9 novembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-87.078

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:CR01332

Titres et sommaires

LOIS ET REGLEMENTS - application dans le temps - loi relative au régime d'exécution et d'application des peines - loi plus douce - abrogation - censure du conseil constitutionnel - article 112-4 du code pénal - cessation d'exécution

Les décisions du Conseil constitutionnel s'imposant aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles en vertu de l'article 62 de la Constitution, les déclarations de non-conformité ou les réserves d'interprétation qu'elles contiennent et qui ont pour effet qu'une infraction cesse, dans les délais, conditions et limites qu'elles fixent, d'être incriminée doivent être regardées comme des lois pour l'application de l'article 112-4, alinéa 2, du code pénal. Doit en conséquence être approuvé l'arrêt de la cour d'appel qui ordonne que cesse de recevoir exécution la peine prononcée contre le condamné du chef de recel d'apologie d'actes de terrorisme, infraction dont le Conseil constitutionnel a jugé qu'elle porte à la liberté d'expression et de communication une atteinte qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée de sorte que les mots "ou de faire publiquement l'apologie de ces actes" figurant au premier alinéa de l'article 421-2-5 du code pénal ne sauraient, sans méconnaître cette liberté, être interprétés comme réprimant un tel délit (Cons. const., 19 juin 2020, décision n° 2020-845 QPC).

Texte de la décision

N° P 20-87.078 F- B

N° 01332


GM
9 NOVEMBRE 2021


REJET


M. SOULARD président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 NOVEMBRE 2021



Le procureur général près la cour d'appel de Metz a formé un pourvoi contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 22 octobre 2020, qui a dit que la peine prononcée contre M. [M] [X], pour des faits de recel d'apologie d'actes de terrorisme, doit cesser de recevoir exécution.

Des mémoires en demande et en défense ont été produits.

Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [M] [X], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 octobre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, M. Lemoine, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par jugement du 6 juillet 2018, le tribunal correctionnel de Metz a déclaré M. [X] coupable de recel d'apologie d'actes de terrorisme sur le fondement des articles 321-1 et 421-2-5 du code pénal.

3. Par arrêt du 21 novembre 2018, la cour d'appel de Metz a confirmé cette décision sur le fond et a condamné le prévenu à deux ans d'emprisonnement, dont un an avec sursis et mise à l'épreuve.

4. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi contre cet arrêt, jugeant qu'entre dans les prévisions des articles 321-1 et 421-2-5 du code pénal le fait de détenir, à la suite d'un téléchargement effectué en toute connaissance de cause, des fichiers caractérisant l'apologie d'actes de terrorisme (Crim., 7 janvier 2020, pourvoi n° 19-80.136).

5. Par arrêt du 24 mars 2020, concernant une affaire distincte, la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire portant sur la conformité à la Constitution du délit précité (Crim., 24 mars 2020, pourvoi n° 19-86.706).

6. Par décision du 19 juin 2020 (n° 2020-845 QPC), le Conseil constitutionnel a jugé que le délit de recel d'apologie d'actes de terrorisme porte à la liberté d'expression et de communication une atteinte qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée, de sorte que les mots « ou de faire publiquement l'apologie de ces actes » figurant au premier alinéa de l'article 421-2-5 du code pénal ne sauraient, sans méconnaître cette liberté, être interprétés comme réprimant un tel délit.
7. Le 21 septembre 2020, M. [X] a saisi la cour d'appel d'une requête en incident d'exécution, sur le fondement de l'article 710 du code de procédure pénale, faisant valoir que la peine à laquelle il a été condamné était illégale et qu'en tout cas elle devait cesser de recevoir exécution.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen est pris de la violation des articles 112-4 du code pénal et 710 du code de procédure pénale.

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a appliqué l'article 112-4 du code pénal à la situation pénale de M. [X], alors :

« 1°/ que la loi pénale étant d'interprétation stricte, la cour d'appel a procédé par une analogie prohibée au regard du principe fondamental d'interprétation stricte de la loi pénale, d'autant que le Conseil constitutionnel n'a assorti sa réserve prohibant le recel du délit d'apologie d'actes de terrorisme d'aucune mention expresse tendant à remettre en cause, de quelque manière que soit, les effets passés des condamnations prononcées du chef de cette incrimination ;

2°/ que la requête déposée sur le fondement de l'article 710 du code de procédure pénale suppose qu'une difficulté d'exécution relative à la peine prononcée par la juridiction de jugement existe réellement, ce qui doit exclure tout moyen tendant à remettre en cause le fond de la condamnation passée en force de chose jugée. »

Réponse de la Cour

10. Pour dire que la peine prononcée contre M. [X], pour des faits de recel d'apologie d'actes de terrorisme, doit cesser de recevoir exécution, l'arrêt attaqué relève, notamment, que les dispositions de l'article 112-4 sont de portée générale en ce qu'elles sont la mise en oeuvre d'un principe du droit pénal relatif à l'application de la loi dans le temps, à savoir l'application immédiate de la loi pénale plus douce aux situations en cours.

11. Les juges ajoutent que ces dispositions reposent également sur un principe plus général du droit, à savoir l'égalité de tous devant la loi, en ce que l'article 112-4 a pour effet d'assurer l'égalité entre le justiciable qui ne peut plus être poursuivi en raison de la suppression de l'incrimination, même pour des faits commis sous l'empire de la loi ancienne, et celui qui a été définitivement condamné en raison d'une incrimination qui a été supprimée avant l'exécution de sa peine, celle-ci n'étant que le prolongement et l'aboutissement des poursuites engagées à son encontre.

12. Ils concluent que la suppression d'une incrimination, que ce soit par l'effet de la loi nouvelle ou d'une décision du Conseil constitutionnel déclarant l'incrimination contraire à la Constitution dans le corps de son dispositif ou dans une réserve d'interprétation, s'oppose à la mise à exécution de cette peine.

13. En prononçant par ces motifs, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués.

14. En effet, les décisions du Conseil constitutionnel s'imposant aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles en vertu de l'article 62 de la Constitution, les déclarations de non-conformité ou les réserves d'interprétation qu'elles contiennent et qui ont pour effet qu'une infraction cesse, dans les délais, conditions et limites qu'elles fixent, d'être incriminée doivent être regardées comme des lois pour l'application de l'article 112-4, alinéa 2, du code pénal.

15. En conséquence, le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf novembre deux mille vingt et un.

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