18 février 2014
Cour de cassation
Pourvoi n° 12-87.629

Chambre criminelle

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2014:CR00011

Titres et sommaires

ACTION CIVILE - préjudice - préjudice certain - perte d'une chance - perte des gains professionnels futurs - conditions - détermination - portée - réparation - réparation intégrale

Le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties. Encourt la cassation l'arrêt qui, statuant sur la perte des gains professionnels futurs et la perte de retraite afférente de la victime d'un accident de la circulation, retient que celle-ci, travaillant antérieurement à temps partiel, ne peut prétendre à une indemnisation calculée sur un salaire à temps plein alors qu'il lui appartenait de rechercher si la victime, qui soutenait avoir du refuser un emploi à temps plein en raison de son état de santé tel que résultant directement de l'accident, n'avait pas été privée de la chance d'occuper un emploi à temps plein par la survenance de celui-ci

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant : Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Grégory X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BESANÇON, chambre correctionnelle, en date du 9 novembre 2012, qui, dans la procédure suivie contre M. Pierre Y... du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 7 janvier 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel, président, M. Pers, conseiller rapporteur, M. Fossier, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Téplier ;
Sur le rapport de M. le conseiller PERS, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, et de Me LE PRADO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MATHON ;
Vu les mémoires en demande et en défense produits ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a rejeté la demande de M. X... tendant à l'indemnisation de son préjudice esthétique temporaire estimé à 3 000 euros ;
" aux motifs propres que si la victime peut subir, pendant l'hospitalisation, l'altération de son apparence physique, même temporaire, c'est à juste titre que le premier juge a relevé que tel n'était pas le cas de M. X... dont le préjudice esthétique avant consolidation (des cicatrices et une amyotrophie de la fesse et de la cuisse gauches) ne se distingue pas de celui après consolidation ;
" et aux motifs adoptés que le préjudice avant consolidation ne se distingue pas en l'espèce du préjudice après consolidation ; qu'il n'y a donc pas lieu à indemnisation spécifique ;
" alors que la nomenclature Dintilhac distingue expressément le préjudice esthétique permanent constitué de l'ensemble des disgrâces physiques, cicatrices ou déformations majeures imputables à l'accident dont reste porteur la victime après consolidation, du préjudice esthétique temporaire, caractérisé par des atteintes physiques subies par la victime, voire une altération de son apparence physique, certes temporaire, mais aux conséquences personnelles très préjudiciables, liée à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers ; qu'il n'est pas contesté que l'existence de ce préjudice esthétique temporaire avait été expressément constatée par l'expert au regard du très long parcours médical traversé par la victime pendant une très longue période au cours de laquelle il a eu les plus grandes difficultés à se mouvoir, jusqu'à la consolidation acquise le 30 juin 2009, soit plus de dix-neuf mois après l'accident ; qu'en assimilant les préjudices esthétiques subis avant et après consolidation pour refuser toute indemnisation du chef de préjudice esthétique temporaire, quand il était établi que la victime avait bien subi, au cours de son très long parcours médical, une altération temporaire de son état physique au regard des tiers jusqu'à la consolidation, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen " ;
Attendu qu'en évaluant, comme elle l'a fait, la réparation du préjudice esthétique résultant pour la partie civile de l'infraction, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage né de l'infraction ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a rejeté la demande de M. X... tendant à l'indemnisation des frais de transport restés à sa charge à hauteur de 1 000 euros ;
" aux motifs propres que, pas plus que devant le premier juge, M. X... ne produit à hauteur de cour un décompte précis des trajets restés à sa charge si bien qu'il a été fait une juste indemnisation de ce poste ;
" et aux motifs adoptés que les frais divers à hauteur de 230 35 euros ne sont pas contestés par le défendeur qui s'oppose uniquement à la prise en charge de frais de transport ; que le rapport d'expertise fait effectivement ressortir le nombre des rendez-vous médicaux auxquels M. X... a dû se rendre ; que, toutefois, ainsi que le note le défendeur, la caisse primaire d'assurance maladie a exposé la somme de 3 032, 77 euros au titre des frais de transport sur la période du 27 novembre 2007 et 16 février 2009 ; qu'en l'absence de toute liste des trajets réalisés par la victime, il est donc impossible de savoir le nombre d'entre eux qui sont restés à sa charge ; que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'indemniser ce poste au-delà de la somme de 230 35 euros ;
" alors qu'il appartient aux juridictions du fond de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe ; qu'il résulte du rapport d'expertise médicale et des propres constatations des juges du fond que M. X... a été contraint d'effectuer de nombreux déplacements pour se rendre à ses rendez-vous médicaux, jusqu'à la consolidation acquise en juin 2009, l'ayant contraint à exposer d'importants frais de transport, au-delà de la première prise en charge déjà exposée par la caisse primaire d'assurance maladie à ce titre ; qu'en refusant néanmoins toute indemnisation à la victime de ce chef de préjudice, après en avoir pourtant elle-même relevé l'existence, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et privé de ce fait sa décision de toute base légale ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour rejeter la demande de la partie civile tendant à l'indemnisation des frais de transport restés à sa charge, l'arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, retient que celle-ci ne produit pas de décompte précis des trajets restés à sa charge et que la caisse primaire d'assurance maladie a exposé à ce titre la somme de 3 032, 77 euros pour la période du 27 novembre 2007 au 16 février 2009 ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. X... qui faisait valoir qu'au-delà de la première prise en charge par ladite caisse, il avait dû effectuer de nombreux déplacements jusqu'à sa consolidation intervenue en juin 2009, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Et sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a limité la condamnation de M. Y... au titre de la perte de gains professionnels futurs, au paiement de la somme de 13 956, 38 euros, et au titre de la perte de retraites à la somme de 7 700, 40 euros ;
" aux motifs propres que, sur la perte de gains professionnels futurs, en effet, dans la mesure où ce poste est évalué à partir des revenus antérieurs, M. X... ne peut prétendre à une indemnisation calculée sur le salaire à temps plein qu'il aurait perçu sans l'accident dès lors que, antérieurement à celui-ci, il travaillait à temps partiel ; qu'il convient donc de confirmer ce poste de préjudice ; que, sur la perte de retraites, dans la mesure où la perte de salaires a été calculée à juste titre selon les dispositions ci-dessus, et où, d'autre part, il a été fait une exacte application du taux de capitalisation, il y a lieu de retenir le calcul effectué par le premier juge ;
" et aux motifs adoptés que, sur la perte de gains professionnels futurs, M. X... calcule le préjudice qu'il estime subir par différence entre le salaire perçu pour un emploi à temps partiel qu'il occupe depuis la consolidation, avec le salaire qu'il pourrait obtenir sur le même poste à temps plein au motif que le médecin du travail a reconnu l'incompatibilité de son état de santé avec un travail de cuisinier à temps plein ; que l'expert a effectivement reconnu que toute activité professionnelle réclamant un usage intensif du membre inférieur gauche était à présent contre-indiquée ; que, toutefois, le préjudice futur ne peut être calculé qu'en faisant référence à la situation de la victime avant l'accident ; qu'or, sur l'ensemble des années pour lesquelles sont fournis les revenus, M. X... n'avait pas travaillé à temps plein (revenus de 4 096 euros en 2005, de 4 504 euros en 2006 et de 9 931 euros en 2007) ; que la perte de revenus sera donc calculée par rapport à l'année antérieure à l'accident soit un salaire moyen de 819, 25 euros en 2007 par comparaison avec la période postérieure à l'accident soit 766, 25 euros en 2010, d'où une perte mensuelle de 53 euros par mois, soit 636 euros par an ; qu'après capitalisation (coefficient multiplicateur non contesté de 21 944 euros), l'indemnisation s'élève à 13 956, 38 euros ; que, sur la perte de retraites, eu égard à la perte de revenus mensuels retenue soit 53 euros par mois, la perte de retraite mensuelle ne peut être supérieure à 50 euros par mois ; qu'il y a donc lieu de retenir le calcul du défendeur soit, 7 700, 40 euros ;
" 1) alors que le préjudice résultant d'une infraction doit être intégralement réparé sans perte ni profit pour aucune des parties ; que la perte de gains professionnels futurs a pour objet d'indemniser la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l'incapacité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage, étant précisé que cette perte ou diminution des gains professionnels peut provenir, soit de la perte de son emploi par la victime, soit de l'obligation pour celle-ci d'exercer un emploi à temps partiel à la suite du dommage consolidé ; qu'il n'est pas contesté que M. X... a subi, du fait de l'accident, une invalidité permanente spécifique, partielle pour l'exercice de son emploi dans la restauration dès lors qu'il résulte des conclusions de l'expert que « toute activité professionnelle réclamant un usage intensif du membre inférieur gauche est à présent contre-indiquée » ; qu'à partir du moment où il était établi que la victime se trouvait contrainte d'exercer son activité professionnelle à temps partiel à la suite du dommage consolidé et qu'elle avait été privée de la possibilité d'accepter la proposition d'emploi à plein temps qui lui avait était faite par son employeur à cause de sa situation médicale, il appartenait aux juges du fond de calculer l'indemnisation de la victime par la différence entre son potentiel de gains antérieur à l'accident et son revenu postérieur ; qu'une juste appréciation de ce préjudice commandait, s'agissant d'un tout jeune homme, au balbutiement de sa vie professionnelle de ne pas évaluer les gains professionnels antérieurs à l'accident sur les sommes effectivement perçues pour l'emploi à temps partiel dont il disposait alors, mais sur les sommes qu'il aurait perçues pour le même poste à temps plein ; qu'en limitant l'indemnisation de ce poste à la somme capitalisée de 13 956, 38 euros sur la base de la différence avec les sommes effectivement perçues par M. X... l'année antérieure à l'accident, la cour d'appel a considérablement restreint la réparation à laquelle il avait droit de ce chef et qu'il avait évaluée à la somme capitalisée de 112 446, 50 euros, en violation du principe de la réparation intégrale du préjudice subi et des textes visés au moyen ;
" 2) alors que la cassation qui ne manquera pas d'intervenir sur la première branche du moyen entraînera automatiquement la cassation de l'arrêt en ses dispositions relatives à l'indemnisation de la perte de retraites laquelle a été calculée sur la base de la perte de salaires " ;
Vu les articles 1382 du code civil et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ;
Attendu que, selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'appelée à statuer sur les conséquences dommageables d'un accident de la circulation dont M. Y..., déclaré coupable de blessures involontaires, a été déclaré tenu à réparation intégrale, la juridiction du second degré était saisie de conclusions de la partie civile faisant valoir qu'elle avait du refuser, en raison de son état de santé tel que résultant directement de l'accident, la proposition d'emploi à temps plein faite par son employeur et que c'est sur la base d'un travail à temps plein que ses préjudices devaient être calculés ;
Attendu que, pour indemniser les préjudices susvisés, la cour d'appel retient que l'intéressé ne peut prétendre à une indemnisation calculée sur le salaire à temps plein qu'il aurait perçu sans l'accident dès lors que, antérieurement à celui-ci, il travaillait à temps partiel ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si l'intéressé n'avait pas été privé de la chance d'occuper un emploi à temps plein par la survenance de l'accident, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Besançon, en date du 9 novembre 2012, en ses seules dispositions relatives à l'indemnisation des frais de transport et de la perte des gains professionnels futurs et la perte de retraite afférente, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant de la cour d'appel de Dijon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Besançon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit février deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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