22 septembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-80.895

Chambre criminelle - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2021:CR00957

Texte de la décision

N° T 20-80.895 FS-D

N° 00957


GM
22 SEPTEMBRE 2021


REJET


M. SOULARD président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 SEPTEMBRE 2021



Mme [D] [X] et M. [J] [R] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 4ème chambre, en date du 14 janvier 2020, qui pour vol aggravé, les a condamnés à 250 euros d'amende chacun.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire, commun au demandeurs et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de Mme [D] [X], M. [J] [R], et les conclusions de Mme Philippe, avocat général référendaire, l'avocat des demandeurs ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 23 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Mallard, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mme Slove, M. Guéry, Mme Sudre, Mme Issenjou, M. Turbeaux, conseillers de la chambre, Mme Carbonaro, Mme Barbé, conseillers référendaires, Mme Philippe, avocat général référendaire, et M. Maréville, greffier de chambre,




la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 21 février 2019, des militants écologistes ont pénétré dans les locaux de la mairie du 2e arrondissement de [Localité 1] et y ont dérobé le portrait officiel du président de la République afin, selon leurs dires, de « faire bouger le gouvernement qui ne faisait rien » en faveur du climat.

3. Mme [D] [X] et M. [J] [R] ont été identifiés et poursuivis du chef de vol aggravé devant le tribunal correctionnel de Lyon, qui les a relaxés par jugement du 16 septembre 2019.

4. Le ministère public a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné les prévenus du chef de vol aggravé, alors :

« 1°/ que le caractère nécessaire, pour la sauvegarde des personnes et des biens, d'un acte consistant à soustraire publiquement un portrait du président de la République accroché dans la salle des mariages d'une mairie afin d'interpeller les pouvoirs publics et l'opinion sur la nécessité, avérée au regard notamment des rapports du Haut conseil sur le climat, de rattraper le retard pris dans la mise en oeuvres des mesures permettant d'atteindre les objectifs fixés par les engagements internationaux de la France en matière de lutte contre le dérèglement climatique, ne peut s'apprécier sans tenir compte du caractère strictement proportionné des moyens mis en oeuvre et de leurs effets ; qu'en exigeant que cet acte soit le dernier recours et la seule chose à entreprendre pour éviter la réalisation du péril que constitue l'effet du dérèglement climatique pour l'environnement et en refusant ainsi de tenir compte de ce que les moyens employés, exempts de toute violence, ainsi que leurs effets, demeuraient proportionnés et adaptés au regard de la nécessité précitée, la cour d'appel a violé l'article 122-7 du code pénal ;

2°/ qu'en écartant le caractère nécessaire de l'action consistant à soustraire, sans violence, un portrait du président de la République accroché dans la salle des mariages d'une mairie afin d'interpeller les pouvoirs publics et l'opinion sur la nécessité, avérée au regard notamment des rapports du Haut conseil sur le climat, de rattraper le retard pris dans la mise en oeuvres des mesures permettant d'atteindre les objectifs fixés par les engagements internationaux de la France en matière de lutte contre le dérèglement climatique, par la constatation que les prévenus disposaient de moyens, politiques ou juridictionnels, pour dénoncer la carence des autorités publiques de sorte que leur action n'était pas réalisée en dernier recours, sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée, si le retard précité accumulé en dépit d'actions politiques et de recours juridictionnels déjà engagés ne traduisait pas l'insuffisance de ces derniers et leur incapacité à répondre à la situation d'urgence climatique, et par là-même la nécessité de les compléter par des actions symboliques telles que celle ayant donné lieu à l'infraction poursuivie, la cour d'appel a violé l'article 122-7 du code pénal ;

« 3°/ qu'ayant constaté, pour se prononcer sur la culpabilité, que l'action avait consisté à soustraire publiquement un portrait du président de la République accroché dans la salle des mariages d'une mairie afin d'interpeller les pouvoirs publics et l'opinion sur la nécessité, avérée au regard notamment des rapports du Haut conseil sur le climat, de rattraper le retard pris dans la mise en oeuvres des mesures permettant d'atteindre les objectifs fixés par les engagements internationaux de la France en matière de lutte contre le dérèglement climatique, que cette action s'inscrivait dans un mouvement politique et militant ayant pour objet de contester la politique du chef de l'Etat, d'informer et de sensibiliser le public et le gouvernement sur l'urgence à agir en matière de changement climatique et de dénoncer ce que les prévenus qualifiaient d'inaction, ceci avant de souligner que les éléments avancés par les prévenus au titre de l'état de nécessité ne constituaient en réalité qu'un mobile, et ayant retenu, s'agissant de la motivation de la peine d'amende, que les prévenus avaient manifestement commis l'infraction dans un contexte non crapuleux mais dans celui d'une action politique et militante, à caractère purement symbolique exécutée dans un but d'un intérêt général, qu'ils avaient effectivement agi à visage découvert avaient même donné une publicité à leur acte dans les média et sur les réseaux sociaux, sans tirer d'elle-même les conséquences de ces constatations, à savoir que les comportements reprochés s'inscrivaient dans une démarche de protestation politique portant sur une question d'intérêt général et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte des comportements en cause, constituait une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »



Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

6. Pour déclarer les prévenus coupables de vol aggravé, l'arrêt attaqué énonce que l'impact négatif sur l'environnement mondial du réchauffement climatique planétaire, dont la communauté scientifique s'accorde à reconnaître l'origine anthropique, peut être considéré comme un danger actuel ou en tout cas un péril imminent pour la communauté humaine et pour les biens de cette dernière, au sens de l'article 122-7 du code pénal.

7. Les juges ajoutent toutefois que les prévenus ne parviennent aucunement à démontrer en quoi le vol du portrait du président de la République commis par eux constituerait un acte nécessaire à la sauvegarde des personnes et des biens au sens de ce même article 122-7.

8. Ils précisent que le rapport de nécessité entre la protection de la planète du réchauffement climatique et le vol du portrait du chef de l'Etat est uniquement postulé par les prévenus, qui proclamaient d'ailleurs qu'il s'agissait d'une action symbolique.

9. Ils ajoutent que les prévenus ne démontrent pas, non seulement que ce vol constituerait un moyen adéquat, mais encore qu'il constituerait le dernier recours, et serait strictement la seule chose à entreprendre pour éviter la réalisation du péril invoqué et se bornent à alléguer qu'ils n'avaient pas eu « d'autre choix ».

10. Ils énoncent que les prévenus invoquent de manière en réalité purement subjective une absence ou une insuffisance de volonté politique, qu'ils sous-entendent l'inefficacité des procédures judiciaires engagées contre l'Etat français et des démarches entreprises auprès des pouvoirs publics locaux et nationaux, alors qu'ils avaient pourtant accès, comme l'ensemble de leurs concitoyens, à tout l'arsenal légal de l'action politique et militante, à toutes les procédures juridictionnelles et contradictoires en carence qui existent dans tout Etat démocratique, notamment pour interpeller ou contester la politique du chef de l'Etat, et rien ne les contraignait à commettre cette voie de fait, constitutive du délit litigieux, pour parvenir au but affiché.

11. Ils en concluent qu'il y a lieu d'écarter la cause d'irresponsabilité tirée de l'état de nécessité.

12. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a souverainement estimé, par des motifs exempts de contradiction et d'insuffisance, répondant à l'ensemble des chefs péremptoires des conclusions des prévenus, qu'il n'était pas démontré que la commission d'une infraction était le seul moyen d'éviter un péril actuel ou imminent, a justifié sa décision.

13. Ainsi, les griefs doivent être écartés.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

14. Le grief, nouveau et mélangé de fait est, comme tel, irrecevable, en ce qu'il invoque pour la première fois devant la Cour de cassation le caractère disproportionné de l'atteinte spécifique portée au droit des intéressés à leur liberté d'expression par les poursuites engagées pour vol aggravé, en violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

15. En conséquence, le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux septembre deux mille vingt et un.

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