29 septembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-17.036

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C100556

Titres et sommaires

ETRANGER - Mesures d'éloignement - Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire - Procédure - Nullité - Cas - Atteinte aux droits de l'étranger placé en rétention - Caractérisation - Garde à vue - Droit de la personne gardée à vue - Notification - Condition - Portée

Il résulte de l'article 63-1 du code de procédure pénale que toute personne gardée à vue doit être immédiatement informée des droits attachés à cette mesure et que si elle ne comprend pas le français, ses droits doivent lui être notifiés par un interprète, le cas échéant après qu'un formulaire lui a été remis pour son information immédiate. Tout retard dans la mise en oeuvre de ces obligations, non justifié par des circonstances insurmontables, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée au sens de l'article L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011

ETRANGER - Mesures d'éloignement - Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire - Procédure - Nullité - Cas - Atteinte aux droits de l'étranger placé en rétention - Notification - Notification des droits en garde à vue - Assistance d'un interprète - Nécessité

ETRANGER - Mesures d'éloignement - Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire - Placement en rétention - Droits de l'étranger placé en rétention - Notification - Notification des droits en garde à vue - Retard - Atteinte aux droits de l'étranger placé en rétention - Cas

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 29 septembre 2021




Cassation sans renvoi


Mme AUROY, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 556 FS-B

Pourvoi n° F 20-17.036

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [F].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 8 juin 2020.



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 29 SEPTEMBRE 2021

M. [Z] [F], domicilié chez Mme Anita Bouix, avocat, [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 20-17.036 contre l'ordonnance rendue le 20 décembre 2019 par le premier président de la cour d'appel de Toulouse, dans le litige l'opposant au préfet du Lot-et-Garonne, domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [F], et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 22 juin 2021 où étaient présents Mme Auroy, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Dard, conseiller rapporteur, M. Hascher, Mme Antoine, M. Vigneau, Mmes Bozzi, Poinseaux, Guihal, M. Fulchiron, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Gargoullau, Azar, M. Buat-Ménar, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Toulouse, 20 décembre 2019), et les pièces de la procédure, M. [F], de nationalité marocaine, a, le 13 décembre 2019, fait l'objet d'un contrôle d'identité, suivi d'une garde à vue pour diverses infractions. A l'issue de sa garde à vue, un arrêté de placement en rétention lui a été notifié.

2. Le 16 décembre 2019, le préfet a saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande de prolongation de cette mesure.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. [F] fait grief à l'ordonnance de prolonger sa rétention, alors « que tout retard dans la mise en oeuvre de l'obligation de notification immédiate des droits de la personne gardée à vue, non justifié par des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief à l'intéressé ; qu'en l'occurrence, en se fondant sur le défaut de grief démontré pour écarter le moyen tiré de la notification tardive des droits en garde à vue, après avoir constaté l'irrégularité de cette dernière en l'absence de circonstances insurmontables, le magistrat délégué par le premier président a violé les dispositions des articles 63-1 du code de procédure pénale et L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. »

Réponse de la Cour

4. Vu les articles 63-1 du code de procédure pénale et L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 :

5. Il résulte du premier de ces textes que toute personne gardée à vue doit être immédiatement informée des droits attachés à cette mesure et que si elle ne comprend pas le français, ses droits doivent lui être notifiés par un interprète, le cas échéant après qu'un formulaire lui a été remis pour son information immédiate.

6. Tout retard dans la mise en oeuvre de ces obligations, non justifié par des circonstances insurmontables, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée au sens du second.

7. Pour prolonger la rétention de M. [F], l'ordonnance retient que si sa garde à vue est irrégulière, en l'absence de preuve de circonstances insurmontables permettant d'expliquer le retard dans la notification de ses droits avec le concours d'un interprète et le défaut de remise, entre-temps, d'un formulaire en langue arabe, il n'est justifié d'aucun grief.

8. En statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné à l'avocat de M. [F], conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que, les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 20 décembre 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Toulouse ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. [F]

IL EST FAIT GRIEF à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Toulouse le 17 décembre 2019 ayant ordonné la prolongation de la rétention administrative de M. [F] pour une durée de 28 jours ;

AUX MOTIFS QUE, sur la notification tardive des droits en garde à vue, les dispositions de l'article 63-1 du code de procédure pénale imposent que la personne placée en garde à vue soit « immédiatement » informée du déroulement de la mesure et des droits dont elle dispose pendant celle-ci, dans une langue qu'elle comprend, le cas échéant au moyen du formulaire prévu par ce même texte, dont la remise ne dispense toutefois pas de la notification de ses droits par un interprète si elle ne comprend pas le français ; qu'un éventuel retard dans la notification de ces informations ne peut résulter que de circonstances insurmontables démontrées, sauf à entacher la régularité de la mesure de garde à vue ;

QU'en l'espèce Monsieur [F] a été interpellé à 19h05 – heure à partir de laquelle a été décompté le temps de garde à vue – et a été présenté à l'officier de police judiciaire à 19h10, lequel a décidé compte tenu de la non maîtrise de la langue par l'intéressé de procéder à une notification différée des droits et a contacté à cet effet un interprète à 19h45, avec l'aide duquel la notification de début de garde à vue et les droits y afférents est intervenue à 21h20 ;

QUE si ce délai n'apparaît pas démesuré si l'on tient compte du temps de déplacement de l'interprète et du fait que la personne interpellée avec Monsieur [F] faisait concomitamment également l'objet d'une garde à vue, il n'en reste pas moins inexpliqué, aucune mention dans la procédure ne venant préciser pourquoi le recours à l'interprète n'a pu avoir lieu plus tôt alors que selon le procès-verbal celui-ci avait déclaré « se déplacer dans les plus brefs délais », et pourquoi, dans l'attente, ne lui a pas été remis à tout le moins le formulaire d'information écrit en langue arabe, ce qui ne sera fait qu'à 21h20, comme l'indique le procèsverbal de notification de début de garde à vue ; qu'en l'absence dès lors de preuve de l'existence de circonstances insurmontables, est encourue l'irrégularité de la garde à vue ;

QUE toutefois aux termes de l'article L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas de violation des formes prescrites par la loi ou d'inobservation de formalités substantielles, la mainlevée de la mesure de placement en rétention ne peut être prononcée que si ces irrégularités ont pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger ; qu'il ressort en l'occurrence des différents procès-verbaux et du récapitulatif figurant au procès-verbal de notification de fin de garde à vue, signé par l'interprète et par Monsieur [F] lui-même :

- que ce dernier a bénéficié de l'examen médical qu'il demandait ;

- qu'il a bien été essayé d'aviser sa compagne, ce qui n'a été différé que sur instructions du parquet pour les nécessités de l'enquête et n'a échoué qu'en l'absence de réponse de l'interlocutrice ;

- qu'il avait été informé en début de mesure du délai prévu par l'article 63-2 du code de procédure pénale pour qu'il soit procédé à l'exercice de ces droits ;

- qu'il a renoncé à tous les autres, notamment de recourir à la présence d'un avocat ;

QU'en l'absence de grief démontré le moyen sera rejeté ;

QUE, sur l'illisibilité des réquisitions du procureur de la République, la copie figurant dans la transmission initiale de la procédure qui constitue le dossier du juge des libertés la détention apparaît intégralement lisible ; que même l'exemplaire refaxé invoqué, qui est incontestablement plus difficile à déchiffrer, permet néanmoins de lire sans grande difficulté les infractions ainsi que les lieux, dates et horaires concernés par la réquisition ; que le moyen sera là encore écarté ;

QUE, sur la visite irrégulière du véhicule, il ressort de la lecture du procès-verbal de saisine/interpellation que la présence de stupéfiants a été révélée au moment de la sortie du véhicule du passager avant par « une forte odeur âcre caractéristique de l'odeur du cannabis émanent de l'habitacle du véhicule » et que c'est en « regardant l'habitacle du véhicule (qu'il est constaté » que la boîte à gants est ouverte laissant entrevoir des poches alimentaires en papier marron d'où (l'on aperçoit) à l'intérieur plusieurs sachets assez conséquents d'herbe de cannabis » ; que l'infraction ayant ainsi pu être constatée sans aucune visite du véhicule, la présence d'un officier judiciaire ne se justifiait pas ;

QUE si l'appelant conteste cette relation des faits et qu'aux termes de l'article 430 du code de procédure pénale les procès-verbaux de constatation d'infractions ne valent qu'à titre de renseignements et peuvent donc donner lieu à preuve contraire, celle-ci n'est en l'espèce pas rapportée, Monsieur [F] se contentant de simples allégations ; que ce moyen est en conséquence également inopérant ;

QUE, sur la demande subsidiaire d'assignation à résidence, l'article L. 552-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne permet au juge judiciaire d'accorder l'assignation à résidence que lorsque l'étranger « dispose de garanties de représentation effectives (et seulement) après remise à un service de police ou une unité de gendarmerie de l'original du passeport et de tout document justificatif de son identité » ; qu'outre le fait que les garanties de représentation de Monsieur [F], qui n'a déjà pas satisfait à plusieurs décisions d'éloignement, apparaissent pour le moins aléatoires, la condition préalable de remise d'un passeport n'est pas remplie et ne peut l'être, l'intéressé en étant dépourvu, comme de tout document d'identité ainsi que cela ressort de ses propres déclarations lors de son audition ;

QUE l'ordonnance ayant autorisé la prolongation de la rétention sera en conséquence confirmée pour permettre l'aboutissement des démarches en cours ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE, sur la régularité de la procédure, la qualité de la photocopie des réquisitions écrites du Procureur de la République d'Agen du 12 décembre 2019 est suffisante pour permettre de lire que sont recherchés les auteurs de faits d'actes de terrorisme, d'infractions en matière de prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, d'infractions en matière d'armes et d'explosifs, d'infractions de trafic de stupéfiants, d'infractions à l'entrée ou séjour irrégulier des étrangers, de vols et de recel ;

QUE [Z] [F] a été interpellé par les policiers d'Agen le 13 décembre 2019 à 19 heures 05 et placé en garde à vue à compter de l'heure de son interpellation ; QU'il a été présenté à un officier de police judiciaire à 19 heures 10 ; QUE les policiers ont dès 19 heures 45 requis un interprète en langue arabe, lequel leur a indiqué se déplacer dans leurs locaux dans les plus brefs délais ; QUE les droits afférents à la mesure de garde à vue ont été notifiés à l'intéressé en la présence et par le truchement de cet interprète à 21 heures 20, et il est mentionné au procès-verbal qu'un document énonçant ses droits lui a été remis ; QUE compte tenu du temps nécessaire au transport de l'intéressé depuis le lieu de son interpellation jusqu'au commissariat d'[Localité 1] et au déplacement de l'interprète, le délai entre l'interpellation et la notification des droits afférents à la mesure de garde à vue n'apparaît aucunement excessif, et il n'est pas démontré l'existence d'un quelconque grief ;

QUE les policiers qui ont procédé au contrôle du véhicule conduit par [Z] [F], indiquent dans le procès-verbal du 13 décembre 2019 à 19 heures : « constatons une forte odeur âcre caractéristique de l'odeur du cannabis émanant de l'habitacle du véhicule » et « en regardant l'habitacle du véhicule, constatons que la boîte à gants est ouverte laissant entrevoir des poches alimentaires en papier marron d'où nous apercevons à l'intérieur plusieurs sachets assez conséquents d'herbe de cannabis » ;

QU'il ressort des éléments sus-indiqués que les policiers ont effectué ce contrôle visuellement depuis l'extérieur du véhicule ; QU'il ne s'agit donc pas d'une visite de véhicule tel que prévue au II de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, si bien que la présence d'un officier de police judiciaire n'était pas nécessaire ;

QUE les exceptions de procédure seront rejetées ;

QUE, sur l'assignation à résidence, la personne détenue ne remplit pas les conditions d'une assignation à résidence, telles que fixées par l'article L. 552-4 du CESEDA, en ce sens qu'elle n'a pas préalablement remis à un service de police ou à une unité de gendarmerie un passeport en cours de validité, et ne présente pas des garanties de représentation à défaut de justifier d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale sur le territoire national, l'attestation du CCAS de [Localité 2] produite aux débats étant à cet égard inopérante ;

QUE la demande sera par conséquent rejetée ;

QUE, sur la prolongation du placement en rétention, M. [Z] [F] faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français pour l'exécution de laquelle aucun délai n'a été accordé, ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à cette obligation ;

QUE la situation de l'intéressé justifie la prolongation de la mesure de rétention pour une durée de vingt-huit jours ;

1°) ALORS QUE tout retard dans la mise en oeuvre de l'obligation de notification immédiate des droits de la personne gardée à vue, non justifié par des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief à l'intéressé ; qu'en l'occurrence, en se fondant sur le défaut de grief démontré pour écarter le moyen tiré de la notification tardive des droits en garde à vue, après avoir constaté l'irrégularité de cette dernière en l'absence de circonstances insurmontables, le magistrat délégué par le premier président a violé les dispositions des articles 63-1 du code de procédure pénale et L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

2°) ALORS QUE constitue une visite exigeant la présence d'un officier de police judiciaire, au sens des dispositions de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, l'inspection, même visuelle, d'un véhicule dès lors qu'elle porte sur son contenu intérieur ; qu'en déduisant l'absence de visite du véhicule de la circonstance selon laquelle l'infraction aurait été constatée « en regardant l'intérieur du véhicule », le magistrat délégué par le premier président n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constations, en violation des dispositions de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale.

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