22 avri12014, la société anonyme MCS et associés, mandatée par le Fonds commun de titrisation « HUGO CRÉANCES II », a indiqué à Messieurs [L] [L], [T] [T] et [B] [B] que « En votre qualité de caution de la SCI JT, le CRÉDIT LYONNAIS vous a mis en demeure par courrier du 13 mars 2009 d'avoir à régler les sommes dues au titre du concours consenti. Cette mise en demeure est restée vaine. A ce jour vous restez redevable de la somme de 138.900,37 euros en principal et intérêts arrêtée outre intérêts à courir jusqu'à parfait paiement, que nous vous mettons en demeure de régler sous huitaine » ; que le défaut de règlement dans le délai imparti n'est donc assorti d'aucune sanction ; qu'il n'est pas plus renvoyé à une quelconque déchéance antérieure du terme, seulement à la mise en demeure ci-reproduite, alors datée de plus de cinq ans ; que de même, la somme visée n'est aucunement explicitée, et il n'est produit aucune mention ni aucun décompte précis des sommes qui seraient devenues exigibles en raison d'une déchéance du terme du crédit litigieux ; que le décompte versé aux débats, en ce qu'il apparaît n'être qu'un document interne au FCT, ne retraçant au demeurant pas le calcul effectué pour parvenir à la somme réclamée de 138.900,37 euros, et les lettres d'information annuelle adressées aux cautions personnelles de 2011 à 2015, rappelant expressément que les renseignements contenus ne sont donnés qu'à titre purement indicatif, ne sauraient valablement compenser les carences de notification d'une éventuelle déchéance du terme et d'information suffisante des défendeurs quant aux sommes exigées ; qu'enfin, l'assertion du demandeur selon laquelle le LCL a perçu de la SCI JT, en juillet 2009, la somme de 131.225 euros, n'est étayée par aucun justificatif ; qu'il convient donc de considérer que le FCT ne justifie pas de l'exigibilité de la créance dont il est titulaire à l'égard de la SCI JT, et partant, de l'activation de l'engagement de caution souscrit par les défendeurs ; qu'ainsi, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens soulevés en défense, le Fonds commun de titrisation dénommé « HUGO CRÉANCES II », représenté par sa société de gestion, la société anonyme GTI ASSET MANAGEMENT, sera débouté de ses demandes en paiement » ;

1/ ALORS QUE pour contester les motifs du jugement ayant retenu qu'après avoir envoyé à l'emprunteur une mise en demeure, le prêteur aurait dû lui notifier la déchéance du terme, le FCT, représenté par sa société de gestion, soulevait en cause d'appel un moyen de droit nouveau (conclusions, p. 26 à 28) ; qu'il soulignait expressément la nouveauté de ce moyen développé en faisant valoir qu'en première instance, le tribunal avait relevé d'office l'absence de notification de la déchéance du terme, que n'invoquaient pas les cautions, et à l'égard de laquelle il n'avait donc pas pu présenter d'observations (conclusions, p. 24 à 26) ; qu'en confirmant la décision entreprise en retenant que le tribunal « a fait une exacte application du droit aux faits de l'espèce et, par des motifs complets et pertinents adoptés, a parfaitement répondu aux arguments des parties » (arrêt, p. 6, dernier alinéa), sans aucunement répondre au moyen nouvellement développé en cause d'appel par l'exposant relatif à la déchéance du terme, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2/ ALORS ET EN TOUT ETAT DE CAUSE QUE le contrat de prêt d'une somme d'argent peut prévoir que la défaillance de l'emprunteur entraînera la déchéance du terme, et, à condition qu'une disposition expresse et non équivoque l'ait prévu, stipuler que la déchéance du terme sera acquise au créancier sans la délivrance d'une mise en demeure restée sans effet ; qu'en ce cas, la déchéance du terme opère au jour où le créancier exige paiement du solde du prêt ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que « les termes du prêt ont expressément et univoquement exclu la nécessité d'une telle mise en demeure » (jugement, p. 6, pénultième aliéna) ; que la cour d'appel a encore constaté que par lettres recommandées avec accusé de réception en date du 12 mars 2009, le LCL avait clairement indiqué à la SCI JT et à ses cautions que la déchéance du terme interviendrait à l'expiration d'un délai de quinze jours, en l'absence de régularisation des échéances impayées ; qu'il en résultait que la déchéance du terme était intervenue le 27 mars 2009 ; qu'en retenant pourtant que le prêteur ne pouvait être dispensé « de notifier aux emprunteurs la déchéance du terme qui relève d'une décision laissée à sa propre discrétion et qui doit intervenir à une date précise et certaine » (jugement, p. 7, alinéa 2), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que le prêteur avait été contractuellement dispensé de la délivrance d'une mise en demeure, et qu'il avait manifesté sa volonté d'obtenir paiement du solde du prêt, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1147 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3/ ALORS ET SUBSIDIAIREMENT QUE lorsque la déchéance du terme est subordonnée à la délivrance d'une mise en demeure préalable, elle intervient dès lors que l'emprunteur n'a pas fait obstacle à l'exigibilité anticipée dans le délai imparti en régularisant les échéances impayées ; que le prêteur n'est nullement tenu, au surplus, de notifier au prêteur, à l'expiration du délai imparti, la déchéance du terme ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que par lettres recommandées avec accusé de réception en date du 12 mars 2009, le LCL avait clairement indiqué à la SCI JT et à ses cautions que la déchéance du terme interviendrait à l'expiration d'un délai de quinze jours, en l'absence de régularisation des échéances impayées ; qu'il en résultait que la déchéance du terme était intervenue le 27 mars 2009 ; qu'en retenant pourtant que le prêteur ne pouvait être dispensé « de notifier aux emprunteurs la déchéance du terme qui relève d'une décision laissée à sa propre discrétion et qui doit intervenir à une date précise et certaine » (jugement, p. 7, alinéa 2), la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, en violation des articles 1134, 1147 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.