13 octobre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-14.586

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:SO01133

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 octobre 2021




Cassation


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1133 F-D

Pourvoi n° T 20-14.586





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 OCTOBRE 2021

Mme [C] [V], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 20-14.586 contre l'arrêt rendu le 30 janvier 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-4), dans le litige l'opposant à la société Hôtel [1], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Sornay, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [V], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Hôtel [1], après débats en l'audience publique du 1er septembre 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Sornay, conseiller rapporteur, Mme Lecaplain-Morel, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 30 janvier 2020), Mme [V] a travaillé pour la société Hôtel [1] (la société) dans le cadre de contrats saisonniers à durée déterminée, durant trente-sept années consécutives entre 1976 et 2012 en qualité de femme de chambre.

2. La relation de travail était soumise à la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants du 30 avril 1997.

3. Ayant fait valoir ses droits à retraite à compter du 1er novembre 2010, la salariée a continué à travailler en 2011 et 2012, toujours dans le cadre de contrats saisonniers à durée déterminée, puis a notifié à l'employeur sa décision d'arrêter toute activité professionnelle et sollicité l'octroi d'une indemnité de départ à la retraite, qui lui a été refusée.

4. Elle a saisi la juridiction prud'homale le 30 octobre 2013 afin d'obtenir notamment la requalification des trente-sept contrats de travail à durée déterminée saisonniers conclus entre les parties depuis 1976 en un contrat à durée indéterminée et la condamnation de l'employeur à lui payer diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de ce contrat.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en requalification en contrat à durée indéterminée des trente-sept contrats à durée déterminée saisonniers qui ont été conclus chaque année, avec toutes les conséquences financières et juridiques qui en découlaient, y compris sur le montant de l'indemnité volontaire de départ à la retraite, de la prime spécifique de TVA et du nombre de jours fériés garantis, alors « qu'un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ; que dès lors que la cour d'appel constatait que l'hôtel avait conclu avec la même salariée, chaque année pendant trente-sept ans, pendant toute la période d'ouverture de l'établissement, un contrat de travail pour accomplir les mêmes fonctions de femme de chambre, il s'en induisait nécessairement que cet emploi était durable et lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise et qu'il répondait à un besoin structurel de l'employeur tenu de le pourvoir durablement ; que dès lors, en refusant de requalifier la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les dispositions de l'article L. 1242-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 122-1, devenu L. 1242-1 du code du travail, et L. 122-1-1 3°, devenu L. 1242-2 3° du code du travail, ce dernier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

6. Aux termes du premier de ces textes, le contrat de travail à durée déterminée ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise. Sous réserve des dispositions de l'article L. 122-2, devenu L. 1242-3 du code du travail, il ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas énumérés à l'article L. 122-1-1, devenu L. 1242-2.

7. Selon le second de ces textes, le contrat de travail peut être conclu pour une durée déterminée dans le cas d'emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.

8. La détermination par accord collectif des emplois pour lesquels le recours au contrat saisonnier est prévu ne dispense pas le juge, en cas de litige, de vérifier concrètement l'existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi concerné et de contrôler que le contrat n'a pas pour objet de pourvoir un emploi permanent.

9. Pour débouter la salariée de sa demande de requalification de ses contrats durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, l'arrêt retient d'abord que si, aux termes de l'article 14, 2° de la convention collective des hôtels, cafés restaurants, « les contrats saisonniers conclus pendant trois années consécutives à partir de la date d'application de la convention collective et couvrant toute la période d'ouverture de l'établissement pourront être considérés comme établissant avec le salarié une relation de travail à durée indéterminée sur la base des périodes effectives de travail », ce texte, qui a pour seule vocation de favoriser l'emploi, ne fait pas obstacle à la faculté pour un employeur de conclure des contrats à durée déterminée successifs avec le même salarié afin de pourvoir un emploi saisonnier sans aucune limite au-delà de laquelle s'instaurerait entre les parties une relation globale à durée indéterminée.

10. L'arrêt retient ensuite que seule la non-reconduction de la relation de travail sur la saison suivante s'analyse en un licenciement devant être motivé, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque la salariée a travaillé chaque jour pendant les périodes d'ouverture à la clientèle de l'hôtel, limitées à la belle saison, que son engagement a été reconduit chaque année durant les périodes nécessitant les services d'une femme de chambre, soit environ six mois et demi par an -à la différence des personnels occupant un emploi au sein de l'établissement les douze mois de l'année (direction, administration, gardiennage, entretien des espaces verts…)- et que la rupture de la relation indéterminée de travail s'est produite à son initiative, l'intéressée ayant fait part à son employeur de sa volonté de prendre sa retraite le 15 octobre 2012, ce dont l'arrêt déduit que la demande est mal fondée.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que la salariée avait travaillé, en vertu de contrats de travail à durée déterminée successifs, en la même qualité de femme de chambre durant trente-sept années consécutives, chaque année pendant toute la période d'ouverture de l'établissement au public, en sorte que l'intéressée occupait un emploi correspondant à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société Hôtel [1] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Hôtel [1] et la condamne à payer à Mme [V] la somme de 2 200 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize octobre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [V]


IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté Mme [V] de sa demande en requalification en contrat à durée indéterminée des 37 contrats à durée déterminée saisonniers qui ont été conclus chaque année, avec toutes les conséquences financières et juridiques qui en découlaient, y compris sur le montant de l'indemnité volontaire de départ à la retraite, de la prime spécifique de TVA et du nombre de jours fériés garantis ;

AUX MOTIFS QUE « Sur l'exigence de l'écrit, il est versé aux débats les contrats signés par Mme [V] pour les saisons 2005 à 2010 incluses, et de plus anciens encore, ce qui ne met pas en défaut l'employeur tenu de conserver cinq ans ce type de document social.
Par ailleurs, si aux termes de l'article 14, 2°, de la convention HCR "les contrats saisonniers conclus pendant trois années consécutives à partir de la date d'application de la convention collective et couvrant toute la période d'ouverture de l'établissement pourront être considérés comme établissant avec le salarié une relation de travail à durée indéterminée sur la base des périodes effectives de travail", ce texte, qui a pour seule vocation de favoriser l'emploi, ne fait pas obstacle à la faculté pour un employeur de conclure des contrats à durée déterminée successifs avec le même salarié afin de pourvoir un emploi saisonnier sans aucune limite au-delà de laquelle s'instaurerait entre les parties une relation globale à durée indéterminée.
Dans ce cas de figure, seule la non-reconduction de la relation de travail sur la saison suivante s'analyse en un licenciement devant être motivé, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque Mme [V] a travaillé chaque jour pendant les périodes d'ouverture à la clientèle de l'hôtel, limitées à la belle saison, que son engagement a été reconduit chaque année durant les périodes nécessitant les services d'une femme de chambre, soit environ six mois et demi par an - à la différence des personnels occupant un emploi au sein de l'établissement les douze mois de l'année (direction, administration, gardiennage, entretien des espaces verts...) - et que la rupture de la relation indéterminée de travail s'est produite à son initiative, l'intéressée ayant fait part à son employeur de sa volonté de prendre sa retraite le 15 octobre 2012 (sa lettre recommandée du 1er août 2012). » ;

ALORS, D'UNE PART, QU'un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ;

que dès lors que la Cour d'appel constatait que l'hôtel avait conclu avec la même salariée, chaque année pendant 37 ans, pendant toute la période d'ouverture de l'établissement, un contrat de travail pour accomplir les mêmes fonctions de femme de chambre, il s'en induisait nécessairement que cet emploi était durable et lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise et qu'il répondait à un besoin structurel de l'employeur tenu de le pourvoir durablement ; que dès lors, en refusant de requalifier la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les dispositions de l'article L. 1242-1 du Code du travail ;

ALORS, D'AUTRE PART, et en tout état de cause, QU'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si les contrats de travail successifs conclus pendant 37 ans, chaque année, avec la même salariée, pour accomplir strictement les mêmes fonctions, pendant toute la durée d'ouverture de l'établissement, n'avaient pas pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1242-1 du Code du travail ;

ALORS, ENFIN, QUE le contrat à durée déterminée initial, faute de prévoir les conditions de son renouvellement, ne peut être renouvelé que par soumission d'un avenant avant le terme initialement prévu ; qu'à défaut, il devient un contrat à durée indéterminée, dès lors que la relation de travail s'est poursuivie après l'échéance du terme ; que dès lors, en l'espèce, en décidant que l'employeur avait satisfait à son obligation de fournir un écrit puisqu'il produisait les contrats de travail pour les saisons 2005 à 2010, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée (conclusions d'appel de Mme [V] p. 15) et comme le Conseil de prud'hommes l'avait jugé, si l'avenant conclu le 1er octobre 2012 pour prolonger le contrat de travail du 2 avril 2012, n'avait pas été conclu le lendemain du terme du contrat initial fixé au 30 septembre 2012, lequel ne prévoyait pas les conditions de son renouvellement, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1243-11 et L. 1243-13 du Code du travail.

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