10 avril 2014
Cour d'appel de Paris
RG n° 13/09288

Pôle 6 - Chambre 2

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2



ARRÊT DU 10 Avril 2014



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/09288



Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 20 Septembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes de BOBIGNY - RG n° 13/00408





APPELANT

Monsieur [D] [N]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparant en personne, assisté de Me Lilia MHISSEN, avocat au barreau de PARIS, toque : E1412





INTIMEE

SA AIR FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03











COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 février 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Nicolas BONNAL, Président, chargé d'instruire l'affaire.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Nicolas BONNAL, Président

Madame Martine CANTAT, Conseiller

Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller



GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats



ARRET :



- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Nicolas BONNAL, Président et par Madame FOULON, Greffier.



**********



Statuant sur l'appel formé par M. [D] [N] contre une ordonnance rendue le 20 septembre 2013 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY (formation de référé) qui, saisi d'une demande de provision au titre d'une discrimination syndicale formée par l'intéressé contre la société AIR FRANCE, a dit n'y avoir lieu à référé et a mis les dépens à la charge de M. [N]';



Vu les conclusions transmises à la cour et soutenues à l'audience du 28 février 2014 pour M. [D] [N], auxquelles on se référera pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelant qui, soutenant qu'il a été victime d'une discrimination syndicale qui caractérise un trouble manifestement illicite, demande à la cour de condamner la société AIR FRANCE à lui payer une somme provisionnelle de 82'789,07 euros en réparation de son préjudice, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et capitalisation des intérêts, et une somme de 1'500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';



Vu les conclusions transmises à la cour et soutenues à l'audience pour la société AIR FRANCE, auxquelles on se référera pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de l'intimée qui, soutenant que M. [N] n'a subi aucune discrimination et qu'il forme en réalité des demandes à titre de rappel de salaires et de frais, largement prescrites et injustifiées dans leur montant, et qui excèdent en tout état de cause la compétence du juge des référés, demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise, de dire n'y avoir lieu à référé et de condamner M. [N] à lui payer la somme de 2'500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';



SUR CE, LA COUR




Sur les faits constants



Il résulte des pièces produites et des débats que':

- après avoir bénéficié d'une convention de stage de formation à compter du 6 mai 1985, puis d'un contrat de travail à durée déterminée en date du 24 mai 1985, en qualité de steward saisonnier, M. [D] [N] a été embauché par la société AIR FRANCE en qualité de steward selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er novembre 1985,

- désigné en qualité de délégué syndical de 1997 à 2005, il a été élu en qualité de délégué du personnel depuis 1998,

- d'abord affecté sur des vols moyens courriers en Europe, M. [N] a été affecté sur des vols longs courriers à compter du mois de mars 2002,

- depuis le mois de décembre 1999, il est chef de cabine,

- le 3 juin 2013, s'estimant l'objet d'une discrimination syndicale en raison du non-paiement des indemnités de repas, de découcher et de voiture/courrier pendant les journées de déprogrammation consacrées à l'exercice de ses mandats, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes en référé de la procédure qui a donné lieu à la décision déférée.



Sur la discrimination syndicale



Aux termes de l'article L'1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n°'2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L'3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.



Par ailleurs, l'article L'2141-5 du code du travail interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.



L'article L'1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application du principe de non-discrimination, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles, la procédure de référé excluant toutefois le recours à une telle possibilité.



En effet, une discrimination au sens des textes précités est susceptible de caractériser un trouble manifestement illicite, au sens de l'article R'1455-6 du code du travail, qui dispose que «'la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite'».



Il doit être précisé qu'il résulte des protocoles d'accord relatifs à l'exercice du droit syndical au sein de la société AIR FRANCE dont des extraits sont versés aux débats par cette société, précisément quatre protocoles datés des 22 décembre 1997 et 17 janvier 2000, ou mentionnant qu'ils ont été conclus pour les périodes du 1er mars 2004 au 30 juin 2007, et du 1er avril 2008 au 31 mars 2010, que les crédits d'heures au titre du droit syndical sont exprimés en «'jours de déprogrammation'», et qu'une «'garantie mensuelle de rémunération est assurée en cas de sous-activité vol liée à l'exercice d'un mandat'», laquelle prend, pour le personnel navigant commercial (PNC) relevant d'un régime forfaitaire, «'la forme d'une régularisation à M'+'2 par référence à la moyenne des heures supplémentaires observées des PNC 100'% (utilisation en ligne) par secteur (Long-courrier, Moyen-courrier et Court-courrier) et par spécialité'» (libellé identique aux trois derniers protocoles ci-avant mentionnés, les extraits du premier cité ne comportant aucune stipulation à cet égard).



Il sera observé que la situation des indemnités de repas, découcher et voiture/courrier pendant ces journées de déprogrammation n'est pas mentionnée dans ces protocoles.



M. [N] produit, à titre d'éléments de fait laissant supposer l'existence de la discrimination alléguée, un tableau qu'il a établi et où il compare sa situation personnelle (dont il établit la réalité par le versement de ses bulletins de paie et de ses feuilles d'activité), au regard du versement de chacune de ces trois indemnités, à une moyenne mensuelle au sein de la société, et ce de janvier 1997 à septembre 2010 inclus.



Il justifie la moyenne retenue pour le montant de chacune de ces indemnités au sein de la société par la production d'un extrait d'un document interne à la société AIR FRANCE daté du 3 janvier 2005 et qui fournit le «'montant mensuel moyen des indemnités repas, indemnités de voiture/courrier, indemnité de découcher perçues par les hôtesses et stewards travaillant à temps plein et affectés au secteur commercial France sur la base d'[Localité 3]'», moyennes qui sont calculées «'de novembre 2003 à novembre 2004'».



La société AIR FRANCE, qui soutient que ces éléments ne sauraient laisser supposer l'existence de la discrimination alléguée, ne conteste cependant pas l'origine de ce document et ne conteste pas davantage qu'elle ne versait pas, pendant ses journées de déprogrammation, les indemnités litigieuses à M. [N].



Il sera donc retenu que les éléments que celui-ci produit laissent supposer l'existence d'une discrimination.





Pour démontrer que le non-versement de ces indemnités pour les journées de déprogrammation est étranger à toute discrimination, la société AIR FRANCE soutient qu'elle respectait les protocoles conclus sur l'exercice du droit syndical, et que les indemnités litigieuses constituent non pas des compléments de rémunération mais des remboursements de frais, qui ne sont dus que lors des activités de vol et pour compenser les frais encourus à cette occasion.



Il résulte, de fait, des pièces produites par la société AIR FRANCE que ces indemnités sont dues dans des conditions exclusivement liées à la participation à ce que les documents internes désignent comme les activités de vol ou les activités liées au courrier, à l'occasion desquelles le personnel navigant commercial quitte sa base d'affectation pour exercer ses fonctions sur un vol de la compagnie.



L'indemnité de repas est prévue, dans des termes presqu'identiques, par les règlements du personnel navigant commercial, datés du 28 janvier 1996 (article 7.6 «'indemnisation des déplacements liés au courrier'»), et par la convention d'entreprise du personnel navigant commercial (qui s'est substituée aux dits règlements à compter du mois de mai 2006). Elle est due pour les «'repas pris hors de la base d'affectation'», de façon forfaitaire, dès lors que le séjour à l'escale recouvre l'heure des repas, dans les conditions précises que ces textes détaillent. Elle est due à la base d'affectation, lorsque l'heure de départ ou d'arrivée correspond à l'heure d'un repas. Elle n'est pas due en vol, «'lorsqu'un repas fait l'objet de prestations embarquées'».



Ce que les parties appellent l'indemnité de découcher est prévue par les mêmes règlements ou accord, ainsi rédigés': «'hébergement': Hors de la base d'affectation, les équipages sont logés dans des hôtels choisis par la compagnie. Les frais d'hébergement incluant, le cas échéant, le petit déjeuner, sont réglés directement par la compagnie'».



Enfin, l'indemnité que les parties dénomment voiture/courrier est prévue par une note du 29 mai 1974 résultant d'un procès-verbal de conciliation (faisant suite à un différend opposant les parties au sujet du transfert des activités sur l'aéroport de [Localité 4]) et spécialement par son annexe 6 intitulée «'transport domicile-aéroport pour une activité vol'» qui prévoit une indemnité calculée en fonction de la distance entre le domicile et l'aéroport, dans des limites et selon des modalités qu'elle précise.



Il résulte de ces règlements, accord et note que ces trois indemnités ne sont dues qu'en cas de participation effective à une activité de vol, activité qui entraîne des frais qui sont ainsi compensés. Il ne résulte parallèlement d'aucune des pièces produites aux débats que ces indemnités seraient versées également au personnel navigant commercial lors des journées de travail n'incluant pas d'activité de vol.



Il sera observé, à cet égard, que la société AIR FRANCE n'est pas démentie lorsqu'elle fait observer que ceux parmi ses salariés qui ont obtenu en justice la reconnaissance d'une discrimination syndicale à raison du non-versement des indemnités de repas et de voiture/courrier pendant les journées de déprogrammation étaient tous d'anciens salariés de la société AIR INTER, qui ont fait l'objet d'un transfert en application des dispositions de l'article L'1224-1 du code du travail, et que ces salariés bénéficiaient d'accords prévoyant le versement des dites indemnités également au personnel maintenu au sol.



L'examen des bulletins de paie produits aux débats montre enfin que, si ces indemnités sont prises en compte dans le salaire brut pour le calcul des cotisations sociales, l'indemnité de découcher, qui correspond à des frais directement pris en charge par la société, est ensuite déduite du salaire net.



La société AIR FRANCE fait enfin observer qu'en application des protocoles d'accord relatifs à l'exercice du droit syndical, elle verse au salarié une indemnité kilométrique pour les trajets effectués par les délégués syndicaux sur convocation de l'employeur ou pour l'exercice de leurs activités syndicales, indemnité qui apparaît effectivement sur les bulletins de paie versés aux débats.



Dans ces conditions, le non-versement des trois indemnités litigieuses à M. [N] pendant ses journées de déprogrammation ne constitue pas une discrimination syndicale qui caractériserait, en cet état de référé, un trouble manifestement illicite.



Sur les demandes en paiement provisionnel



Ainsi qu'en dispose l'article R'1455-7 du code du travail, applicable au conseil de prud'hommes, «'dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire'».



Au cas présent, la créance dont se prévaut M. [N] se heurte à une contestation sérieuse, compte tenu de l'absence du trouble manifestement illicite allégué sur lequel il la fonde, absence qui résulte de ce qui précède.



La décision déférée sera, en conséquence, confirmée, en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de condamnation à dommages et intérêts provisionnels.



Sur les autres demandes



La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a statué sur les dépens de première instance et implicitement rejeté la demande formée au titre des frais irrépétibles par la société AIR FRANCE.



M. [D] [N] sera condamné aux dépens de la procédure d'appel.



Pour des raisons tirées de l'équité et de la situation économique de celui-ci, il n'y a lieu à le condamner au titre des frais exposés par la société AIR FRANCE et non compris dans les dépens.



PAR CES MOTIFS



Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions';



Y ajoutant,



Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';



Condamne M. [D] [N] aux dépens de la procédure d'appel.







LE GREFFIER LE PRESIDENT

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