20 octobre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-13.829

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:CO00674

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Redressement judiciaire - Ouverture - Procédure - Jugement - Effets - Interruption des instances en cours - Déclaration de créances - Absence - Effet - Irrecevabilité des demandes

Aux termes de l'article L. 622-22, alinéa 1, du code de commerce, rendu applicable à la procédure de redressement judiciaire par l'article L. 631-14 du même code, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. En conséquence, viole ce texte la cour d'appel qui déclare irrecevables les demandes en fixation de créances indemnitaires formées par les créanciers d'un débiteur en redressement judiciaire, en retenant que, après l'interruption de cette instance en cours, du fait du jugement ouvrant la procédure collective, ces créanciers ne justifient pas avoir déclaré leur créance, alors que, les conditions de la reprise devant elle de l'instance en cours n'étant pas réunies faute de déclaration de créance, la cour d'appel devait se borner à constater l'interruption de l'instance l'empêchant de statuer, sans pouvoir déclarer les demandes irrecevables

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 20 octobre 2021




Cassation partielle


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 674 F-B

Pourvoi n° V 20-13.829






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 20 OCTOBRE 2021

1°/ M. [K] [L], domicilié 11-17 [Adresse 7] (Japon),

2°/ Mme [O] [E], épouse [L], domiciliée [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° V 20-13.829 contre l'arrêt rendu le 18 décembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 5), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Eurobarrère, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],

2°/ à la société AJ associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], en la personne de M. [B] [P], prise en qualité d'administrateur judiciaire de la société Eurobarrère,

3°/ à la société Acibois, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

4°/ à la société Frisquet, société anonyme, dont le siège est [Adresse 8],

5°/ à la Mutuelle des architectes français (MAF), dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité d'assureur de M. [V],

6°/ à M. [C] [S], domicilié [Adresse 6], pris en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Eurobarrère,

défendeurs à la cassation.

La société Eurobarrère, M. [S], ès qualités, et la société AJ associés, ès qualités, ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. et Mme [L], de la SCP Boulloche, avocat de la Mutuelle des architectes français, de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de la société Eurobarrère, de la société AJ associés, ès qualités, et de M. [S], ès qualités, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 juin 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. et Mme [L] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société AJ associés, en qualité d'administrateur judiciaire de la société Eurobarrère.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2019), statuant sur renvoi après cassation (3e chambre civile, 13 juin 2014, pourvoi n° 14-23.393), M. et Mme [L] ont fait rénover, sous la maîtrise d'oeuvre de [D] [V], assuré par la Mutuelle des architectes français, trois appartements. La société Eurobarrère a réalisé ces travaux selon des devis et ordres de service des 28 novembre, 7 et 14 décembre 2000.

3. Le 18 février 2002, M. et Mme [L] ont pris possession des lieux, sans qu'il soit procédé à la réception de l'ouvrage, ni au paiement du solde du prix des travaux.

4. Se plaignant de malfaçons et non-finitions, M. et Mme [L] ont assigné la société Eurobarrère en indemnisation de leurs préjudices. Reconventionnellement, cette société a demandé la condamnation de M. et Mme [L] à lui payer le solde du prix des travaux.

5. Le 8 juillet 2015, la société Eurobarrère a été mise en redressement judiciaire, la société AJ associés étant nommée en qualité d'administrateur judiciaire et M. [S] de mandataire judiciaire.

6. Après la saisine de la cour de renvoi, consécutive à la cassation de l'arrêt du 13 juin 2014 qui avait condamné M. et Mme [L] à payer le solde du prix des travaux et rejeté leurs demandes indemnitaires, la société Eurobarrère a bénéficié d'un plan de redressement, M. [S] étant désigné commissaire à l'exécution du plan. M. et Mme [L] ont appelé ce dernier en intervention forcée.

Examen des moyens

Sur les premier et second moyens du pourvoi principal, ci-après annexés


7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

8. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article L. 622-22, alinéa 1er, du code de commerce, rendu applicable à la procédure de redressement judiciaire par l'article L. 631-14 du même code :

9. Aux termes de ce texte, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance.

10. L'arrêt déclare irrecevables les demandes en paiement formées par M. et Mme [L] contre la société Eurobarrère, ainsi que leurs demandes de fixation de créance au passif de la procédure collective de cette société, après avoir énoncé, d'un côté, qu'en application des articles L. 622-21 et L. 631-14 précités, le jugement de redressement judiciaire de la société Eurobarrère, rendu le 8 juillet 2015, a interrompu et interdit toute action en justice de la part de M. et Mme [L] tendant à la condamnation de l'entreprise au paiement d'une somme d'argent, de l'autre, qu'en vertu de l'article L. 622-22 du code de commerce, l'instance engagée contre la société Eurobarrère a été interrompue dans l'attente de la déclaration de créance de M. et Mme [L] au passif de l'entreprise, et constaté qu'il n'est cependant pas justifié d'une telle déclaration.

11. En statuant ainsi, alors qu'ayant retenu, à bon droit, que les conditions de la reprise devant elle de l'instance en cours en vue de la constatation de la créance des maîtres d'ouvrage et de la fixation de son montant n'étaient pas réunies en l'absence de déclaration de créance, elle devait se borner à constater l'interruption de l'instance l'empêchant de statuer, sans pouvoir, par conséquent, déclarer les demandes irrecevables, la cour d'appel a violé le texte susvisé.


Et sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

12. La société Eurobarrère, son administrateur judiciaire et le commissaire à l'exécution de son plan font grief à l'arrêt, après avoir dit que la créance de M. et Mme [L] s'élevait à concurrence des sommes de 60 343,99 euros au titre de malfaçons, 45 000 euros au titre du préjudice de jouissance et 11 793,65 euros au titre des pénalités de retard, d'ordonner la compensation des sommes dues de part et d'autre, alors « que la compensation pour dettes connexes ne peut être prononcée dès lors que le créancier n'a pas déclaré sa créance ; qu'en ordonnant la compensation entre la créance de solde de travaux de la société Eurobarrère et celle résultant de désordres et malfaçons, inachèvements, préjudice de jouissance et pénalités de retard des époux [L], après avoir constaté que ces derniers n'avaient pas déclaré leur créance, la cour d'appel a violé l'article L. 622-7, I, ensemble les articles L. 622-24 et L. 622-26 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 622-7, I, du code de commerce :

13. Il résulte de ce texte que lorsqu'un contractant défaillant a été mis en procédure collective, la créance née, avant le jugement d'ouverture, de l'exécution défectueuse ou tardive de prestations convenues ne peut se compenser avec le prix des prestations dû par son cocontractant qu'à la condition que ce dernier ait déclaré cette créance de dommages-intérêts au passif de la procédure collective.

14. Pour ordonner la compensation entre, d'un côté, la créance détenue par M. et Mme [L] à l'égard de la société Eurobarrère au titre des désordres, malfaçons, inachèvement, préjudice de jouissance et pénalités de retard, représentant la somme totale de 120 327,96 euros, et, de l'autre, la créance de la société Eurobarrère à l'égard de M. et Mme [L] au titre du solde du marché, d'un montant de 100 430,59 euros, l'arrêt retient que, faute de déclaration de créance, aucune condamnation ne peut être prononcée contre la société Eurobarrère, sous redressement judiciaire, mais que la compensation des sommes dues de part et d'autre sera ordonnée, ce qui réduit la créance de M. et Mme [L] à l'égard de la société Eurobarrère à la somme totale 19 897,37 euros.

15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que M. et Mme [L] n'avaient pas justifié de leur déclaration de créance, ce qui rendait impossible la compensation des dettes pour connexité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

16. En application l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le moyen relevé d'office entraîne, par voie de conséquence, celle de l'ensemble des chefs de dispositif de l'arrêt statuant sur la responsabilité encourue par la société Eurobarrère à l'égard de M. et Mme [L], qu'ils la retiennent ou qu'ils l'écartent, ainsi que ceux déterminant le montant des sommes dues par la société Eurobarrère à M. et Mme [L], rejetant leur demande de remboursement d'une facture d'un ingénieur, rejetant les recours en garantie formés par la société Eurobarrère à l'égard de sociétés tierces et statuant sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, ces chefs étant dans un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit éteinte l'action engagée contre [D] [V], en ce qu'il dit la société Eurobarrère irrecevable en ses demandes formées contre la Mutuelle des architectes français (MAF), en ce qu'il reçoit l'intervention de M. [S], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Eurobarrère, en ce qu'il met hors de cause la société AJ associés, en qualité d'administrateur judiciaire de cette société, en ce qu'il prend acte de l'abandon de toute demande relative à la nullité du rapport d'expertise judiciaire, et en ce qu'il condamne M. et Mme [L] à payer à la société Eurobarrère la somme de 100 430,59 euros au titre du solde du marché, l'arrêt rendu le 18 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. et Mme [L] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [L].

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit les époux [L] irrecevables en leurs demandes en paiement présentées contre la SAS Eurobarrere et en leurs demandes en fixation de créance au passif de ladite entreprise,

AUX MOTIFS QUE « Les articles L. 610-1 et suivants du code de commerce, au titre du Livre Sixième, concernent les difficultés des entreprises. Les articles L. 620-1 et suivants du code de commerce sont relatifs à la procédure de sauvegarde et les articles L. 621-1 et suivants du même code sont relatifs à l'ouverture de ladite procédure. Par application de l'article L. 631-14 alinéa 1er du code de commerce les dispositions des articles L.622-13 et L. 622-33 sont également applicables à la procédure de redressement judiciaire.
Ainsi, en application des articles L. 622-21 et L. 631-14 du code de commerce, le jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Eurobarrere rendu le 8 juillet 2015 par le tribunal de commerce de Créteil a interrompu et interdit toute action en justice de la part des époux [L], créanciers, tendant à la condamnation de l'entreprise au paiement d'une somme d'argent.
Conformément aux dispositions de l'article L. 622-22 du code de commerce, l'instance engagée contre la société Eurobarrère a été interrompue dans l'attente de la déclaration de créance des époux [L] au passif de l'entreprise.
Il n'est cependant pas justifié d'une telle déclaration.
L'instance a certes repris en présence du mandataire judiciaire et de l'administrateur de la société Eurobarrère, qui ont saisi la cour de céans en suite de l'arrêt de la Cour de cassation, puis du commissaire à l'exécution de son plan de redressement, assignée devant la cour par les époux [L].
Mais faute pour les époux [L] de justifier d'une déclaration de créance au passif de la société Eurobarrère, ils sont irrecevables tant en leurs demandes en paiement de dommages et intérêts contre celle-ci qu'en leur demande de fixation d'une créance de dommages et intérêts à son passif ;
La créance de la société Eurobarrere au titre du solde de son marché et la responsabilité engagée par l'entreprise vis-à-vis du maître d'ouvrage restent devoir être examinées.
(…)
Il est rappelé que le placement de la société Eurobarrere en redressement judiciaire puis sous le bénéfice d'un plan de redressement interdit sa condamnation au paiement d'indemnités dont le droit est né antérieurement à l'ouverture de cette procédure collective et, en outre, que faute de déclaration par les époux [L] de leurs créances, celles-ci ne peuvent être fixées au passif de l'entreprise. La demande des époux [L] de ce chef a été déclarée irrecevable.
La responsabilité de l'entreprise peut néanmoins être examinée ».

1°) ALORS QUE le juge, qui doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de l'absence d'une justification d'une déclaration de créance par les époux [L] au passif de la société Eurobarrère, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations, pour déclarer ceux-ci irrecevables en leurs demandes en paiement et en leurs demandes aux fins de fixation de créance au passif de la société Eurobarrere, la cour d'appel de renvoi a violé l'article 16 du code de procédure civile.

2°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en constatant, pour déclarer irrecevables les époux [L] en leurs demandes en paiement de dommages et intérêts contre la société Eurobarrere et en fixation de ces créances à son passif, que les époux [L] ne justifient pas d'une déclaration de créance au passif de la société Eurobarrere quand il résulte des conclusions d'appel des époux [L] qu'ils ont régulièrement déclaré leur créance après avoir obtenu le 17 février 2017 un relevé de forclusion comme en attestent les pièces n° 248, 249 et 250 figurant au bordereau de communication de pièces annexé à leurs conclusions, la cour d'appel de renvoi, qui a dénaturé par omission ces documents, a violé le principe précité.

3°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en se bornant à affimer péremptoirement qu'il n'est pas justifié de la déclaration de créance des époux [L] au passif de l'entreprise Eurobarrere sans examiner comme l'y invitait les époux [L] dans leurs conclusions d'appel les pièces n° 248, 249 et 256 qu'ils avaient produites à l'instance de renvoi en cassation pour justifier de leur déclaration de créance du 2 mars 2016, la cour d'appel de renvoi a violé les articles 455 et 563 du code de procédure civile.

4°) ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu'en déclarant irrecevables les époux [L] de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts ou en fixation de celles-ci au passif du redressement judiciaire de la société Eurobarrere sans se prononcer, comme elle y était invitée, sur la créance de restitution de la somme de 159 765,02 euros versée en exécution de l'arrêt annulé de la cour d'appel de Paris du 13 juin 2014 par les époux [L] et non restituées, la cour d'appel de renvoi a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, D'AVOIR réduit la créance des époux [L] au titre des pénalités de retard à la somme de 11 793,65 euros,

AUX MOTIFS QUE « 5. sur les pénalités de retard après le 4 septembre 2001
Les époux [L] ne réclament pas l'indemnisation d'un préjudice de jouissance après le 4 septembre 2001, date à laquelle un planning de travaux a été dressé pour terminer le chantier, mais sollicitent l'allocation de pénalités alors contractuellement posées.
Un planning de travaux était prévu sur les ordres de service de démarrage des travaux des 5 et 6èmes étages et le maître d'oeuvre l'a évoqué à plusieurs reprises dans ses compte-rendu de réunions de chantier. Dans son compte-rendu du 17 juillet 2001, le maître d'oeuvre indique au titre des "PROSPECTIVE ET COORDINATION EUROBARRERE" (caractères d'imprimerie soulignés du document) que Madame [E], épouse [L], demandait "la présence de M. [T] [de la société EUROBARRERE] au rendez-vous de chantier du 24 juillet 2001 pour ratifier la planification des travaux à partir de maintenant jusqu'à la livraison du chantier". Etait ainsi portée à la connaissance de la société EUROBARRERE, représentée lors de cette réunion du 17 juillet 2001 par "Monsieur [N]" (en fait Monsieur [N] [J]) la date prévue pour la signature d'un planning de fin de travaux. Le planning n'a pas été dressé ni a fortiori signé le 24 juillet 2001, réunion à laquelle Monsieur [T] lui-même, pour la société EUROBARRERE, était présent. Le compte-rendu de réunion de chantier du 28 août 2001, à laquelle "Monsieur [N]" (en fait Monsieur [N] [J]) était présent pour la société EUROBARRERE, énonce que "COMME PREVU UN PLANNING SERA A PARAPHER PAR LES ENTREPRISES AU RENDEZ-VOUS DE CHANTIER DU 4 SEPTEMBRE 2001 / LEUR PRESENCE EST BIEN SUR INDISPENSABLE A 10 H" (caractère gras d'imprimerie soulignés du document).
La société EUROBARRERE, dûment informée de la signature nécessaire et imminente d'un planning (étant rappelé que celui-ci était prévu par les ordres de service initiaux dès le début du chantier), ne peut au vu de ces éléments affirmer n'avoir pas été convoquée pour celle-ci.
Le planning des travaux a finalement été dressé par le maître d'oeuvre le 4 septembre 2001, portant la mention "SIGNATURE CONTRACTUELLE DES ENTREPRISES SUR PLANNING pour pénalités de 4.000 F. par jour de retard sauf raison majeure du Maître d'Ouvrage ou d'oeuvre" (caractères d'imprimerie du document). Ce planning concerne les 4, 5 et 6èmes étages. Il prévoit une fin de chantier le 29 novembre 2001, ou, en tenant compte de mentions manuscrites rouges relatives aux travaux de parquet de la société Briatte, le 10 décembre 2001. Il porte la signature, notamment, du représentant de la société EUROBARRERE, Monsieur [J].
Au vu de l'ensemble de ces éléments, de la mention d'un planning de travaux dans les ordres de service, du rappel de la nécessité d'un tel planning dans les comptes-rendus de réunions de chantier, de la convocation de l'ensemble des intervenants concernés pour la signature du planning, de l'apposition des signatures des représentants des entreprises, incluant la société EUROBARRERE, sur le planning du 4 septembre 2001, celle-ci ne peut affirmer que « la valeur contractuelle du seul document en faisant mention [est] trop isolée au regard de l'évolution du chantier et de l'absence d'autres documents à valeur contractuelle en faisant mention », allégation démentie par les faits et éléments du dossier.
La société EUROBARRERE ne peut donc contester le caractère contractuel de ce planning, sauf à dénier toute valeur à la signature de son représentant. L'absence de qualité ou de pouvoir de celui-ci pour engager l'entreprise est en tout état de cause inopposable aux époux [L].
Or il n'est contesté d'aucune part, et cela est même attesté par les comptes-rendus de réunions de chantier dressés par le maître d'oeuvre, que les époux [L] ont repris possession de leur appartement non le 10 décembre 2001, mais le 19 février 2002, avec 79 jours de retard. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a retenu un retard de seulement 73 jours entre le 10 décembre 2001 et le 19 février 2002.
La société EUROBARRERE ne justifie d'aucune cause légitime justifiant ce retard. Tenue d'une obligation de résultat, elle devait livrer les travaux à la date contractuellement posée et voit donc sa responsabilité engagée. Le jugement sera ici confirmé en ce qu'il a retenu cette responsabilité.
Le planning de travaux signé par les entreprises le 4 septembre 2001 prévoit clairement des pénalités de 4.000 francs (609,79 euros) par jour de retard, sauf "raison majeure" du maître d'ouvrage ou du maître d'oeuvre (mais non des entreprises). L'application de cette stipulation contractuelle entraîne une pénalité à la charge de la société EUROBARRERE de 79 X 609,79 = 48.173,41 euros (et non de 44.515,40 euros comme retenu par le tribunal sur la base de 73 jours de retard).
La société EUROBARRERE affirme que le marché de travaux était soumis à la norme AFNOR NF P03-001 prévoyant un plafonnement des pénalités de 5% du montant des marchés. Les devis de la société EUROBARRERE ne portent aucune mention de la norme applicable au marché. Les ordres de service énoncent que le "marché est conforme à la norme P03001 de novembre 1972".
La norme NF P03-001 de novembre 1972, applicable aux travaux de bâtiment faisant l'objet de marchés privés, a été annulée par des normes nouvelles. A la date de la signature des devis, la norme AFNOR NF P03-001 applicable était celle du mois de novembre 2000, prenant effet le 5 décembre 2000. L'article 9.5 de cette norme dispose que le cahier des clauses administratives particulières peut prévoir des primes pour avance d'achèvement des travaux, des pénalités pour retard, ou les deux, que l'avance et le retard sont déterminés en considération des délais définis à l'article 10, que sauf stipulation différente, il est appliqué, après une mise en demeure, une pénalité journalière de 1/1000 du montant du marché et enfin que le montant des pénalités est plafonné à 5% du montant du marché.
La signature par les entreprises d'un planning de travaux le 4 septembre 2001, plusieurs mois après la date prévue pour l'achèvement des travaux, qui n'a pu être tenue, constitue certes une nouvelle modalité d'exécution du marché, excluant la soumission expresse de celui-ci à la norme AFNOR NF P03-001. Celle-ci ne peut cependant être occultée.
L'application d'une pénalité aux retards de chantier instaure une clause pénale, définie par les articles 1226 et suivants du code civil en sa version antérieure au 1er octobre 2016. L'article 1152 alinéa 2 du même code prévoit que le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Or la pénalité de 4.000 francs, soit 609,79 euros, par jour de retard n'apparaît pas dérisoire, mais bien très importante, faisant peser sur l'entreprise une charge, pour 79 jours de retard, de 48.173,41 euros. Si l'on considère le montant des trois devis acceptés de la société EUROBARRERE des 28 novembre, 7 et 14 décembre 2000, pour une somme totale de 200.742,47 euros TTC et le montant du devis du 19 juin 2001 pour 70.438,54 euros TTC, mais retenu par l'expert, le tribunal et les parties à hauteur de 35.130,54 euros TTC, le montant total du marché s'est élevé à la somme totale de 235.873,01 euros TTC et la pénalité posée correspond à plus de 20% de ce montant.
La Cour ne saurait modérer la clause pénale à hauteur de « 1 euro symbolique » comme le sollicite la société EUROBARRERE, sa responsabilité étant pleinement engagée et bien réelle. Mais au regard du caractère excessif de la pénalité prévue, la Cour infirmera le jugement qui condamne la société EUROBARRERE au paiement de pénalités à hauteur de 44.515,40 euros pour 73 jours de retard.
Statuant à nouveau, la Cour retiendra une pénalité de retard limitée à 5% du montant total du marché, soit 235.873,01 X 5% = 11.793,65 euros, étant cependant rappelé qu'aucune condamnation à paiement ne peut être prononcée contre la société EUROBARRERE »,

1°) ALORS QU' en se bornant, pour réduire à la somme de 11 793,65 euros les pénalités de retard, à comparer le montant total du marché (235 873,01 euros) avec le montant des pénalités de retard (609,79 euros X 79 jours = 48 173,41 euros) pour réduire la pénalité de retard à 5% du montant total du marché sans rechercher s'il existait une disproportion manifeste entre le préjudice effectivement subi (à savoir 2 mois et demi de « préjudice de jouissance ») par les époux [L] et le montant conventionnellement fixé de 609,79 euros par jour de retard, soit environ 18 000 euros par mois, la cour a statué par des motifs inopérants et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1235-1 du code civil. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Jean-Philippe Caston, avocat aux Conseils, pour la société Eurobarrère, la société AJ associés, ès qualités, et M. [S], ès qualités.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, ayant dit que la créance des époux [L] contre la société Eurobarrère s'élevait à concurrence des sommes de 60.343,99 € TTC au titre des travaux réparatoires de malfaçons relevés aux points n° 3, 4, 5, 6, 9, 10, 11, 13, 14, 16, 17, 20, 21 et 22 examinés par l'expert judiciaire, 45.000 € au titre de leur préjudice de jouissance et 11.793,65 € au titre des pénalités de retard, ordonné la compensation des sommes dues de part et d'autre ;

AUX MOTIFS QUE, sur la compensation, les époux [L] ont été condamnés à payer à la société Eurobarrère, au titre du solde de son marché, la somme de 100.430,59 € TTC ; que la créance des époux [L] contre la société Eurobarrère, au titre des désordres et malfaçons, inachèvements, préjudice de jouissance et pénalités de retard, a été constatée à hauteur de 60.343,99 + 3.190,32 + 45.000 + 11.793,65 = 120.327,96 € ; que faute de déclaration de créance, aucune condamnation ne peut être prononcée contre la société Eurobarrère, sous redressement judiciaire ; que toutefois la compensation des sommes dues de part et d'autre sera ordonnée, conformément aux termes des articles 1289 et suivants du code civil en sa version antérieure au 1er octobre 2016, réduisant la créance des époux [L] contre l'entreprise à hauteur de 120.327,96 – 100.430,59 = 19.897,37 € (v. arrêt, p. 35) ;

ALORS QUE la compensation pour dettes connexes ne peut être prononcée dès lors que le créancier n'a pas déclaré sa créance ; qu'en ordonnant la compensation entre la créance de solde de travaux de la société Eurobarrère et celle résultant de désordres et malfaçons, inachèvements, préjudice de jouissance et pénalités de retard des époux [L], après avoir constaté que ces derniers n'avaient pas déclaré leur créance, la cour d'appel a violé l'article L. 622-7 I, ensemble les articles L. 622-24 et L. 622-26 du code de commerce.

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