12 décembre 2006
Cour de cassation
Pourvoi n° 04-19.083

Chambre commerciale financière et économique

Texte de la décision

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 29 juin 2004), que M. et Mme X... qui avaient acquis en 1991 une pharmacie sous la forme d'une cession de parts d'une société créée de fait, ont donné en 2002 mandat de vendre à la société Espace, spécialisée dans la cession des officines de pharmacie ; que cette dernière a soumis la proposition d'achat du fonds de commerce, émanant de Mme Y..., qui a été acceptée au prix de 2 800 000 euros par M. et Mme X... par un acte sous seing privé du 10 septembre 2002 avec la mention : " le choix entre la vente du fonds de commerce ou la cession de la société de fait sera arrêté après avis définitif de notre conseil" ; qu'après avoir recueilli celui-ci, M. et Mme X... ont opté pour la cession de la société créée de fait ; que le notaire chargé de la régularisation de l'acte a constaté l'impossibilité de réaliser cette cession au motif que la société créée de fait ne pouvait être propriétaire de l'officine ; que le conseil de M. et Mme X... a alors proposé la transformation de la société créée de fait en société de droit avant sa cession ; que Mme Y... a accepté cette proposition à la condition que le fonds de commerce soit apporté préalablement à la société ; que M. et Mme X... ont refusé la régularisation de la vente sous une autre forme que la cession des parts sociales de la société créée de fait; que Mme Y... les a assignés ainsi que la société Espace en résiliation de la vente et en paiement de dommages-intérêts ; que le tribunal de commerce a condamné M. et Mme X... à réitérer sous astreinte la vente de l'officine de pharmacie ;


Sur le premier moyen du pourvoi principal :


Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de les avoir condamnés à réitérer la vente de l'officine de pharmacie par cession du fonds de commerce alors, selon le moyen :


1 / que le juge n'a pas le pouvoir d'interpréter la volonté des parties lorsqu'elle est exprimée dans des termes clairs et précis ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que l'accord donné par les époux X... à l'offre des époux Y... était assorti de la réserve suivante : "le choix entre la vente du fonds ou la cession de la SDF (société de fait) sera arrêté après avis définitif de notre conseil" ; qu'en écartant cette réserve exprimée en termes clairs et précis par des motifs qu'inspirée par des considérations fiscales, elle ne constituait qu'une modalité de la vente et non un élément substantiel, la cour d'appel a dénaturé la clause précitée et ainsi violé l'article 1134 du code civil ;


2 / que le défaut de personnalité morale d'une société créée de fait, s'il fait obstacle à ce que cette société soit titulaire de droits réels ou personnels, ne rend pas impossible la cession des parts d'une telle société et de la propriété indivise des biens acquis avec les deniers sociaux ; qu'en effet, selon l'article 1872 du code civil, rendu applicable aux sociétés de fait par l'article 1873, sont réputés indivis entre les associés les biens acquis par l'industrie commune de ces derniers ou qu'ils ont convenu de mettre en indivision ; qu'il s'en déduit que les droits d'associés d'une société en participation ou d'une société créée de fait comprennent les droits réputés indivis entre associés sur les biens visés à l'article 1872 ; que dès lors en tenant pour impossible la cession des droits sociaux de la société créée de fait et en décidant que la vente ne pouvait avoir lieu que sous la forme d'une vente du fonds de commerce lui-même, la cour d'appel a violé les articles 1872 et 1873 du code civil ;


3 / que l'erreur sur le prix, qui est la substance de l'obligation de l'acheteur, est une cause de nullité de la vente; qu'en refusant de prononcer la nullité de la vente par le motif que l'ignorance par les époux X... de l'impossibilité de céder des droits sociaux seuls n'avait qu'une incidence fiscale et ne constituait qu'une erreur sur le prix et non une erreur sur la substance, la cour d'appel a violé l'article 1110 du code civil ;


Mais attendu, d'une part, que l'arrêt retient que l'offre d'achat des époux Y... portait sur un fonds de commerce comprenant les immobilisations corporelles et incorporelles avec reprise du stock, que l'acte du 10 septembre 2002 mentionne l'accord des parties sur la chose, l'officine de pharmacie, et le prix, que dans leur lettre du 23 juin 2003, M. et Mme X... qualifient eux-même cet acte de protocole d'achat et demandent l'accord de l'acquéreur pour faire rédiger le compromis par leur propre conseil, que dans le mandat de vente, il n'était question que d'un fonds de commerce et non de droits sociaux ;


qu'il en déduit que la mention apposée par M. X..., se réservant le choix entre la vente du fonds de commerce ou celle de droits sociaux, n'était ,dans l'intention des parties, qu'une modalité de la vente de la pharmacie que celui-ci voulait étudier pour des raisons fiscales et non un élément substantiel ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu, sans dénaturation, statuer comme elle a fait ;


Attendu, d'autre part, que l'arrêt relève que la société créée de fait qui n'était pas propriétaire du fonds de commerce de pharmacie, n'en était que l'exploitante et en déduit que la vente n'était possible que sous la forme d'une vente du fonds de commerce; qu'en l'état de ces constatations, et dès lors qu'une société créée de fait ne peut être propriétaire d'une officine de pharmacie, la cour d'appel n'encourt pas les griefs du moyen ;


Attendu, enfin, que l'arrêt retient que l'impossibilité de céder les droits sociaux seuls n'a eu qu'une incidence éventuellement fiscale, ce dont il résultait que l'erreur alléguée ne portait que sur un motif du contrat extérieur à l'objet de celui-ci, à savoir la recherche d'un avantage fiscal représenté par un droit d'enregistrement sur le prix de cession à un moindre taux ; qu'en l'état de ces appréciations, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ;


D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;


Sur le second moyen du pourvoi principal :


Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt d'avoir limité la condamnation au paiement de 5 000 euros par mois jusqu'à la date prévue par le jugement pour la réitération de la vente et d'avoir rejeté le surplus de leurs demandes tendant à la garantie du cabinet Espace de toutes condamnations prononcées au profit de Mme Y... ainsi qu'au surplus de plus-value consistant en la différence entre l'imposition qu'ils auraient dû normalement régler au titre de la cession des droits sociaux et le montant sur lequel ils seront finalement imposés à la suite de la vente, alors, selon le moyen, que l'agent d'affaires qui intervient dans la négociation d'une vente doit s'informer sur la consistance et la situation juridique des biens vendus et attirer l'attention des parties sur les conséquences, notamment fiscales, des actes qu'il leur soumet ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que la mention écrite par M. X... avait été recopiée par lui sur un texte proposé par le cabinet Espace qui avait donc été informé de l'existence d'une société de fait et que le texte ainsi formulé n'avait pas permis à M. et Mme X... de se soustraire à la réalisation de la vente du fonds de commerce, fiscalement plus lourde que la cession de parts sociales ; qu'il se déduit de ces constatations que M. et Mme X..., éclairés par les conseils de l'agent d'affaires, auraient pu soit refuser l'offre des époux Y..., soit rechercher une offre plus élevé ; que dès lors, en déclarant que le cabinet Espace ne pouvait être tenu pour responsable des conséquences fiscales du type de vente retenu, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;


Mais attendu que, dès lors qu'elle retenait que seule la vente du fonds de commerce était possible, la cour d'appel a pu écarter la responsabilité de la société Espace sur les conséquences fiscales de la cession ; que le moyen n'est pas fondé ;


Et sur le moyen unique du pourvoi incident :


Attendu que la société Espace fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à garantir M. et Mme X... de la condamnation au paiement de 5 000 euros par mois jusqu'à la date prévue pour la réitération de la vente de l'officine de pharmacie alors, selon le moyen, que l'agent d'affaire peut engager sa responsabilité contractuelle à l'égard de son mandataire s'il a manqué à un devoir de conseil qui était mis à sa charge ;


de sorte qu'en reprochant à la SARL Espace, chargée par les époux X... de la vente de leur officine de pharmacie aux termes d'un mandat exclusif, un défaut de son devoir de conseil pour ne pas avoir différé l'acceptation de l'offre une fois connu le mode d'exploitation de l'officine de pharmacie par le biais d'une société créée de fait, tout en constatant par ailleurs que son obligation de conseil ne s'étendait pas aux modalités de la vente et, qu'en toute hypothèse, cette vente ne pouvait avoir lieu sous une autre forme que celle d'une cession directe de fonds de commerce pourtant refusée par les époux X..., la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé ainsi les articles 1147 et 1991 du code civil ;


Mais attendu que l'arrêt retient que la société Espace qui ne peut être tenu responsable des conséquences fiscales de la vente, aurait dû en exécution de son devoir de conseil, avisée du mode d'exploitation de l'officine, différer l'acceptation de l'offre et recueillir les éléments nécessaires ou demander à M. et Mme X... de consulter leur conseil juridique avant de s'engager ; qu'en l'état de ces appréciations, la cour d'appel qui a ainsi caractérisé la faute de la société Espace et le lien de causalité avec le préjudice subi par ses clients, a pu statuer comme elle a fait; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE les pourvois principal et incident ;


Laisse à chacune des parties la charge des dépens afférents à son pourvoi ;


Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne M. et Mme X... à payer à Mme Y... la somme globale de 2 000 euros ; rejette la demande de la société Espace ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille six.

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