5 avril 2012
Cour d'appel de Pau
RG n° 11/00651

1ère Chambre

Texte de la décision

CB/AM



Numéro 12/1620





COUR D'APPEL DE PAU

1ère Chambre







ARRET DU 05/04/2012







Dossier : 11/00651





Nature affaire :



Demande relative à un droit de passage















Affaire :



[X] [L] [H]

[T] [E] [V] [H] née [W]



C/



[G] [P]

[A] [H] épouse [P]























Grosse délivrée le :

à :













RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS













A R R E T



prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 05 avril 2012, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.









* * * * *









APRES DÉBATS



à l'audience publique tenue le 16 Janvier 2012, devant :



Madame BENEIX, magistrat chargé du rapport,



assistée de Madame PEYRON, Greffier, présente à l'appel des causes,





Monsieur AUGEY, en application des articles 786 et 910 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Madame BENEIX et en a rendu compte à la Cour composée de :



Madame PONS, Président

Monsieur AUGEY, Conseiller

Madame BENEIX, Conseiller





qui en ont délibéré conformément à la loi.











dans l'affaire opposant :







APPELANTS :



Monsieur [X] [L] [H]

né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 30]

de nationalité française

[Adresse 4]

[Localité 22]



Madame [T] [E] [V] [H] née [W]

née le [Date naissance 20] 1951 à [Localité 31]

de nationalité française

[Adresse 4]

[Localité 22]



représentés par la SCP PIAULT - LACRAMPE-CARRAZE, avocats à la Cour

assistés de Maître AVRIL, avocat au barreau de BORDEAUX







INTIMES :



Monsieur [G] [P]

né le [Date naissance 3] 1943 à [Localité 33]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 23]



Madame [A] [H] épouse [P]

née le [Date naissance 19] 1946 à [Localité 32]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 23]



représentés par la SCP LONGIN - LONGIN-DUPEYRON - MARIOL, avocats à la Cour

assistés de Maître MONTAMAT, avocat au barreau de TARBES

















sur appel de la décision

en date du 20 JANVIER 2011

rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE TARBES






















FAITS



Le 10 janvier 1992, l'Association Charentaise d'Assistance aux Familles, propriétaire d'un ensemble immobilier exploité à titre de colonie de vacances, a vendu d'une part, à M. et Mme [P] les parcelles cadastrées section B [Cadastre 21], n° [Cadastre 5], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 12], [Cadastre 16], [Cadastre 18], [Cadastre 28] et la moitié indivise du chemin d'accès cadastré n° [Cadastre 17] et d'autre part, à M. et Mme [H], les parcelles n° [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 13] à [Cadastre 15], [Cadastre 24], [Cadastre 25] à [Cadastre 27] et l'autre moitié indivise du chemin d'accès portant le n° [Cadastre 17].



Les époux [P], qui à l'issue de ce chemin, empruntaient un passage sur les terres voisines, pour se rendre sur leurs parcelles se sont vus interdire l'accès en raison de l'installation d'un portail surmonté de fils de fer barbelés.





PROCEDURE



Par acte du 2 juillet 2009, les époux [P] ont assigné M. et Mme [H] devant le tribunal de grande instance de Tarbes pour voir lever sous astreinte, les obstacles au libre accès aux parcelles n° [Cadastre 12] à [Cadastre 15] et [Cadastre 18], considérant l'existence d'un droit de passage sur ces fonds, depuis la parcelle [Cadastre 17] (le chemin).



Suivant jugement du 20 janvier 2011, le tribunal a consacré ce droit de passage par destination du père de famille au profit des époux [P], sur les parcelles [Cadastre 12] à [Cadastre 15] et [Cadastre 18] et a condamné M. et Mme [H] à rétablir le libre accès dans les 15 jours de la signification du jugement, sous astreinte de 100 € par jour de retard. Le tribunal les a également condamnés à verser aux époux [P] les sommes de 1 500 € à titre de dommages-intérêts et 1 200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



M. et Mme [H] ont interjeté appel de cette décision suivant déclaration au greffe en date du 16 février 2011.






MOYENS et PRETENTIONS des PARTIES



M. et Mme [H] dans leurs dernières écritures en date du 2 septembre 2011, concluent, sur le fondement des articles 692 et suivants du code civil, à la réformation du jugement déféré et au débouté de l'intégralité des demandes de M. et Mme [P], considérant l'absence de preuve d'une servitude par destination du père de famille grevant leur propriété. Ils sollicitent l'allocation de la somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Ils soutiennent que :



- le fonds de M. et Mme [P] se trouve enclavé par leur propre faute par la modification volontaire de l'accès à leurs fonds (clôture, transformation en garage de la grande pièce donnant sur la terrasse),



- les conditions de la reconnaissance d'une servitude par destination du père de famille ne sont pas réunies en l'absence de servitude apparente, de la volonté expresse du propriétaire antérieur et d'un acte de division ne comportant aucune disposition contraire,



- la servitude n'est pas apparente ni ne se révèle par un signe apparent : elle n'apparaît ni sur les photographies versées aux débats ni sur le document d'arpentage qui a recueilli le consentement de l'ensemble des parties ni ne s'évince de la configuration des lieux,



- la servitude n'a pas été créée par l'ancien propriétaire qui en atteste ainsi qu'un témoin Mme [D], confirmant que la terrasse n'était pas un lieu de passage pour voitures mais un lieu de détente, de sorte que la volonté de l'auteur commun de créer une servitude de passage à destination du père de famille au profit de la parcelle [Cadastre 12] n'est donc pas établie,













- il n'a pas été réalisé un état de division c'est-à-dire un acte par lequel s'est opérée la séparation des deux héritages de sorte qu'il est impossible de rapporter la preuve de l'absence d'opposition au maintien éventuel d'une servitude résultant d'une division n'ayant pas eu lieu,



- au contraire, les deux actes de vente ne visent aucune servitude dans une clause non équivoque.



M. et Mme [P] dans leurs dernières écritures en date du 18 novembre 2011, concluent à la confirmation de la décision et sollicitent la fixation du point de départ de l'astreinte, au jour de l'arrêt à intervenir ainsi que l'allocation des sommes de 10'000 € en réparation de leur préjudice moral et 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Ils soutiennent qu'à l'issue du chemin commun (parcelle [Cadastre 17]), un droit de passage a toujours existé sur la terrasse (parcelles [Cadastre 15], [Cadastre 26] et [Cadastre 14]).



Les conditions d'une servitude par destination du père de famille sont réunies puisqu'il est justifié de :



- l'existence de signes apparents de servitude de passage sur la terrasse, accessible aux voitures, camions et engins agricoles, par les photographies anciennes et attestations de témoins, notamment le livreur de fioul, du plan cadastral, de la configuration des lieux et des bâtiments (position de la porte qui donne sur la terrasse, peu importe la destination des pièces à vivre),



- la division résulte de la vente le même jour par deux actes séparés de l'ensemble de la propriété,



- la clause par laquelle le vendeur déclare que les biens vendus ne sont grevés d'aucune servitude n'est qu'une clause de style sans effet,



- durant 16 ans M. et Mme [H] n'ont jamais contesté l'existence de cette servitude. Ce n'est qu'en 2008 qu'ils ont obstrué le passage. Par leur attitude, ils ont créé une situation d'enclave de leurs fonds. C'est pourquoi M. et Mme [P] portent à 10'000 € le montant de l'indemnisation de leur préjudice.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 novembre 2011.






MOTIVATION



M. et Mme [P] ne fondent pas leur action sur l'état d'enclave de leurs parcelles mais revendiquent une servitude de passage par destination du père de famille.



En vertu de l'article 692 du code civil, la destination du père de famille vaut titre pour les servitudes continues et apparentes. Elle vaut également titre pour les servitudes apparentes discontinues telles que les servitudes de passage, en application des articles 693 et 694 du même code, lors de la division d'un fonds, dès lors qu'existent des signes apparents de servitude émanant du propriétaire commun et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien.



La destination du père de famille est l'acte par lequel une personne établit entre deux héritages qui lui appartiennent ou entre deux parties d'un même héritage, un état de fait qui constituerait une servitude s'il s'agissait de deux héritages appartenant à deux propriétaires différents.



La servitude de passage étant discontinue, il appartient à celui qui en demande le bénéfice d'en justifier l'existence, soit en l'espèce à M. et Mme [P].



Or, d'une part, les signes de servitude émanant de l'auteur commun, l'Association Charentaise d'Assistance aux Familles, antérieurs à la division des fonds en 1992, sont insuffisants au regard des témoignages contradictoires produits au débat et au regard de la configuration des lieux. D'autre part, les titres de propriété excluent l'existence d'une servitude de passage.









En effet, au titre des témoignages, il convient de relever que :



- d'une part, certains admettent l'existence d'un passage antérieurement aux ventes de 1992. Il s'agit de :

> M. [J], ancien chef de service de l'association, attestant du passage de véhicules, dès 1965, depuis le chemin ([Cadastre 17]) jusqu'au dortoir (actuellement [Adresse 29]) par la terrasse devant le bâtiment central (réfectoire),

> Mme [Y], une voisine, attestant d'un passage devant la terrasse avec des véhicules, de 1955 à 1976,

> Mme [S], fille de la directrice de la colonie de vacances, attestant du passage depuis le chemin ([Cadastre 17]) devant la terrasse jusqu'à la maison actuelle de M. et Mme [P] ([Adresse 29], ancien dortoir).



- d'autre part, d'autres affirment le contraire. Il s'agit de :

> Mme [N], amie de l'abbé [C], responsable de la colonie de vacances, qui atteste que, la terrasse construite devant le grand bâtiment, était réservée comme lieu de détente aux familles et à leurs enfants et qu'il ne s'agissait pas d'un lieu de passage pour voitures,

> Mme [D] qui atteste avoir livré le lait à la colonie de vacances et que la terrasse située devant le grand bâtiment était complètement fermée par des chaînes et interdite aux véhicules et que les enfants et les parents s'y retrouvaient pour se parler et prendre leur goûter, cette terrasse étant en très bon état et protégée.



En outre, il ne ressort pas de la configuration des lieux, des signes évidents d'une servitude de passage entre les fonds vendus au regard :



- des photographies produites aux débats qui démontrent l'existence d'une large terrasse dallée, devant le grand bâtiment ayant servi en rez-de-chaussée au réfectoire de la colonie de vacances, bordée d'un garde-corps en fer,



- de l'état de cette construction ainsi qu'il ressort de l'étude de l'APAVE du 4 mars 2010 où il est indiqué que la terrasse est édifiée sur un mur de soutènement en pierres scellées, d'une hauteur de plus d'un mètre (au vu des photographies), qui se fissure et se déforme en raison d'une mise en charge trop importante et qui menace la sécurité des usagers. Le contrôleur a même conclu qu'il est «'déconseillé d'appliquer des charges importantes sur la terrasse comme le passage de véhicule lourds ou légers lors de son utilisation future'» ; ce qui démontre qu'elle n'a pas été construite dans le but de servir de passage à des véhicules ou engins lourds,



- des traces anciennes de passage depuis le chemin aujourd'hui indivis ([Cadastre 17]) jusqu'à la terrasse puis, de la terrasse à la [Adresse 29] actuelle, qui constituent non pas les traces d'un passage continu allant du chemin jusqu'à la [Adresse 29] mais les traces des deux accès à la terrasse, l'un depuis le chemin et l'autre depuis la [Adresse 29]. Ce qui correspond à la destination historique des lieux puisque, d'une part, la terrasse se trouvait devant un réfectoire, ce qui exclue qu'il s'agît d'un passage pour véhicules et qu'elle se situait d'un côté, à l'extrémité du chemin d'accès à la colonie de vacances et de l'autre, à l'extrémité de l'accès vers le dortoir. Par ailleurs, la présence d'un simple garde-corps en fer (très ancien et visiblement d'origine) de fabrication légère, confirme qu'il ne s'agissait que d'une protection pour les personnes et non pas pour les véhicules.



Cette configuration des lieux conforte donc les témoignages de Mmes [N] et [D] quant à la destination piétonnière et de détente de la terrasse, exclusive d'un usage destiné à la circulation des véhicules.



Enfin, les actes de vente du 10 janvier 1992 par lesquels le fonds de l'Association Charentaise d'Assistance aux Familles, a été divisé pour être vendu à M. et Mme [H] d'une part, et à M. et Mme [P] d'autre part, ne répondent pas à l'exigence de l'absence de stipulation contraire au maintien d'une servitude de passage, dès lors qu'il y est expressément indiqué que «'le vendeur déclare qu'à sa connaissance les immeubles vendus ne sont grevés d'aucune servitude autres que celles pouvant résulter de la situation naturelle des lieux, de l'intérêt général ou de la loi'». Dès lors, ces actes ne démontrent pas la volonté de l'auteur commun d'assujettir les fonds les uns aux autres.











Dans ces conditions, en l'absence de signes apparents de servitude de passage au regard des témoignages contraires et de l'état des lieux et au vu de la contestation contenue dans les actes de propriété, il apparaît que M. et Mme [P] ne rapportent pas la preuve de la servitude de passage par destination du père de famille qu'ils revendiquent. Et la tolérance durant plusieurs années, par les époux [H], d'un passage sur ces deux accès à la terrasse ainsi qu'il est rapporté par les autres témoignages produits par les époux [P], ne peut être créatrice de droit.



Le jugement sera donc infirmé.



Eu égard aux circonstances de la cause et à la position des parties, il est inéquitable de laisser à la charge de M. et Mme [H], la totalité des frais exposés en première instance et en cause d'appel et non compris dans les dépens, ce qui commande l'octroi de la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,



- Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Tarbes en date du 20 janvier 2011 en toutes ses dispositions ;



- Déboute M. et Mme [P] de leur action en revendication d'une servitude de passage sur les parcelles appartenant à M. et Mme [H] depuis le chemin n° [Cadastre 17] jusqu'à leurs parcelles n° [Cadastre 12] et [Cadastre 28] ;



- Condamne M. et Mme [P] à verser à M. et Mme [H] la somme de 2 500 € (deux mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



- Condamne M. et Mme [P] aux dépens de première instance et d'appel ;



- Autorise les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.



Le présent arrêt a été signé par Mme Pons, Président, et par Mme Peyron, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





LE GREFFIER,LE PRESIDENT,













Mireille PEYRONFrançoise PONS

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