19 octobre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-86.559

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:CR01129

Titres et sommaires

INJURES - Injures publiques - Injures envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée - Eléments constitutifs - Cas - Caricature faisant référence au passé esclavagiste de la France

Justifie sa décision la cour d'appel qui relaxe des prévenus poursuivis du chef d'injure raciale à l'égard du directeur d'un centre pénitentiaire, sur le fondement de l'article 33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, dès lors que, pour outranciers qu'ils puissent être regardés, les propos poursuivis entendaient dénoncer, par l'utilisation de la caricature faisant référence au passé esclavagiste de la France, les méthodes de gestion du directeur du centre pénitentiaire, qualifiées d'autoritaristes voire de racistes, mais ne le visaient pas à raison de son origine ou de son appartenance à une race.

Texte de la décision

N° Z 20-86.559 FS-B

N° 01129


SM12
19 OCTOBRE 2021


DECHEANCE
REJET


M. SOULARD président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 OCTOBRE 2021



Le procureur général près la cour d'appel de Cayenne et M. [R] [D] ont formé des pourvois contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 8 octobre 2020, qui a relaxé le second et M. [J] [O] du chef d'injure publique en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire a été produit par le procureur général près la cour d'appel de Cayenne.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 septembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Dary, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, M. Seys, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Barbier, Mme de Lamarzelle, M.Violeau, M. Michon, conseillers référendaires, M. Quintard, avocat général, et Mme Guichard, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Entre le 11 et le 15 juin 2015, une manifestation visant le directeur du centre pénitentiaire de Guyane, M. [T] [V], a été organisée, sur la voie publique, à proximité du centre, par des agents pénitentiaires du syndicat Force Ouvrière, parmi lesquels MM. [O] et [D].

3. Ont été étendus de grands draps blancs portant les inscriptions suivantes : « non à la négrophobie » ; « c'est l'État qui vous nourrit » ; « gouverneur [T] [V] » ; « Oui au code civil, non au code noir » ; « [V] dérô » ( dehors en créole) ; « ici vous êtes sur les terres du gouverneur Mayol, préparez vous à fructifier le travail de votre maître » ; « le gouverneur du centre pénitentiaire de Guyane [T] [V] ».

4. Lors de cette semaine de manifestation, a été jouée une scène au cours de laquelle M. [O], déguisé en colon, costume blanc, cravate et gants blancs, casque colonial sur la tête, fouettait M. [D], déguisé en esclave, portant de lourdes chaînes, simulant la douleur, des pleurs, et criant « ne me frappe pas », cris auxquels M. [O] répondait «c'est l'administration qui te nourrit », propos que M. [V] aurait précédemment tenus à un agent pénitentiaire.

5. Ces faits ont été constatés par huissier le 12 juin 2015 et suivis d'une plainte de M. [V], le 15 juin suivant.

6. Le 23 février 2016, à la suite d'une enquête de gendarmerie, M. [V] a porté plainte et s'est constitué partie civile devant le doyen des juges d'instruction du chef susvisé et pour dénonciation calomnieuse.

7. Après ouverture d'une information judiciaire, MM. [D] et [O] ont été mis en examen pour les faits d'injures raciales et placés sous le statut de témoin assisté pour ceux de dénonciation calomnieuse.

8. Ils ont été renvoyés, par ordonnance du 28 novembre 2016, devant le tribunal correctionnel de Cayenne du seul chef d'injures raciales.

9. Par jugement du 1er février 2018, le tribunal les a relaxés et a prononcé sur les intérêts civils, décision dont le procureur de la République a relevé appel.

Déchéance du pourvoi formé par M. [D]

10. M. [D] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de le déclarer déchu de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen est pris de la violation des articles 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881.

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé les prévenus alors que les faits constituent des injures à caractère raciste, la scène jouée par les prévenus renvoyant directement à l'esclavagisme, période pendant laquelle le maître blanc asservissait l'esclave noir ; que c'est parce qu'il est blanc et en position de supérieur hiérarchique que M. [V] a été injurié, comme représentant du maître humiliant son esclave ; qu'en faisant le choix de cette mise en scène, en voulant rappeler l'esclavagisme et la traite négrière, les prévenus ont choisi de se placer sur le champ de l'opposition des races ce que confirment les inscriptions figurant sur les draps, qui renvoient à l'époque des colonisations pré-abolitionnistes pendant laquelle le racisme d'Etat était institué et opposait les blancs dominateurs aux noirs asservis.

Réponse de la Cour

13. Pour confirmer le jugement, relaxer les prévenus et débouter la partie civile de ses demandes, l'arrêt énonce, d'une part, que les situations et propos litigieux s'inscrivent dans un conflit du travail qui avait débuté le 11 juin 2015 et s'était poursuivi jusqu'au 15 juin suivant, au moins, au centre pénitentiaire dirigé à l'époque par M. [V], et, d'autre part, que l'appel à la mobilisation a été lancé par un tract daté du 5 juin 2015 dénonçant notamment «...une ethnicisation de l'organisation du travail et un comportement néocolonialiste envers les surveillants d'origine non-européenne ».

14. Les juges ajoutent, qu'en premier lieu, il n'est pas contesté que M. [V] venait en Guyane fort d'une réputation péjorative qu'il aurait acquise à la Réunion où il aurait tenu des propos déplacés sur la rémunération des fonctionnaires affectés outre-mer et que la saynète où un pseudo-colon bat un pseudo-esclave lui était destinée et qu'en second lieu, les banderoles le visaient clairement.

15. Ils retiennent que si la liberté d'expression doit être protégée, si la notion d'esclavagisme peut être invoquée dans le cadre de conflits de travail, et pas seulement dans le département de la Guyane à population majoritairement noire, mais aussi en métropole dans des conflits opposant des salariés à des dirigeants de type européen, cette notion, associée aux termes de « gouverneur », dénomination désignant les gouvernants notamment à l'époque de l'esclavagisme « actif », et de « maître » font clairement référence à un employeur traitant son personnel dans des conditions inacceptables.

16. Ils en déduisent qu'il s'agit, d'une part, de propos offensants, constitutifs en ce sens des injures telles que les définit la loi, mais qu'elles s'adressent de manière nominative et donc personnelle à M. [V], dirigeant de type européen certes, mais en considération de sa qualité de dirigeant aux méthodes de gestion critiquables selon les manifestants et, d'autre part, d'une attaque publique et ciblée, dans le cadre d'un conflit du travail, ôtant tout caractère raciste à ces injures.

17. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

18. En effet, les propos poursuivis, pour outranciers qu'ils puissent être regardés, entendent dénoncer, par l'utilisation de la caricature faisant référence au passé esclavagiste de la France, les méthodes de gestion du directeur du centre pénitentiaire, qualifiées d'autoritaristes voire de racistes, mais ne le visaient pas à raison de son origine ou de son appartenance à une race.

19. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

20. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par M. [D] :

CONSTATE la déchéance du pourvoi ;

Sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Cayenne :

Le REJETTE ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf octobre deux mille vingt et un.

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