5 mars 2015
Cour d'appel de Paris
RG n° 14/00459

Pôle 5 - Chambre 6

Texte de la décision

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 6



ARRET DU 05 MARS 2015



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/00459



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Octobre 2013 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2012012866





APPELANTE



Madame [O] [F]

Née le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 1]

[Adresse 2]

[Localité 2]



Représentée et assistée de Me Sophie BARBERO, avocat au barreau de PARIS, toque : C0689





INTIMEE



SA SOCIETE GENERALE

RCS de PARIS 552 120 222

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représentée et assistée de Me Belaid MAZNI, avocat au barreau de PARIS, toque : D1654



COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 27 Janvier 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Paule MORACCHINI, Présidente de chambre

Madame Caroline FÈVRE, Conseillère

Madame Muriel GONAND, Conseillère

qui en ont délibéré



Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du code de Procédure Civile.



Greffier, lors des débats : Madame Josélita COQUIN



ARRET :

- Contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Paule MORACCHINI, président et par Madame Josélita COQUIN, greffier présent lors du prononcé.




********



Le 21 janvier 2003, Madame [O] [F], exerçant l'activité de vente de vêtements, a ouvert un compte courant professionnel dans les livres de la Société Générale.



Par acte sous seing privé du 9 juin 2005, la Société Générale lui a consenti un crédit de trésorerie d'un montant de 10.000 euros, avec intérêts au taux de base de la banque majoré de 2 %, pour financer son installation dans un local commercial à [Localité 2].



Par un acte du même jour, la banque lui a également consenti un prêt d'investissement d'un montant de 5.740 euros, remboursable en 5 ans avec intérêts au taux fixe de 4,80 % l'an, destiné à la réalisation de travaux pour son commerce.



Par acte sous seing privé du 18 juin 2006, la Société Générale lui a consenti un nouveau prêt d'investissement d'un montant de 8.509 euros, remboursable en 3 ans avec intérêts au taux de 5 % l'an, pour les besoins de son commerce.



Par acte sous seing privé du 22 juillet 2006, la banque a consenti à Madame [O] [F] un prêt d'investissement de 20.000 euros, remboursable en 84 mois avec intérêts au taux contractuel de 5 % l'an, destiné au financement de l'achat du fonds de commerce voisin du sien et garanti par un nantissement.



Le 15 juillet 2008, Madame [O] [F] a cessé son activité et s'est fait radier du registre du commerce. A compter de la fin du mois d'août 2008, elle n'a plus honoré le paiement des échéances de ses prêts.



Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 juin 2008, la Société Générale a informé Madame [O] [F] qu'elle mettait fin à leur relation contractuelle avec un préavis de 60 jours.



Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 novembre 2008, la Société Générale a procédé à la clôture du compte de Madame [O] [F] et l'a mise en demeure de lui régler le solde débiteur de 8.161,28 euros, outre les intérêts à courir jusqu'au jour du paiement.



Dans le même temps, la Société Générale a prononcé la déchéance du terme des prêts impayés et a demandé à Madame [O] [F] de lui régler les sommes dues au titre de chacun d'eux.



Par acte d'huissier en date du 3 février 2012, la Société Générale a fait assigner Madame [O] [F] en paiement.



Par jugement en date du 30 octobre 2013, le tribunal de commerce de Paris a condamné Madame [O] [F] à payer à la Société Générale la somme de 10.297,14 euros avec intérêts au taux de base de la banque majoré de 2 points à compter du 2 janvier 2012 en remboursement du solde débiteur de son compte commercial, la somme de 2.939,39 euros avec intérêts au taux conventionnel de 8,8 % l'an à compter du 2 janvier 2012 en remboursement du solde du prêt du 9 juin 2005, la somme de 3.031,83 euros avec intérêts au taux conventionnel de 9 % l'an à compter du 2 janvier 2012 en remboursement du solde du prêt du 18 juin 2006, la somme de 17.370,37 euros avec intérêts au taux conventionnel de 9 % l'an à compter du 2 janvier 2012 en remboursement du solde du prêt du 22 juillet 2006, ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil, ordonné l'exécution provisoire du jugement, débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires, condamné Madame [O] [F] aux dépens.







La déclaration d'appel de Madame [O] [F] a été déposée au greffe de la cour le 8 janvier 2014.




Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, signifiées le 19 juin 2014, Madame [F] demande d'infirmer le jugement déféré et de :

- juger que la Société Générale a manqué à son obligation de conseil et la débouter de l'ensemble de ses demandes,

- à titre subsidiaire, juger que la Société Générale ne justifie pas d'une créance certaine concernant un prêt souscrit le 15 juin 2006 ainsi que du solde du compte courant ouvert dans ses livres sous le n° [XXXXXXXXXX01] et, en conséquence, l'en débouter,

- juger que, conformément aux dispositions des articles L 313-1 et suivants du Code de la consommation, les taux effectifs globaux des conventions et prêts objets de l'instance sont erronés,

- juger que la Société Générale sera déchue des taux conventionnels, l'intérêt légal s'y substituant,

- juger, à titre infiniment subsidiaire, que la Société Générale a commis un abus de droit en s'abstenant de toute action pendant trois ans,

- en conséquence, juger que les intérêts conventionnels seront suspendus pour la période litigieuse allant du 19 février 2009 au 3 février 2012,

- à titre infiniment subsidiaire, lui accorder un délai de paiement de 24 mois en vertu des dispositions des articles 1244-1 et 1244-2 du Code civil, se décomposant de la façon suivante : 23 échéances s'élevant à 100 euros mensuels et le solde lors de la 24ème mensualité,

- en toutes hypothèses, condamner la Société Générale à lui verser la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.



Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du code de procédure civile, signifiées le 28 avril 2014, la Société Générale demande de :

- déclarer l'appel de Madame [O] [F] mal fondé et l'en débouter,

- juger qu'elle n'a pas manqué à son obligation de conseil et de mise en garde,

- déclarer irrecevables les demandes de Madame [F] tendant à la déchéance du taux d'intérêt conventionnel des prêts souscrits en application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile,

- déclarer irrecevables comme prescrites, les demandes de Madame [F] tendant à la déchéance du taux d'intérêt conventionnel et des prêts souscrits,

- débouter Madame [O] [F] de sa demande de délais de paiement, non fondée,

- confirmer le jugement déféré,

- ordonner la capitalisation des intérêts, conformément à l'article 1154 du code civil,

- condamner Madame [F] à lui payer la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 décembre 2014.




SUR CE,



Considérant que Madame [O] [F] soutient que la banque a commis une faute en lui octroyant des prêts excessifs sans vérifier ses capacités d'endettement et qu'elle s'est contentée de ses bilans sans s'informer sur son état d'endettement personnel, alors que trois prêts personnels lui ont été consentis ; qu'elle a manqué à son devoir de mise en garde et de conseil ; que la banque doit être déboutée de sa demande l'ayant mise dans une situation inextricable d'endettement après l'octroi des prêts en cause qu'elle n'a pas été en mesure de rembourser ; que, subsidiairement, elle fait valoir que la banque doit être déchue de ses droits aux intérêts conventionnels sur le fondement de l'article L.313-2 du code de la consommation, dès lors que le taux effectif global de chacun des prêts est erroné faute de prendre en compte les frais des crédits consentis ; qu'elle estime que sa demande n'est pas nouvelle en appel en ce sens qu'elle se rattache suffisamment à sa demande originaire et qu'elle peut se prévaloir en appel d'une disposition d'ordre public que les premiers juges auraient dû soulever d'office; qu'elle prétend encore que les intérêts conventionnels réclamés par la banque doivent être suspendus pendant la période d'inertie de la Société Générale qui n'a rien fait pendant trois ans, ce qui lui interdit aussi de se prévaloir de la prescription de sa demande de substitution du taux légal au taux conventionnel fondée sur un taux effectif global erroné ; qu'elle ajoute que la banque lui réclame une somme de 2.663,23 euros pour un crédit en compte du 15 juin 2006 qu'elle n'a jamais contracté et la somme de 10.297,14 euros au titre du solde débiteur de son compte professionnel lequel a été clôturé le 19 novembre 2008 avec un solde de zéro ; que ces créances sont infondées et doivent être rejetées ; qu'enfin, elle sollicite les plus larges délais de paiement compte tenu de ses difficultés financières ;



Considérant qu'en réponse, la Société Générale réplique que Madame [F] ne peut pas se prévaloir d'un endettement excessif lors de l'octroi des crédits en cause sans en justifier et arguer de crédits postérieurs consentis par la Sogefinancement à titre personnel qui est un autre établissement ; qu'elle ajoute que l'appelante ne justifie pas davantage de la perte de chance de ne pas contracter qu'elle aurait subie ; qu'elle produit toutes les pièces prouvant chacune de ses créances, y compris au titre du solde débiteur du compte professionnel dont les intérêts contractuels continuent à courir jusqu'au paiement et du prêt du 18 juin 2006 ; que s'agissant de la déchéance des intérêts contractuels, elle soulève l'irrecevabilité de cette demande présentée pour la première fois en appel en application de l'article 564 du code de procédure civile et qui se heurte à la prescription quinquennale à compter de la signature de chacun des contrats ; qu'elle s'oppose aux délais de paiement en l'absence d'éléments sur la situation actuelle de Madame [F] ;



Considérant que la Société Générale produit la convention d'ouverture de compte et chacune des conventions de prêt ainsi que toutes les pièces justifiant des créances dont elle demande le paiement ; que le solde débiteur du compte n° [XXXXXXXXXX01] de 8.212,68 euros au jour de la clôture du compte a été transféré au service contentieux, de sorte que le solde de zéro porté sur le relevé de compte n'est pas consécutif à un paiement, mais à une écriture bancaire comptable pour clôturer le compte et transmettre son recouvrement au service dédié de la banque ; que la somme reste due et qu'elle produit des intérêts contractuels conformément à la convention de trésorerie du 9 juin 2005 au taux de base de la banque majoré de 2 % jusqu'à parfait paiement ; qu'il est établi que la Société Générale a consenti à Madame [F] un prêt de 8.509, euros selon une offre émise le 23 mai 2006 acceptée le 18 juin 2006 ou le 15 juin 2006 compte tenu de la mauvaise écriture de la date qui peut être lue 15 ou 18 et que la somme réclamée par la banque à ce titre est due ;



Considérant que, pour la première fois en appel, Madame [F] se prévaut d'un taux effectif global erroné et des dispositions des articles L.313-1 et L.313-2 du code de la consommation pour demander la déchéance des intérêts contractuel et la substitution du taux légal ;



Considérant que cette demande est nouvelle en appel et ne constitue pas une demande accessoire ou complémentaire à ses demandes d'origine ; qu'elle est irrecevable même si elle est fondée sur des dispositions d'ordre public ;



Considérant qu'il n'y a pas lieu de suspendre le cours des intérêts contractuels dûs par Madame [F] entre le 19 février 2009 et le 3 février 2012 en l'absence d'inertie fautive de la banque qui l'a mis en demeure une première fois le 19 février 2009, puis le 24 novembre 2011 avant de l'assigner en paiement le 3 février 2012 ; que l'absence d'action judiciaire pendant près de trois ans n'est pas fautif et ne dispense pas la débitrice de régler sa dette ou de mettre à profit ce délai pour se préparer à la payer, comme elle a su le faire pour réaménager ses prêts personnels et les rembourser ; qu'il n'y a aucun abus de droit imputable à la banque ;



Considérant que Madame [F] excipe, par ailleurs, d'un manquement de la banque à son devoir de mise en garde compte tenu de l'endettement excessif généré par les crédits professionnels qui lui ont été consentis par la Société Générale, s'ajoutant aux prêts personnels qui lui avait déjà accordés, et demande à être déchargée du paiement de sa dette, ce qui s'analyse en une demande en dommages-intérêts d'un montant équivalent à la créance de la banque ;



Considérant que la banquier est tenu à un devoir de mise en garde envers un emprunteur non averti en cas de crédit excessif ;



Considérant qu'il ressort des pièces produites que Madame [F], exploitant un petit commerce de vêtements et accessoires situé [Adresse 2], a contracté 3 prêts personnels auprès de la Sogefinancement, représentée par la Société Générale, qui n'ignorait donc rien de l'endettement personnel de sa cliente, et 4 crédits professionnels entre 2004 et 2006 ; que l'endettement de Madame [F] s'établit ainsi qu'il suit :

- selon une offre acceptée le 25 mars 2004, un prêt personnel Expresso d'un montant de 6.000 euros remboursable en 60 mensualités de 121,71 euros,

- un second prêt personnel Expresso de 16.000 euros consenti le 8 septembre 2004, remboursable en 123 mois par échéances de 247,99 euros lequel a été réaménagé le 11 décembre 2008 pour réduire les échéances à 148,30 jusqu'au 20 décembre 2014,

- selon une offre acceptée le 21 décembre 2004, un crédit personnel renouvelable d'un montant de 3.000 euros, lequel a été réaménagé le 22 novembre 2008 pour apurer le solde dû de 1.404,32 euros par échéances mensuelles de 51, 17 euros jusqu'au 20 décembre 2011,

- un prêt professionnel de 5.740 euros consenti le 9 juin 2005, remboursable en 60 échéances de 109,66 euros,

- un découvert en compte professionnel de 10.000 euros consentie le 9 juin 2005 moyennant des agios au taux de base de la banque majoré de 2 %,

- un prêt professionnel de 8.509 euros consenti le 15 ou 18 juin 2006 remboursable en 36 échéances de 262,72 euros,

- un prêt professionnel de 20.000 euros consenti le 22 juillet 2006 remboursable en 84 échéances de 289,16 euros,

soit un endettement de plus de 35.000 euros en juin 2005 avec des mensualités de l'ordre de 500 euros et un endettement de l'ordre 65.000 euros en juillet 2006 avec des mensualités cumulées de l'ordre de 1.050 euros ;



Considérant que la Société Générale ne justifie pas avoir vérifié la capacité d'endettement de Madame [F] qui exploitait en nom propre son commerce et n'avait d'autres revenus que ceux de son activité professionnelle de commerçante, de sorte qu'elle devait faire face à son endettement personnel et professionnel avec les bénéfices de son commerce ; que la modicité des sommes prêtées confirme la faiblesse des facultés contributives de Madame [F] qui a pu tenir jusqu'en août 2008, grâce à la facilité de caisse de 10.000 euros qui lui a été consentie le 9 juin 2005 ;



Considérant qu'il s'en déduit que l'endettement de Madame [F] apparaît excessif lors de l'octroi des deux prêts professionnels de 2006 ; que la Société Générale ne prouve pas avoir alerté l'emprunteur du risque d'endettement né de ces nouveaux crédits s'ajoutant aux précédents ; qu'elle a ainsi manqué à son devoir de mise en garde;



Considérant que le préjudice subi s'analyse en une perte de chance de ne pas contracter ; que la cour dispose des éléments suffisants pour évaluer le préjudice subi à la somme de 5.000 euros ;



Considérant que la Société Générale sera condamnée à payer à Madame [F] la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts laquelle viendra en compensation avec sa dette ;



Considérant que Madame [F] ne produit aucune pièce au soutien de sa demande de délai de paiement ; qu'eu égard à sa carence depuis 2009, elle a déjà bénéficié d'un délai supérieur à deux ans ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande ;



Considérant que le jugement déféré sera confirmé, sauf en ce qu'il a débouté Madame [F] de sa demande au titre du manquement de la banque à son devoir de mise en garde ;



Considérant que l'équité ne commande pas de faire en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;



Considérant que Madame [F] qui demeure débitrice de la Société Générale supportera les dépens d'appel ;





PAR CES MOTIFS





Déclare irrecevable la demande de Madame [O] [F] tendant à voir juger le taux effectif global des prêts erroné et prononcer la déchéance des intérêts contractuels avec substitution du taux légal comme étant nouvelle en appel,



Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté Madame [O] [F] de sa demande au titre du manquement de la banque à son devoir de mise en garde,



Statuant à nouveau du chef infirmé,



Condamne la Société Générale à payer à Madame [O] [F] la somme de 5.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,



Dit que cette somme viendra en compensation avec la créance de la banque,



Rejette toutes autres demandes,



Condamne Madame [O] [F] aux dépens d'appel avec distraction au profit de l'avocat concerné en application de l'article 699 du Code de procédure civile.





LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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