3 mars 2015
Cour de cassation
Pourvoi n° 13-88.514

Chambre criminelle

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2015:CR00371

Titres et sommaires

ACTION CIVILE - partie civile - constitution - constitution à l'instruction - recevabilité - conditions - relation directe entre le préjudice allégué et les infractions poursuivies - possibilité - assurance - exercice par l'assureur - détermination

Il résulte des articles 2, 3, 85 et 87 du code de procédure pénale que, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction pénale. Entre dans les prévisions de ces textes le préjudice invoqué par un assureur et résultant des manoeuvres frauduleuses d'une personne, bénéficiaire auprès de lui d'une stipulation pour autrui souscrite par un tiers, pour le déterminer à lui remettre des sommes indues

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société Lloyd's London, partie civile,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, en date du 2 décembre 2013, qui a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile des chefs d'escroquerie et tentative d'escroquerie ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 20 janvier 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Straehli, conseiller rapporteur, M. Beauvais, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller STRAEHLI, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général BOCCON-GIBOD ;
Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 313-1 et 313-3 du code pénal, 2, 3, 85, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société Lloyd's ;
"aux motifs propres que s'agissant des infractions qualifiées dans la plainte avec constitution de partie civile, de tentative d'escroquerie, escroquerie au jugement, escroquerie à l'assurance, le préjudice allégué de la partie civile n'est que la conséquence du contrat conclu entre la société de droit Suisse Hotela et la Lloyd's London, et n'a pas été causé directement par les infractions dénoncées ; qu'il convient de relever que la partie civile, elle-même, ne peut que le reconnaître implicitement, puisque dans ses deux mémoires, elle considère que le préjudice découle directement, non seulement du contrat entre les deux sociétés précitées, mais également de l'arrêt du 1er mars en fait, octobre 2009, rendu par le tribunal fédéral suisse ; qu'elle en concluait que l'existence du contrat et le dispositif de l'arrêt précité, entraînaient une ouverture de droit longue durée que seule la Lloyd's devra payer ; qu'au demeurant, le tribunal suisse ne mettait aucune obligation à la charge de la partie civile ; que d'ailleurs, cette dernière, dans un courrier en date du 7 juin 2013, adressé aux avocats de M. X..., considérait que : "Contrairement à ce que croit comprendre l'assuré, le tribunal fédéral n'a cependant nullement reconnu qu'il appartenait à la Lloyd's de prendre M. X... en charge que le tribunal fédéral a uniquement jugé que Hotela était dans l'obligation de transmettre le dossier à la Lloyd's pour qu'ils statuent sur le droit éventuel du recourant aux autres prestations d'assurance" ; qu'il convient en conséquence, de confirmer l'ordonnance d'irrecevabilité rendue par le doyen des juges d'instruction de Marseille ;
" aux motifs adoptés que la société Lloyd's London a déposé une plainte avec constitution de partie civile en arguant du fait que le mis en cause, M. X... aurait employé des manoeuvres frauduleuses constitutives d'une escroquerie au jugement devant les juridictions helvétiques ; qu'au-delà du fait qu'une telle plainte est déposée après quinze ans de procédures civiles en Suisse, il convient de remarquer que la partie civile n'était pas partie à l'instance devant les autorités judiciaires helvétiques, au cours de laquelle les manoeuvre auraient été exercées ; qu'ainsi la société Lloyd's London ne peut se prévaloir d'un préjudice résultant directement de l'infraction dénoncée ; qu'à défaut de préjudice direct, la plainte avec constitution de partie civile de la société Lloyd's London ne peut être que déclarée irrecevable ;
"alors que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; que, pour qu'une plainte avec constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ; qu'en l'espèce, la Lloyd's, en charge, en vertu d'un contrat de répartition des prestations passé avec la caisse maladie et accidents de la société suisse des hôteliers (Hotela), du versement des prestations longue durée après consolidation de l'état de santé de l'assuré, faisait valoir que ce dernier, M. X... avait obtenu, par des manoeuvres frauduleuses, des rapports d'expertises médicaux lui reconnaissant une incapacité ou une inaptitude inexistantes, qu'elle allait devoir l'indemniser (sous forme de capital pour l'indemnité compensatrice de perte d'intégrité et de rente mensuelle jusqu'à son décès pour la rente d'invalidité) pour un dommage inexistant sur la base de ces rapports, que l'indemnisation allait être évaluée au vu de ces rapports, et que M. X..., bénéficiaire d'une stipulation pour autrui et en droit de s'adresser directement à la Lloyd's continuait à se prévaloir de ces expertises médicales pour obtenir des indemnités indues de la part de la Lloyd's ; qu'ainsi, si les manoeuvres de M. X..., bénéficiaire d'une stipulation pour autrui et en droit de s'adresser directement à la Lloyd's, n'avaient pas été déjouées et une plainte déposée, la Lloyd's aurait été directement déterminée, par les conclusions de ces rapports et donc le fruit de ces manoeuvres, à verser des prestations indues ; qu'en déclarant irrecevable sa constitution de partie civile des chefs d'escroquerie et tentative d'escroquerie à l'assurance, la chambre de l'instruction a violé les textes visés au moyen" ;
Vu les articles 2, 3, 85 et 87 du code de procédure pénale ;
Attendu que, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que la société d'assurances Lloyd's London a porté plainte et s'est constituée partie civile contre M. Christian X... des chefs d'escroquerie à l'assurance et au jugement et tentative d'escroquerie, en exposant que l'intéressé était assuré auprès de la société d'assurances Hotela, laquelle avait conclu avec la société Lloyd's London un contrat aux termes duquel, en cas d'accident, la première prenait en charge le versement des prestations de courte durée et la seconde celles de longue durée ; que, selon la plaignante, M. X... avait été victime d'un accident de ski en 1996, à la suite duquel il avait prétendu au versement de prestations auprès de la société Hotela ; que cet assureur ayant mis un terme au versement desdites prestations, une procédure judiciaire avait opposé la société Hotela et M. X..., dont la date de consolidation des blessures avait été définitivement fixée au 1er septembre 1999, ce qui avait eu pour conséquence de lui ouvrir le droit au versement, par la société Lloyd's London, de prestations de longue durée ; que cependant l'enquête à laquelle celle-ci s'était livrée pouvait laisser penser que M. X... avait usé de manoeuvres frauduleuses, notamment par une simulation de son état auprès des experts médicaux, pour faire croire qu'il était dans l'incapacité de travailler ;
Attendu que le juge d'instruction a déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile ; que la société Lloyd's London a interjeté appel de cette ordonnance ;
Attendu que, pour confirmer la décision entreprise, l'arrêt retient, notamment, que, s'agissant des infractions qualifiées dans la plainte de tentative d'escroquerie, escroquerie au jugement, mais aussi escroquerie à l'assurance, le préjudice allégué par la partie civile, qui n'est que la conséquence du contrat conclu entre la société Hotela et la société Lloyd's London, n'a pas été causé directement par les infractions dénoncées ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'à les supposer établies, certaines des manoeuvres frauduleuses étaient de nature, si elles avaient abouti, à déterminer la société Lloyd's London à remettre à M. X..., bénéficiaire auprès d'elle d'une stipulation pour autrui souscrite par la société Hotela, des sommes indues, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 2 décembre 2013, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trois mars deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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