13 octobre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-80.973

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:CR01213

Texte de la décision

N° C 20-80.973 F-D

N° 01213


GM
13 OCTOBRE 2021


CASSATION PARTIELLE


M. SOULARD président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 OCTOBRE 2021



M. [B] [K], M. [T] [Y] et la société Colette ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-14, en date du 10 décembre 2019, qui a condamné le premier, pour blanchiment en bande organisée et complicité, à six ans d'emprisonnement, deux millions d'euros d'amende, le second, pour blanchiment en bande organisée, à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et mise à l'épreuve devenu sursis probatoire, et 300 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires en demande et en défense, et des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de M. Wyon, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [B] [K], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocats de M. [T] [Y], de la SCI Colette, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'Etat Français, représenté par Monsieur le Ministre du buget, des comptes publics, de la Fonction publique et de la réforme de l'Etat, agissant par Monsieur le directeur national des enquêtes fiscales, et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 septembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Wyon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, et à la suite de la ratification du Protocole de Kyoto, l'Union européenne, à travers la directive 2003-87-CE adoptée en juillet 2003, a mis en place un système d'allocations et d'échanges de quotas d'émissions de gaz à effet de serre (GES).

3. Dans ce système, chaque État de l'Union Européenne bénéficie d'un certain nombre de quotas d'émission, correspondant à l'autorisation d'émettre un tonnage de CO2 sur une période donnée, et les attribue à ses exploitants d'industries polluantes. Si à la fin de l'exercice considéré, l'exploitant a émis plus de CO2 que son allocation le lui permettait, il peut acheter les quotas manquants ; à l'inverse, s'il en a émis moins, il peut revendre ses quotas non utilisés, et bénéficier ainsi de revenus pour financer des investissements destinés à diminuer ses émissions polluantes.

4. Toutefois, l'acquisition ou la revente de quotas n'est pas réservée aux industriels, la Directive n°2003/87 du 13 octobre 2003 permettant à toute personne de détenir des quotas.

5. Chaque État s'est doté d'un registre informatisé permettant d'enregistrer et d'identifier les mouvements des comptes des détenteurs de quotas. En France, l'État a choisi de confier la mise en place et la tenue du registre national des quotas d'émission de GES, dénommé Seringas, à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC).

6. Les quotas, considérés comme des biens meubles incorporels, faisant l'objet d'un négoce, une plate-forme d'échanges de droits à émissions a été mise en place en France, et confiée à la société Bluenext, filiale de la CDC. Toute personne inscrite sur le registre national peut détenir des quotas, les céder ou en acquérir, soit en intervenant directement sur le marché au comptant géré par Bluenext si elle a reçu un agrément de cette dernière, soit par l'intermédiaire d'un courtier agréé sur ce marché.

7. Au plan fiscal, leur cession avait le caractère de prestations de service, et était assujettie de plein droit à la TVA au taux de 19,6 %, relevant ainsi des dispositions de l'article 259 B du code général des impôts, dès lors qu'elles étaient vendues par un prestataire hors de France à un preneur établi en France assujetti à la TVA.

8. En avril 2009, l'organisme Tracfin a signalé au procureur de la République de Paris des opérations suspectes menées par des sociétés immatriculées en France (Synergie 2000, Eco Market Service, Golden Vector, Touch Future), toutes de création récente, mobilisant beaucoup de fonds en peu de temps, ayant une position systématiquement vendeuse et passant des ordres de vente uniquement sur Bluenext. Beaucoup n'avaient pas de compte bancaire en France et elles effectuaient, pour la plupart, des transactions à perte, reposant sur le même schéma : acquisition HT de quotas hors de France, revente des quotas TTC et virements très rapides des fonds perçus sur des comptes bancaires dans des pays tels Chypre, la Géorgie, le Monténégro, sans qu'aucun acompte de TVA ne soit versé. Enfin, l'origine de la trésorerie ayant permis à ces sociétés de débuter leur activité était inconnue.

9. Lors de l'enquête, les enquêteurs ont identifié une société Global Energie, ayant comme adresse une société de domiciliation, un gérant de droit ne résidant pas en France, n'ayant aucun salarié ni aucune comptabilité, et étant seulement titulaire d'un compte bancaire ouvert à Chypre. Cette société a effectué sur le marché français des transactions à la vente à hauteur de 8 234 000 tonnes de CO2, sans jamais reverser la TVA collectée.

10. L'information judiciaire a par ailleurs établi l'existence de plusieurs circuits de blanchiment.

11. À l'issue des investigations, trois des dix personnes mises en examen dans le cadre de cette information judiciaire, dont M. [K], ont été poursuivies pour escroquerie en bande organisée, et huit, dont MM. [K] et [Y], pour blanchiment en bande organisée.

12. Par jugement du 22 février 2018, le tribunal correctionnel de Paris est entré en voie de condamnation contre huit prévenus et a prononcé la relaxe de deux d'entre eux. MM. [K] et [Y] ont été déclarés coupables des faits qui leur étaient reprochés. M. [K] a été condamné à six ans d'emprisonnement et à une amende de un million d'euros ; M. [Y] a été condamné à trois ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende. Le tribunal a prononcé la confiscation des scellés, ainsi que celle des biens immeubles appartenant à la société Colette sur la commune de Paris. Le tribunal a également prononcé sur les intérêts civils.

13. M. [K], M. [Y] et la société Colette ont fait appel de ce jugement, ainsi, notamment, que l'État français, partie civile, et que le ministère public.

Examen des moyens

Sur le moyen proposé pour M. [K], le quatrième moyen proposé pour M. [Y] et la société Colette


14. Il ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le premier moyen proposé pour M. [Y]

Énoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de la violation du principe non bis in idem, d'avoir déclaré M. [Y] coupable de blanchiment en bande organisée, alors « que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à plusieurs déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ; que M. [Y] a fait l'objet d'une double poursuite pour blanchiment aggravé de l'escroquerie dite Crepuscule d'une part, pour blanchiment aggravé de l'escroquerie commise par la société Global Energie d'autre part, pour avoir « sign(é) en mars 2009 un faux contrat de joint-venture pour justifier faussement un investissement de 16,8 M USD dans la villa de la rue [Adresse 1] » ; que ce fait unique, procédant d'une seule intention coupable, ne pouvait donner lieu à deux déclarations de culpabilité au prétexte que « les flux issus de la fraude Global Energie, par une chaîne Timeway - Perla Capital - Msiaad [R], ont partiellement financé le deuxième versement de l'achat de la villa », ce dont, de surcroît, il n'apparaît pas que M. [Y] ait eu connaissance ; que la cour d'appel a méconnu le principe sus-énoncé et violé la règle non bis in idem. »

Réponse de la Cour

16. Pour déclarer M. [Y] coupable de blanchiment en bande organisée, l'arrêt attaqué énonce notamment qu'un même bien peut servir au blanchiment de plusieurs escroqueries successives, sous réserve de la démonstration de la matérialité des versements successifs.

17. Les juges ajoutent que M. [Y] a reconnu avoir servi de prête-nom pour une opération immobilière pour le compte de son ami M. [R], et que les premiers juges ont considéré à bon droit qu'il résultait de ces déclarations d'une part, que M. [Y] avait, en apposant sa signature pour le compte d'un tiers sur le contrat de joint-venture, conscience de participer à une opération frauduleuse, d'autre part, qu'il avait également connaissance de ce que les fonds finançant cette opération ne pouvaient provenir de M. [R], peu important qu'il ignore, comme il le soutient, l'identité du véritable financier de l'opération.

18. Ils retiennent encore, par motifs adoptés, que le prévenu a lui-même déclaré n'avoir versé aucun fonds d'origine personnelle pour financer l'acquisition de la villa, et avoir déposé à la banque, sur un compte à son nom, des espèces qui lui avaient été données juste avant, afin de faire ensuite un virement depuis son compte, comme si c'était bien son argent.

19. La cour d'appel retient enfin qu'il a été démontré que les flux issus de la fraude Global Energie, par une chaîne Timeway- Perla Capital - Msiaad Saban, ont partiellement financé le deuxième versement de l'achat de la villa.

20. En se déterminant ainsi, et dès lors qu'elle a relevé que les fonds blanchis par l'opération consistant pour M. [Y] à signer un faux contrat de joint-venture pour l'acquisition d'une maison, provenaient d'escroqueries différentes, et avaient fait l'objet de versements différents, chaque versement constituant une opération de placement à laquelle le prévenu a apporté son concours, la cour d'appel ne pouvait méconnaître le principe visé au moyen.

21. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Mais sur le deuxième moyen proposé pour M. [Y]

Énoncé du moyen

22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmant le jugement, condamné M. [Y] à un emprisonnement de trois ans dont deux ans avec mise à l'épreuve d'une durée de trois ans, porté la peine d'amende à la somme de 300 000 euros et, confirmant sur ce point, ordonné la confiscation de l'intégralité du bien immeuble et droit immobilier dont la société Colette est propriétaire à Paris, dans le 19e arrondissement, suivant désignation figurant au dispositif, alors :

« 1°/ que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction ; que l'arrêt ne s'explique pas sur le caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction ; que la cour a violé l'article 132-19 du code pénal ;

2°/ qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; que l'arrêt ne s'explique pas sur les éléments de la personnalité du prévenu pris en considération pour se prononcer sur les peines; que la cour a méconnu le principe sus-énoncé et les articles 132-19 du code pénal et 485, 512 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; que le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu, lesquelles s'apprécient à la date à laquelle le juge statue ; que la peine d'amende a été portée à 300 000 euros, par seule référence à la gravité des faits et à leur nature, ainsi qu'au montant d'une caution versée en 2014 mais entre-temps réduite de plus de la moitié ; que l'arrêt a méconnu les articles 132-20, alinéa 2, du code pénal, ensemble l'article 132-1 du même code et les articles 485, 512 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 132-1, 132-19 et 132-20 du code pénal, dans leur rédaction alors en vigueur :

23. En matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur.

24. Selon le deuxième de ces textes, le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction.

25. Selon le troisième de ces textes, le juge qui prononce une amende doit, en outre, motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu.

26. Pour condamner M. [Y] à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et mise à l'épreuve devenu sursis probatoire, 300 000 euros d'amende, et prononcer une mesure de confiscation, l'arrêt attaqué énonce que, au regard de la gravité des faits pour lequel le prévenu a joué un rôle déterminant dans le blanchiment pour un montant important, la peine de trois ans d'emprisonnement prononcée par le tribunal est justifiée dans son quantum, mais que, prenant en compte les graves problèmes de santé dont souffre M. [Y], elle assortira pour une durée de deux ans la peine d'un sursis avec mise à l'épreuve avec obligation de réparer le préjudice subi par les parties civiles.

27. La cour d'appel ajoute qu'elle infirmera la peine d'amende pour la porter à 300 000 euros, somme proportionnelle à la gravité des faits et à leur nature, et d'un montant égal à la somme versée à titre de caution.

28. En prononçant ainsi, sans mieux s'expliquer d'une part sur la personnalité du prévenu et sur sa situation personnelle, d'autre part sur le caractère inadéquat de toute autre sanction que l'emprisonnement ferme, enfin sur le montant des ressources comme des charges de M. [Y], la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

29. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquence de la cassation

30. La cassation sera limitée aux peines prononcées contre M. [Y], dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure. Elle portera aussi sur la confiscation des biens immobiliers appartenant à la société Colette, prononcée à titre de peine complémentaire contre M. [Y].

31. L'affaire sera renvoyée devant une cour d'appel pour qu'il soit à nouveau statué dans les limites de la cassation ainsi prononcée, conformément à la loi, et, le cas échéant, aux dispositions des articles 132-19 et 132-25 du code pénal et 464-2 du code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, applicables à partir du 24 mars 2020.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen proposé pour M. [Y] et la société Colette, la Cour :

I - Sur le pourvoi de M. [K] :

Le déclare NON ADMIS ;

II - Sur les pourvois de M. [Y] et de la société Colette :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 10 décembre 2019, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées contre M. [Y], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. [B] [K] devra payer à l'Etat français en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize octobre deux mille vingt et un.

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