3 juin 1992
Cour de cassation
Pourvoi n° 91-84.809

Chambre criminelle

Texte de la décision

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trois juin mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire FERRARI, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ et de la société civile professionnelle PEIGNOT et GARREAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBOUBAN ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

X... Didier,

contre l'arrêt n° 805 de la cour d'appel de NIMES, chambre correctionnelle, du 28 juin 1991, qui, pour défaut de paiement de cotisations de sécurité sociale, l'a condamné à 300 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;



Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

d Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 55 de la Constitution, L. 2444 et R. 244-4 du Code de la sécurité sociale, des articles 85 et 86 du traité de Rome, des articles 7, 8, 10 et 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 593 du Code de procédure pénale pour défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de la contravention de défaut de paiement des cotisations aux régimes d'assurance vieillesse et invalidité-décès des professions non salariées auquel il est assujetti et a prononcé contre lui une peine d'amende ainsi que diverses condamnations civiles ;

"aux motifs que les articles 85 et 86 du traité de Rome relatifs à la régularité du jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ne sauraient trouver application aux cas d'espèces, la politique sociale interne à la France n'ayant pour but que d'engager, par la voie du prélèvement obligatoire, certaines catégories professionnelles à cotiser et donc à garantir à terme le risque vieillesse, invalidité-décès ; qu'en conséquence, il ne saurait être tiré de ces principes que la politique sociale par une augmentation des charges surenchérit les prix de revient, établit un déséquilibre des chances entre concurrents à l'intérieur de la Communauté européenne, et que donc la résistance à ces prescriptions est fondée ; qu'en effet, le principe même des cotisations sociales et de leur paiement s'impute non pas sur le prix de revient de la marchandise, objet du commerce, mais sur le revenu propre et distinct du commerçant ; qu'en outre il a été consacré qu'en droit européen la législation sociale a ses particularités dérogatoires ;

"alors que, d'une part, s'agissant de l'activité globale de la caisse poursuivante portant à la fois sur les régimes de retraite de base et sur les régimes complémentaires d'assurance vieillesse et d'assurance invalidité-décès, la Cour ne pouvait décider qu'elle n'était pas contraire aux stipulations des articles 85 et 86 du traité de Rome au motif qui méconnaît tout à la fois la primauté du traité sur la loi interne et les stipulations susvisées du Traité qui ne prévoient pas d'exemption par la loi interne, que le système est imposé par la loi interne et par la politique sociale interne de la France ; qu'en s'abstenant de rechercher si l'activité globale de la caisse poursuivante n'était pas constitutive d'une d pratique

concertée susceptible d'empêcher le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, et constitutive de l'exploitation abusive d'une position dominante dans une partie substantielle de celui-ci, observation étant faite que l'exemption prévue par l'article 85-3 du Traité et la dérogation posée par l'article 92-2 de celui-ci échappent à la compétence du juge national, l'arrêt attaqué a privé sa décision de base légale au regard des articles 85 et 86 du traité de Rome ;

"alors que d'autre part, s'agissant en particulier de la poursuite de la CANCAVA du recouvrement des sommes dues au titre des régimes complémentaires d'assurance vieillesse et d'assurance invalidité-décès, dont l'organisation est définie par les articles L. 635-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, la cour d'appel a en outre violé, par refus d'application, les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et, par fausse application, l'article 10-1 du même texte, sans qu'à cet égard les motifs généraux retenus par l'arrêt et critiqués par la première branche du moyen concernant l'activité globale de la caisse puissent légalement justifier sa décision, dans la mesure où, d'une part, la décision prise par la caisse de créer un régime complémentaire d'assurance veillesse et un régime d'assurance invalidité-décès à caractère obligatoire a bien, sinon pour objet, du moins pour effet de porter atteinte à la concurrence dans les rapports entre les tiers, compagnies d'assurances et mutuelles cherchant à s'implanter sur le marché de la protection sociale complémentaire et la CANCAVA, qui bénéficie d'un monopole, et dès lors que d'autre part, l'intervention de l'autorité publique dans le contrôle des tarifs ne saurait constituer un fait justificatif puisqu'en l'occurrence, l'autorité publique s'est bornée à favoriser la conclusion d'une entente anti-concurrentielle, dont la conclusion n'appartient en définitive qu'aux entreprises parties à l'entente elles-même, à approuver a posteriori cette décision en contrôlant les tarifs fixés unilatéralement par les caisses intéressées, et à en renforcer les effets dans la mesure où, concernant l'institution d'un régime complémentaire d'assurance vieillesse, l'autorité publique laisse aux parties à la décision la faculté de faire fonctionner ce régime de manière obligatoire, et où, concernant l'institution d'un régime d'assurance invalidité-décès, l'article L. 635-2 du Code de sécurité sociale leur laisse la faculté de créer ce régime qui fonctionnera nécessairement de manière obligatoire ;

d "et alors qu'enfin, il résulte de ce qui précède que faute d'avoir envisagé la question de la compatibilité du comportement de la CANCAVA avec le droit communautaire comme avec le droit interne de la concurrence sous leurs deux aspects, dès lors que le demandeur faisait valoir que les cotisations réclamées correspondaient non seulement au régime de base, mais aussi au régime complémentaire et à l'assurance invalidité, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision en se contentant de statuer par des motifs généraux, et a manqué à son office en refusant de se prononcer sur la légalité du comportement de cette caisse sur le marché de la protection sociale complémentaire" ;

Attendu que Didier Y..., affilié à la Caisse régionale d'assurance vieillesse des artisans de Provence Alpes et Corse, à Marseille, ayant omis d'acquitter les cotisations d'assurance vieillesse,

invalidité et décès afférentes au second semestre de 1988, a fait l'objet d'une mise en demeure de la Caisse autonome nationale de compensation de l'assurance vieillesse artisanale (CANCAVA) ; que, faute de régularisation, celle-ci a fait citer cet artisan devant le tribunal de police, pour avoir contrevenu à la législation de sécurité sociale, sur le fondement des articles L. 263-1, L. 244-1, L. 244-5, R. 623-1 et R. 244-4 du Code de la sécurité sociale ;

Attendu, d'une part, qu'il ne résulte ni des énonciations de l'arrêt attaqué ni d'aucunes conclusions que le demandeur ait repris en cause d'appel l'exception d'illégalité écartée par le premier juge et tirée de la prétendue incompatibilité de l'activité de la CANCAVA avec l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ;

Attendu, d'autre part, que pour rejeter l'exception préjudicielle soulevée devant eux en défense et prise de l'incompatibilité de l'activité de la CANCAVA avec les dispositions à effet direct du Traité instituant la CEE, les juges du second degré énoncent que "les articles 85 et 86 du traité de Rome relatifs à la régularité du jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ne sauraient trouver application aux cas d'espèce, la politique sociale interne à la France n'ayant pour but que d'engager par la voie du prélèvement obligatoire certaines catégories professionnelles à cotiser et donc à garantir à terme le risque vieillesse, invalidité, décès" ; que les juges ajoutent qu'en droit européen, "la législation sociale a d ses particularités dérogatoires", sans entraîner une augmentation des prix de revient, ni "un déséquilibre des chances entre concurrents à l'intérieur de la communauté européenne" ;

Attendu qu'en statuant ainsi, abstraction faite de motifs erronés mais surabondants, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Qu'en effet, la caisse nationale chargée, en application des titres II et III du livre VI du Code de la sécurité sociale, de la gestion des régimes obligatoires d'assurance vieillesse, invalidité et décès des artisans, selon les principes de répartition et de solidarité nationale énoncés aux articles L. 111-1 à L. 111-4 dudit Code, n'exerce aucune activité commerciale, économique ou spéculative, et n'entre pas, dès lors, dans la catégorie des entreprises assujetties aux prescriptions des articles 85 et 86 du traité de la CEE protégeant la liberté de la concurrence à l'intérieur du marché commun ;

D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux dépens ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. le Gunehec président, Mme Ferrari conseiller rapporteur, MM. Souppe, Jean Simon, Blin, Carlioz, Jorda conseillers de la chambre, MM. Louise, Maron conseillers référendaires, M. Libouban avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;

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