19 novembre 1998
Cour de cassation
Pourvoi n° 97-86.441

Chambre criminelle

Titres et sommaires

(SUR LA DEUXIèME BRANCHE DU MOYEN) JUGEMENTS ET ARRETS - décision contradictoire - prévenu cité à personne ou ayant eu connaissance de la citation et non comparant - excuse - excuse non valable - renvoi d'appréciation motivé des juges du fond

Texte de la décision

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf novembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire de la LANCE, les observations de la société civile professionnelle BOULLOCHE et de Me CAPRON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général COTTE ;


Statuant sur le pourvoi formé par :


- VERDOYAN Achgher, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 9ème chambre, en date du 16 septembre 1997, qui, pour abus de confiance, faux et usage, l'a condamnée à 1 an d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 3 ans et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;


Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 314-1 et 441-1 du Code pénal, 8, 410, 486, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;


"en ce que, par arrêt contradictoire, la cour d'appel a déclaré Achger Verdoyan coupable des délits d'abus de confiance, faux et usage de faux et a prononcé sur les intérêts civils ;


"aux motifs que "la prévenue Achgher Verdoyan a, selon exploit d'huissier de justice du 25 mars 1997, été assignée en mairie ; que l'avis de réception de la lettre recommandée l'avisant de cette citation, distribuée le 27 mars 1997, est revêtu d'une signature qui, manifestement, ne correspond pas à celle de Achgher Verdoyan ; que néanmoins, celle-ci a eu connaissance de l'acte et de la date d'audience dès lors qu'elle a fait solliciter le renvoi de celle-ci en invoquant une demande d'aide juridictionnelle puis en faisant produire des certificats médicaux ; que ceux-ci, rédigés en termes laconiques, n'établissent pas que l'état pathologique de la prévenue se soit aggravé alors quelle avait pu comparaître, fut-ce contrainte, devant le juge d'instruction, puis devant la juridiction de jugement et ne peuvent caractériser une excuse valable au sens de l'article 410 du code de procédure pénale ; qu'il sera ainsi statué par arrêt contradictoire à signifier à l'encontre de la prévenue ;


"qu'il est constant que Achgher Verdoyan était au service de l'association la Grande Loge de France depuis le 12 octobre 1983 en qualité de mécanographe comptable, puis de chef comptable et, à ce titre, exerçait sous l'autorité hiérarchique du trésorier et trésorier adjoint de l'association ; qu'au cours de l'exercice comptable 1987-1988, de juin à juin, elle a détourné une somme de 145 886 francs en conservant des espèces provenant de loges adhérentes et en faisant créditer sur son compte bancaire personnel le montant de chèques destinés à l'association ; que Achgher Verdoyan a soutenu que ces fonds avaient été détournés sur les instructions et au seul bénéfice de Jacques Y..., trésorier de l'association, soutenant quelle avait restitué à celui-ci les chèques qu'il lui avait remis en garantie en échange d'une attestation, datée du 19 juillet 1988, selon laquelle Jacques Y... convenait avoir reçu la somme de 146 000 francs en espèces ; que Jacques Y... en contestait les mentions et déniait une signature, qu'il avait d'abord reconnue, qui lui était personnellement attribuée par les deux experts successivement commis par le juge d'instruction ; que cette seule attestation ne peut exonérer Achgher Verdoyan de toute responsabilité pénale et ne fait pas la preuve des remises ; qu'au contraire, l'examen des extraits du compte n° 062799 ouvert au Crédit Lyonnais par Achgher Verdoyan fait ressortir le crédit du montant des chèques détournés mais également l'absence de sorties concomitantes en espèces ; qu'au contraire, et sur toute la période de fonctionnement du compte, les relevés produits révèlent d'importants et réguliers débits par chèques au profit de bénéficiaires non identifiés ; que la prévenue n'a pu fournir aucune explication satisfaisante et vérifiée sur les sommes qu'elle disait détenir en numéraire à son domicile ; que les faits n'ont pu être découverts avant les mois de mai et juin 1993, période à laquelle les responsables de l'association ont pu examiner et vérifier les pièces comptables jusqu'alors confiées à une société d'archivage en raison de travaux, ce que nul ne conteste ; qu'ainsi, en l'état d'une plainte déposée le 20 mai 1994, suivie d'une réquisition d'enquête, interruptrice de prescription, en date du 14 juin 1994, l'action publique n'est pas prescrite ; que Achgher Verdoyan a détourné des chèques qu'elle a libellés à son ordre, entre le 20 novembre 1993 et le 22 juin 1994, et encaissés pour un montant de 85 721,22 francs ;




quelle a dissimulé ses détournements en falsifiant le compte "fournisseur" de l'association ; que Achgher Verdoyan a reconnu ces faits et déclaré avoir agi par vengeance ; que ce mobile ne peut influer sur la caractérisation des délits sinon qu'il établit l'intention coupable ;


"alors que, d'une part, tout jugement doit être signé par le magistrat qui l'a rendu et comporter les mentions permettant d'établir sa régularité ; que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, qui ne comporte pas la mention de l'identité du magistrat qui l'a signé, est ainsi entaché d'une violation des textes visés au moyen ;


"alors que, d'autre part, le prévenu qui ne comparaît pas mais qui a fourni une excuse ne peut être jugé contradictoirement que si cette excuse n'est pas reconnue valable par le juge, lequel doit justifier sa décision sur ce point ; qu'il résulte des constatations mêmes de l'arrêt attaqué que Achgher Verdoyan a sollicité le renvoi de la date d'audience en invoquant une demande d'aide juridictionnelle et en faisant produire des certificats médicaux, que pour déclarer l'excuse non valable, la cour d'appel s'est uniquement fondée sur l'état pathologique de Achgher Verdoyan, sans examiner l'incidence de sa demande d'aide juridictionnelle, violant ainsi les textes susvisés ;


"alors qu'enfin, le fait que des pièces comptables aient été confiées à un tiers ne suffit pas à justifier que le détournement n'était pas susceptible d'être constaté, de sorte qu'en se fondant sur cette seule circonstance pour déclarer non prescrite, à la date du 14 juin 1994, l'infraction qui aurait été commise en 1987 et 1988, la cour d'appel a entaché son arrêt d'une violation des dispositions citées au moyen" ;


Sur la première branche du moyen :


Attendu qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que la cour d'appel était composée de M. Rognon, président, de M. X... et de Mme Radenne, conseillers, lors des débats, du délibéré et du prononcé de la décision et que celle-ci a été signée par le président ;


Qu'en cet état, aucune des dispositions invoquées n'a été méconnue ;


Sur la deuxième branche du moyen :


Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, d'une part, Achgher Verdoyan, ayant eu connaissance de la citation à comparaître délivrée en mairie, a sollicité le renvoi de l'affaire en produisant des certificaux médicaux et que, d'autre part, un avocat a demandé également ce renvoi au nom de la prévenue, par lettre, en raison de sa désignation en cours au titre de l'aide juridictionnelle ;


Que les juges, qui n'avaient pas à prendre en compte la demande de l'avocat, celui-ci ne pouvant représenter l'intéressée en raison de la peine encourue et donc présenter une excuse valable au sens de l'article 410 du Code de procédure pénale, ont écarté l'excuse invoquée par la prévenue non comparante, par des motifs relevant de leur pouvoir souverain d'appréciation, et ont statué contradictoirement en application de ce texte ;


Qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ;


Qu'en effet, selon cet article, qui n'est pas incompatible avec les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lequel ne confère pas à la personne poursuivie la faculté de s'abstenir de comparaître en justice, le prévenu, ayant eu connaissance de la citation régulière le concernant, qui ne comparait pas et ne fournit aucune excuse personnelle reconnue valable, doit être jugé contradictoirement en son absence, par décision à signifier ;


Sur la troisième branche du moyen :


Attendu que, pour déclarer non prescrites les infractions commises en 1987 et 1988 par Achgher Verdoyan, les juges énoncent que "les faits n'ont pu être découverts avant les mois de mai et juin 1993, période à laquelle les responsables de l'association ont pu examiner et vérifier les pièces comptables jusqu'alors confiées à une société d'archivage en raison de travaux, ce que nul ne conteste" et que la prescription de l'action publique a été interrompue par une plainte du 20 mai 1994 et la réquisition d'enquête du 14 juin 1994 ;


Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'en matière d'abus de confiance le point de départ de la prescription se situe au jour où le détournement est apparu et a pu être constaté, la cour d'appel a justifié sa décision ;


D'où il suit que moyen, qui manque en fait en sa première branche et n'est pas fondé pour le surplus, doit être écarté ;


Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;


Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;


Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Gomez président, Mme de la Lance conseiller rapporteur, MM. Schumacher, Martin, Pibouleau, Challe, Roger conseillers de la chambre, M. de Mordant de Massiac, Mme de la Lance, M. Soulard conseillers référendaires ;


Avocat général : M. Cotte ;


Greffier de chambre : Mme Nicolas ;


En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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