13 octobre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-16.617

Chambre sociale - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2021:SO01129

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 octobre 2021




Rejet


M. CATHALA, président



Arrêt n° 1129 FS-D

Pourvoi n° A 20-16.617




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 OCTOBRE 2021

La société Essex, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 20-16.617 contre l'arrêt rendu le 28 février 2020 par la cour d'appel de Douai (renvoi après cassation, prud'hommes), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [L] [K], domicilié [Adresse 3],

2°/ à la société Nexans France, société par actions simplifiée unipersonnelle,

3°/ à la société Nexans Wires, société par actions simplifiée unipersonnelle,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Essex, de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [K], et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 31 août 2021 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, MM. Pion, Ricour, Mmes Capitaine, Gilibert, conseillers, M. Silhol, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Essex du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Nexans France et Nexans Wires.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 28 février 2020), rendu sur renvoi après cassation (Soc.,17 février 2016, pourvoi n° 14-23.972), M. [K] a été licencié pour motif économique le 22 novembre 2008 par la société Essex qui a décidé la fermeture de son établissement de Chauny et s'est vu remettre une attestation d'exposition à l'amiante.

3. Il a saisi la juridiction prud'homale pour notamment obtenir l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à verser au salarié une somme en réparation de son préjudice d'anxiété, alors :

« 1°/ que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'exposition à un agent nocif ; qu'il appartient donc au salarié, qui sollicite l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété, de justifier de tels éléments personnels et circonstanciés établissant la réalité de son anxiété, qui ne peuvent se déduire de la seule exposition à un agent nocif, de l'existence d'un suivi médical post-exposition et du résultats de ce suivi médical ; qu'au cas présent, la société faisait valoir que le salarié n'établissait pas la réalité du préjudice d'anxiété dont il demandait la réparation ; qu'en se bornant à déduire le préjudice de la connaissance de l'exposition à un risque révélé par l'attestation remise par l'employeur au moment de la rupture du contrat de travail et des résultats du suivi médical mis en oeuvre, la cour d'appel, qui n'a relevé aucun élément personnel et circonstancié de nature à établir l'anxiété du défendeur au pourvoi, a statué par des motifs impropres à caractériser un préjudice d'anxiété personnellement subi et résultant du risque élevé de développer une pathologie grave et a donc privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que le juge est tenu de faire respecter et de respecter lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne résulte ni des écritures du défendeur au pourvoi, ni des pièces mentionnées dans le bordereau annexé à ces écritures, ni des mentions de l'arrêt relatives aux prétentions du salarié que celui-ci ait fait état d'une évolution négative de son état de santé révélée par les examens subis dans le cadre du suivi médical ; qu'en se fondant sur de tels éléments qui n'étaient pas dans le débat et qui n'avaient pas pu faire l'objet d'une quelconque discussion contradictoire, la cour d'appel a violé les articles 7 et 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. En application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

6. Le salarié doit justifier d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'un tel risque.

7. Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque élevé de développer une pathologie grave par les salariés.

8. Ayant relevé que le salarié avait subi des examens médicaux qui ont révélé, notamment en 2007, la présence d'adénopathies médiastinales confirmées par scanner et d'un nodule et qu'il justifiait d'une inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante avec le risque d'une pathologie particulièrement grave pouvant être la cause de son décès, la cour d'appel, sans méconnaître le principe de la contradiction, a légalement justifié sa décision.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Essex aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Essex et la condamne à payer à M. [K] la somme de 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize octobre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Essex


Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société Essex à payer au défendeur au pourvoi une somme de 8.000 € en réparation de son préjudice d'anxiété ;

AUX MOTIFS QUE « « S'agissant du préjudice d'anxiété, la réalité de celui-ci résulte notamment de l'établissement d'une attestation d'exposition à destination du salarié, lequel a été informé à cette occasion de la possibilité de la mise en oeuvre d'un suivi post-professionnel. Le fait que ledit suivi ne soit pas obligatoire ne constitue pas la preuve d'une limitation du risque de développer une pathologie grave mais reflète la liberté de choix du salarié en l'absence d'éléments pouvant attester de risques pour le reste de la population. Il convient de constater qu'il est fait état au titre de ces éléments d'informations fournis par le médecin du travail de tableaux de maladies professionnelles avec rappel de la nécessité de ne pas se séparer de l'attestation d'exposition dans la mesure où celle-ci sera indispensable en cas de déclaration de maladie professionnelle tardive. L'anxiété du salarié est la conséquence directe de l'appréciation de la situation par les autorités médicales et sanitaires, qui se traduit compte tenu des conséquences potentielles au niveau de l'état de santé d'une exposition à une substance nocive et dangereuse par la mise en oeuvre d'un suivi particulier si le salarié le souhaite. Le salarié justifie à ce titre d'une inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, avec le risque d'une pathologie particulièrement grave pouvant être la cause de son décès. Cette anxiété est d'autant plus prégnante en l'espèce que le salarié a subi des examens médicaux ayant permis notamment en 2007 la découverte d' « adénopathies médiastinales confirmées au scanner » et d'un nodule. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le salarié justifie de l'existence d'un préjudice d'anxiété en lien avec un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, de sorte qu'il doit lui être alloué des dommages et intérêts en réparation dudit préjudice. L'anxiété n'est pas proportionnelle à la durée d'exposition et ne peut être justifiée uniquement par celle-ci dans la mesure où des salariés ayant été soumis à une longue période d'exposition n'ont pas développé de maladie, alors que d'autres ont au contraire dû faire face à une pathologie grave malgré une exposition en temps réduite. Il convient au regard de ces éléments d'octroyer au salarié la somme de 8000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété, étant précisé que celui-ci a formulé sa demande de condamnation à l'égard de la société Essex » ;

1. ALORS QUE l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'exposition à un agent nocif ; qu'il appartient donc au salarié, qui sollicite l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété, de justifier de tels éléments personnels et circonstanciés établissant la réalité de son anxiété, qui ne peuvent se déduire de la seule exposition à un agent nocif, de l'existence d'un suivi médical post-exposition et du résultats de ce suivi médical ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir que le défendeur au pourvoi n'établissait pas la réalité du préjudice d'anxiété dont il demandait la réparation ; qu'en se bornant à déduire le préjudice de la connaissance de l'exposition à un risque révélé par l'attestation remise par l'employeur au moment de la rupture des contrats de travail et des résultats du suivi médical mis en oeuvre, la cour d'appel, qui n'a relevé aucun élément personnel et circonstancié de nature à établir l'anxiété du défendeur au pourvoi, a statué par des motifs impropres à caractériser un préjudice d'anxiété personnellement subi et résultant du risque élevé de développer une pathologie grave et a donc privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE le juge est tenu de faire respecter et de respecter lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne résulte ni des écritures du défendeur au pourvoi, ni des pièces mentionnées dans le bordereau annexé à ces écritures, ni des mentions de l'arrêt relatives aux prétentions du salarié que celui-ci ait fait état des résultats d'examens subis dans le cadre du suivi médical ; qu'en se fondant sur de tels éléments qui n'étaient pas dans le débat et qui n'avaient pas pu faire l'objet d'une quelconque discussion contradictoire, la cour d'appel a violé les articles 7 et 16 du code de procédure civile.

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