25 octobre 2007
Cour de cassation
Pourvoi n° 06-43.415

Chambre sociale

Texte de la décision

Sur les deux moyens, réunis :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 14 avril 2006), que Mme X..., engagée à compter du 23 mai 1979 par la société Sea France et occupant en dernier lieu un emploi de changeur, relevant de la septième catégorie, a atteint l'âge de 55 ans le 14 juillet 2002 ; que par lettre du 18 décembre 2002, l'employeur lui a indiqué qu'elle pouvait être mise à la retraite en application d'un accord d'entreprise du 5 décembre 2002 et lui a demandé de lui faire part de ses intentions afin que, le cas échéant, la commission paritaire chargée de statuer sur les questions de mise à la retraite puisse être convoquée ; que Mme X... a répondu qu'elle souhaitait travailler 18 mois supplémentaires en qualité de navigante, compte tenu de ce qu'elle ne comptait alors que 23 ans et 7 mois de marine ; que, le 29 janvier 2003, la commission d'emploi des navigants de plus de 55 ans a décidé de ne pas autoriser Mme X... à poursuivre son activité professionnelle dans sa fonction et de la placer à compter du 5 février 2003 en position de congés jusqu'à épuisement de ceux-ci, la salariée étant autorisée, à l'issue de cette période de congés, à poursuivre son activité professionnelle dans une fonction à terre relevant de la cinquième catégorie ; que le 31 janvier 2003, la société Sea France a informé la salariée de la décision de la commission et l'a placée en situation de congés payés ; que Mme X... a contesté cette décision et saisi le tribunal d'instance aux fins de réintégration dans ses fonctions, grade et qualité antérieurs, à défaut, de paiement d'indemnités diverses ;


Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à payer à la salariée des indemnités de rupture, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages-intérêts pour le préjudice résultant de la perte de droits à pension de retraite et préjudice moral, alors, selon le moyen :


1 / que l'absence de dépôt d'un accord collectif ne le rend pas inopposable aux salariés, sauf si les parties ont entendu subordonner son entrée en vigueur à la formalité de ce dépôt ; qu'en l' espèce, il était constant que l'accord du 5 décembre 2002 en vertu duquel la mise à la retraite de la salariée avait été effectuée prévoyait que les dispositions relatives aux marins de plus de 55 ans entraient en vigueur le 1er janvier 2003 (conclusions de la salariée, p. 4 ; conclusions de l employeur, p. 6/7) de sorte que les parties à cet accord n'avaient pas entendu subordonner son entrée en vigueur au dépôt légal ; qu'en jugeant, cependant, que cet accord était inopposable aux salariés faute d'avoir fait l'objet du dépôt légal, la cour d'appel a violé l'article R. 742-3 du code du travail et l'accord précité ;


2 / qu'en tout état de cause, les juges du fond sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, la société faisait valoir que si elle n'avait pas conservé le récépissé de dépôt de l'accord auprès du quartier des affaires maritimes, la preuve dudit dépôt résultait de ce que, sur demande du conseil de la salariée, l'administrateur des affaires maritimes avait fait parvenir l'accord litigieux à ce dernier (conclusions d'appel, p. 4) ; qu'en se contentant d'affirmer que la société Sea France n'avait produit aucun élément nouveau à hauteur d'appel concernant le dépôt, sans répondre aux conclusions précitées, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;


3 / que lorsque le régime des retraites est régi par un régime spécial prévu par une loi, celle-ci est seule applicable ; que, selon les articles R. 2 et R. 3 du code des pensions de retraite des marins français du commerce, de pêche ou de plaisance, le marin a droit à une pension d'ancienneté après 25 années de services lorsqu'il a au moins 50 ans d'âge, à une pension proportionnelle après 15 années de services et 50 ans d'âge, la jouissance de cette dernière pension étant différée jusqu'à ce que l'intéressé ait atteint l'âge de 55 ans, ou, à défaut, à une pension spéciale proportionnelle à la durée de ses services, à partir de 55 ou 60 ans selon sa situation ; que l'article L. 122-14-13 du code du travail n'est pas applicable aux marins français du commerce, de pêche ou de plaisance qui sont exclusivement régis par les dispositions de leur régime spécial ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les textes précités ;


4 / qu'à supposer l'article L. 122-14-13 du code du travail applicable aux marins français du commerce, de pêche ou de plaisance, ce texte dispose (dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits) que la mise à la retraite s'entend par la possibilité donnée à l'entreprise de rompre le contrat de travail d'un salarié qui peut bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein, au sens du chapitre Ier du titre V du livre III du code de la sécurité sociale, et qui remplit les conditions d'ouverture à la pension de vieillesse ; que le taux plein au sens du code de la sécurité sociale est le pourcentage maximum d'un taux croissant atteint en fonction de la durée d'assurance ou de l'âge auquel est demandée la liquidation de la pension de retraite ; que la pension de retraite des marins du commerce, de pêche ou de plaisance étant calculée sur la base d'un taux fixe invariable de 2% du salaire, indépendant de l'âge ou de la durée du service du salarié, il en résulte, comme l'ont au demeurant expressément admis les juges du fond, que le taux plein au sens du code de la sécurité sociale n'existe pas dans le régime spécial de retraite des marins ; que par conséquent, la condition relative au bénéfice d'une pension de vieillesse à taux plein prévue par l'article L. 122- 14-13 n'est pas requise pour la mise à la retraite des marins du commerce, de pêche ou de plaisance ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 122-14-13 du code du travail, R. 13 du code des pensions de retraite des marins français du commerce, de pêche ou de plaisance et L. 351-1, L. 351-8, R. 351-2 et R. 351-27 du code de la sécurité sociale ;


5 / que "le taux plein", au sens de l'article L. 122-14-13 du code du travail, est le taux du salaire retenu pour déterminer le montant de la pension de vieillesse du salarié lorsque les conditions normales d'ouverture du droit à liquidation de la pension sont réunies ; qu'en ce qui concerne le régime de retraite des marins du commerce, de pêche ou de plaisance, les conditions normales d'ouverture du droit à la liquidation de la pension de retraite, c'est-à-dire soit avoir atteint l'âge de 50 ans et accompli 25 années de services (donnant droit à la liquidation d'une pension dite d'ancienneté), soit avoir atteint l'âge de 55 ans et accompli 15 années de service (ouvrant droit à la liquidation d'une pension dite proportionnelle) ; qu'en l'espèce, Mme X..., qui totalisait 23 ans et sept mois de service et avait atteint l'âge de 55 ans lorsqu'elle a été mise à la retraite par l'employeur, avait acquis à cette date le droit à faire liquider une pension proportionnelle ; qu'en jugeant toutefois que cette mise à la retraite constituait un licenciement faute pour la salariée d'avoir atteint le maximum des annuités liquidables fixé à 37,5 annuités, la cour d'appel a violé les articles L. 122-14-13 du Code du travail, L. 4, L. 5 R. 2, R. 3 et R. 13 du Code des pensions de retraite des marins français du commerce, de pêche ou de plaisance et L. 351-1, L. 351-8, R. 351-2 et R. 351-27 du code de la sécurité sociale ;


6 / que les juges du fond sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, l'employeur faisait valoir que l'ancienneté de 23 ans et sept mois évoquée par Mme X... n'était relative qu'à son engagement au sein de la société Sea France et que la salariée ne rapportait pas la preuve de l'absence d'autres annuités de service effectuées au service d'autres employeurs (conclusions d'appel, p. 6) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef de conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;


Mais attendu, d'abord, que les dispositions de l'article L. 742-1 du code du travail ne font pas obstacle à ce que les articles L. 122-14-12 et L. 122-14-13 du code du travail relatifs à la mise à la retraite des salariés soient appliqués aux marins dont la mise à la retraite n'est pas régie par le code du travail maritime ;


Attendu, ensuite, que l'accord d'entreprise du 5 décembre 2002 ne pouvait être opposé à Mme X... pour justifier sa mise à la retraite prononcée en méconnaissance des dispositions des articles L. 122-14-12, alinéa 2, et L. 122-14-13 du code du travail ;


Attendu, enfin, qu'il résulte du troisième alinéa de l'article L. 122-14-13 du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur, que la mise à la retraite d'un salarié, dès lors qu'il ne peut bénéficier d'une pension de vieillesse "à taux plein", même s'il a atteint l'âge de la retraite fixé par les dispositions conventionnelles, constitue un licenciement ;


Et attendu que si, au sens du code de la sécurité sociale, le "taux plein" est le taux maximum de 50 % du salaire de base qui peut être atteint quelle que soit la durée de cotisation, tel n'est pas le cas de la pension d'ancienneté du régime de retraite des marins français, laquelle est servie à raison d'un taux fixe de 2 % par annuité de service du salaire forfaitaire correspondant à la catégorie professionnelle et qui, lorsque la liquidation est demandée après 55 ans, peut, conformément à l'article R. 13 du code des pensions de retraite des marins français du commerce, de pêche ou de plaisance, atteindre un taux de 75 %, hors bonifications, pour 37,5 annuités ; qu'ayant constaté, répondant ainsi aux conclusions de l'employeur, que Mme X..., âgée de 55 ans à la date de la prise d'effet de sa mise à la retraite, ayant cumulé 23 annuités, ne pouvait pas bénéficier d'une pension de vieillesse au taux de 75 %, a, abstraction faite des motifs erronés, mais surabondants, critiqués par les deux premières branches, décidé, à bon droit, que la rupture s'analysait en un licenciement ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Condamne la société Sea France aux dépens ;


Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne la société Sea France à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq octobre deux mille sept.

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