20 octobre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-21.475

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:SO01169

Texte de la décision

SOC.

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 20 octobre 2021




Rejet


M. HUGLO, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 1169 F-D

Pourvoi n° K 19-21.475




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 OCTOBRE 2021

1°/ La Confédération syndicale des travailleurs de Nouvelle-Calédonie, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ M. [C] [F], domicilié [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° K 19-21.475 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2019 par la cour d'appel de Nouméa (chambre civile), dans le litige les opposant à la société Le Nickel (SLN), dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de la Confédération syndicale des travailleurs de Nouvelle-Calédonie et de M. [F], de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Le Nickel (SLN), après débats en l'audience publique du 8 septembre 2021 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 20 mai 2019), la société Le Nickel (la société) a fait assigner en référé, le 13 novembre 2018, la Confédération syndicale des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (la confédération) et son secrétaire général, M. [F], afin d'obtenir la désignation d'un expert comptable pour déterminer le préjudice d'exploitation résultant de l'interruption de la production le 6 septembre 2018, de 5 heures 30 à 7 heures 30, et le paiement d'une provision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. La confédération et M. [F] font grief à l'arrêt de juger que le mouvement du 6 septembre 2018 constituait une grève mais que son exercice avait été abusif, et, en conséquence d'ordonner une expertise, alors :

« 1°/ que le juge ne peut ordonner en référé une mesure d'instruction avant tout procès que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige ; que dès lors, en faisant droit à la demande tendant à voir ordonner une mesure d'expertise destinée à déterminer le préjudice d'exploitation subi par la société SLN du fait de l'interruption de la production le 6 septembre 2018 de 5 heures 30 à 7 heures 30 du matin, après avoir constaté que cette demande ne tendait pas à établir les faits mais seulement à quantifier le préjudice réel, ce dont il résultait que les conditions de l'article 145 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie n'étaient pas réunies, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé ce texte ;

2°/ en tout état de cause, que le juge ne peut ordonner en référé une mesure d'instruction avant tout procès que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige ; que dès lors, en faisant droit à la demande tendant à voir ordonner une mesure d'expertise destinée à déterminer le préjudice d'exploitation subi par la société SLN du fait de l'interruption de la production le 6 septembre 2018 de 5 heures 30 à 7 heures 30 du matin, sans caractériser l'existence d'un motif légitime de conserver ou d'établir les preuves de ce préjudice avant tout litige, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;


3°/ subsidiairement, que le juge ne peut fonder sa décision sur des éléments de fait qui ne se trouvent pas dans le débat sans inviter les parties à présenter leurs observations ; que dès lors, en retenant d'office, pour considérer que la CSTNC et M. [F] avaient empêché tout accès à l'usine de Doniambo et, partant, abusé de leur droit de faire grève, que ‘'s'il existe une autre voie d'accès, elle est fermée en permanence par une grille et ne constitue pas une seconde voie d'accès pour les ouvriers'‘, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur cette circonstance qui n'avait pas été invoquée par la SLN à l'appui de sa demande et qui ne figurait pas dans le débat, la cour d'appel a violé, ensemble, les articles 7 et 16 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;

4°/ enfin, que le constat de l'existence d'un trouble manifestement illicite permet seulement au juge des référés de prescrire des mesures conservatoires ou de remise en état ; que dès lors, en retenant, pour faire droit à la demande tendant à voir ordonner une mesure d'expertise destinée à déterminer le préjudice d'exploitation subi par la société SLN du fait de l'interruption de la production le 6 septembre 2018 de 5 heures 30 à 7 heures 30 du matin, que le mouvement du 6 septembre 2018 mené par la CSTNC et M. [F] constituait un exercice abusif du droit de grève et un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie par fausse application. »

Réponse de la Cour

3. D'abord, selon l'article 145 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

4. Ensuite, il appartient au juge des référés d'apprécier souverainement si la grève, qui est licite dans son principe en cas de revendications professionnelles, n'entraîne pas un trouble manifestement illicite.

5. Enfin, aux termes de l'article 7 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n'auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions.

6. Dès lors, la cour d'appel, qui a, d'une part relevé qu'il résultait des constatations de l'huissier de justice, appuyées par des photographies, la participation de la confédération et de M. [F] au mouvement du 6 septembre 2018 et la réalité d'un blocage interdisant l'accès de l'usine aux autres salariés et que leur affirmation sur l'existence d'une seconde entrée non bloquée et utilisable par les salariés non grévistes pour se rendre à leur travail ne correspondait à aucune réalité établie alors que l'entrée devant laquelle l'huissier de justice s'était positionné correspondait à l'entrée traditionnelle dans le site pour l'ensemble des salariés, ce dont elle a déduit qu'en procédant à ce blocage et en utilisant des méthodes attentatoires aux biens (pneus en feu dégradant les voies de circulation), empêchant ainsi l'entrée à tout salarié souhaitant travailler, les salariés grévistes avaient recouru à un exercice abusif du droit de grève, d'autre part retenu que c'était par une mauvaise appréciation de la demande que le premier juge avait rejeté la demande d'expertise au motif que la preuve du litige était établie par les pièces versées aux débats alors que cette demande ne tendait pas à établir les faits mais à quantifier le préjudice réel, faisant ainsi ressortir l'existence d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile pour l'employeur d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, a, par ces seuls motifs et sans encourir les griefs de la troisième branche, légalement justifié sa décision.
7. Le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Confédération syndicale des travailleurs de Nouvelle-Calédonie et M. [F] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour La Confédération syndicale des travailleurs de Nouvelle-Calédonie et M. [F]

La CSTNC et M. [F] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que le mouvement du 6 septembre 2018 constituait une grève mais que son exercice avait été abusif, et d'avoir en conséquence ordonné une expertise

AUX MOTIFS QUE le droit de grève est légitime tant qu'il n'a pas pour objet la désorganisation de l'entreprise et qu'aucune entrave n'est apportée par les grévistes à la liberté du travail ; qu'il résulte de la jurisprudence que constitue un exercice abusif du droit de grève le fait de bloquer les portes de l'établissement et par conséquent d'interdire l'accès de l'usine aux autres salariés ou le fait d'entraver la liberté du travail des non-grévistes ; que sur ce point il résulte du procès-verbal établi par l'huissier de justice le 6 septembre 2018 à 7h les constatations suivantes : « Je constate que l'entrée sur le site de Doniambio est totalement bloquée par des pneus empilés sur la chaussée et des pneus brûlants sur l'îlot central entre les deux voies de circulation. Je constate la présence de deux tentes sur le trottoir en face de l'entrée du site de Doniambo avec des drapeaux à l'effigie de la CSTNC fixés dessus …/… je constate la présence de deux banderoles CSTNC accrochées à des arbres à gauche du pont et y faisant face. Je constate que les personnes présentes sont au nombre d'une centaine environ et qu'une grande partie est rassemblée autour d'un homme que je reconnais comme étant Monsieur [C] [F] prononçant un discours à l'aide d'un micro. Toutes ces personnes sont rassemblées sur la chaussée et les abords du pont menant aux différents sites de la SLN, bloquant ainsi tout accès de véhicules ou de personnes. Je constate que l'entrée du site est également bloquée par des pneus qui brûlent dégageant une épaisse fumée noire. L'attroupement est tel que l'entrée du site est totalement bloquée, tous les véhicules sont à l'arrêt. » ; qu'il résulte de ses constatations appuyées par des photographies, d'une part la participation de la CSTNC et de M. [C] [F] à ce mouvement, d'autre part la réalité d'un blocage interdisant l'accès de l'usine aux autres salariés ; que l'affirmation des intimés sur l'existence d'une seconde entrée non bloquée et utilisable par les salariés non grévistes pour se rendre à leur travail, ne correspond à aucune réalité établie ; que l'entrée devant laquelle l'huissier de justice s'est positionné correspond à l'entrée traditionnelle dans le site pour l'ensemble des salariés ; que s'il existe une autre voie d'accès, elle est fermée en permanence par une grille et ne constitue dès lors pas une seconde voie d'accès pour les ouvriers ; qu'en conséquence, la cour juge que la CSTNC et M. [C] [F], en procédant à ce blocage en utilisant des méthodes attentatoires aux biens (pneus en feu dégradant les voies de circulation), empêchant ainsi l'entrée à toute personne souhaitant travailler, pratiquer un exercice abusif du droit de grève dont ils doivent répondre ;


1°) ALORS QUE le juge ne peut ordonner en référé une mesure d'instruction avant tout procès que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige ; que dès lors, en faisant droit à la demande tendant à voir ordonner une mesure d'expertise destinée à déterminer le préjudice d'exploitation subi par la société SLN du fait de l'interruption de la production le 6 septembre 2018 de 5h30 à 7h30 du matin, après avoir constaté que cette demande ne tendait pas à établir les faits mais seulement à quantifier le préjudice réel, ce dont il résultait que les conditions de l'article 145 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie n'étaient pas réunies, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé ce texte ;

2°) ALORS, en tout état de cause, QUE le juge ne peut ordonner en référé une mesure d'instruction avant tout procès que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige ; que dès lors, en faisant droit à la demande tendant à voir ordonner une mesure d'expertise destinée à déterminer le préjudice d'exploitation subi par la société SLN du fait de l'interruption de la production le 6 septembre 2018 de 5h30 à 7h30 du matin, sans caractériser l'existence d'un motif légitime de conserver ou d'établir les preuves de ce préjudice avant tout litige, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;

3°) ALORS, subsidiairement, QUE le juge ne peut fonder sa décision sur des éléments de fait qui ne se trouvent pas dans le débat sans inviter les parties à présenter leurs observations ; que dès lors, en retenant d'office, pour considérer que la CSTNC et M. [F] avaient empêché tout accès à l'usine de Doniambo et, partant, abusé de leur droit de faire grève, que « s'il existe une autre voie d'accès, elle est fermée en permanence par une grille et ne constitue pas une seconde voie d'accès pour les ouvriers », sans inviter les parties à présenter leurs observations sur cette circonstance qui n'avait pas été invoquée par la SLN à l'appui de sa demande et qui ne figurait pas dans le débat, la cour d'appel a violé, ensemble, les articles 7 et 16 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie.

4°) ALORS, enfin, QUE le constat de l'existence d'un trouble manifestement illicite permet seulement au juge des référés de prescrire des mesures conservatoires ou de remise en état ; que dès lors, en retenant, pour faire droit à la demande tendant à voir ordonner une mesure d'expertise destinée à déterminer le préjudice d'exploitation subi par la société SLN du fait de l'interruption de la production le 6 septembre 2018 de 5h30 à 7h30 du matin, que le mouvement du 6 septembre 2018 mené par la CSTNC et M. [F] constituait un exercice abusif du droit de grève et un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie par fausse application.

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