18 juin 2014
Cour d'appel de Lyon
RG n° 12/04559

CHAMBRE SOCIALE B

Texte de la décision

AFFAIRE PRUD'HOMALE



DOUBLE RAPPORTEUR





R.G : 12/04559





SARL SCM-GROUP



C/

[V]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 07 Juin 2012

RG : F 09/00720











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 18 JUIN 2014







APPELANTE :



SARL SCM-GROUP

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]



représentée par Me Alain RIBET de la SCP JOSEPH AGUERA & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



[M] [V]

[Adresse 1]

[Localité 1]



représentée par Me Viviane VALLIER, avocat au barreau de LYON









PARTIES CONVOQUÉES LE : 16 Janvier 2013



DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 09 Avril 2014





Présidée par Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre et Christian RISS, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier.





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



- Jean-Charles GOUILHERS, président

- Christian RISS, conseiller

- Marie-Claude REVOL, conseiller









ARRÊT : CONTRADICTOIRE



Prononcé publiquement le 18 Juin 2014 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;



Signé par Jean-Charles GOUILHERS, Président et par Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



********************







Madame [M] [V] a été embauchée à compter du 02 janvier 1979 pour une durée indéterminée en qualité de responsable administrative par la société SCM GROUP FRANCE, filiale du groupe italien SCM GROUP, exploitant une entreprise spécialisée dans la vente de machines pour le travail du bois et comptant environ 40 salariés.



Au dernier état de la relation contractuelle, elle exerçait les fonctions de Directeur Administratif et Financier, statut Cadre, qualification III A, coefficient 135 de la classification de la Convention Collective de la Métallurgie du Rhône, avec un traitement mensuel brut de base de 6.665,28 €.



Elle était rattachée hiérarchiquement au gérant de la société filiale, Monsieur [E] [C], entré en fonction au mois d'avril 1993, et fonctionnellement au siège italien de la société.



Par avenant à son contrat de travail du 1er novembre 2001, Madame [V] a vu ses fonctions progressivement étendues à partir du 1er mars 2002 au niveau européen en qualité de Contrôleur de la zone euro rémunérées au moyen d'une prime annuelle de 3.000,00 € nette de charges et d'une indemnité de 400,00 € par jour de déplacement.



Elle prétend que ses relations avec le gérant de la société se sont dégradées à partir de cette date. 



Madame [V] a été placée en arrêt de travail du 04 janvier au 17 juin 2007 pour maladie non professionnelle.



Après avis favorable à sa reprise du travail émis par le médecin du travail, elle a vainement tenté de reprendre son poste le 18 juin 2007 et a été à nouveau placée en situation d'arrêt de travail.



Au terme d'une seconde visite effectuée le 10 septembre 2008, le médecin du travail l'a déclarée inapte à tout poste dans l'entreprise.



Convoquée le 28 octobre 2008 à un entretien préalable fixé au 07 novembre 2008 en vue de son licenciement, elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 13 novembre 2008 motivée par son inaptitude déclarée par le médecin du travail et l'impossibilité de tout reclassement.



Madame [V] a contesté le bien-fondé de la rupture de son contrat de travail en saisissant le 20 février 2009 la juridiction prud'homale de demandes tendant à faire juger que la faute de son employeur, soit le harcèlement moral exercé à son encontre par Monsieur [C], gérant de la société filiale, était à l'origine de son inaptitude définitive constatée par le médecin du travail,de sorte que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, et obtenir la condamnation de la société SCM GROUP FRANCE à lui payer les sommes suivantes :



- 300.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour rupture du contrat de travail

imputable à l'employeur,

- 39.990,00 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 3.999,00 € au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis,

- 6.665,00 € à titre de congés payés pour la période du 1er juin 2007 au 31 mai 2008,

- 3.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



La société SCM GROUP FRANCE s'est opposée à l'intégralité de ses demandes.



Par jugement rendu le 07 juin 2012, le conseil de prud'hommes de Lyon, section encadrement, a :



Dit et jugé qu'il y a lieu de prononcer la nullité du licenciement pour inaptitude physique de Madame [V] car causé par des agissements répétés consécutifs de harcèlement moral;



En conséquence,



Condamné de la société SCM GROUP FRANCE à payer à Madame [V] les sommes de :

- 150.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement,

- 39.900,00 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis (6 mois),

- 3.999,00 € au titre des congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1.600,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;



Débouté Madame [V] de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés pour la période du 1er juin 2007 au 31 mai 2008;



Condamné la société SCM GROUP FRANCE au paiement des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes pour les sommes à caractère salarial et à compter de la date du jugement pour les sommes ayant le caractère de dommages et intérêts



Ordonné le remboursement, en application de l'article L. 1235-5 du code du travail, par la société SCM GROUP FRANCE à PÔLE EMPLOI des indemnités de chômage versées à la salariée du jour de la rupture de son contrat de travail au jour du jugement dans la limite de trois mois d'indemnités ;



Fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à 8.165 € ;



Dit que les frais d'huissier de justice nécessaires à l'exécution du jugement seront à la charge de la défenderesse ;



Dit et jugé que les dépens de l'instance resteront à la charge de la société SCM GROUP FRANCE .



Par lettre recommandée en date du 13 juin 2012 enregistrée au greffe le lendemain, la société SCM GROUP FRANCE a interjeté appel de ce jugement dont elle a demandé l'infirmation par la cour en reprenant oralement à l'audience du 18 septembre 2013 par l'intermédiaire de son conseil les conclusions récapitulatives qu'elle a fait déposer le 11 septembre 2013 et auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé de ses prétentions et moyens en application de l'article 544 du code de procédure civile, et tendant à débouter Madame [V] de l'intégralité de sa demande et à la condamner aux entiers dépens.



Madame [V] a pour sa part fait reprendre à cette audience par l'intermédiaire de son conseil les conclusions qu'elle a fait déposer le 8 juillet 2013 et auxquelles il est pareillement référé pour l'exposé de ses prétentions et moyens, aux fins de voir :



Confirmer le jugement dont appel

- sur la nullité du licenciement: l'inaptitude étant la conséquence du harcèlement;

- sur le préavis de 6 mois du poste de directeur administratif et financier, outre congés payés déjà réglés;

- sur l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile allouée par les premiers juges;



Réformer le jugement dont appel sur le montant des dommages-intérêts alloués à la salariée et sur son solde de congés payés 2006/2007;

Dire et juger que Madame [V] a un droit conventionnel acquis à congés payés pendant un an en cas de maladie prolongée;



En conséquence,

Condamner la société SCM GROUP FRANCE à lui verser les sommes suivantes :

- 196.940,00 € à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement, pour son poste de Directeur Administratif et Financier;

- 92.300,00 € à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement pour son poste de Contrôleur de zone euro ;

- 15.380,00 € au titre de l'indemnité de préavis pour ce second poste;

- 1.538,00 € au titre des congés payés afférents à l'indemnité de préavis pour ce second poste;

- 6.749,80 € au titre des congés payés pour la période 2006/2007;

- 3.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.



Par arrêt rendu le 20 novembre 2013, la présente chambre sociale B de la cour d'appel de Lyon a sursis à statuer sur l'ensemble des demandes jusqu'à la décision définitive sur l'imputation ou non à accident du travail de l'incident du 18 juin 2007, et a renvoyé l'affaire à l'audience du mercredi 9 avril 2014.



La chambre sociale C de la cour d'appel de Lyon, statuant en matière de Sécurité Sociale par arrêt du 22 octobre 2013 aujourd'hui définitif, a part confirmé dans les limites de l'appel le jugement rendu le 5 décembre 2012 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon en ce qu'il avait reconnu que Madame [V] avait été victime d'un accident du travail le 18 juin 2007.



A l'audience du 9 avril 2014, les avocats des parties ont repris les termes des conclusions qu'ils avaient précédemment déposées.





SUR CE,



La Cour,



Attendu que l'article L. 1152-1 du code du travail dispose :



« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » ;



que le harcèlement moral suppose en conséquence l'existence d'agissements répétés pour pouvoir être caractérisé ;





Attendu que Madame [V] situe courant 2001 le point de départ du harcèlement moral dont elle dit avoir été victime de la part de son supérieur hiérarchique, Monsieur [Z] [C], gérant de la société filiale, après que celui-ci ait appris sa promotion au poste de Contrôleur zone euro dont elle allait bénéficier ;



qu'il lui aurait textuellement tenu les propos suivants:

« [M], vous avez trop de pouvoirs dans la société , je vais vous casser ! » ;



qu'elle ne produit cependant aucun élément de nature à démontrer que le gérant de la société aurait prononcé ces paroles, formellement démentis par celui-ci ;



qu'elle justifie en revanche s'être antérieurement plainte de l'agressivité manifestée à son égard par Monsieur [C] auprès de la direction italienne du groupe qui, à l'occasion d'une rencontre, leur avait demandé de collaborer ;




Attendu que la société SCM GROUP FRANCE rapporte pour sa part la preuve par les attestations de salariées qu'elle verse aux débats, que Madame [V] avait elle-même exercé des pressions constitutives de harcèlement moral avant 2001à l'encontre de plusieurs membres du personnel de l'entreprise ;



que Madame [P] [U] s'était ainsi plainte en 1994 de « l'avalanche de courriers recommandés ainsi que (d)es remontrances verbales » de Madame [V] qui « constituent d'une manière calculée un harcèlement moral qui porte un grave préjudice à ma santé » et avait conduit à son hospitalisation avec un arrêt de travail du 08 au 29 juin 1994 ;



que Madame [Y] [E] s'est pour sa part déclarée choquée, surprise et intimidée le 18 février 1999 après que Madame [V] l'ait encouragée téléphoniquement à reprendre le travail dès le lendemain en lui disant que « cela ne pouvait plus durer », qu'elle s' « écoutai(t) trop » et que son « absence désorganisait le service », alors qu'elle se sentait fatiguée après une grippe pour laquelle un arrêt de travail lui avait été prescrit ;



que Madame [A] [I] a témoigné de « la mauvaise ambiance dans le service administratif auquel (elle) appartenait à tel point (qu'elle) n'arrivai(t) plus à décompresser en dehors du bureau et que cela perturbait (sa) vie privée, si bien qu'après quelques années de stress permanent (elle a ) fait de la dépression nerveuse ce qui (lui) a valu un arrêt de travail de trois mois en 1990 »; qu'elle a encore précisé « que Madame [M] [V] a exercé un chantage à (son) égard lors de (sa) demande pour la prise de (ses) congés annuels 2004 »;



Attendu que la société SCM GROUP FRANCE ajoute qu'au mois de juin 2001, Monsieur [C] a été saisi par Madame [B] [L], standardiste, des pressions et des intrusions opérées par Madame [V] dans sa vie privée, qui avait demandé à des membres du personnel de pas participer à des sorties avec les commerciaux;



que Madame [V] a pour sa part affirmé n'avoir jamais tenu ces propos, mais a considéré que ce fait était lui-même constitutif de harcèlement moral à son encontre, au point d'avoir demandé à Monsieur [C] d'établir le 02 juillet 2001 une attestation qu'elle verse aux débats relatant que les paroles qu'on lui prêtait avaient été démenties par 3 personnes qu'elle avait choisies et qui avaient été présentes lors du repas au cours duquel elles auraient été prononcées, de sorte que l'affaire a été considérée classée par le gérant de la société ;



qu'en tout état de cause, ce fait n'est pas de nature à révéler l'existence d'un quelconque harcèlement moral dont aurait pu être victime Madame [V] ;



Attendu en revanche que Madame [L] a encore adressé le 23 janvier 2002 à Madame [V] une correspondance, avec copie à Monsieur [C] et Monsieur [O], délégué du personnel, pour déplorer les remarques incessantes qu'elle continuait de subir de sa part en relation avec la réception qui avait été organisée entre collègues de travail à titre privé au mois de juin 2001 ;





qu'elle écrivait notamment :



« Par la suite, cet événement s'est peu à peu mué en inquiétude car vos remarques sont devenues persistantes et plus cruelles qu'à l'origine, me plongeant dans un état de stress dans lequel je me trouve tous les jours où je viens travailler, m'obligeant, sur les conseils de mon médecin, à me mettre momentanément maladie ces derniers jours pour tenter d'évacuer cette anxiété.

Je vous demande donc une nouvelle fois de bien me faire parvenir toutes les explications susceptibles d'élucider ce qui reste aujourd'hui un mystère pour moi, à savoir la discrimination dont j'ai été victime en me retirant une grande partie de la prime annuelle de fin décembre . . . » ;



qu'à défaut d'obtenir une réponse de la part de Madame [V], Madame [L] lui a fait parvenir une nouvelle lettre le 1er février 2002 en sollicitant une clarification de la situation afin de pouvoir à nouveau travailler dans un cadre plus serein ;



qu'elle a ensuite sollicité des délégués du personnel leur intervention auprès de l'Inspection du Travail, amenant Monsieur [O] à informer ce service du harcèlement moral dont était victime Madame [L] du fait de Madame [V] ;



que, sur demande de l'Inspecteur du Travail, Monsieur [C] a procédé à une enquête interne au cours de laquelle Madame [L] a confirmé le 05 février 2002 dans les formes légales ce qu'elle avait précédemment déclaré :



« En ce qui me concerne, je tiens à vous préciser que je suis actuellement en arrêt maladie. Mon médecin a préféré m'arrêter pour évacuer l'anxiété et le stress dû au comportement de mon Directeur Financier Madame [M] [T] sur ma personne.

Cette dernière n'arrête pas de me faire des remarques qui sont devenues persistantes et cruelles(des remarques concernant ma vie en dehors de la société). Madame [V] me défend de côtoyer mes collègues de travail en dehors de la société, de rester en contact avec d'anciennes secrétaires qui ne sont plus chez SCM. Elle ne reproche ma bonne humeur et dit que cela perturbe le travail de mes collègues. A plusieurs reprises, afin que je démente tout ceci, elle a fait pression sur moi, et a abusé de sa place, en essayant de m'intimider en me menaçant de m'envoyer une lettre pour faute. A plusieurs reprises elle m'a convoquée dans son bureau, me gardant jusqu'à plus d'une heure, et ce pendant plusieurs jours consécutifs, jusqu'à ce que je revienne sur tout ce que j'avais témoigné à Monsieur [C] sur son comportement. Elle voulait me faire avouer que j'étais une menteuse.

A plusieurs reprises elle m'a fait pleurer, ne tenant pas compte de mon âge, m'humiliant et portante atteinte à ma dignité.

Madame [V] sait bien diviser les personnes qui travaillent pour elle, pour mieux régner.

J'ai vu plusieurs filles du service commercial et administratif pleurer par ce que ne pouvant plus supporter la pression psychologique de Madame [M] [V]. La plupart de ces employées ont été poussées à donner leur démission, ou à se laisser licencier parce que épuisées, leur seul but étant de partir de SCM . . . »;



Attendu que de nombreuses salariées de l'entreprise, dont Mesdames [N] [J], [G] [D], [X] [R] et [S] [K], ont pareillement témoigné en 2002 de la pression psychologique qu'exerçait à leur égard Madame [V], de leur situation d'angoisse et de dépression qui les avait amenées à consulter des médecins, des brimades et humiliations dont elles étaient victimes de sa part, de ses immixtions de leur vie privée ;



Attendu que Madame [V] conteste pour sa part les accusations de harcèlement moral portées à son encontre par les différents témoins en prétendant qu'elles n'auraient été obtenues par Monsieur [C] que sous la pression, ainsi qu'en a attesté Madame [L] , qui est ensuite revenue sur les attestations qu'elle avait précédemment rédigées en prétendant en 2008 avoir « été utilisée pour l'affaire de Madame [V] » avant de démissionner parce que « l'ambiance de ces dernières années était devenue très malsaine - un clan s'était formé autour de Monsieur [C] gérant, et ceux qui n'y adhéraient pas subissaient des pressions et étaient écartés de la vie de l'entreprise »;



que ses rétractations ne peuvent toutefois être retenues, dans la mesure où Madame [L], qui avait témoigné dans les formes légales, avait informé dès 2001 Monsieur [C] des pressions exercées à son encontre par Madame [V], en avait fait part aux délégués du personnel, amenant finalement Monsieur [O] à saisir l'Inspection du Travail devant la gravité des faits dénoncés ;



Attendu que, dans les années suivantes, Madame [V] a maintenu et parfois même renforcé les pressions exercées à l'encontre du personnel de l'entreprise, ainsi qu'en a attesté son assistante, Madame [W] [F] qui a précisé qu' « elle menait tout le monde d'une main de fer . . . elle continuait à mettre la pression sur tout son service, moi-même je n'étais pas épargnée. . . Elle a commencé à me parler de Monsieur [C] : que c'était un incapable, qu'il ne savait pas gérer son entreprise . . . Finalement elle lui a écrit et à la suite s'est mise en arrêt maladie (janvier 2007) »;



Attendu que Madame [V] , qui avait encore adressé une correspondance électronique à Monsieur [C] le 09 mai 2006 dans laquelle elle écrivait «  Il m'avait d'ailleurs semblé que nos relations étaient globalement saines, les échanges nombreux et normaux », a dénoncé par une lettre datée du 20 décembre 2006 l'agressivité dont aurait fait preuve à son égard le gérant de la société, sa violence verbale et son harcèlement, lui reprochant de ne pas chercher à travailler en équipe avec elle depuis 2000, et lui demandant de mettre fin à ses agressions qui nuisaient à sa santé;



que, par lettre en réponse du 03 avril 2007, Monsieur [C] a formellement contesté ses accusations, en attirant son attention sur le fait qu'elles étaient infondées pouvaient s'analyser en des dénonciations calomnieuses ;



que, pendant son arrêt de travail à compter du 05 janvier 2007, Madame [V] a continué d'exercer des pressions à l'égard du personnel de l'entreprise, dont Madame [F], qui s'est plainte le 6 juin 2007 auprès de la direction italienne de la société des intrusions de Madame [V] dans sa vie privée au moyen de courriers électroniques à son domicile en dehors des heures de travail et même les fins de semaine, d'appels téléphoniques en numéro masqué, au point qu'elle a dû modifier sa ligne téléphonique ;



que Madame [V] a en outre porté à la connaissance de plusieurs personnes de l'entreprise , dont certaines du service administratif, ses accusations de harcèlement portées à l'encontre de Monsieur [C], ainsi que l'ont signalé à ce dernier le 20 mars 2007 plusieurs délégués du personnel qui ont ensuite provoqué une réunion extraordinaire le 30 mars 2007 en présence du directeur des ressources humaines italien pour attirer son attention sur le malaise actuel régnant au sein de la filiale française ;



que Monsieur [O] s'est vu dans l'obligation d'écrire le 04 mai 2007 à Madame [V] pour lui faire connaître « que personne n'a jamais eu à assister à une quelconque situation qui prouverait (ses) dires et surtout personne ne trouve d'explication à son attitude » et qu'en outre «  il est ressorti (de la réunion avec le directeur italien) un mécontentement général à (son) égard »;



que Madame [V] a considéré qu'il s'agissait d'une « véritable cabale » montée contre elle, et qu'elle se réservait la possibilité de déposer plainte pour diffamation et dénonciation calomnieuse ;



Attendu qu'il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent que la profond malaise existant au sein de la société SCM GROUP FRANCE a pour origine le comportement adopté par Madame [V] envers différents membres du personnel, au nombre desquels se trouve son gérant ainsi que Monsieur [O], délégué du personnel, et que ses accusation de harcèlement moral portées à l'encontre de Monsieur [C] ne sont pas fondées à défaut de justifier de faits précis et répétés ;



Attendu qu'ensuite, lors de la reprise du travail de Madame [V] le 18 juin 2007 à l'expiration de son arrêt de travail, et après un entretien au cours duquel elle s'était montrée particulièrement agressive envers Monsieur [C], qui au contraire était resté calme, et Monsieur [O], le gérant de la société a convoqué l'ensemble du personnel à une réunion au cours de laquelle le délégué du personnel a demandé de faire barrage à la reprise du travail de Madame [V] en suscitant un mouvement de débrayage ou des mises en arrêt maladie afin de faire pression sur les dirigeants italiens pour gérer la situation de conflit, tandis que Monsieur [C] a interdit au personnel tout contact avec Madame [V], provoquant le départ de cette dernière en pleurs de l'entreprise, ainsi qu'en a attesté Madame [F] ;



Attendu que cette situation a été confirmée par lettre du contrôleur du travail adressée le 22 juin 2007 au directeur de la société italienne en ces termes :



« J'ai pu constater qu'il existe dans cette entreprise un conflit ancien entre Monsieur [C], Gérant mandataire, et Madame [V] , Directeur Administratif et Financier (D.A.F.).



Ce conflit a des répercussions importantes sur le fonctionnement de l'entreprise et l'état de santé de certains salariés.



- le 18 juin, Monsieur [C] convoquait dans son bureau Madame [V] , de retour d'un arrêt maladie de plusieurs mois.

Par ses propos et son attitude, il compromettait gravement la sérénité et rendait impossible son retour à son poste de travail malgré l'avis favorable émis par le Médecin du Travail. Le résultat de ces agissements est que Madame [V] le soir même se voyait délivrer un nouvel arrêt de travail.



- Des nombreux entretiens que j'ai eus le 20 juin 2007 avec des salariés de SCM GROUP FRANCE, il ressort que Madame [V] , par son comportement envers ses subordonnés et certains collègues, (son autoritarisme, sa brutalité, ses immixtions dans leur vie privée, ses décisions arbitraires en matière de prime) porte atteinte à la dignité de ces personnes, dégrade leurs conditions de travail et est susceptible d'altérer leur santé mentale.



J'ai pu constater que, même en arrêt de travail, Madame [V] maintient la pression sur certaines personnes par le biais de mails . . . »;



Attendu que Madame [V] a été à nouveau placée en arrêt de travail à compter du 18 juin 2007 et ce, de manière ininterrompue jusqu'à son inaptitude à tout poste dans l'entreprise prononcée par le médecin du travail le 11 septembre 2008 au terme d'une seconde visite médicale de reprise;



qu'elle a été finalement licenciée le 13 novembre 2008, après entretien préalable, pour inaptitude et impossibilité de reclassement;



Attendu que par arrêt aujourd'hui définitif rendu le 22 octobre 2013, la cour d'appel de Lyon statuant en matière de Sécurité Sociale, sans se prononcer sur « la question de l'éventuel harcèlement commis ou subi par Madame [V] » a confirmé le jugement rendu le 5 décembre 2012 par le tribunal des affaires de Sécurité Sociale de Lyon en ce qu'il a reconnu que Madame [V] avait été victime d'un accident du travail le 18 juin 2007 ;



que cette situation est toutefois sans emport sur le harcèlement moral invoqué par Madame [V] ;



Attendu en conséquence que les seuls faits du 18 juin 2007, imputables pour partie au comportement inadapté de Monsieur [C], ne constituent toutefois pas des « agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » énoncés à l'article L. 1152-1 du code du travail ;



que Madame [V] est dès lors mal fondée à soutenir que son licenciement pour inaptitude serait consécutif au harcèlement moral qu'elle aurait subi de sa part ;



Attendu qu'il importe dans ces conditions d'infirmer le jugement entrepris, de dire que le licenciement pour inaptitude de Madame [V] repose sur une cause réelle et sérieuse et de débouter la salariée de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour nullité de son licenciement et indemnisation d'un préjudice moral dont l'existence n'est pas démontrée ;



Attendu cependant que Madame [V], qui se trouvait en arrêt de travail consécutif à un accident du travail depuis le 18 juin 2007, peut prétendre au bénéfice de l'indemnité compensatrice de préavis 6 mois prévue par la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie pour son emploi de Directeur Administratif et Financier;



qu'il convient dès lors de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société SCM GROUP FRANCE à lui verser la somme de 39.990,00 € à ce titre, outre congés payés correspondants pour un montant de 3.999,00 € ;



qu'il doit encore lui être alloué la somme de 15.380,00 €, outre 1.538,00 € au titre des congés payés afférents, à titre d'indemnité compensatrice de préavis pour l'exercice de son nouvel emploi de contrôleur zone euros ;



Attendu par ailleurs que Madame [V] sollicite le paiement de la somme de 6.749,80 € au titre d'un solde congés payés des années 2006 et 2007 ;



Attendu que l'article 14 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie applicable entre les parties énonce que « la période durant laquelle l'exécution du contrat est suspendue par suite d'une maladie ou d'un accident répondant aux conditions prévues par le 1er de l'article 16 est dans la limite d'une durée maximale d'une année assimilée à un temps de travail effectif pour la durée du congé annuel »;



que Madame [V], qui était en arrêt maladie pour dépression avant de l'être à compter du 18 juin 2007 pour accident du travail, remplit en conséquence la condition d'ouverture du droit à congés payés ;



que le jugement rendu par le conseil de prud'hommes doit en conséquence être réformé en ce qu'il a débouté la salariée de cette demande à laquelle il convient de faire droit selon le décompte qu'elle verse aux débats ;



Attendu en outre que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de [V] qui ne voit pas aboutir la plus grande part de ses prétentions ;



Attendu enfin que la société SCM GROUP FRANCE, qui succombe, supporte toutefois la charge des entiers dépens ;





PAR CES MOTIFS :





La cour, statuant contradictoirement par arrêt mis à disposition des parties après que ces dernières aient été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,



Vu l'arrêt rendu par la présente chambre sociale B de la cour d'appel de Lyon le 20 novembre 2013 sursoyant à statuer jusqu'à la décision définitive sur l'imputation ou non à accident du travail de l'incident du 18 juin 2007 ;



Vu l'arrêt rendu 22 octobre 2013 par la cour d'appel de Lyon en matière de Sécurité Sociale aujourd'hui définitif ;



Confirme le jugement rendu le 7 juin 2012 par le conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il a condamné la SàRL SCM GROUP FRANCE à payer à Madame [M] [V] les sommes de :





- 39.000,00 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis pour le poste de Directeur Administratif et Financier;

- 3.999,00 € au titre des congés payés afférents;



L'INFIRME en toutes ses autres dispositions et,



Statuant à nouveau,



DIT de Madame [M] [V] n'a pas été victime d'agissements répétés de harcèlement moral de la part de Monsieur [E] [C] ;



DIT que son licenciement prononcé pour inaptitude repose sur une cause réelle et sérieuse ;



DEBOUTE en conséquence Madame [M] [V] de ses demande en paiement de dommages et intérêts pour nullité de son licenciement ;



CONDAMNE la SàRL SCM GROUP FRANCE à payer à Madame [M] [V] les sommes de :



- 15.380,00 € (QUINZE MILLE TROIS CENT QUATRE VINGTS EUROS) à titre d'indemnité compensatrice de préavis pour son poste de Contrôleur zone euro,

- 1.538,00 € ( MILLE CINQ CENT TRENTE HUIT EUROS) au titre des congés payés afférents;

- 6.749,80 € (SIX MILLE SEPT CENT QUARANTE NEUF EUROS ET QUATRE VINGTS CENTIMES) au titre des congés payés pour la période 2006 / 2007;



DEBOUTE Madame [M] [V] de ses autres demandes ;



DIT n'y avoir lieu à application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de quiconque ;



CONDAMNE la SàRL SCM GROUP FRANCE aux entiers dépens d'instance et d'appel. .



Le Greffier, Le Président,

















Evelyne FERRIER Jean-Charles GOUILHERS

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.