16 septembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-10.013

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C200835

Titres et sommaires

ASSURANCE (RèGLES GéNéRALES) - Prescription - Prescription décennale - Assurance-vie - Bénéficiaire distinct du souscripteur - Cas - Action en revendication de la qualité de bénéficiaire par une personne distincte du souscripteur

Selon l'article L. 114-1, alinéa 4, du code des assurances, l'action relative à un contrat d'assurance sur la vie se prescrit par dix ans lorsque le bénéficiaire est une personne distincte du souscripteur. Encourt dès lors la censure l'arrêt qui déclare irrecevable, par application du délai de prescription de droit commun, l'action de la veuve du souscripteur d'un contrat d'assurance-vie dont les bénéficiaires désignés sont les enfants du couple, alors que par son action, l'intéressée revendique la qualité de bénéficiaire d'un contrat dont le bénéficiaire n'est pas le souscripteur et sollicite la condamnation de la banque et de l'assureur au paiement de sommes en exécution de ce contrat

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 septembre 2021




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 835 F-B

Pourvoi n° X 20-10.013

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [T] veuve [M].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 3 décembre 2019.


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 SEPTEMBRE 2021

Mme [Z] [T], veuve [M], domiciliée [Adresse 5], a formé le pourvoi n° X 20-10.013 contre l'arrêt rendu le 31 octobre 2018 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (3e chambre B), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [R] [M], épouse [Y], domiciliée [Adresse 1],

2°/ à M. [Q] [M], domicilié [Adresse 3],

3°/ à la société CNP assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

4°/ à la société Caisse d'épargne et de prévoyance Provence-Alpes-Corse, dont le siège est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guého, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [T] veuve [M], de la SCP Ghestin, avocat de la société CNP assurances, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Caisse d'épargne et de prévoyance Provence-Alpes-Corse, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 juin 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Guého, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 31 octobre 2018), le 6 avril 1993, par l'intermédiaire de la société Caisse d'épargne et de prévoyance de Provence-Alpes-Corse (la banque), [L] [M] a souscrit auprès de la société Ecureuil vie, aux droits de laquelle vient la société CNP assurances (l'assureur), un contrat d'assurance-vie dénommé « Ecureuil projet », dont la bénéficiaire était en premier lieu sa conjointe, Mme [T].

2. Le 28 juin 2012, [L] [M] est décédé, laissant comme héritiers sa veuve et les deux enfants issus du mariage, Mme [R] [M] épouse [Y] et M. [Q] [M].

3. Affirmant avoir appris après le décès l'existence d'un avenant prétendument établi le 26 mars 2008 et modifiant la clause bénéficiaire au profit de ses enfants, Mme [T], estimant qu'il s'agissait d'un faux, a, par acte du 8 août 2013, assigné ses enfants et la banque aux fins de dire qu'elle était seule bénéficiaire du contrat d'assurance-vie et d'obtenir, principalement, la condamnation de la banque à lui payer une somme à ce titre ainsi qu'une autre à titre de dommages et intérêts et, subsidiairement, la condamnation de ses enfants et de la banque à lui rembourser les sommes de la communauté ayant servi à payer les primes du contrat.

4. L'assureur est intervenu volontairement à l'instance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Mme [T] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action introduite contre la banque et de déclarer en conséquence irrecevables ses demandes formulées contre Mme [R] [M], M. [Q] [M], l'assureur et la banque, alors « que toute action dérivant d'un contrat d'assurance-vie se prescrit par dix ans lorsque le bénéficiaire du contrat est une personne distincte du souscripteur ; qu'en faisant application de la prescription quinquennale de droit commun à l'action en nullité de la bénéficiaire à l'encontre de l'avenant au contrat d'assurance-vie souscrit par son époux, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 2224 du code civil et par refus d'application, l'article L. 114-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. L'assureur et la banque contestent la recevabilité du moyen. Il font valoir que Mme [T] n'a pas soutenu devant la cour d'appel qu'elle bénéficiait de la prescription décennale de l'article L. 114-1 du code des assurances et que la critique est, dès lors, nouvelle et mélangée de fait et de droit. L'assureur soutient, en outre, que Mme [T] a construit toute son argumentation autour des dispositions de l'article 2224 du code civil relatives au délai de prescription de droit commun, d'une durée de cinq ans, de sorte que la critique est contraire à ses écritures d'appel.

7. Cependant, le moyen ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond. En outre, Mme [T] ayant conclu au rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription en contestant le point de départ du délai de prescription invoqué par la partie adverse, le moyen relatif au délai de prescription applicable n'est pas contraire à sa thèse développée en cause d'appel.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 114-1, alinéa 4, du code des assurances :

9. Selon ce texte, l'action relative à un contrat d'assurance sur la vie se prescrit par dix ans lorsque le bénéficiaire est une personne distincte du souscripteur.

10. Pour déclarer irrecevable l'action introduite par Mme [T] contre la banque et déclarer irrecevables ses demandes formées contre Mme [M] épouse [Y], M. [M] et l'assureur, l'arrêt retient que Mme [T] a connu l'existence de l'avenant et les conditions de son établissement le 26 mars 2008 et qu'en application de l'article 2224 du code civil, cette date constitue le point de départ du délai dont elle disposait pour agir aux fins de contester cet avenant et de revendiquer la qualité de bénéficiaire du contrat d'assurance-vie, à l'encontre de toutes les personnes qu'elle jugeait utile d'assigner. L'arrêt ajoute que le délai a d'abord couru jusqu'au 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi portant réforme de la prescription, puis à compter de cette dernière date, pour un nouveau délai de cinq ans ayant dès lors expiré le 19 juin 2013. L'arrêt en déduit que Mme [T] ayant assigné la banque et ses enfants le 8 août 2013, son action contre la banque est prescrite ainsi que celle engagée contre ses enfants et l'assureur.

11. En statuant ainsi, alors que par son action, Mme [T] revendiquait la qualité de bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie dont le bénéficiaire n'était pas le souscripteur et sollicitait la condamnation de la banque et de l'assureur au paiement de sommes en exécution de ce contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déclarant irrecevables les demandes de Mme [T] formées contre la banque, Mme [M] épouse [Y], M. [M] et l'assureur entraîne la cassation des chefs de dispositif disant qu'il appartient à l'assureur de verser aux bénéficiaires nouvellement désignés, à savoir Mme [M] épouse [Y] et M. [M], les fonds afférents au contrat d'assurance-vie dénommé « Ecureuil projet » souscrit le 4 avril 1993 par [L] [M] auprès de l'assureur, objet de l'avenant du 26 mars 2008 et en tant que de besoin, condamnant l'assureur au paiement desdites sommes, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'action introduite par Mme [T] contre la société Caisse d'épargne et de prévoyance de Provence-Alpes-Corse et déclare irrecevables ses demandes formées contre Mme [M] épouse [Y], M. [M] et la société CNP assurances, dit qu'il appartient à la société CNP assurances de verser aux bénéficiaires nouvellement désignés, à savoir Mme [M] épouse [Y] et M. [M], les fonds afférents au contrat d'assurance-vie dénommé « Ecureuil projet » souscrit le 6 avril 1993 par [L] [M], auprès de la société Ecureuil vie, aux droits de laquelle se trouve actuellement la société CNP assurances, objet de l'avenant du 26 mars 2008 et en tant que de besoin, la condamne au paiement desdites sommes, l'arrêt rendu le 31 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société Caisse d'épargne et de prévoyance Provence-Alpes-Corse, la société CNP assurances, Mme [M] épouse [Y] et M. [M] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société CNP assurances et la condamne à payer à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize septembre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour Mme [T] veuve [M]

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable l'action introduite par Mme [T] à l'encontre de la CEPAC et d'AVOIR en conséquence déclarées irrecevables les demandes de Mme [T] formulées à l'encontre de [R] [M], [Q] [M], la SA CNP Assurances et la CAPEC ;

AUX MOTIFS QUE : « Sur la fin de non-recevoir tiré de la prescription pour agir soulevée pas les intimés : en vertu de l'article 2224 du code civil, dans sa version issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription : « les actions personnelles mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » ; qu'en l'espèce, il résulte des deux attestation circonstanciée établit les 29 janvier 2014 et 2 juin 2016 par [X] [S] gestionnaire de clientèle patrimoniale à la Caisse d'épargne au moment où le contrat d'assurance vie et son avenant furent signés, que de [Z] [T] était toujours présente aux côtés de son mari, lorsque cette personne recevait le couple pour faire des versements sur leurs contrats respectifs d'assurance vie, qu'elle était notamment le 26 mars 2008, lorsque son mari à signer l'avenant portant modification de la clause bénéficiaire au profit de ses enfants sur son contrat écureuil projet, qu'elle a donc eu connaissance de cet avenant ; qu'alors que ces attestations ont été établies conformément aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, qu'y figurent l'ensemble des mentions exigées par ce texte, notamment le fait qu'elles sont établies en vue d'être produites en justice, qu'elles sont écrites, datées et signées de la main de leur auteur, qu'y est annexé la photocopie de la pièce d'identité de leur auteur, ces documents doivent être pris en considération, étant précisé en outre, qu'il n'est nullement démontré qu'il s'agirait de faux, l'appelante se gardant bien de fournir la moindre pièce ou explication concernant les suites de la plainte pénale invoquées par elle et ce malgré arrêt avant dire droit; que c'est donc à compter du 26 mars 2008 que l'appelante a connu l'existence de cet avenant les conditions de son établissement qu'en conséquence, en application du texte précité du code civil, cette date constitue le point de départ du délai donc elle disposait pour agir en justice au fin de contester cet avenant et de revendiquer la qualité de bénéficiaire du contrat d'assurance-vie, à l'encontre de toutes les personnes qu'elle jugeait utile d'assigner ; qu'avant le 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi portant réforme de la prescription, le délai pour agir en justice était alors de 30 années ; qu'en application de cette loi, ce délai a été réduit à cinq années; que cette réduction de la durée du délai de prescription ne s'applique qu'à compter de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; qu'en conséquence, la prescription a d'abord couru du 26 mars 2008 au 19 juin 2008, puis, à compter de cette dernière date, le nouveau délai de cinq années a couru pour expirer le 19 juin 2013 ; qu'il appartenait donc à [Z] [T] veuve [M] d'agir en justice avant l'expiration de ce délai ; qu'elle ne l'a pas fait, puisqu'elle n'a fait assigner la CEPAC et ses enfants que le 8 août 2013, une nouvelle fois expiré ce délai, sans délivrer la moindre assignation à l'assureur CNP assurances, intervenue volontairement le 4 février 2014 ; que c'est donc avec raison que le premier juge a déclaré prescrite l'action engagée par l'appelante à l'encontre de la CEPAC ; qu'alors qu'en appel, les enfants de l'appelante soulèvent la prescription de l'action et qu'à titre principal, la SA CNP assurances soulève également cette prescription (page 6 de ses écritures),il convient de déclarer prescrite l'action de [Z] [T] veuve [M] engagée tardivement contre eux, sans qu'il y ait lieu, comme le fit à tort le premier juge, de mettre hors de cause l'assureur qui entendait intervenir volontairement ; qu'en conséquence, les demandes de [Z] [T] veuve [M] formulées contre l'ensemble des intimés sont irrecevables » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE : « Sur la prescription de l'action introduite par [Z] [T] veuve [M] à l'encontre de la caisse d'épargne de prévoyance Provence Alpes Corse : en application de l'article 2224 du code civil les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que la caisse d'épargne de prévoyance Provence Alpes Corse produit une attestation régulière en la forme établie par [X] [S], gestionnaire de clientèle, dont il résulte que [Z] [T] veuve [M] était présente lors de la signature de l'avenant en date du 26 mars 2008 et qu'elle avait donné son accord au changement de bénéficiaires. Si [Z] [T] veuve [M] estimait que cette attestation était mensongère, il lui appartenait de la contester dans les formes légales ; que l'assignation ayant été délivrée à la caisse d'épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse du 8 août 2013, l'action introduite à son encontre est irrecevable en ce qu'elle est prescrite » ;

1°) ALORS QUE toute action dérivant d'un contrat d'assurance-vie se prescrit par dix ans lorsque le bénéficiaire du contrat est une personne distincte du souscripteur ; qu'en faisant application de la prescription quinquennale de droit commun à l'action en nullité de la bénéficiaire à l'encontre de l'avenant au contrat d'assurance-vie souscrit par son époux, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 2224 du code civil, et, par refus d'application, l'article L. 114-1 du code des assurances ;

2°) ALORS QUE la prescription ne court pas ou est suspendue entre époux ; qu'en faisant courir la prescription antérieurement au décès de M. [M], concernant l'action en nullité de Mme [T], veuve [M], à l'encontre de l'avenant au contrat d'assurance-vie souscrit par le premier au bénéfice de la seconde, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 2236 du code civil.

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