24 septembre 2008
Cour de cassation
Pourvoi n° 07-40.717

Chambre sociale

ECLI:FR:CCASS:2008:SO01567

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :




Donne acte à la société Alcatel Lucent France de sa reprise d'instance ;


Vu leur connexité, joint les pourvois n° C 07-40.717, P 07-40.727, F 07-40.743, K 07-40.747, Y 07-40.759 et F 07-40.766 ;


Attendu, selon les arrêts attaqués, qu'en 1998, et après information des comités d'établissement et comité central d'entreprise, la société Lucent technologies France a introduit pour ses ingénieurs et cadres une nouvelle structure de rémunération composée, d'une part, d'un salaire de base et, d'autre part, d'une part variable, appelée Short-Term Incentive (STI), calculée en pourcentage du salaire de base ; que cette part variable était constituée pour moitié de la prime Lucent ou résultat financier par action correspondant aux performances du groupe par rapport aux objectifs de l'exercice déterminés en matière d'augmentation de gain par action, et, pour une autre moitié, de la prime de l'unité, calculée au niveau international en fonction des résultats de chaque division opérationnelle du groupe par rapport à ses objectifs de résultat d'exploitation ; que dans une note datée du 15 janvier 1998, il était indiqué que la prime Lucent n'était pas garantie si l'entreprise n'atteignait pas ses objectifs de croissance de gain par action déterminés par le conseil d'administration de la société mère américaine Lucent Technologies Inc. au début de chaque année et ne pouvant être rendus publics compte tenu de la réglementation boursière américaine ; que de même, n'était pas garantie la prime de l'unité si celle-ci n'atteignait pas ses objectifs ; que pour l'année 2000, aucune de ces primes n'a été versée compte tenu de la non-atteinte des objectifs ; qu'en 2001 et 2002 , les critères d'attribution du STI ont été modifiés par la direction du groupe et des versements partiels ont été effectués ; que des salariés de la société Lucent technologies France ont saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement notamment de l'intégralité de leurs parts variables prévues par les documents annuels de fixation de la rémunération, déduction faite des sommes perçues, et ce pour les années 2000 à 2003 ;


Sur le premier moyen et la première branche du second moyen, réunis :


Attendu que la société fait grief aux arrêts de l'avoir condamnée au paiement de rappels de rémunération variable , d'indemnités compensatrices de congés payés et d'indemnités conventionnelles de licenciement, ainsi que de lui avoir ordonné de régulariser l'épargne salariale et de donner toutes instructions utiles à l'organisme gestionnaire des préretraites aux fins de régularisation des allocations, alors selon le moyen, que :


1°/ la part variable de la rémunération peut être déterminée en fonction d'objectifs définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction et que son versement peut être subordonné à la situation financière de la société ; qu'en l'espèce, la part variable ou STI était calculée en pourcentage du salaire de base annuel de l'intéressé et composée de deux parties, d'une part, le Lucent award (50 %) déterminé sur la base de l'ensemble des performances du groupe Lucent Technologies par rapport aux objectifs de l'exercice en cours en matière d'augmentation de l'EPS (earning per share ou gain par action) sachant que ces objectifs étaient déterminés par le conseil d'administration de la société américaine Lucent Technologies Inc, au début de chaque exercice, en fonction de l'augmentation de l'EPS par rapport à l'exercice précédent et, d'autre part, de l'unit award (50 %) calculé en fonction des résultats de chaque business unit (division opérationnelle du groupe Lucent technologies) par rapport à ses objectifs de résultat d'exploitation, celui-ci désignant le chiffre d'affaires de chaque division opérationnelle avant déduction des impôts et taxes ; qu'il s'ensuit que la variation du STI reposait sur des éléments objectifs et que le fait que les objectifs de gain par action étaient fixés par le conseil d'administration de la société mère américaine, au début de chaque année mais qu'il devait rester confidentiel jusqu'à la fin de l'année conformément aux règles de SEC à l'égard des opérateurs financiers, n'était pas de nature à entraîner l'illicéité du système de calcul de la part variable, dès lors que le STI prévu pour l'hypothèse où les objectifs fixés par le board seraient réalisés à 100% était communiqué aux salariés en début d'année et qu'en fin d'exercice, une fois les résultats connus par rapport aux objectifs, le montant de la part variable était arrêté, en fonction de ces résultats, notifié et versé aux salariés ; qu'en affirmant que la détermination des bases de la rémunération en fonction de décisions de l'employeur et/ou du conseil d'administration et en fonction de critères tenus secrets et non vérifiables, rendrait ce système illicite au regard de la réglementation française applicable, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;


2°/ le juge doit préciser le fondement juridique de sa décision ; qu'en affirmant que le système de calcul de la part variable des rémunérations serait illicite au regard de la réglementation française applicable, sans préciser quelle était cette réglementation, les juges du fond ont violé l'article 12 du code de procédure civile ;


3°/ le juge ne peut dénaturer le sens clair et précis d'un écrit ; qu'en l'espèce, en retournant signés les avenants fixant le montant de la part variable pour les années 98 et suivantes, les salariés ont donné, sans aucune ambiguïté, leur consentement sur la nouvelle structure de la rémunération ; qu'en affirmant, par motifs propres, que la signature par certains salariés et certaines années des documents transmis par l'employeur pour notifier le montant des primes ne valait que « reçu » de la somme allouée et ne pouvait être assimilée à un accord contractuel du salarié sur les modalités de détermination de cette partie de la rémunération et, par motifs éventuellement adoptés, que la signature par le salarié de la notification de sa rémunération ne pouvait avoir pour effet de modifier le contrat de travail et suffire à emporter son accord quant à la modification que constitue l'instauration du STI et de ses critères d'attribution en lieu et place de la part variable contractuellement définie et acceptée, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ces avenants et a violé l'article 1134 du code civil ;


4°/ l'employeur détermine lui-même les engagements qu'il entend prendre vis-à-vis des salariés et que lorsqu'elle est payée en exécution d'un engagement unilatéral de l'employeur, une part variable de rémunération n'est obligatoire que dans les conditions fixées par cet engagement ; qu'en affirmant que le « critère de diminution de la part variable par rapport au STI prévu pour 100 % d'objectifs réalisés » était illicite après avoir constaté que le calcul et le versement de la part variable des rémunérations correspondant à la prime STI litigieuse résultaient d'un engagement unilatéral de l'employeur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences léqales de ses propres constatations, a violé les principes ci-dessus rappelés et l'article 1134 du code civil ;


5°/ dans ses conclusions délaissées, la société faisait valoir que les aménagements intervenus en 2001 (fixation trimestrielle des objectifs de l'EPS) et en 2002 (financement du STIP en fonction de l'EPS et du cash flow) n'étaient que des aménagements minimes, n'emportant aucune incidence sur le mode de calcul de la rémunération variable des salariés, de telle sorte que la rémunération des ingénieurs et des cadres était toujours composée d'un fixe et d'une partie variable calculée en pourcentage du salaire de base annuel ; qu'en affirmant qu'à partir de 2001, l'employeur avait fait varier unilatéralement les modalités de calcul et de paiement du STI sans requérir la signature des intéressés, alors qu'il modifiait ainsi le système mis en place à partir de 1998, sans répondre à ce chef pertinent des conclusions d'appel de l'exposante, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.


6°/ qu'en jugeant que le système de calcul de la part variable des rémunérations mis en place à partir du 15 janvier 1998 était illicite, et en décidant néanmoins que le STI devait être versé intégralement pour chaque exercice depuis son instauration, et le cas échéant au prorata du temps effectivement travaillé par le salarié, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1134, 1131 et 1133 du code civil ;


Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a, sans dénaturation, constaté que l'instauration du STI résultait, non d'un accord des parties, mais d'un engagement unilatéral de l'employeur ;


Attendu, ensuite, que lorsqu'elle est payée en vertu d'un engagement unilatéral, une prime constitue un élément de salaire et est obligatoire pour l'employeur dans les conditions fixées par cet engagement ; que seule une clause précise définissant objectivement l'étendue et les limites de l'obligation souscrite peut constituer une condition d'application d'un tel engagement ; qu'il en résulte que le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues ; que la cour d'appel, qui, abstraction faite d'un motif erroné relatif à l'illicéité du système mis en place au regard de la réglementation française et d'un motif surabondant critiqué par la cinquième branche, a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments qui lui étaient soumis , constaté par motifs propres et adoptés que l'employeur avait subordonné le bénéfice de la partie variable de la rémunération à la réalisation d'objectifs dont il n'a jamais été prétendu qu'ils auraient été portés à un moment ou à un autre à la connaissance des salariés et vérifiables par ceux-ci , en a exactement déduit que ces conditions n'étaient pas opposables aux salariés ;


D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche :


Vu l'article L. 223-11 , devenu L. 3141-22 , du code du travail ;


Attendu que, pour confirmer les jugements en ce qu'ils avaient alloué aux salariés des indemnités compensatrices de congés payés, la cour d'appel a retenu que les demandes n'étaient pas contestées en leur quantum ;


Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la partie variable de la rémunération n'était pas allouée globalement pour l'année, périodes de travail et de congés payés confondues, de sorte que son inclusion dans l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés aboutirait à la faire payer, même pour partie, une seconde fois par l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;


PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils ont condamné la société au paiement d'indemnités compensatrices de congés payés, les arrêts rendus le 12 décembre 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;


Condamne les défendeurs aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille huit.

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