28 avril 2011
Cour d'appel de Paris
RG n° 08/05931

Pôle 5 - Chambre 5

Texte de la décision

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 5



ARRÊT DU 28 AVRIL 2011



(n° 138 , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 08/05931



Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Janvier 2008 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2007067199





APPELANTE



SAS IPSEN PHARMA venant aux droits de la SAS BEAUFOUR IPSEN PHARMA

ayant son siège : [Adresse 2]



représentée par Me François TEYTAUD, avoué à la Cour

assistée de Me Christophe HENIN et Me Anne SERVOIR, avocats au barreau de PARIS

toque C032, plaidant pour le cabinet INTUITY,





INTIMÉE



SAS MYLAN anciennement MERCK GÉNÉRIQUES

ayant son siège : [Adresse 1]



représentée par Me Dominique OLIVIER, avoué à la Cour

assistée de Me Jean-Christophe GALLOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : E146,







COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 785, 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 mars 2011, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Colette PERRIN, Présidente chargée d'instruire l'affaire et Madame Patricia POMONTI, Conseillère.





Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Colette PERRIN, présidente

Madame Janick TOUZERY-CHAMPION, conseillère

Madame Patricia POMONTI, conseillère





Greffier, lors des débats : Madame Marie-Claude HOUDIN





ARRET :



- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Colette PERRIN, présidente et par Mademoiselle Anne BOISNARD, greffier des services judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



***



La SAS Beaufour Ipsen Pharma, filiale du groupe Ipsen, est chargée de la recherche, du développement et de la commercialisation des médicaments en France.



La SAS Beaufour Ipsen Pharma exploite un brevet allemand et commercialise en France le Tanakan, son second produit en termes de vente, qui est extrait de feuille de Ginkgo Biloba, indiqué notamment pour le traitement par voie orale du déficit cognitif et neurosensoriel chronique du sujet âgé.



En juin 2007, la SAS Merck Génériques, filiale du groupe Merck spécialisée dans les médicaments génériques qui a été cédée en mai 2007 au groupe Mylan, a acquis un brevet italien et mis sur le marché un médicament appelé Vitalogink élaboré à partir de Ginkgo Biloba et susceptible d'être prescrit dans les mêmes conditions que le Tanakan.



La société Ipsen a, alors constaté que les ventes du médicament Tanakan étaient inférieures aux prescriptions et après avoir procédé à des investigations après des officines de pharmacie a relevé qu'il avait été remplacé par le Vitalogink ; elle a estimé que cette substitution résultait d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme commis par les laboratoires Merck.



Par acte en date du 11 octobre 2007, la SAS Beaufour Ipsen Pharma a assigné la SAS Merck Génériques pour concurrence déloyale.



Par jugement du 24 janvier 2008, le tribunal de commerce de Paris a jugé qu'il n'est pas démontré que Merck Génériques n'a pas respecté le cadre réglementaire existant dans la mise sur le marché du Vitalogink et a débouté la SAS Beaufour Ipsen Pharma de l'ensemble de ses demandes, lui ordonnant de communiquer à la SAS Merck Génériques dans un délai de 30 jours à compter de la publication du présent jugement la liste complète des pharmaciens auxquels elle a présenté son questionnaire d'enquête concernant le Vitalogink, liste où figurera leur adresse et leurs coordonnées téléphoniques, et ce sous astreinte provisoire de 2.000 euros par jour de retard pendant une durée de 30 jours à l'issue de laquelle il sera à nouveau fait droit, d'adresser aux pharmaciens composant cette liste une lettre signée par son Directeur Général sur papier à entête de la société dont les termes seront les suivants :

« Par décision en date du 24 janvier 2008, le tribunal de commerce de Paris a débouté la SAS Beaufour Ipsen Pharma de l'ensemble de ses demandes formées au titre d'une prétendue concurrence déloyale à l'encontre de la SAS Merck Génériques.

Le tribunal a jugé qu'il n'avait pas été établi par la SAS Beaufour Ipsen Pharma que la SAS Merck Génériques ait incité à une quelconque substitution de la spécialité Tanakan par la spécialité Vitalogink.

Contrairement à ce que pouvait laisser entendre le questionnaire qui vous a été soumis par nos représentants il y a quelques mois, la spécialité Vitalogink de la SAS Merck Génériques n'est pas un médicament générique mais un équivalent thérapeutique du Tanakan que nous commercialisons.

Le Vitalogink ne peut donc être substitué au Tanakan quand ce dernier a été prescrit par un médecin », et ce dans les quinze jours suivant la validation de cette liste par la SAS Merck Génériques, et à défaut au plus tard dans un délai de 30 jours à compter de la publication du présent jugement, sous astreinte provisoire de 2.000 euros par jour de retard ce pendant une durée de 30 jours à l'issue de laquelle il sera à nouveau fait droit,

- condamné la SAS Beaufour Ipsen Pharma à payer à la SAS Merck Génériques la somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,

- condamné la SAS Beaufour Ipsen Pharma aux dépens.





La Cour



Vu l'appel interjeté le 20 mars 2008 par la SAS Beaufour Ipsen Pharma.




Vu les conclusions signifiées le 27 janvier 2011 par lesquelles la SAS Ipsen Pharma venant aux droits de la SAS Beaufour Ipsen Pharma demande à la cour d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 24 janvier 2008 en toutes ses dispositions, et, statuant à nouveau de :

à titre principal,

dire et juger que Merck Génériques a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme :

- en mettant en 'uvres des pratiques de parasitisme consistant en la présentation implicite illicite du médicament Vitalogink en tant que médicament générique de Tanakan,

- en mettant en 'uvre des pratiques de parasitisme consistant en la présentation explicite et illégale du médicament Vitalogink en tant que médicament générique de Tanakan,

- en diffusant des publicités illicites en violation des dispositions relatives à la publicité pharmaceutique et comparative,

- en mettant en 'uvre des pratiques de concurrence déloyale ayant incité et conduit les pharmaciens à violer les dispositions légales relatives aux prix et marges de médicaments remboursables,

- en mettant en 'uvre des pratiques actives de substitution, constitutives du délit de substitution des produits marqués, en violation des dispositions du code de la santé publique et du code de la propriété intellectuelle, destinées à induire les prescripteurs, pharmaciens et patients en erreur, pour tirer un profit indu de la confusion provoquée, aux dépens d'Ipsen Pharma,

- en profitant, du fait de ces pratiques, des investissements réalisés par Ipsen Pharma pour la commercialisation de sa spécialité Tanakan sans elle-même procéder aux dépenses que doit normalement encourir un opérateur économique pour conquérir une clientèle,

à titre subsidiaire,

- dire et juger que Merck Génériques a engagé sa responsabilité pour négligence fautive, en s'abstenant d'avoir adopté les mesures qui s'imposaient pour prévenir le risque d'assimilation erronée de Vitalogink à un médicament générique,

en tout état de cause,

- débouter Merck génériques de l'ensemble de ses demandes tendant à la confirmation du jugement du tribunal de commerce de Paris,

- déclarer Merck Génériques non fondé en son appel incident,

- débouter, en conséquence, Merck Génériques de l'ensemble de ses demandes présentées dans l'appel incident,

en conséquence,

- dire et juger que les comportements fautifs de Merck Génériques ont occasionné un préjudice direct et certain égal, à fin mai 2009, à 17.071.374 euros,

- condamner en conséquence Merck Génériques à payer à Ipsen Pharma la somme de 17.071.374 euros en réparation du préjudice subi,

- autoriser Ipsen Pharma à parfaire l'étendue du préjudice entre le 1er juin 2009 et la date de l'arrêt à intervenir,

- enjoindre à Merck Génériques de stopper ses pratiques commerciales conduisant à ses substitutions illicites,

- ordonner à Merck Génériques, à adresser à tous les pharmaciens établis sur le territoire français, un courrier dont le texte est détaillé au point II. 3,2,

- ordonner la publication du dispositif de la présente décision dans 3 revues spécialisées le Quotidien du médecin, le Quotidien du pharmacien et Pharmaceutiques, ainsi que dans le quotidien national les Echos, dans le mois du prononcé de l'arrêt, aux frais de la société Merck Génériques,

- assortir chaque injonction prononcée d'une astreinte de 2.000 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente décision,

- condamner Merck Génériques au paiement d'une somme de 560.000 euros à Ipsen Pharma au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.



Vu les conclusions signifiées le 13 janvier 2011 par lesquelles la SAS Mylan, venant aux droits de la société Merck Génériques, demande à la cour de débouter la société Ipsen Pharma de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, et de :

- dire et juger qu'aucun acte de concurrence déloyale et/ou de parasitisme n'est imputable à la société Mylan,

- dire et juger que la société Mylan n'a commis aucun acte de négligence fautive de nature à engager sa responsabilité civile,

- faire droit à la demande reconventionnelle formée par la société Mylan,

- dire et juger que la société Ipsen Pharma a porté atteinte à l'image de la société Mylan lui causant un préjudice,

- la condamner à adresser une lettre rectificative sur papier à entête de la société signée par son Président aux 22.500 pharmaciens d'officine français, ou à tout le moins à l'ensemble des pharmaciens démarchés, pour répondre au sondage préparé par ses soins, à ses frais et sous contrôle d'huissier, dans les termes suivants :

« Par décision en date du ... la cour d'appel de Paris, confirmant en cela le jugement du tribunal de commerce du 24 janvier 2008, a débouté la société Ipsen Pharma de l'ensemble de ses demandes formées au titre d'une prétendue concurrence déloyale ou parasitaire à l'encontre de la société Mylan (aux droits de Merck Génériques).

La cour, comme le tribunal, a jugé qu'il n'était pas établi par la société Ipsen Pharma que la société Mylan ait incité à une quelconque substitution de la spécialité Tanakan par la spécialité Vitalogink.

Contrairement à ce que pouvait laisser entendre le questionnaire qui vous a été soumis par nos représentants il y a quelques mois, la spécialité Vitalogink de la société Mylan n'est pas un médicament générique mais un équivalent thérapeutique du Tanakan que nous commercialisons.

Le Vitalogink ne peut donc être substitué au Tanakan quand ce dernier a été prescrit par un médecin. »

et ce, dans un délai de trente jours à compter de la publication de la décision à intervenir, sous astreinte provisoire de 2.000 euros par jour de retard,

- condamner la société Ipsen Pharma à payer à la société Mylan la somme de 40.000 euros au titre des frais irrépétibles alloués en première instance en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

réformant pour le surplus,

et statuant à nouveau,

- faire droit à l'entière demande reconventionnelle formée par la société Mylan,

- dire et juger que la société Ipsen Pharma s'est livrée à des agissements fautifs de nature à - engager sa responsabilité civile à l'encontre de la société Mylan,

- dire et juger que la société Ipsen Pharma se rend coupable d'abus de position dominante à l'encontre de la société Mylan,

- condamner la société Ipsen Pharma à payer au profit de la société Mylan une somme de 1.500.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- ordonner à titre de mesure réparatrice complémentaire, la publication de la décision à intervenir, dans trois revues professionnelles au choix de la société Mylan et aux frais de la société Ipsen Pharma, sans que chacune de ces insertions ne puisse dépasser 3.000 euros HT,

- condamner la société Ipsen Pharma à payer à la société Mylan une somme de 60.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.





Sur l'existence d'un comportement déloyal et parasitaire



Considérant que la société Ipsen Pharma soutient que la société Merck Génériques a commis des agissements parasitaires, notamment en se plaçant dans le sillage d'Ipsen Pharma et de sa spécialité Tanakan, en ayant recours, pour le lancement du Vitalogink, au modèle économique de commercialisation des médicaments génériques, en diffusant des publicités illicites en violation des dispositions relatives à la publicité pharmaceutique et comparative, et en incitant et conduisant les pharmaciens à violer les dispositions légales relatives aux prix et marges de médicaments remboursables ; qu'elle affirme que Merck Génériques a mis en 'uvre des pratiques destinées à instaurer une confusion quant à la nature de Vitalogink et à induire en erreur les pharmaciens sur les possibilités de substituer cette spécialité à Tanakan, qui sont autant de comportements fautifs constitutifs d'actes de concurrence déloyales et d'actes de parasitisme.;



Considérant que la SAS Mylan venant aux droits de la société Merck Génériques affirme avoir réalisé ses propres investissements pour promouvoir sa spécialité Vitalogink et n'avoir jamais entendu tirer profit de quelque manière que ce soit des investissements réalisés par Ipsen Pharma ; qu'elle soutient que la commercialisation du produit exclut tout risque de confusion avec un statut de générique et qu'elle n'a commis aucune faute dans la présentation de son médicament Vitalogink, laquelle est parfaitement transparente et dénuée de toute équivoque et que ses pratiques commerciales sont en tous points conformes au cadre juridique actuellement en vigueur ;



Considérant que les parties ne contestent plus que le Vitalogink n'est pas le générique du Tanakan mais que c'est un médicament princeps qui a bénéficié d'une autorisation de mise sur le marché comme le Tanakan ;



Que si la société Mylan le présente comme un « équivalent » du Tanakan, il convient de relever que le code de la santé publique distingue seulement deux catégories de médicaments, d'une part les spécialités aussi dénommées princeps , d'autre part les génériques ; que, de cette distinction, découlent des régimes différents notamment en termes de substitution et de fixation de prix ;



Que le Tanakan et le Vitalogink étant des médicaments de marque ou de référence dits « princeps », le pharmacien a l'obligation de les délivrer au malade lorsqu'ils sont prescrits par le médecin, sauf dans des conditions strictement définies par les textes au nombre desquelles figure le droit de substituer à la spécialité prescrite un « médicament générique » du même groupe de produits ;



Considérant que la substitution d'un médicament par un autre est expressément prévue par l'article L5125-23 du code de la santé publique qui dispose que « le pharmacien ne peut délivrer un médicament ou produit autre que celui qui a été prescrit ou ayant une dénomination commune différente de la dénomination commune prescrite qu'avec l'accord exprès et préalable du prescripteur, sauf en cas d'urgence et dans l'intérêt du patient » ;



Qu'à ce droit de substitution liée à une situation d'urgence a été ajouté le mécanisme de la substitution générique qui a pour objet de remplacer la délivrance du produit princeps initialement prescrit par un générique ; qu'à cet effet il existe un répertoire des génériques, régulièrement mis à jour ;



Considérant que durant les trois premiers mois de la commercialisation du Vitalogink, il a été enregistré 240 000 prescriptions de Tanakan auquel a été substitué le Vitalogink alors que ce dernier n'avait donné lieu qu'à 4 prescriptions médicales ;



Que ces chiffres démontrent que le Vitalogink était alors méconnu du milieu médical ; que la société Mylan ne justifie d'ailleurs d'aucun investissement auprès des médecins pour le faire connaître avant son lancement sur le marché ;



Que si la société Mylan fait valoir que le Vitalogink peut être acheté librement, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un médicament ; que sa principale source de vente est donc bien en premier lieu la prescription médicale ; que si elle prétend avoir réalisé des investissements importants pour présenter son produit auprès des médecins généralistes soit une somme de 1 627 935 € engagée de juillet 2007 à juin 2008, il convient de relever que ceux-ci sont postérieurs au début de la commercialisation dans les officines intervenue en juin 2007 alors qu'il s'agissait d'un produit nouveau, jusque là inconnu des médecins prescripteurs et qui, habitués à prescrire le Tanakan, n'avaient pas été sensibilisés au bénéfice susceptible de résulter pour leurs patients de cette nouvelle spécialité ;



Considérant qu'alors que le taux de prescription médicale est quasiment nul, en revanche la délivrance de cette nouvelle spécialité par les officines a été considérable ce qui démontre que l'origine de ces ventes réside dans des actes de substitution ; que les investigations effectuées par les laboratoires Ipsen sous forme de questionnaires adressés à 137 pharmaciens confirment seulement que ceux-ci ont procédé à des substitutions et si en tant que professionnels de la santé, ils ont pu engager leur responsabilité, celle-ci n'exclut pas l'existence de comportements fautifs de la société Merck Génériques;



Qu'aucun élément ne conduit à écarter les réponses à ces questionnaires qui ne permettent pas de conclure que le Vitalogink a été présenté par les délégués médicaux comme étant un générique mais seulement qu'une confusion a existé et s'est effectivement traduite par les substitutions ;



Qu'il convient de relever que la société Merck Génériques a organisé le lancement de sa spécialité en ciblant les distributeurs, négligeant toute promotion préalable auprès des médecins, normalement les premiers intéressés par la commercialisation d'un nouveau médicament et dont l'information sur les caractéristiques de celui-ci en termes d'efficacité thérapeutiques est essentielle ;



Considérant que la société Merck Génériques ne justifie d'aucune information portant sur les qualités du Vitalogink permettant de la distinguer du Tanakan, ni d'investissement pour assurer sa pénétration sur le marché comme médicament donnant lieu à prescription par les médecins ;



Considérant que les investissements réalisés par la société Merck Génériques ont eu pour objectif de présenter aux pharmaciens les avantages financiers du Vitalogink ;



Qu'ainsi elle a procédé à des publicités comparatives par l'envoi de mailings aux pharmaciens présentant les gains en marge par boîte vendue et de la fiche posologique remise aux médecins prescripteurs, faisant état « d'une économie de 19% » dans le coût du traitement journalier ;



Que par arrêtés publiés au Journal officiel des 15 mai et 19 juin 2007, le prix du Vitalogink a été fixé à un montant inférieur de 19% à celui du Tanakan, cette publicité permettant dès lors d'identifier le produit Tanakan comme étant le concurrent visé, cette indication du coût du traitement constituant une référence implicite au seul médicament concurrent identifiable comme étant le Tanakan ;



Considérant que cette publicité ne comportait qu'une comparaison en termes de prix sans porter sur les caractéristiques essentielles et vérifiables du Vitalogink, sans aucune référence aux critères d'efficacité et de sécurité ; que les recommandations de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) précisent qu'en matière de publicités comparatives pour des médicaments princeps, la comparaison ne peut se limiter aux seuls prix, admettant une telle limitation lorsque la comparaison porte sur un générique et son princeps ou sur des génériques du même groupe ; qu'elle précise que « au minimum doivent figurer les critères d'efficacité et de sécurité d'emploi (éléments du rapport bénéfice/risque) mais peuvent aussi figurer des critères ayant un intérêt pour le praticien :posologie, durée de traitement, interactions, acceptabilité' ». ;



Considérant qu'il importe peu en conséquence, que les deux princeps aient le même résumé des caractéristiques du produit dès lors que la société Merck Génériques a fait l'économie de les rappeler pour cibler son produit en termes purement financiers ;



Considérant que la publicité litigieuse mentionne également « un gain de X euros » de marge par boîte vendue pour le pharmacien, à l'occasion la mise en 'uvre d'un contrat de coopération commerciale proposé par la société Merck Génériques ;



Que le préambule de ces conventions de coopération dispose que :

« Merck Génériques est un laboratoire spécialisé dans la fabrication et la distribution de spécialités pharmaceutiques génériques qui souhaite renforcer sa démarche de qualité auprès du grand public en dynamisant l'image du médicament générique et en communiquant largement sur la valeur de celui-ci, la pharmacie est une pharmacie d'officine qui reconnaît l'efficacité du médicament générique qui soutient la politique générale de maîtrise des dépenses de santé et qui souhaite donc promouvoir par l'intermédiaire d'actions ciblées, la commercialisation des médicaments génériques auprès du grand public » ;



« Merck Génériques et la pharmacie se sont rapprochés afin de mettre en place un système de valorisation des produits Merck Génériques fondé sur des outils de coopération commerciale performants au sein de l'officine à l'occasion de la revente au consommateur final desdits produits facturés par Merck Génériques » ;



Que ces dispositions démontrent clairement que le contrat de coopération avait pour seul objet la promotion des génériques ; que dès lors en associant un gain sur le Vitalogink à un contrat de promotion exclusif des produits génériques, la publicité est mensongère ;



Que l'article 2 stipule que les prestations de coopération commerciales s'entendent de la mise en place effective du kit dans l'officine pour la durée du contrat, installation faite par une société RNP, choisie par la société Merck Génériques ;



Que celle-ci reconnaît que les supports promotionnels de coopération commerciale incorporait le Vitalogink ; que cet élément associé à l'utilisation d'un conditionnement similaire à celui utilisé pour les génériques était de nature à entretenir une confusion ;



Que s'agissant de médicaments de référence , la mise en place d'actions de nature à stimuler ou à faciliter leur revente était dépourvue de tout intérêt dans la mesure où le pharmacien est légalement tenu de délivrer la spécialité prescrite sans pouvoir en délivrer une dont la publicité auprès des patients est interdite ;



Qu'au titre des conventions de référencement Merck s'engageait à verser 15 % à la pharmacie du prix unitaire net de chaque produit facturé à la pharmacie ;



Considérant que le prix des médicaments est réglementé ; que la loi de finances de la sécurité sociale pour 1999 a introduit une différence des taux des remises autorisées destinés à favoriser les génériques, portant à 10,74% du prix le plafond des remises et autres avantages commerciaux sur les génériques contre 2,5% pour les princeps ;



Que l'arrêté du 12 février 2004 a modifié les marges de distribution jusque là identiques pour les génériques et les princeps en mettant en place un taux dégressif, la marge étant d'autant plus importante que le prix est bas ;



Qu'il s'ensuit que la société Merck Génériques ne pouvait pas associer dans un contrat de référencement avec des stipulations identiques un médicament princeps et un générique ;



Considérant que la société Merck Génériques a volontairement entretenu une confusion dans la mise en oeuvre d'un cadre juridique et d'une présentation matérielle, assimilant un médicament princeps à un générique;



Considérant que l'existence d'un générique supposant celle existence d'un princeps , cette politique commerciale a conduit à placer le Vitalogink dans le sillage du Tanakan, celui-ci n'ayant pas de générique et à laisser croire qu'il constituait son générique ou pouvait lui être substitué contrairement aux règles en vigueur, les deux produits ayant les mêmes bases et poursuivant la même finalité thérapeutique ; 



Que de plus la société Merck Génériques, en adoptant une politique commerciale qui avait pour conséquence d'aligner les avantages financiers des pharmaciens à l'occasion des ventes du Vitalogink sur celle octroyée en cas de vente de génériques, sous le couvert d'un contrat de coopération visant exclusivement la promotion des génériques, en enfreignant délibérément les règles de fixation des prix, a adopté un comportement déloyal, mettant les pharmaciens en situation de supposer qu'ils pouvaient adopter des conditions de délivrance spécifiques à un médicament ayant sur le marché un générique et de croire qu'ils pouvaient substituer le Vitalogink au Tanakan; qu'en se plaçant ainsi dans le sillage du Tanakan, bénéficiant de sa notoriété et incitant les officines à dévoyer les prescriptions dont ce dernier faisait l'objet , la société Merck Génériques a commis des agissements parasitaires constitutifs de concurrence déloyale.





Sur le préjudice



Considérant que la société Ipsen Pharma fait état d'un préjudice de 17 071 374 euros pour la période comprise entre le 1er juin 2007 et le 31 mai 2009 sauf à le parfaire à la date de la décision de la cour ;



Considérant que les actes de parasitisme ont été constatés au cours de l'année 2007 correspondant aux premiers mois de commercialisation du Vitalogink lesquels ont abouti à une substitution massive du Tanakan par le Vitalogink ;



Que la société Ipsen Pharma fournit des données chiffrées pour la période du juin 2007 au 31 mai 2009 de la société d'études GERS qui démontrent qu'environ 75% du volume des ventes de Vitalogink est commercialisé en violation des règles du code de la santé publique interdisant la substitution ;



Considérant qu'elle verse une attestation de son commissaire aux comptes attestant de la marge réalisée si elle avait vendu les volumes de Tanakan prescrits ;



Considérant que la société Merck Génériques conteste ce mode de calcul au motif qu'il repose sur une situation de monopole sur la vente du ginkgo biloba alors que la société Ipsen n'a aucun droit sur ce produit ;



Considérant qu'elle ne conteste pas que le marché des médicaments à base d'extraits de ginkgo biloba est extrêmement porteur en France et représente un chiffre d'affaires annuel d'environ 100 millions d'euros, marché sur lequel la société Ipsen Beaufour occupe plus de 80%de parts du marché français et ce grâce au Tanakan, admettant ainsi l'importance du préjudice subi par la société Ipsen d'autant qu'il est démontré que le phénomène de substitution a perduré ;



Considérant qu'il y a lieu en conséquence d'allouer à la société Ipsen Pharma la somme de 17 071 374 € en réparation de son préjudice ;



Considérant qu'il n'est pas démontré que des actes de parasitisme se sont poursuivis après cette date, le brevet du Tanakan expirant d'ailleurs en 2010 ; qu'il n'est pas démontré l'existence d'un préjudice autre que celui réparé par la cour ;





Sur les mesures de publicité 



Considérant que les faits de parasitisme relevés touchent au domaine de la santé publique et à l'acte de prescription médicale ; que par ailleurs ils concernent l'activité d'un laboratoire de renom ayant une activité fondamentale de recherche en matière de médicaments ; qu'il y a lieu en conséquence de faire droit à sa demande de publication du dispositif dans trois revues spécialisées et dans le quotidien national « Les Echos » ;



Considérant que ces mesures de publicité sont suffisantes sans qu'il y ait lieu d'ordonner l'envoi d'un courrier à la totalité des officines de pharmaciens installée sur le territoire français.





Sur les demandes de la société Mylan venant aux droits de la société Merck Génériques



Considérant que la société expose qu'elle a fait l'objet d'une action de dénigrement auprès des 22 500 Pharmaciens français par le biais du questionnaire qui leur a été adressé par la société Ipsen afin de rechercher si les visiteurs médicaux avaient présenté le Vitalogink comme un générique ;



Considérant que ce questionnaire n'a été adressé qu'à un nombre limité de pharmaciens et après que la société Ipsen eut constaté l'existence d'une pratique illicite de substitution qui s'est révélée parfaitement avérée ;



Qu'il ne saurait être reproché à la société Ipsen la teneur d'une publication universitaire à la suite du jugement de première instance ; que si cette dernière a, après avoir interjeté appel du jugement, proposé que soit adressé un courrier signé par les deux sociétés aux pharmaciens afin de faire cesser la confusion sur le caractère substituable des deux médicaments, et si elle a manifesté son intention de saisir l'ordre des pharmaciens, il n'en résulte pas la preuve d'un dénigrement à l'encontre de la société Mylan ;



Considérant que la société Mylan qui mentionne que la société Ipsen détiendrait 80% des parts du marché du ginkgo biloba ne justifie ce chiffre par aucun élément pertinent et par ailleurs ne précise pas cette donnée en termes de chiffre d'affaires ;



Que de plus si elle prétend que l'attrait du public pour le ginkgo biloba implique que les spécialités contenant ce principe actif ne sont pas substituables aux autres spécialités pouvant être prescrites au nombre de 69, il s'agit d'une affirmation qui n'est corroborée par aucune analyse médicale ;



Qu'ainsi la société Mylan ne caractérise nullement la position dominante de la société Ipsen sur le marché du ginkgo biloba, celle-ci n'ayant fait qu'exploiter un médicament à base de ginkgo biloba, ayant pour objet le traitement des déficits pathologiques cognitifs et neurosensoriel chronique du sujet âgé alors que sont commercialisés pour le traitement de ces troubles à la fois d'autres médicaments à base de ginkgo biloba et d'autres médicaments ; qu'il n'est pas rapporté la preuve que la société Ipsen aurait abusé d'une position dominante et aurait cherché à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence :



Considérant qu'il y a lieu de rejeter les demandes de la société Mylan.





Sur l'article 700 du code de procédure



Considérant que la société Ipsen Pharma a dû engager des frais conséquents pour la défense de ses intérêts ; qu'elle produit des factures d'honoraires pour en justifier ; qu'il serait inéquitable de laisser ceux-ci en totalité à sa charge ; qu'il y a lieu de fixer ceux-ci dans la mesure qui sera précisée au dispositif ; qu'il y a lieu de rejeter la demande de la société Mylan à ce titre.





PAR CES MOTIFS



Infirme le jugement entrepris,



Dit que la société Merck Génériques a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,



Dit que les comportements fautifs de la société Merck Génériques ont occasionné à la société Ipsen un préjudice de 17 071 374 euros,



Condamne la société Merck Génériques à payer à la société Ipsen Pharma la somme de 17 071 374 euros,



Ordonne la publication du dispositif de la présente décision dans trois revues spécialisées, le Quotidien du médecin, le Quotidien du pharmacien et Pharmaceutiques ainsi que dans le quotidien national Les Echos dans le mois du prononcé de l'arrêt,



Rejette toute autre demande,



Condamne la société Merck Génériques à payer la somme 100 000 euros à la société Ipsen Pharma au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne la société Merck Génériques aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



Le Greffier









A. BOISNARD

La Présidente









C. PERRIN

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