22 février 2005
Cour de cassation
Pourvoi n° 03-18.576

Chambre commerciale financière et économique

Texte de la décision

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mai 2003), que par acte du 14 mai 1992, la société Midland Bank aux droits de laquelle se trouve la société HSBC Bank France (la banque) a consenti à Mme X... un prêt de 15 000 000 francs dont le remboursement, prévu à l'échéance du 30 avril 1993, était garanti par l'affectation hypothécaire des trois appartements de l'emprunteuse ; que, le même jour, celle-ci a ordonné le virement des fonds sur le compte de son ex-époux, M. Y..., lequel les a lui-même fait porter au crédit du compte, alors débiteur, ouvert dans le même établissement au nom de la société Volback dont il était le principal actionnaire ; que Mme X... n'ayant honoré aucune de ses obligations d'emprunteur, la banque lui a fait délivrer un commandement de saisie immobilière et a engagé contre elle une procédure de saisie attribution portant sur des loyers ; que, faisant valoir que les fonds, qui n'avaient bénéficié qu'à M. Y... et à la société Volback, ne lui avaient jamais été remis et que la banque, qui avait omis de l'informer de la situation très obérée de cette dernière et de l'importance de sa propre créance envers elle, avait organisé un montage pour transférer ses encours sur un débiteur qui offrait des garanties en lui faisant souscrire un emprunt là où elle n'aurait dû exiger qu'un cautionnement, Mme X... a saisi le tribunal pour faire juger que le contrat de prêt était nul pour absence de cause, dol, fausse cause ou cause illicite, subsidiairement que la banque avait engagé sa responsabilité à son égard en manquant à son devoir d'information et de conseil ainsi qu'en lui octroyant un crédit sans rapport avec sa situation financière, très subsidiairement qu'elle était fondée à lui opposer l'exception de non exécution ; que la cour d'appel a rejeté toutes ces prétentions après avoir jugé l'action en nullité pour défaut de cause, prescrite, et le surplus des demandes, mal fondées ;


Sur les premier, deuxième et cinquième moyens, réunis :


Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen :


1 ) que l'absence de cause emporte la nullité absolue du contrat ; que l'action en nullité absolue se prescrit par trente ans ; qu'en écartant comme prescrite sa demande en nullité du contrat de prêt souscrit le 14 mai 1992 auprès de la SA HSBC Bank France pour absence de cause, la cour d'appel a violé l'article 2262 du Code civil, ensemble l'article 1131 du même Code ;


2 ) que la prescription quinquennale de l'article 1304 du Code civil n'est applicable que dans le cas où la nullité a pour objet de protéger des intérêts particuliers et non l'intérêt général ; qu'en déclarant prescrite l'action en nullité pour absence de cause qu'elle avait intentée sans justifier légalement sa décision, de soumettre cette action à la prescription relative de cinq ans, la cour d'appel a, en tout état de cause, privé sa décision de base légale au regard des articles 1131, 1134 et 2262 du Code civil ;


3 ) que l'exception de nullité est perpétuelle ; qu'en déclarant prescrite l'action en nullité du prêt souscrit le 14 mai 1992 qu'elle avait engagée en réponse à la procédure de saisie immobilière initiée par la banque HSBC Bank France, la cour d'appel a violé l'article 1304 du Code civil ;


4 ) que l'exécution d'un contrat de prêt consenti par un professionnel du crédit se réalise par la remise des fonds prêtés à l'emprunteur ; qu'en considérant que le contrat de prêt du 14 mai 1992 avait été exécuté, après avoir constaté que son compte avait été seulement débité du montant prévu au contrat de prêt, tandis qu'il était constant qu'elle n'avait procédé à aucun remboursement, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1892 du Code civil ;


5 ) qu'il n'y a pas de contrat valablement formé en l'absence de rencontre des volontés sur les obligations essentielles résultant du contrat ; que la cour d'appel, qui a constaté que la société Volback était le véritable destinataire des fonds prêtés, a en outre relevé, pour dire que la banque n'avait pas à prendre en considération les revenus de l'emprunteuse, que le prêt était remboursable par les revenus d'exploitation attendus de la commercialisation du procédé Volback par cette même société, à laquelle elle-même était totalement étrangère ;


qu'en la déboutant de sa demande tendant à voir constater qu'elle n'avait pas à rembourser le prêt litigieux dont elle n'avait pas bénéficié, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations d'où il s'évinçait que les parties n'avaient pas entendu mettre à sa charge le remboursement du prêt et a violé les articles 1101 et 1108 du Code civil, ensemble l'article 1892 du même Code ;


6 ) qu'en tout état de cause, elle faisait valoir dans ses conclusions que la banque lui avait fait souscrire un contrat de prêt au lieu d'un contrat de cautionnement qui correspondait à la réalité de l'opération qui était pour la banque de garantir sa créance à l'égard de la société Volback et pour elle-même de donner en garantie son patrimoine immobilier permettant à la société Volback d'obtenir un financement, afin de faire échec à l'obligation qui lui incombait d'informer le garant de la situation irrémédiablement compromise ou tout au moins obérée du débiteur, soit la société Volback, et de la véritable destination du prêt, soit de résorber le découvert de la société Volback dans les livres de la banque HSBC ; qu'en écartant toute nullité du contrat de prêt souscrit par elle le 14 mai 1992, tout en constatant que les fonds avaient été effectivement versés sur le compte de la société Volback et non sur le sien sans répondre à ce moyen déterminant, qui était de nature à établir la fausseté de la cause de l'obligation de remboursement qu'elle avait souscrite et la fraude commise par la banque, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;


7 ) que la cause de l'obligation de l'emprunteur réside dans la remise des fonds prêtés et non dans le mobile qui peut l'animer ; que la cour d'appel a constaté que les fonds avaient été remis à l'emprunteuse "par débit de son compte", et étaient destinés à être versés sur le compte de la société Volback ; qu'en retenant, pour écarter les moyens qu'elle tirait de l'absence et de l'illicéité de la cause du contrat de prêt qui était en réalité destiné à annuler la créance de la banque envers une société dont l'établissement prêteur ne l'avait pas informée de la situation réelle, que la cause du prêt qui lui avait été octroyé était son intention d'aider son ex-mari, la cour d'appel a violé l'article 1131 du Code civil ;


8 ) qu'elle faisait valoir dans ses conclusions que la banque HSBC Bank France n'avait pas exécuté ses obligations contractuelles issues du contrat de prêt du 14 mai 1992, en ne mettant pas à sa disposition le montant du prêt consenti ; qu'en écartant ses demandes tendant à voir constater que la société HSBC n'avait pas rempli ses obligations au titre du contrat de prêt souscrit le 14 mai 1992, qu'il n'existait aucune obligation de remboursement au titre du contrat de prêt à sa charge et à voir déclarer en conséquence nul et non avenu le commandement valant saisie immobilière du 15 mai 2000, ainsi que le procès verbal de saisie attribution des loyers du 22 juin 2000, sans répondre à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;


9 ) qu'en la déboutant de ses demandes tendant à voir déclarer nul un contrat de prêt dont il était constant qu'elle n'avait pas bénéficié, en la privant non seulement des garanties dont doit bénéficier tout emprunteur, au prétexte que ce prêt devait être remboursé par les revenus d'exploitation du procédé Volback, mais également des garanties s'attachant au contrat de cautionnement dès lors qu'elle avait signé un contrat de prêt, la cour d'appel l'a privée d'un procès équitable et à violé l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;


Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que Mme X... avait elle-même donné l'ordre de virer les fonds empruntés sur le compte de M. Y... pour que celui-ci en crédite à son tour le compte de la société Volback ce qui avait été fait ; que la cour d'appel, qui n'a pas violé le texte visé par la septième branche du moyen, ayant ainsi fait ressortir que la remise des fonds prêtés, qui avait été faite au tiers désigné par Mme X..., était censée avoir été exécutée entre les mains de celle-ci ce dont il résultait que l'obligation de restitution de l'emprunteur avait une cause, la décision se trouve légalement justifié de ce chef, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les trois premières branches ;


Attendu, en deuxième lieu, qu'usant de leur pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui leur étaient soumis, les juges du fond ont relevé que Mme X... savait que ni M. Y... ni la société Volback dont elle connaissait les besoins, n'étaient en mesure de poursuivre le financement des recherches entreprises pour la mise au point d'un dispositif de détection des véhicules volés qui était en voie de commercialisation et que la banque ne voulait pas apporter directement un concours pour lequel elle n'aurait eu aucune garantie et que c'était en toute connaissance de cause que l'intéressée avait, aux termes d'un acte clairement intitulé "contrat de prêt", accepté, avec M. Z..., un autre associé de la société, d'aider M. Y... en contractant elle-même un emprunt avec ses biens personnels en garantie pour que les fonds soient immédiatement remis à la société Volback par l'intermédiaire de son principal actionnaire ; qu'en l'état de ces motifs, dont elle a exactement déduit que Mme X... ne rapportait la preuve ni de l'erreur sur la cause dont elle prétendait avoir été victime ni de la fraude prétendument commise par la banque, la cour d'appel qui n'avait pas à suivre Mme X... dans tout le détail de son argumentation, n'encourt pas le grief évoqué par la sixième branche du moyen ;


Attendu, en troisième lieu, que la banque ayant rempli son obligation de prêteur en effectuant la tradition des fonds au tiers désigné par l'emprunteur, la cour d'appel, qui n'a pas violé les textes visés par les quatrième, cinquième et huitième branches du moyen, a exactement décidé que, même si les parties avaient espéré pouvoir faire supporter par la société Volback, une fois la commercialisation de son dispositif réalisée, le remboursement du prêt, Mme X..., qui n'était pas fondée à opposer à son co-contractant l'exception de non exécution, restait, en sa qualité d'emprunteur, tenue à restitution ;


Attendu, en quatrième lieu, que l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui a pour seul but de garantir aux parties les principes d'égalité, de contradiction et de loyauté des débats dont Mme X... ne prétend pas avoir été privée, est sans application en l'espèce ;


D'où il suit que le moyen qui ne peut être accueilli en ses trois premières branches, est mal fondé pour le surplus ;


Et sur les troisième et quatrième moyens, réunis :


Attendu que Mme X... fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :


1 ) que tout fait de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par lequel il est arrivé à le réparer ; que la cour d'appel a retenu, pour écarter toute mise en jeu de la responsabilité de la société HSBC Bank France, que la situation irrémédiablement compromise ou anormalement obérée de la société financée n'était pas démontrée ;


qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur le fait, invoqué par elle, que la cotation Banque de France de la société Volback était à l'époque de la conclusion du contrat de prêt : J69, ce qui correspondait à une situation financière motivant des réserves graves et des incidents de paiement déclarés dénotant une trésorerie très obérée, et que la situation préoccupante de la société Volback était établie par les bilans des années 1991 et 1992 versés aux débats et qui précisaient qu'en 1991, la société Volback présentait un chiffre d'affaires de 679 877 francs pour une perte d'exploitation de 4 539 370 francs et en 1992 un chiffre d'affaires de 680 106 francs pour une perte d'exploitation de 39 833 219 francs, ce qui était de nature à établir que la société Volback était en tout état de cause dans l'incapacité de rembourser le crédit consenti dans le délai d'un an qui lui était imparti, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;


2 ) qu'en considérant que la société HSBC Bank France avait rempli son obligation d'information et de conseil auprès d'elle, emprunteuse étrangère à la société financée, dès lors que celle-ci savait que ni M. Y... ni la société Volback ne pouvaient financer le coût des recherches du procédé de détection des vols de véhicules et que la banque ne voulait pas directement procéder à ce financement qui ne lui aurait pas permis d'avoir des garanties, sans constater que la banque, afin que sa cocontractante, liée à M. Y... par des liens personnels s'engage en toute connaissance de cause à rembourser un emprunt qui ne lui était pas destiné et à donner en garantie ses biens personnels, avait informé cette dernière du montant de l'endettement de la société Volback, notamment auprès d'elle, dont la cour d'appel constatait l'importance en relevant que le compte de la société Volback était débiteur d'une somme de 9 361 608 francs au 16 avril 1992 et de 29 000 000 francs au 20 mai 1992, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;


3 ) que commet une faute tout banquier qui affecte les fonds prêtés à l'apurement du solde débiteur d'un compte courant contrairement aux prévisions contractuelles ; qu'en écartant toute responsabilité de la société HSBC Bank France dans la conclusion du contrat de prêt qu'elle-même avait souscrit tout en constatant que quelques jours avant le versement du montant de l'emprunt qui lui avait été consenti ainsi qu'à M. Z..., le débit du compte de la société Volback, dont elle reconnaissait qu'elle était la société financée, avait atteint 29 000 000 francs, soit à un million près, la somme des montants des prêts consentis aux deux intéressés et que le prêt avait pour objet de financer le coût des recherches d'un procédé de détection des vols de véhicules, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il s'évinçait que l'emprunteur avait entendu financer des recherches industrielles tandis que la banque poursuivait seulement le remboursement du découvert de la société Volback dans ses livres, et a violé l'article 1142 du Code civil ;


4 ) que le banquier ne peut accorder un crédit excessif par rapport à la surface financière de l'emprunteur ; qu'en écartant la mise en jeu de la responsabilité de la banque pour octroi excessif de crédit par rapport à ses facultés financières, dès lors que le prêt qui lui avait été octroyé devait être remboursé par les revenus d'exploitation attendus de la commercialisation du "procédé Volback", tout en retenant que le prêt du 14 mai 1992 lui avait été consenti personnellement et en la déboutant de ses demandes, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants en violation de l'article 1147 du Code civil ;


5 ) que, subsidiairement, le contrat de prêt qu'elle avait souscrit auprès de la société Midland Bank SA aux droits de laquelle se trouve la société HSBC Bank France, prévoyait que l'emprunteuse s'engageait à verser à la banque des intérêts et à rembourser les fonds prêtés avant le 30 avril 1993 ; qu'en retenant pour rejeter le moyen par lequel elle faisait valoir que la banque avait négligé de prendre en considération ses capacités de remboursement, que ce prêt était remboursable en capital et intérêts à l'échéance par les revenus d'exploitation attendus de la commercialisation du "procédé Volback", la cour d'appel a dénaturé le contrat souscrit par elle auprès de la société HSBC Bank France le 14 mai 1992 en méconnaissance de l'article 1134 du Code civil ;


Mais attendu, en premier lieu, qu'en sa première branche, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation les éléments de preuve qui ont été souverainement appréciés par les juges du fond ;


Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt relève, dans son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui avaient été produits, qu'à l'époque où le prêt litigieux avait été souscrit, la situation de la société Volback n'était ni irrémédiablement compromise ni même anormalement obérée et encore que Mme X... avait elle-même sollicité l'octroi du prêt litigieux dans le but d'aider la société de son ex-mari dont elle connaissait les besoins, à conduire les recherches nécessaires à la commercialisation du dispositif qu'elle mettait au point ;


qu'en l'état de ces motifs dont il ressortait, d'abord, que la banque ne pouvait se voir reprocher d'avoir soutenu abusivement, par personne interposée, la société Volback et ensuite, que cet établissement de crédit dont il n'avait pas été démontré qu'il aurait eu sur les capacités de remboursement de l'emprunteur ou sur les risques de l'opération financée des informations que Mme X... aurait légitimement ignorées et qui n'avait pas à s'immiscer dans la gestion des affaires de sa cliente, n'était redevable à celle-ci, qui disposait déjà de tous les éléments pour apprécier l'opportunité de l'emprunt qu'elle souscrivait, d'aucun devoir de conseil ou d'information et n'avait commis à son égard aucune faute contractuelle, la cour d'appel, qui n'encourt pas les griefs évoqués par les deuxième et quatrième branches, a, abstraction faite de la dénaturation dénoncée par la cinquième branche restée sans incidence sur la solution, légalement justifié sa décision ;


Attendu, en troisième lieu, que l'arrêt relève encore que c'est M. Y..., dont il n'a jamais été contesté qu'il avait la libre disposition des fonds que lui avait fait remettre Mme X..., qui avait fait virer le montant du prêt au crédit du compte de la société Volback dont ils avaient comblé le déficit ; que la cour d'appel, qui n'a pas violé le texte visé par la troisième branche du moyen, a exactement déduit que la banque ne pouvait se voir imputer aucune faute de ce chef ;


D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Condamne Mme X... aux dépens ;


Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 2 000 euros à la société HSBC Private Bank France SA et rejette sa demande ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux février deux mille cinq.

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