13 octobre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 16-24.813

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:CO00688

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 octobre 2021




Cassation partielle


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 688 F-D

Pourvoi n° B 16-24.813




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 OCTOBRE 2021

La société AMP, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2]), a formé le pourvoi n° B 16-24.813 contre l'arrêt rendu le 25 mai 2016 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant à la société Licence Store Investment Limited, dont le siège est [Adresse 1] (Royaume-Uni), défenderesse à la cassation.

La société Licence Store Investment Limited a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Boisselet, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société AMP, de la SCP Boullez, avocat de la société Licence Store Investment Limited, après débats en l'audience publique du 6 juillet 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Boisselet, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 mai 2016), la société de droit belge AMP a consenti en 2002 à la société de droit anglais Licence Store Investment Limited (la société LSI) un contrat de sous-licence de marques déposées en France moyennant le versement d'une redevance. En 2003, la société SEMA, filiale de la société LSI, a conclu un contrat de partenariat avec la société Virgin Store. En 2008, la société AMP a transféré le contrat de sous-licence de marques à la société Virgin Store et a réclamé à la société LSI les redevances impayées pour la période 2002/2008. La société LSI a accepté un échéancier et réglé la moitié de la somme demandée. La société AMP l'a assignée en paiement du solde.

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses deux premières branches, et sur le moyen unique du pourvoi incident, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

3. La société AMP fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il condamne la société LSI à lui payer la somme de 61 450 euros, outre les intérêts au taux légal capitalisés, et de la débouter de ses demandes, alors « que l'article 1132 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, en ce qu'il dispose que la convention est valable quoique la cause n'en soit pas exprimée, met à la charge du signataire d'une reconnaissance de dette qui conteste l'existence de la cause de celle-ci de prouver ses allégations ; qu'en l'espèce la société LSI avait, ainsi qu'il ressort des énonciations de la cour d'appel, "accepté un échéancier" du paiement des redevances dues en vertu du contrat de licence dans un courrier rédigé en français et daté du 9 juillet 2010, mais contestait la cause de cette obligation de paiement au prétexte de "l'imbrication des obligations de ce contrat avec celle d'un contrat signé en 2003 entre SEMA et Virgin Store" ; qu'en reprochant pourtant à la société AMP, qui avait versé la reconnaissance de dette pertinente aux débats de ne pas avoir produit de traduction du contrat litigieux, la cour d'appel a inversé la charge de preuve et a violé l'article 1132 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen :

4. La société LSI fait valoir que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit.

5. Cependant, le moyen, qui est né de la décision attaquée, est recevable.

Bien fondé du moyen :

Vu l'article 1132 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

6. Il résulte de ce texte, qui dispose que la convention est valable quoique la cause n'en soit pas exprimée, que celui qui a souscrit une reconnaissance de dette supporte la charge de la preuve de l'absence de cause de cette dette ou de son illicéité.

7. Pour rejeter les demandes de la société AMP, l'arrêt, après avoir constaté que le contrat de sous-licence produit était en langue anglaise, long de seize pages et comportait des termes techniques, et qu'aucune traduction n'était produite, retient que cette pièce est dépourvue de tout caractère probant en l'état des contestations de la société LSI, et qu'il appartenait à la société demanderesse AMP de mettre le juge en mesure de se prononcer par la production de documents ayant force probante.

8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société LSI avait accepté un échéancier et réglé le premier terme de la créance alléguée par la société AMP, et avait ainsi reconnu devoir la somme réclamée, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la société LSI rapportait la preuve que cette somme n'était pas due, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare la société Licence Store Investment Limited irrecevable en sa demande en répétition de l'indu, l'arrêt rendu le 25 mai 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Licence Store Investment Limited aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Licence Store Investment Limited ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize octobre deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société AMP.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait condamné la société LSI à payer à la société AMP la somme de 61 450 euros, outre les intérêts au taux légal capitalisés, et d'avoir débouté la société AMP de ses demandes ;

AUX MOTIFS QUE « Les parties discutent du contrat qu'elles ont signé ;

Que l'une, AMP en demande l'exécution par la condamnation de l'autre, LSI, à payer des redevances et l'autre fait état de l'imbrication des obligations de ce contrat avec celles d'un contrat signé en 2003 entre SEMA et Virgin Store et de l'existence d'un ensemble contractuel unique constitué par ces deux conventions qui interdit qu'il soit fait droit à la demande en paiement de la société AMP ;

Que la société AMP verse aux débats le contrat de licence de marque "Trade Mark Licence" signé en 2002 par elle-même et LSI ;

Que ce contrat est rédigé en anglais ;

Que l'ordonnance de Villers-Cot[t]erêts d'août 1539 ne vise que les actes de procédure ;

Qu'en l'espèce, s'agissant d'appliquer l'élément de la preuve, le juge peut dans l'exercice de son pouvoir souverain écarter comme élément de preuve un document écrit en langue étrangère, faute de traduction en langue française qui lui ôte tout caractère probant ;

Que le contrat signé entre AMP et LSI long de seize pages comporte divers termes techniques ;

Que dès lors que l'exécution de ce contrat est demandée par AMP et se heurte à la contestation de la société LSI, il appartient à la demanderesse de mettre le juge en mesure de se prononcer par la production de documents ayant force probante ;

Que le document produit en langue anglaise ne le permet pas ;

Que la demande de la société AMP sera rejetée et le jugement infirmé » ;

1°/ ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en déboutant la société AMP de sa demande en paiement des redevances dues en vertu du contrat de licence de marque signé par les parties en 2002 pour la seule raison que le contrat était produit devant elle dans sa version anglaise et était donc dénué de tout caractère probant, sans avoir au préalable invité les parties à s'expliquer sur ce moyen relevé d'office, cependant que la société LSI ne contestait nullement l'existence d'une traduction française du contrat, qui lui avait été communiquée, la Cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.

2°/ ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en déboutant la société AMP de sa demande en paiement des redevances dues en vertu du contrat de licence de marque signé par les parties en 2002 pour la seule raison que le contrat était produit devant elle dans sa version anglaise et était donc dénué de tout caractère probant, sans avoir au préalable invité les parties à s'expliquer sur l'absence de traduction au dossier, cependant qu'il ressortait tant de la procédure que des écritures des parties que cette absence ne pouvait être due qu'à un dysfonctionnement matériel, la Cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

3°/ ALORS QU'EN TOUT ETAT DE CAUSE l'article 1132 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, en ce qu'il dispose que la convention est valable quoique la cause n'en soit pas exprimée, met à la charge du signataire d'une reconnaissance de dette qui conteste l'existence de la cause de celle-ci de prouver ses allégations ; qu'en l'espèce la société LSI avait, ainsi qu'il ressort des énonciations de la Cour d'appel, « accepté un échéancier » (arrêt attaqué, p. 2) du paiement des redevances dues en vertu du contrat de licence dans un courrier rédigé en français et daté du 9 juillet 2010, mais contestait la cause de cette obligation de paiement au prétexte de « l'imbrication des obligations de ce contrat avec celle d'un contrat signé en 2003 entre SEMA et Virgin Store » (arrêt attaqué, p. 4) ; qu'en reprochant pourtant à la société AMP, qui avait versé la reconnaissance de dette pertinente aux débats de ne pas avoir produit de traduction du contrat litigieux, la Cour d'appel a inversé la charge de preuve et a violé l'article 1132 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour la société Licence Store Investment Limited.

Le pourvoi incident fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré irrecevable, comme nouvelle en cause d'appel, la demande en répétition de l'indu formée par la société LSI afin que la société AMP soit condamnée à lui rembourser la somme de 61 450 € ;

AUX MOTIFS QUE la demande en répétition de l'indu est faite pour la première fois en cause d'appel, qu'il ne s'agit pas d'une demande tendant aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges ; que cette demande ne permet pas d'opposer compensation, d'écarter des prétentions adverses, dès lors qu'il s'agit d'obtenir le remboursement de ce qui a déjà été payé ;

ALORS QUE la demande reconventionnelle est recevable pour la première fois en cause d'appel sous la seule condition qu'elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant ; qu'en affirmant que la demande en répétition de l'indu est faite pour la première fois en cause d'appel, et qu'il ne s'agit pas d'une demande tendant aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges, ni d'opposer compensation, ou d'écarter des prétentions adverses, quand la demande présentait un caractère reconventionnel pour émaner de la défenderesse en première instance, la cour d'appel qui n'a pas recherché si la demande ne se rattachait pas aux prétentions originaires par un lien suffisant, a privé sa décision de base légale au regard des articles 70 et 567 du Code de procédure civile.

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