30 novembre 2004
Cour de cassation
Pourvoi n° 01-13.797

Chambre commerciale financière et économique

Texte de la décision

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 24 février 1988, les époux X... ont acquis un fonds de commerce pour le prix de 550 000 francs, payé par un prêt consenti par l'Union bancaire du Nord (UBN) à concurrence de 590 000 francs, garanti notamment par un nantissement sur le fonds ; que l'UBN a prononcé l'exigibilité anticipée du prêt le 22 mai 1989, faute de paiement des échéances de remboursement, alors qu'était due la somme de 602 070,85 francs ; que le 19 juillet 1990 les époux X... ont vendu le fonds de commerce à M. de Y..., pour le prix de 650 000 francs, la rédaction de l'acte et les formalités subséquentes étant confiées à M. Z... ; que l'Union des banques régionales pour le crédit industriel (UBR), représentée par M. Z..., est intervenue à l'acte en qualité de prêteur de deniers au profit de M. de Y... ; qu'elle a émis un chèque de 520 000 francs à l'ordre de "la banque Gallière-séquestre", porté par celle-ci au crédit d'un compte ouvert au nom de M. Z... ; que le 21 juillet 1997, l'UBN a assigné M. et Mme X... en paiement de la somme de 2 030 971,69 francs, avec

intérêts au taux conventionnels à compter du 27 février 1997, au titre du prêt ; qu'ont été assignés en garantie la banque Gallière, l'UBR, M. de Y... et M. Z... ;


Sur le premier moyen :


Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt d'avoir dit qu'ils devront payer à l'UBN les intérêts conventionnels sur le principal restant dû à compter du 22 mai 1989, alors, selon le moyen :


1 / que la loi dispose expressément que se prescrivent par cinq ans les actions en paiement des intérêts des sommes prêtées ; qu'il était constant que l'UBN n'avait assigné les époux X... que par acte du 21 juillet 1997, et leur réclamait des intérêts sur la somme prêtée à compter du 22 mai 1989 ; que cependant, eu égard à la prescription quinquennale régissant de tels intérêts, la banque ne pouvait exiger le paiement d'intérêts relatifs à une période antérieure à la date du 21 juillet 1992 ; qu'en les condamnant néanmoins à payer des intérêts conventionnels à compter du 22 mai 1989, qui plus est au prétexte erroné qu'aucune disposition légale ne faisait obstacle au paiement de ces intérêts, la cour d'appel a violé l'article 2277 du Code civil ;


2 / que les conventions s'exécutent de bonne foi ; que n'exécute pas de bonne foi le contrat le créancier qui laisse sciemment s'aggraver la dette de son débiteur ou l'empêche par son fait de faire face à ses obligations ; qu'a fortiori est-ce le cas lorsque le créancier est un professionnel, redevable d'une obligation d'information, de conseil et de loyauté, et le débiteur un profane ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a explicitement constaté que la banque était restée totalement inactive pendant 7 années ; qu'elle relevait encore que la négligence de la banque était choquante de la part d'un établissement financier ; qu'en considérant cependant qu'aucune disposition légale ni contractuelle ne sanctionnait une telle négligence, sans rechercher si cette négligence grave, émanant d'un professionnel averti, ne caractérisait pas son absence de bonne foi dans l'exécution de la convention de prêt, justifiant qu'elle supporte à tout le moins une partie des intérêts conventionnels exorbitants qu'elle avait laissé s'accumuler, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et suivants du Code civil ;


3 / que toute faute causant un préjudice ouvre droit à réparation de ce préjudice ; qu'en l'espèce, les époux X... invoquaient en l'espèce de nombreuses fautes commises par l'UBN, en conséquence desquelles ils devaient être déchargés des intérêts conventionnels réclamés par la banque négligente ; que les époux X... considéraient donc nécessairement que les fautes de la banque leur avaient causé un préjudice représenté par l'accumulation des intérêts conventionnels, préjudice dont il incombait à la banque de supporter le coût, en perdant les intérêts qu'elle réclamait, se compensant avec le préjudice des époux X... ; qu'en constatant une totale inaction de la banque, établissement financier professionnel, pendant 7 années, ainsi que des négligences choquantes à sa charge, qui avaient eu pour conséquence de laisser s'accumuler des intérêts conventionnels prohibitifs, sans compenser une partie à tout le moins de ces intérêts avec le préjudice causé aux époux X... par la banque fautive, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a violé les articles 1137 et 1147 du Code civil ;


Mais attendu, en premier lieu, que les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription et que cette règle s'applique lors même que la prescription est d'ordre public ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel, qui n'était pas saisie par les parties du moyen résultant de la prescription, a statué comme elle a fait ;


Attendu, en deuxième lieu, que le fait, pour un créancier, de réclamer paiement de sa créance, en capital et intérêts conventionnels, fût-ce plusieurs années après la déchéance du terme, n'est pas, en soi, fautif ; que la cour d'appel a justement retenu que la seule négligence de l'UBN dans la protection de ses propres intérêts n'était pas sanctionnée par une disposition légale ou contractuelle ;


Attendu, enfin, que la cour d'appel n'a pas qualifié de fautif le comportement de l'UBN, mais a seulement relevé que cette dernière avait été négligente dans la protection de ses propres intérêts ;


D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa dernière branche, n'est pas fondé pour le surplus ;


Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche :


Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt du rejet de leur demande en garantie dirigée contre la banque Gallière en sa qualité de séquestre du prix de cession de leur fonds de commerce, alors, selon le moyen, que l'existence d'un mandat apparent n'est en tout état de cause pas subordonnée à la faute du mandant ; qu'un tel mandat existe dès lors que le tiers l'invoquant a pu croire légitimement dans le pouvoir du mandataire apparent d'engager le mandant ; qu'en l'espèce, il était constant que la banque Gallière était expressément mentionnée en qualité de séquestre dans l'acte de vente du fonds de commerce, lequel détaillait avec précision ses engagements à ce titre ; qu'il résultait encore de l'acte un lien entre la banque Gallière, séquestre, et M. Z..., devant recevoir la correspondance relative à la mission de la banque Gallière ;


qu'étaient encore connus les liens entre cette banque et M. Z..., qui y détenait plusieurs comptes ; qu'en se bornant en l'espèce à affirmer péremptoirement, sans s'en expliquer aucunement, que les conditions d'un mandat apparent n'étaient pas réunies, sans rechercher si les mentions de l'acte, les liens entre le rédacteur et la banque Gallière, et l'intervention d'un professionnel du crédit, la banque UBR, n'ayant aucunement émis le moindre doute quant à l'engagement de séquestre de la banque Gallière, ne rendaient pas légitime la croyance des époux X... dans l'existence d'un engagement de séquestre consenti par la banque Gallière par le truchement des parties à l'acte et du rédacteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1991 et suivants du Code civil ;


Mais attendu, dès lors qu'il n'était pas prétendu que la banque Gallière, qui n'était pas partie à l'acte de vente contenant la convention de séquestre, avait fait croire qu'elle avait les pouvoirs d'un mandataire, que l'allégation de l'existence d'un mandat apparent est dépourvue de tout fondement ; que le moyen n'est pas fondé ;


Sur le troisième moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches :


Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt du rejet de leur demande en garantie à l'encontre de M. de Y... et de l'UBR, alors, selon le moyen :


1 / que l'usage veut que ce soit l'acquéreur qui choisisse le rédacteur de l'acte ; qu'en l'espèce, cela était encore corroboré par le dossier de financement remis à l'UBR par M. de Y... pour solliciter le prêt, dossier dans lequel il était fait référence à M. Z... comme rédacteur ; qu'en affirmant qu'aucun élément objectif n'étayait le fait que M. de Y... était à l'origine du choix de M. Z..., sans même analyser le dossier de financement précité, ni tenir compte de l'usage laissant à l'acquéreur le choix du rédacteur de l'acte de cession, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1137 et 1147 du Code civil ;


2 / qu'en tout état de cause, il était constant que la banque UBR avait donné un pouvoir en blanc à M. Z..., sans à aucun moment s'assurer de la fiabilité de ce dernier ; qu'eu égard à la qualité de professionnel de cette banque, et au comportement frauduleux adopté par son délégué, l'UBR était donc responsable de ce mauvais choix, et en tout cas d'avoir donné sans discernement une délégation de pouvoir susceptible de conforter à tort les époux X... dans l'illusion que M. Z... était de confiance ; qu'à ce titre, le préjudice subi de ce fait par les époux X... ne procédait pas de ce que la délégation de pouvoir ne désignait pas nommément le membre du cabinet Z... devant représenter l'UBR, mais bien de ce que l'absence de toute vérification par l'UBR de la fiabilité de son représentant, et la confiance aveugle qu'elle paraissait lui accordé, avait contribué à empêcher la découverte de l'incurie et de la malhonnêteté de M. Z... ; qu'en rejetant la demande de garantie des époux X..., au prétexte qu'ils n'auraient pas démontré le lien entre leur préjudice et l'absence d'indication d'un nom dans la délégation de pouvoir, la cour d'appel a donc privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et suivants du Code civil ;


3 / qu'il incombe à l'acquéreur d'un fonds de commerce de purger les garanties et privilèges grevant ce fonds en notifiant aux créanciers inscrits un acte les informant de la vente et du prix de cession ;


qu'en l'espèce, M. de Y..., acquéreur du fonds, n'a pas exécuté cette obligation lui incombant ; que cette abstention, fautive, a eu pour conséquence de contribuer à l'ignorance dans laquelle est restée le créancier des époux X..., l'UBN, de la cession du fonds et de la destination du prix de vente ; que si M. de Y... avait effectué comme il le devait les formalités de purge, le prix de vente aurait nécessairement dû servir à désintéresser l'UBN pour purger son nantissement inscrit sur le fonds ; qu'en ne recherchant aucunement si la carence manifeste de l'acquéreur n'était pas ainsi à l'origine du préjudice des époux X..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1137, 1147 du Code civil, et 22 de la loi du 17 mars 1909 ;


Mais attendu, en premier lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel, par une décision motivée, a décidé que les vendeurs n'établissaient pas que l'acquéreur était à l'origine du choix du rédacteur de l'acte ;


Attendu, en deuxième lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des productions que les époux X... ont soutenu devant la cour d'appel que le préjudice subi par eux procédait de ce que l'absence de toute vérification par l'UBR de la fiabilité de son représentant, et la confiance aveugle qu'elle paraissait lui accorder avaient contribué à empêcher la découverte de l'incurie et de la malhonnêteté de M. Z... ; que le grief invoqué par la deuxième branche est donc nouveau et mélangé de fait et de droit ;


Attendu, enfin, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des pièces de la procédure que les époux X... ont soutenu devant la cour d'appel que M. De Y... avait engagé sa responsabilité à leur égard en ne mettant pas en oeuvre la procédure de purge des inscriptions sur le fonds de commerce ; que le grief évoqué à la dernière branche est donc nouveau et, mélangé de fait et de droit ;


D'où il suit que le moyen, irrecevable en ses deuxième et troisième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;


Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :


Vu l'article 1382 du Code civil ;


Attendu que pour écarter la responsabilité de la banque Gallière, l'arrêt, qui relève que celle-ci, ni partie ni destinataire de l'acte de vente contenant la constitution de séquestre, n'a pas accepté une telle mission, retient que le fait que le chèque de 520 000 francs, rédigé à l'ordre de "Banque Gallière séquestre", encaissé par cette banque et porté sur un des comptes dont M. Z... était titulaire, ne présente pas de caractère anormal dans la mesure où cette banque connaissait la profession de M. Z... et savait qu'il pouvait avoir cette fonction ;


Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si le libellé du chèque litigieux à l'ordre de la banque Gallière-séquestre, sans indication du numéro d'un compte ouvert dans les livres de l'établissement bancaire susceptible de désigner, selon la volonté du tireur, le bénéficiaire, ne caractérisait pas une anomalie apparente qui aurait dû être décelée par un employé normalement diligent, la cour d'appel n'a pas légalement justifiée sa décision ;


Et sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche :


Vu l'article 1134 du Code civil ;


Attendu que pour décider que l'UBR n'avait pas commis de faute, l'arrêt retient qu'en créant le chèque litigieux à l'ordre de la banque Gallière-séquestre, elle a respecté les modalités de dessaisissement des fonds, prévues à l'acte de vente ;


Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'acte de vente stipulait que le prix serait payé par chèque établi à l'ordre du vendeur, la cour d'appel a méconnu le contrat ;

PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de garantie formées par les époux X... à l'encontre de la banque Gallière et de l'Union de banques régionales pour le crédit industriel (UBR), l'arrêt rendu le 18 mai 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;


Laisse à la banque Gallière ainsi qu'à l'UBR la charge de leurs dépens ; condamne M. et Mme X... aux autres dépens ;


Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille quatre.

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