19 octobre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-82.172

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:CR01238

Titres et sommaires

INSTRUCTION - Nullités de l'instruction - Annulation d'actes pour violation de l'article 6-1 du code de procédure pénale - Effets - Interdiction de tirer des actes et pièces annulés aucun renseignement contre les parties - Article 174 du code de procédure pénale - Portée - Ordonnance de non-lieu - Effet

Lorsqu'au regard des dispositions impératives de l'article 6-1 du code de procédure pénale, l'annulation d'un acte ou d'une pièce de procédure est un préalable nécessaire à l'exercice de l'action publique du chef du crime ou délit prétendument commis à l'occasion d'une poursuite judiciaire, une telle annulation ne saurait faire obstacle à une poursuite subséquente, sauf à méconnaître le droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il en résulte que, si l'article 174 du code de procédure pénale interdit de tirer des actes ou des pièces ou parties d'actes ou de pièces annulés aucun renseignement contre les parties, une telle interdiction ne s'applique pas à la personne qui, bénéficiant de l'annulation d'actes portant atteinte à ses intérêts, s'en prévaut dans le cadre de cette procédure subséquente. Encourt dès lors la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, pour confirmer le non-lieu du chef de collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite, retient que le délit ne peut plus être constitué faute d'élément matériel qui n'apparaît pas à la procédure et a cessé d'exister à la suite de l'annulation de réquisitions téléphoniques contraires à l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 protégeant le secret des sources des journalistes, prononcée dans une procédure à laquelle le journaliste concerné n'était pas partie

Texte de la décision

N° F 20-82.172 F-B

N° 01238


SM12
19 OCTOBRE 2021


CASSATION


M. SOULARD président,




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 OCTOBRE 2021



M. [G] [C], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 29 novembre 2019, qui, dans l'information suivie, sur sa plainte, contre MM. [V] [X] et [U] [T], du chef de collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [G] [C], les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de MM. [U] [T] et [V] [X] et les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [R] [W], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 septembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Suite à la diffusion sur une chaîne de télévision le 21 mars 2010 d'un reportage de M. [C], journaliste, révélant des faits de corruption d'un fonctionnaire de police, l'inspection générale des services a ouvert une enquête préliminaire.

3. Le policier dirigeant l'enquête, M. [T], a été autorisé par M. [W], procureur de la République de Nanterre, à requérir la liste des appels téléphoniques de M. [C] auprès de son opérateur téléphonique.

4. M. [X], agissant sous les ordres de M. [T], a effectué les réquisitions nécessaires le 9 avril 2010. L'exploitation de la réponse a permis d'identifier la personne susceptible d'avoir corrompu le fonctionnaire de police.

5. Celle-ci, mise en examen notamment pour corruption, a obtenu devant la chambre de l'instruction, par arrêt du 24 février 2012, l'annulation par voie de conséquence de la procédure la concernant, suite à l'annulation des réquisitions téléphoniques concernant M. [C], jugées contraires aux dispositions de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 protégeant le secret des sources des journalistes.

6. Le 27 juin 2012, M. [C] a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef de collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite, infraction prévue et réprimée à l'article 226-18 du code pénal.

7. Dans le cadre de l'information qui a suivi, M. [W] a été placé sous le statut de témoin assisté. Le juge d'instruction n'a pas effectué d'autres investigations.

8. Par ordonnance du 2 décembre 2014, ce magistrat a dit n'y avoir lieu à suivre.

9. M. [C] a relevé appel de cette décision. La chambre de l'instruction a, avant dire droit, ordonné deux suppléments d'information, qui ont abouti à l'identification et à la mise en examen de MM. [T] et [X].






Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu, alors :

« 1°/ que ne sont nuls, par voie de conséquence, que les actes d'instruction qui procèdent d'actes dont l'annulation a été prononcée dans la même procédure ; que la Chambre de l'instruction n'était pas fondée à justifier sa décision de non-lieu par l'existence de réquisitions annulées, lorsque cette annulation n'a pas été prononcée dans le cadre de la présente information, et qu'aucune demande d'annulation visant un acte de la présente procédure qui se référerait à l'acte annulé n'a été réalisée ; que la violation des articles 174, 212 et 593 du code de procédure pénale sera constatée ;

2°/ que l'article 174 du code de procédure pénale, dont il résulte que des actes annulés ne peuvent être réutilisés, ne s'applique pas à l'hypothèse où cette autre procédure porte sur des faits et des personnes distincts ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction ne pouvait tirer un quelconque argument de l'annulation des réquisitions de septembre 2010, prononcée dans une information judiciaire à laquelle M. [C] n'était pas partie, au bénéfice d'un tiers, pour prononcer un non-lieu du chef du délit de collecte de données à caractère personnel commis à l'occasion de ces réquisitions ;

3°/ que l'article 174 du code de procédure pénale exige que tous les exemplaires, en original et en copie, des pièces annulées soient retirés du dossier d'information, mais cette obligation « ne s'étend pas, toutefois, aux requêtes en annulation, et aux pièces des procédures ainsi qu'aux décisions auxquelles elles donnent lieu, même si celles-ci se réfèrent aux pièces dont l'annulation est demandée et les analysent, pour en apprécier la régularité » (Crim. 17 juin 2020, n° 19-87.188) ; que n'encourait dès lors aucun grief « l'arrêt de la quatrième chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris en date du 24 février 2012 », seul figurant à la présente procédure, à l'exception des réquisitions litigieuses elles-mêmes ; que c'est encore en violation des articles 174, 212 et 593 du code de procédure pénale que la chambre de l'instruction s'est prononcée ;

4°/ que lorsqu'une infraction est commise à l'occasion de la mise en oeuvre de règles de procédure pénale par des autorités publiques, l'annulation de l'acte litigieux ne fait pas obstacle à ce que soit menées des investigations sur celui-ci dans le cadre d'une procédure ultérieure ; qu'il peut d'autant moins en aller ainsi que l'article 6-1 du code de procédure pénale subordonne la recevabilité des poursuites à un constat d'illégalité préalable ; qu'en ordonnant un non-lieu au motif que « la plainte de [G] [C] repose exclusivement sur les réquisitions qui ont été adressées à son opérateur téléphonique », lorsque l'acte procédural par lequel l'infraction s'était matérialisée avait fait l'objet d'une annulation au regard de sa contrariété à la loi, et que ce constat d'illégalité constituait un préalable indispensable aux poursuites, la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire, 6-1, 174 et 593 du code de procédure pénale ;

5°/ qu'enfin, en se prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a érigé un obstacle disproportionné au droit d'accès au juge et au droit à un recours effectif de M. [C], journaliste, celui-ci se trouvant de facto dans l'impossibilité de se plaindre d'une infraction pénale de collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, qui s'est matérialisée par des actes annulés pour violation du secret des sources, lorsque ce constat d'illégalité préalable est imposé par l'article 6-1 du code de procédure pénale comme une condition d'exercice de l'action publique ; que la violation des articles 6, § 1, 10 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme sera constatée. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et 174 du code de procédure pénale :

11. Lorsqu'au regard des dispositions impératives de l'article 6-1 du code de procédure pénale, l'annulation d'un acte ou d'une pièce de procédure est un préalable nécessaire à l'exercice de l'action publique du chef du crime ou délit prétendument commis à l'occasion d'une poursuite judiciaire, une telle annulation ne saurait faire obstacle à une poursuite subséquente, sauf à méconnaître le droit d'accès à un tribunal garanti par le premier de ces textes.

12. Il en résulte que, si le second de ces textes interdit de tirer des actes et des pièces ou parties d'actes ou de pièces annulés aucun renseignement contre les parties, une telle interdiction ne s'applique pas à la personne qui, bénéficiant de l'annulation d'actes portant atteinte à ses intérêts, s'en prévaut dans le cadre de cette poursuite subséquente.

13. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce qu'à l'appui de sa plainte, M. [C] a fourni l'arrêt en date du 24 février 2012 de la chambre de l'instruction, d'où il résulte que partie des pièces de la procédure diligentée à la suite de la diffusion du reportage, dont les réquisitions du 9 avril 2010 adressées à l'opérateur de téléphonie mobile de M. [C], a été annulée.

14. Il ajoute, après avoir rappelé les termes de l'article 174 du code de procédure pénale, que la plainte de l'intéressé du 27 juin 2012 repose exclusivement sur ces réquisitions qui, annulées antérieurement, n'avaient plus d'existence et ne pouvaient fonder des poursuites et que le délit de collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite ne peut être constitué faute d'élément matériel qui n'apparaît pas à la procédure et n'a pas d'existence.

15. Il en conclut que c'est à bon droit que le juge d'instruction a estimé que le délit dénoncé avait cessé d'exister à la date de la plainte.

16. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés, pour les motifs qui suivent.

17. Même si M. [C] n'était pas partie à la procédure dans le cadre de laquelle les réquisitions visant ses appels téléphoniques ont été annulées, l'annulation de ces actes, prononcée au visa de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 qui protège le secret des sources des journalistes, lui a bénéficié autant qu'au requérant à la nullité, qui était sa source journalistique, en le rétablissant dans sa liberté d'investigation.

18. Sa plainte avec constitution de partie civile, en ce qu'elle poursuivait la mise en cause de personnes ayant ignoré le principe de protection des sources des journalistes, n'était pas susceptible de porter atteinte aux droits du requérant à la nullité ayant bénéficié de l'annulation d'actes par ricochet et dès lors, l'interdiction découlant de l'article 174 du code de procédure pénale de tirer des actes annulés aucun renseignement contre les parties, qui protège les seuls intérêts du bénéficiaire de la nullité, ne pouvait lui être opposée.

19. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 29 novembre 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf octobre deux mille vingt et un.

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