26 janvier 2000
Cour de cassation
Pourvoi n° 97-45.297

Chambre sociale

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - modification - modification imposée par l'employeur - déclassement pour réduction des fonctions du salarié - refus justifié de celui - ci

Texte de la décision

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le pourvoi formé par la société Baron Y... de Rothschild, société anonyme, dont le siège est ...,


en cassation d'un arrêt rendu le 23 septembre 1997 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section A), au profit de Mme Nicole de X..., demeurant ...,


défenderesse à la cassation ;


LA COUR, en l'audience publique du 8 décembre 1999, où étaient présents : M. Le Roux-Cocheril, conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président, M. Texier, conseiller rapporteur, M. Brissier, conseiller, Mme Bourgeot, conseiller référendaire, M. Duplat, avocat général, Mme Guénée-Sourie, greffier de chambre ;


Sur le rapport de M. Texier, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, avocat de la société Baron Y... de Rothschild, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de Mme de X..., les conclusions de M. Duplat, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur les deux moyens réunis :


Attendu que Mme de X... a été embauchée par la société Baron Y... de Rothschild le 11 juillet 1974 en qualité d'attachée de direction et chef du service comptabilité ; que le 1er décembre 1979, elle a été nommée directrice administrative adjointe, avec la responsabilité du budget et du service informatique ; qu'une note de service du 5 avril 1993 a modifié l'organigramme de la société, attribuant le service informatique au nouveau directeur et le budget à un autre chef de service, Mme de X... ne conservant que le service de comptabilité générale ; qu'estimant que son contrat de travail avait été modifié, la salariée a demandé, par lettre du 17 mai 1993, sa réintégration dans ses fonctions ; qu'elle n'a pas obtenu satisfaction ;


qu'elle a été licenciée par lettre du 29 juin 1993 et a saisi la juridiction prud'homale ;


Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt attaqué (Bordeaux, 23 septembre 1997) d'avoir décidé que le licenciement de Mme de X... était dépourvu de motif réel et sérieux et de l'avoir condamné à payer à cette dernière une somme à titre de dommages-intérêts, alors, selon les moyens, d'abord, que constitue un licenciement justifié la rupture résultant du refus par le salarié d'un simple changement de ses conditions de travail décidé par l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction, sans modification du contrat de travail du salarié ; qu'en l'espèce, la mesure prise par l'employeur affectait seulement le domaine des responsabilités attribuées à la salariée, sans modifier aucun élément essentiel de son contrat de travail ;


que le statut et la rémunération de la salariée étaient en effet maintenus et que les responsabilités de cette dernière dans le domaine informatique étaient simplement remplacées par de nouvelles responsabilités dans le domaine de la comptabilité ; qu'en retenant que le refus par la salariée d'accepter ses nouvelles responsabilités s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil et L. 122-14-3 du Code du travail ; alors, ensuite, que si l'employeur admettait dans la lettre de licenciement le caractère substantiel du changement de responsabilités imposé à la salariée, il expliquait clairement, tant dans sa lettre du 7 juin 1993 que dans ses conclusions d'appel, que le contrat de travail de la salariée n'avait pas été transformé, que tous les éléments essentiels de celui-ci étaient maintenus et que seul le domaine des responsabilités de la salariée avait changé ;


que l'employeur contestait donc l'existence d'une modification substantielle du contrat de travail ; qu'en retenant que le caractère substantiel de la modification du contrat de travail de la salariée n'avait pas été contesté par l'employeur tant dans sa lettre du 7 juin 1993 que dans sa lettre de licenciement, la cour d'appel a dénaturé le sens de ces lettres et ainsi violé l'article 1134 du Code civil ; alors, ensuite, qu'en tout état de cause, la déclaration d'une partie ne peut être retenue contre elle comme constituant un aveu que si elle porte sur des points de fait et non des points de droit ; qu'en considérant la déclaration de l'employeur admettant la thèse d'un changement substantiel des responsabilités de la salariée comme un aveu susceptible de lui être opposé, quand cette déclaration portait exclusivement sur une question de droit et non de fait, la cour d'appel a violé l'article 1354 du Code civil ; alors, ensuite, que la rupture résultant du refus par le salarié d'une modification substantielle de son contrat de travail consécutive à une mutation technologique constitue un licenciement économique justifié par une cause réelle et sérieuse ; qu'en l'espèce, il résultait des conclusions de l'employeur que la modification imposée à la salariée était notamment due au développement de l'informatisation de la société dans tous les services de celle-ci ; qu'en se bornant à retenir, pour décider que le licenciement de la salariée était dépourvu de cause réelle et sérieuse, que la seule amélioration des possibilités de l'entreprise

n'était pas une raison économique suffisante pour justifier le licenciement de la salariée, sans rechercher si la modification substantielle ne résultait pas d'une mutation technologique susceptible de justifier le licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 321-1 du Code du travail ; alors, ensuite, qu'en tout état de cause, l'employeur énonçait dans ses conclusions que la salariée s'était vu reprocher par lettre du 7 juin 1993 de ne pas avoir atteint les objectifs qui lui avaient été imposés ; que cette lettre indiquait clairement que la modification du contrat de travail était due, notamment, à ce motif inhérent à la personne, Mme de X... ne pouvant, humainement, tout à la fois atteindre des objectifs comptables qu'elle n'arrivait déjà pas à respecter et avoir à sa charge le nouveau développement informatique de l'entreprise ; qu'en retenant, pour décider que le licenciement de la salariée était dépourvu de cause réelle et sérieuse, que l'employeur justifiait uniquement la modification du contrat de la salariée par l'amélioration des possibilités humaines, matérielles et techniques de l'entreprise, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de l'employeur et ainsi violé les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ; alors, enfin, que la rupture résultant du refus par la salariée d'une modification de son contrat de travail imposée par l'employeur pour un motif non économique constitue un licenciement inhérent à la personne dont il appartient aux juges de vérifier le caractère réel et sérieux en recherchant si la modification imposée était ou non justifiée ; qu'en se bornant à relever, pour décider que le licenciement de Mme de X... était dépourvu de cause réelle et sérieuse, que la lettre de licenciement n'énonçait pas de raison d'ordre personnel à l'origine de la modification, sans rechercher si cette dernière était ou non justifiée par une raison non économique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-14-3 du Code du travail ;




Mais attendu, d'abord, abstraction faite d'un motif surabondant, que la cour d'appel, qui a relevé que l'employeur avait privé la salariée de l'essentiel de ses fonctions en lui retirant toute initiative dans le domaine informatique et avait réduit son niveau hiérarchique à celui de son ancien subordonné, a exactement décidé qu'il y avait eu une modification du contrat de travail que la salariée était en droit de refuser ;


Attendu, ensuite, que la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé les conclusions, a constaté que l'éviction de la salariée n'était justifiée ni par un motif économique ni par un motif d'ordre personnel, non énoncé dans la lettre de licenciement ;


D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Condamne la société Baron Y... de Rothschild aux dépens ;


Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Baron Y... de Rothschild à payer à Mme de X... la somme de 12 000 francs ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille.

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