3 novembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-50.005

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C100669

Titres et sommaires

ETAT CIVIL - Acte de l'état civil - Actes dressés à l'étranger - Exécution en France - Conditions

Il résulte de l'article 47 du code civil qu'un acte de naissance dressé, conformément au droit local, en exécution d'une réquisition du procureur de la République, est indissociable de celle-ci dont l'efficacité, même si elle existe de plein droit, reste toujours subordonnée à sa propre régularité internationale

ETAT CIVIL - Acte de l'état civil - Acte dressé à l'étranger - Force probante - Obligation de vérification par le juge - Régularité internationale

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 novembre 2021




Cassation


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 669 F-B

Pourvoi n° S 20-50.005

Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [Y].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 7 janvier 2021.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 3 NOVEMBRE 2021

Le procureur général près la cour d'appel de Lyon, domicilié en son parquet général, [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 20-50.005 contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2020 par la cour d'appel de Lyon (2e chambre A), dans le litige l'opposant à M. [C] [Y], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [Y], après débats en l'audience publique du 14 septembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Guihal, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 14 janvier 2020), M. [Y], se disant né le 29 août 1982 à [Localité 3], a souscrit une déclaration acquisitive de nationalité française en raison de sa possession d'état de Français.

2. Il a contesté le refus d'enregistrement de cette déclaration.

Examen des moyens

Sur les premier et quatrième moyens


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner à la cassation, et sur le quatrième, qui est irrecevable.


Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

4. Le procureur général fait grief à l'arrêt d'ordonner l'enregistrement de la déclaration d'acquisition de la nationalité française de M. [Y] et de dire que celui-ci est de nationalité française, alors « que, lorsqu'un acte de l'état civil étranger vise une décision étrangère sur la base de laquelle il a été dressé, cette décision doit impérativement être produite à l'appui de l'acte puisqu'elle en est indissociable et que le juge français doit pouvoir en contrôler la régularité internationale ; qu'en l'absence de la production de cette décision, l'acte ne peut être considéré comme probant au sens de l'article 47 du code civil ; que, dès lors, en jugeant que M. [Y] n'avait pas à produire « le jugement supplétif de naissance sénégalais n° 3801 du 20 novembre 1992 afférent à son acte de naissance » et que son acte de naissance était néanmoins probant, la cour d'appel a violé l'article 47 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 47 du code civil :

5. Aux termes de ce texte, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

6. Un acte de naissance dressé en exécution d'une décision de justice est indissociable de celle-ci, dont l'efficacité, même si elle existe de plein droit, reste toujours subordonnée à sa propre régularité internationale.

7. Pour juger que l'acte de naissance de M. [Y] est probant et ordonner l'enregistrement de la déclaration de nationalité française de l'intéressé, l'arrêt retient qu'il ne peut être reproché à celui-ci de ne pas produire la décision en vertu de laquelle cet acte a été dressé, dix ans après la naissance, dès lors qu'il résulte des éléments du dossier qu'il s'agit d'une réquisition du procureur de la République.

8. En statuant ainsi, alors que l'acte de naissance était indissociable de la décision ordonnant son établissement, dont le ministère public contestait la régularité internationale, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer le deuxième moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composé ;

Condamne M. [Y] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois novembre deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par le procureur général près la cour d'appel de Lyon

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné l'enregistrement de la déclaration d'acquisition de la nationalité française de M. [C] [Y] et dit qu'il est de nationalité française,

Aux motifs que:

"SUR L'ACTE DE NAISSANCE DE L'APPELANT

En matière de nationalité, la charge de la preuve incombe à celui qui conteste la qualité de français à une personne titulaire d'un certificat de nationalité délivré conformément aux règles en vigueur. En revanche, lorsque le certificat de nationalité a été délivré de manière erronée, celui-ci ayant perdu toute force probante, ou que la personne ne dispose pas de certificat de nationalité, il appartient à celui dont la nationalité est en cause d'établir qu'il est français à un autre titre.
En l'espèce, par arrêt définitif en date du 18 juin 2013 la cour d'appel de Lyon a confirmé le jugement du 6 décembre 2012 du tribunal de grande instance de Lyon qui avait constaté l'extranéité de M. [C] [Y], et ainsi considéré le certificat de nationalité française délivré le 12 mars 2001, comme l'ayant été de manière erronée.
Dès lors, la charge de la preuve de sa nationalité incombe à M. [Y].

Aux termes de l'article 47 du code civil, f( tout acte d'état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant, après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité".

Il est constant que nul ne peut se voir reconnaÎtre la nationalité française, sur quelque fondement que ce soit et à quelque titre que ce soit, s'il ne justifie d'un état civil fiable et certain par la production d'un acte de naissance répondant aux prescriptions de l'article 47 du code civil.

Il n'est pas contesté que lorsque M. [Y] a déposé sa déclaration de nationalité française par possession d'état auprès du greffier en chef du tribunal d'instance de Lyon, il ne disposait pas d'un acte de naissance conforme aux exigences de l'article 47 susvisé. Il a présenté le 20 mars 2014 une requête auprès du tribunal départemental hors classe de [Localité 3] tendant à "la rectification des erreurs commises dans la copie littérale de son acte de naissance n°6640 de l'année 1982 du centre d'état civil secondaire des Parcelles assainies".

M. [Y] verse aux débats un jugement rectificatif n°5234 en date du 2 octobre 2014 du tribunal départemental hors classe de [Localité 3] et un jugement rectificatif n°5234 comportant davantage de mentions en date du 2 octobre 2014 du tribunal départemental hors classe de [Localité 3].

Il produit une attestation non datée de l'administrateur de greffe du tribunal d'instance hors classe de [Localité 3] selon laquelle le premier jugement a fait l'objet d'écritures rectificatives sans changement de date d'audience ou de numéro de jugement dans les termes du second jugement précité.
Il verse également aux débats une "attestation de concordance" du consul général de [Localité 4] indiquant que M. [Y] a "produit dans le cadre de ses démarches administratives, une copie certifié du jugement rectificatif n05234 en date du 2 octobre 2014, qui est bien authentique et évoque pertinemment les dispositions du code de la famille sénégalaise".

Il produit une copie littérale de son acte de naissance mentionnant "un jugement rectificatif n°5234 du 02-10-2014 portant sur les renseignements des parents".

L'acte de naissance mentionne également "Sur la déclaration : juge sous le n°3801 du 20-11-1992".

M. [Y] ne produit pas cette dernière décision mais une attestation en date du 12 août 2011 du greffier en chef du tribunal départemental de [Localité 3] selon laquelle l'autorisation d'inscription de naissance n°2 603 801 du 20 novembre 1992 délivrée par le procureur de la République en vertu de l'article 51 du dernier alinéa du code de la famille ne fait pas l'objet d'un jugement mais d'une fiche individuelle délivrée par le centre d'état civil.

Le jugement du 2 octobre 2014 reprend les termes de la requête de M. [Y] en mentionnant la fiche n °2603801 de M. le procureur de la République près le tribunal régional hors classe de [Localité 3], suivant réquisition n°3101 en date du 20 novembre 1992. Il ne saurait être fait grief à M. [Y] de ne pas produire le jugement supplétif de naissance afférent à l'acte de naissance alors qu'il produit le jugement rectificatif selon lequel l'acte de naissance litigieux a été établi de manière tardive, sur déclaration faite par fiche n°2603801 de M. le procureur de la République près le tribunal régional hors classe de [Localité 3] suivant réquisition en date du 20 novembre 1992.

De même, le fait que figure la mention "juge" à la place de celle de "procureur de la République" alors même que l'acte de naissance rectifié mentionne le jugement rectificatif susvisé qui établit que la déclaration tardive a été régularisée parle procureur de la République, et non par jugement, et qu'il produit l'attestation du 12 août 2011 5 précitée, ne saurait permettre d'établir le caractère apocryphe du document produit. Dès lors, il ne peut pas, pour le même motif, être exigé la production du jugement supplétif du 20 novembre 1992. Le fait que l'attestation de l'administrateur de greffe qui valide l'existence du jugement rectificatif ne soit pas datée ne la prive pas pour autant de toute force probante, en l'absence d'autres éléments qui permettraient de faire douter de la validité de ce document ou d'en établir le caractère falsifié.

Enfin, l'absence des professions et domiciles des père et mère sur l'acte de naissance ne saurait en soi affecter la régularité de l'acte, d'autant que le jugement rectificatif du 2 octobre 2014 mentionne les professions des père et mère.

Il convient, en conséquence, de constater que M. [Y] dispose d'un acte de naissance régulier établissant sa filiation et présentant la force probante lui permettant de solliciter la nationalité française.

SUR LA POSSESSION D'ETAT

En l'espèce, M. [Y] s'est vu délivrer un certificat de nationalité le 12 mars 2001.
Celui-ci n'a été remis en cause par l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon en date du 18 juin 2013 que dans la mesure où l'acte de naissance de M. [Y] ne comportait pas la mention de déclaration tardive.
Depuis cette décision, M. [Y] a obtenu la régularisation de son acte de naissance.

Il verse aux débats un certificat individuel de participation à l'appel de préparation à la défense ainsi que la copie d'un passeport français en date du 18 août 2004.
Il produit également deux certificats de nationalité française de son père, [M] [Y], en date des 7 août 1995 et 2 février 1990.

Pendant les dix années précédant sa demande d'enregistrement de déclaration de nationalité française par possession d'état, rejetée le 26 août 2013 par décision de Mme le greffier en chef du tribunal d'instance de Lyon, M. [Y] a ainsi joui de la possession d'état d'une manière continue, paisible, publique et non équivoque.

L'arrêt de la Cour d'appel de Lyon en date du 18 juin 2013, motivé sur le seul manque de force probante de l'acte de naissance, ne saurait remettre en cause le bien fondé de cette possession d'état.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré et de dire que M. [Y] est Français par possession d'état au sens de l'article 21-13 du code civil.";

1/ Alors que la recevabilité d'une déclaration d'acquisition de la nationalité française souscrite sur le fondement de l'article 21-13 du code civil, comme de toute déclaration de nationalité française, s'examine au jour de la souscription ; que la preuve d'un état civil fiable est une condition de recevabilité de la déclaration ; que, dès lors, en constatant que "lorsque M. [Y] a déposé sa déclaration de nationalité française par possession d'état auprès du greffier en chef du tribunal d'instance de Lyon, il ne disposait pas d'un acte de naissance conforme aux exigences de l'article 47 susvisé", mais qu'en jugeant ensuite que M. [Y] "disposait désormais d'un acte de naissance régulier et présentant la force probante lui permettant de solliciter la nationalité française", la cour d'appel a violé l'article 21-13 du code civil ainsi que l'article 14, 1°, du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 modifié, dans sa rédaction issue du décret du 14 janvier 2005 ;

2/ Alors que la cour d'appel a estimé que le certificat de nationalité délivré le 12 mars 2001 à M. [Y] n'a été remis en cause par l'arrêt de la cour d'appel de Lyon en date du 18 juin 2013 "que dans la mesure où l'acte de naissance de M. [Y] ne comportait pas la mention de déclaration tardive" ; qu'au contraire, il résulte des motifs clairs et précis de cet arrêt que l'acte de naissance n°6640/1992 de M. [Y], dressé dix ans après sa naissance, "ne précise pas l'état civil de ses parents", ne comporte pas en marge de mention de "déclaration tardive", et que "des recherches du Service central de l'état civil, lors de sa demande de transcription, ont montré que le n°2603801 du jugement d'inscription de naissance du 20 novembre 1992 suivant lequel l'acte dit avoir été dressé, ne figure pas dans le répertoire du tribunal départemental hors classe de [Localité 3]" ; qu'ainsi, en statuant comme il l'a fait, l'arrêt attaqué a dénaturé l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 18 juin 2013 ;

3/ Alors que, lorsqu'un acte de l'état civil étranger vise une décision étrangère sur la base de laquelle il a été dressé, cette décision doit impérativement être produite à l'appui de l'acte puisqu'elle en est indissociable et que le juge français doit pouvoir en contrôler la régularité internationale ; qu'en l'absence de la production de cette décision, l'acte ne peut être considéré comme probant au sens de l'article 47 du code civil ; que, dès lors, en jugeant que M. [Y] n'avait pas à produire "le jugement supplétif de naissance sénégalais n03801 du 20 novembre 1992 afférent à son acte de naissance" et que son acte de naissance était néanmoins probant, la cour d'appel a violé l'article 47 du code civil ;

4/ Alors qu'en application de l'article 47 (e) de la convention franco-sénégalaise du 29 mars 1974, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant sur le territoire du Sénégal ne sont reconnues de plein droit et n'ont l'autorité de la chose jugée sur le territoire de la République française que si la décision ne contient rien de contraire à l'ordre public français ; que le ministère public soutenait que le jugement rectificatif sénégalais du 2 octobre 2014 était contraire à l'ordre public international français pour avoir été obtenu par fraude et ne comporter aucune motivation; que la cour d'appel a d'ailleurs constaté elle-même que "le jugement rectificatif reprend les termes de la requête" ; qu'ainsi la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations sur l'absence de motivation de ce jugement ni répondu aux conclusions du ministère et n'a pas contrôlé la régularité internationale de ce jugement comme elle le devait ; qu'elle a donc violé l'article 47 (e) de la convention franco-sénégalaise du 29 mars 1974 ;

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