22 septembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-22.166

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:SO01007

Texte de la décision

SOC.

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 22 septembre 2021




Cassation partielle


Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1007 F-D

Pourvoi n° M 19-22.166




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 SEPTEMBRE 2021

La société Clinique [Établissement 1], société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 19-22.166 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2019 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme [I] [L], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Le Corre, conseiller référendaire, les observations de Me Le Prado, avocat de la société Clinique [Établissement 1], de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [L], après débats en l'audience publique du 22 juin 2021 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Corre, conseiller référendaire rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 28 juin 2019), Mme [L] a été engagée le 1er juillet 1979 par la société Clinique médico-chirurgicale de [Localité 2] en qualité de secrétaire. Son contrat de travail a été transféré le 1er janvier 2009 à la société Clinique [Établissement 1]. Elle exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable du service facturation.

2. La salariée été licenciée pour faute grave le 5 mars 2016.

3. Elle a saisi la juridiction prud'homale de différentes demandes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de réformer le jugement en ce qu'il a dit fondé le licenciement pour faute grave et de le condamner à verser à la salariée des sommes à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :

« 1° / que le refus réitéré d'un salarié de se conformer aux règles de fonctionnement de l'entreprise et de se soumettre aux directives de sa hiérarchie permet de retenir, non une insuffisance professionnelle, mais un licenciement pour motif disciplinaire ; que la cour d'appel qui a relevé qu'aux termes de la lettre de licenciement, l'employeur a reproché à la salariée d'avoir commis une faute grave, a cependant considéré que les griefs articulés dans la lettre de licenciement relevaient d'une insuffisance professionnelle non fautive, ce qui rendait le licenciement prononcé abusif ; que pourtant, les erreurs répétées de facturation commises par la salariée, responsable du service de facturation, malgré les nombreuses réunions pour mettre en place des procédures strictes à l'origine d'un préjudice de plus de 400 000 euros pour l'employeur expressément visées dans la lettre de licenciement et constatées par la cour d'appel, ne relevaient pas d'une insuffisance professionnelle mais d'un comportement fautif qui a occasionné un important préjudice à l'entreprise et qui justifiait un licenciement pour motif disciplinaire ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail et l'article L. 1234-9 du code du travail dans sa rédaction en vigueur ;

2°/ qu'un licenciement pour motif disciplinaire est justifié lorsque l'insuffisance professionnelle résulte d'une abstention volontaire ou d'une mauvaise volonté délibérée ; que la cour d'appel a constaté les erreurs répétées de facturation commises par la salariée, responsable du service de facturation, malgré les nombreuses réunions pour mettre en place des procédures strictes à l'origine d'un préjudice de plus de 400 000 euros pour l'employeur expressément visées dans la lettre de licenciement ; qu'il en résultait que ces erreurs répétées ont traduit une mauvaise volonté délibérée de la salariée ; qu'en jugeant le licenciement abusif, la cour d'appel a, à nouveau, violé les articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail et l'article L. 1234-9 du code du travail dans sa rédaction en vigueur. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ce dernier texte dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

5. L'insuffisance professionnelle, lorsqu'elle procède d'une abstention volontaire ou d'une mauvaise volonté délibérée, est constitutive d'une faute disciplinaire.

6. Pour dire le licenciement prononcé pour faute grave dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que l'employeur fait état dans la lettre de licenciement d'une inaptitude de la salariée à remplir ses fonctions et donc d'une insuffisance professionnelle et non d'actes volontaires constitutifs d'une faute. L'arrêt ajoute que l'employeur n'invoque pas dans cette lettre l'existence d'une insubordination manifeste de la part de la salariée supposant une volonté délibérée de refuser de se soumettre aux instructions de l'employeur. L'arrêt en déduit que l'employeur s'étant placé sur un terrain disciplinaire, en l'absence de toute abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée de la salariée, les motifs mentionnés dans la lettre de licenciement ne présentent pas de caractère fautif, de sorte que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

7. En se déterminant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la lettre de licenciement énonçait notamment que la salariée, responsable du service facturation, qui avait participé à des réunions avec la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) au cours desquelles il lui avait été rappelé plusieurs fois les règles de facturation applicables, avait renvoyé des dossiers rejetés jusqu'à dix fois voire plus à la CPAM sans y apporter de corrections, la cour d'appel, qui n'a pas recherché comme elle y était invitée si le comportement de la salariée ne procédait pas d'une mauvaise volonté délibérée, n'a pas donné de base légale à sa décision. Portée et conséquences de la cassation

8. La cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur à verser à la salariée diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Clinique [Établissement 1] à payer à Mme [L] les sommes de 20 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 9 896,76 euros à titre d'indemnité de préavis outre les congés payés afférents, et de 49 483,80 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, l'arrêt rendu le 28 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;

Condamne Mme [L] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé et signé par M. Barincou, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du président et du conseiller référendaire rapporteur empêchés, en l'audience publique du vingt-deux septembre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour la société Clinique [Établissement 1]

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué ;

D'AVOIR réformé le jugement du conseil de prud'hommes de Béthune du 16 juin 2007 en ce qu'il a dit fondé le licenciement pour faute grave et condamné la société Clinique [Établissement 1] à verser à Mme [L] les sommes de 9.896,76 euros à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés afférents, 49.483 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement et la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

AUX MOTIFS QUE « si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués. Il incombe donc au juge saisi d'un litige relatif à l'appréciation de la cause réelle et sérieuse d'un licenciement de rechercher, audelà des énonciations de la lettre, la véritable cause du licenciement. L'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité du salarié à accomplir les tâches qui lui sont confiées en raison d'un manque de compétences. Elle résulte, en principe, d'un comportement involontaire de l'intéressé et ne revêt pas un caractère fautif. Ainsi l'employeur ne peut pas, sauf abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée de l'intéressé, se placer sur le terrain de la faute. Le licenciement disciplinaire fondé sur la seule insuffisance professionnelle du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse En l'espèce, la lettre de licenciement est ainsi libellée : « Nous faisons suite à notre entretien en date du 4 mars 2016 et vous informons, par la présente, de notre décision de mettre un terme définitif à nos relations contractuelles, votre licenciement intervenant pour faute grave. En effet nous avons relevé que malgré plusieurs réunions avec la CPAM, où vous étiez présente à chaque fois et au cours desquelles ces derniers ont rappelé plusieurs fois les règles de facturation applicables, force et de constater que les mesures que vous avez mises en place ont été inopérantes. Cette situation qui perdure depuis trop longtemps a eu des conséquences non négligeables pour l'établissement : - Conséquences financières- Mauvaise image de nos établissements auprès des caisses et mutuelles... - Mécontentement de nos praticiens (sommes impayées) En effet : des séjours et honoraires antérieurs au 28/02/2015 n'ont pas été ou ont été mal facturés, dans les délais réglementaires. Le délai de facturation aux caisses et mutuelles étant dépassé, il n 'est plus possible d'en demander le remboursement. Ces dossiers sont donc forclos au 29/02/2016 ce qui a entraîné une perte de plus de 400. 000 euros pour la Clinique et les honoraires des praticiens. - le taux de rejet des factures envoyées à la CPAM est anormalement important : Rejets de plus de 20 % des factures de la Clinique de [Établissement 2], rejet de plus de 8% des factures de la Clinique Médico Chirurgical de [Localité 1] et rejet de plus de 7 % des factures de la Clinique [Établissement 1]. Vous avez renvoyé des dossiers rejetés jusqu'à 10 fois voire plus à la CPAM sans y apporter de corrections. Vous avez envoyé des factures intermédiaires sur un additif avec des dates différentes de séjour alors que la règle de facturation est que les factures intermédiaires doivent être faites au point 53 des admissions « création facture intermédiaires sur hospitalisé ». Vous avez mal paramétré les caisses et les services dans le logiciel de facturation ce qui a entraîné de nombreux rejets et non-paiements. Vous avez, par exemple, facturé des consultations de médecins salariés avec un service URC (inconnu à la CPAM) au lieu d'un service ACE (qui doit être utilisé uniquement pour les médecins salariés), ce qui a entraîné le rejet de toutes les factures envoyées. Autre exemple : La CAMIEG (caisses et mutuelles des agents EDF) a rejeté de nombreux dossiers concernant la facturation des chambres particulières car depuis 2011, la CAMIEG ne prend plus en charge la facturation des chambres particulières, ces dernières devant être facturées auprès de la MUTIEG. Or vous n'avez pas mis le paramétrage à jour et avez continué depuis 2011 à envoyer les dossiers de facturation de chambres particulières auprès de la CAMIEG qui les a rejetés. Encore un exemple : suite à un mauvais paramétrage que vous avez fait, la CAMIEG a réglé le ticket modérateur aux assurés au lieu de le régler à la Clinique. Vous avez facturé des honoraires de médecins libéraux sur les factures S3404 alors que les honoraires de médecins ne généraient aucun forfait pour la Clinique et que ces honoraires auraient dû être facturés par les praticiens sur des feuilles de soins. Suite à l'obtention d'un avenant tarifaire sur le SSR gériatrique sur la Clinique [Établissement 2], à effet rétroactif, vous avez envoyé des factures rectificatives pour tous les patients ayant séjourné en SSR gériatrique pendant la période « à rectifier » sans regarder au préalable dans le dossier si le patient remplissait les conditions / les critères pour être facturé en SSR Gériatrique, (par exemple âge supérieur ou égale à 75 ans). Des lots de factures télétransmis aux caisses, édités mais non transmis papier à la caisse le jour même mais plus de 10 jours après. Toutes ces erreurs de paramétrages et ou erreurs de facturations entraînent un manque à gagner considérable pour l'entreprise sans compter la perte sèche des dossiers forclos. Ces dysfonctionnements répétés dans l'exercice de vos fonctions de Responsable du service Facturation mettent en cause la bonne marche du service et de l'établissement. Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 4 mars 2016 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet. En conséquence, nous avons décidé de vous licencier pour faute grave au vu du nombre et de la répétition des erreurs de facturation et de la perte financière engendrée par celles-ci (plus de 400 000 €). » Force est de constater que la SA clinique [Établissement 1] fait état d'une inaptitude de Madame [I] [L] à remplir ses fonctions et donc d'une insuffisance professionnelle et non d'actes volontaires constitutifs d'une faute. En effet, il n'invoque pas dans cette lettre l'existence d'une insubordination manifeste de la part du salarié supposant une volonté délibérée de refuser de se soumettre aux instructions de l'employeur. La SA clinique [Établissement 1] s'étant placée sur un terrain disciplinaire, en l'absence de toute abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée de la salariée, les motifs mentionnés dans la lettre de licenciement ne présentent pas de caractère fautif, de sorte que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse. En conséquence, Madame [I] [L] est en droit d'obtenir l'indemnité de préavis, les congés payés et l'indemnité conventionnelle de licenciement qu'elle sollicite qui correspondent aux dispositions de la convention collective applicable. Compte tenu des circonstances du licenciement, de son ancienneté, de son âge, de son salaire de référence et de sa situation postérieure, le préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi sera exactement répéré par l'attribution de dommages et intérêts à hauteur de 20.000 euros. La SA clinique [Établissement 1] sera condamnée au paiement de ces sommes et le jugement déféré sera infirmé en ce sens ».

1. ALORS QUE le refus réitéré d'un salarié de se conformer aux règles de fonctionnement de l'entreprise et de se soumettre aux directives de sa hiérarchie permet de retenir, non une insuffisance professionnelle, mais un licenciement pour motif disciplinaire ; que la cour d'appel qui a relevé qu'aux termes de la lettre de licenciement, l'employeur a reproché à la salariée d'avoir commis une faute grave, a cependant considéré que les griefs articulés dans la lettre de licenciement relevaient d'une insuffisance professionnelle non fautive, ce qui rendait le licenciement prononcé abusif ; que pourtant, les erreurs répétées de facturation commises par la salariée, responsable du service de facturation, malgré les nombreuses réunions pour mettre en place des procédures strictes à l'origine d'un préjudice de plus de 400.000 euros pour l'employeur expressément visées dans la lettre de licenciement et constatées par la cour d'appel, ne relevaient pas d'une insuffisance professionnelle mais d'un comportement fautif qui a occasionné un important préjudice à l'entreprise et qui justifiait un licenciement pour motif disciplinaire ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail et l'article L. 1234-9 du code du travail dans sa rédaction en vigueur.

2. ALORS, en toute hypothèse, QU'un licenciement pour motif disciplinaire est justifié lorsque l'insuffisance professionnelle résulte d'une abstention volontaire ou d'une mauvaise volonté délibérée ; que la cour d'appel a constaté les erreurs répétées de facturation commises par la salariée, responsable du service de facturation, malgré les nombreuses réunions pour mettre en place des procédures strictes à l'origine d'un préjudice de plus de 400.000 euros pour l'employeur expressément visées dans la lettre de licenciement ; qu'il en résultait que ces erreurs répétées ont traduit une mauvaise volonté délibérée de la salariée; qu'en jugeant le licenciement abusif, la cour d'appel a, à nouveau, violé les articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail et l'article L. 1234-9 du code du travail dans sa rédaction en vigueur.

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